Le Lobefrontallobe frontal désigne la partie du cerveau située en avant de la scissure de Rolando. Il comporte :
▪ le Gyruscentralgyrus central (Circonvolutionfrontaleascendantecirconvolution frontale ascendante) bordant la Scissurede Rolandoscissure de Rolando constituant l’Airemotriceaire motrice (Aire4de Brodmannaire 4 de Brodmann) ;
▪ le Cortexprémoteurcortex prémoteur ou Aired’association motriceaire d’association motrice, situé en avant du précédent et comprenant les aires Aire66, Aire88, Aire4444 (Airede Brocaaire de Broca), Aire4545 ainsi que l’Airemotrice supplémentaireaire motrice supplémentaire à la face interne de l’hémisphère ;
▪ le Cortexpréfrontalcortex préfrontal, en avant du précédent, Cortexgranulairecortex granulaire dont les lésions entraînent les manifestations désignées sous le nom de Syndromefrontalsyndrome frontal et lui-même divisible en trois parties :
• une portion dorso-latérale au niveau de la convexité cérébrale (aires Aire99, Aire1010, Aire4646),
• une portion orbitaire ou ventrale (aires Aire1111, Aire1212, Aire2525, Aire3232, Aire4747),
• une portion interne ou mésiale, constituée du Gyruscingulairegyrus cingulaire, inclus dans le Systèmelimbiquesystème limbique et constitué des aires Aire2424 et Aire3232 ainsi que de la partie interne des aires Aire66, Aire88, Aire99, Aire1010.
Le Cortexpréfrontalcortex préfrontal, qui représente entre un quart et un tiers de la masse du cortex, et qui n’est ni le départ de voies motrices ni l’aboutissement de voies sensorielles, a de multiples connexions, souvent réciproques, avec de nombreuses régions du cerveau. Les connexions avec les aires sensorielles n’intéressent pas les aires primaires mais les Aireassociativeaires associatives temporales, pariétales, occipitales, ce qui indique que les afférences frontales concernent des informations déjà élaborées, qu’elles soient sensitives, auditives ou visuelles. Le cortex préfrontal est le seul site néocortical des informations circulant par les circuits limbiques et il entretient des connexions avec l’Hippocampehippocampe, l’Amygdaleamygdale, le Thalamusthalamus (surtout le noyau médio-dorsal), avec le Cortexlimbiquecortex limbique Cortexparahippocampiqueparahippocampique et Cortexcingulairecingulaire, avec l’Hypothalamushypothalamus, avec le Tegmentum mésencéphaliquetegmentum mésencéphalique et on a pu dire ainsi qu’il se comportait comme une interface entre la cognition et les sentiments. Il faut ajouter son implication dans la mémoire par l’intermédiaire du Systèmelimbiquesystème limbique et dans les processus attentionnels par le thalamus, lui-même en relation, par les Noyauintralaminairenoyaux intralaminaires, avec la Substanceréticuléesubstance réticulée. Les connexions corticofuges avec les Noyaugrisnoyaux gris centraux (Ganglion de la baseganglions de la base) sont organisées en cinq circuits qui aboutissent tous au thalamus en passant par le Striatumstriatum, le Pallidumpallidum, le locus niger (voir figure 19.2) : l’un, moteur, est issu de l’Airemotrice supplémentaireaire motrice supplémentaire ; l’autre, oculomoteur, est issu des Aireoculomotricefrontaleaires oculomotrices frontales (Aire8aire 8) ; les trois autres, impliqués dans les fonctions cognitives et les régulations émotionnelle et motivationnelle, sont respectivement issus du Cortexpréfrontaldorso-latéralcortex préfrontal dorso-latéral, du Cortexfronto-orbitairecortex fronto-orbitaire et du Cortexfrontalinternecortex frontal interne au niveau du Gyruscingulairegyrus cingulaire. Ces circuits sont des boucles qui, à partir du Thalamusthalamus, se projettent de manière récurrente sur le Cortexpréfrontalcortex préfrontal. Le cortex préfrontal reçoit aussi des afférences en provenance des aires olfactives de la base du cerveau et il est aussi lié par le thalamus et ses connexions descendantes au Systèmenerveux autonomesystème nerveux autonome.
Et pourtant, malgré le volume du Lobefrontallobe frontal et la richesse de ses connexions, la notion même de syndrome frontal a eu du mal à se dégager d’une approche uniciste des troubles mentaux au cours des Tumeurcérébraletumeurs cérébrales, ce qui a même pu conduire à refuser au lobe frontal une séméiologie originale et a fortiori spécifique.
Toutefois, dès 1875, Ferrier note qu’après ablation de l’Aireorbito-frontale du singeaire orbito-frontale du singe, les animaux continuent à bouger, voir, entendre, sentir, goûter…, chercher leur nourriture mais une « observation attentive montre qu’en fait les animaux avaient subi un grand changement : ils ne manifestent plus aucun intérêt à quoi que ce soit… restent stupidement calmes et paraissent avoir perdu le don d’observation intelligente et attentive ». Les travaux de Jacobsen dans les années trente ont montré que les lésions expérimentales du cortex dorsal préfrontal du singe altéraient les tâches à réponse différée, c’est-à-dire les tâches au cours desquelles le stimulus était soustrait de la vue de l’animal pendant moins de cinq secondes grâce à un écran coulissant. Ces tâches nécessitaient la mise en œuvre de plusieurs traitements cognitifs : attention aux coordonnées spatiales du stimulus, mémorisation des informations, choix de la réponse avec capacité d’inhiber les réponses inexactes. Jacobsen remarqua aussi que le chimpanzé ayant une double Lobectomie préfrontalelobectomie préfrontale voyait disparaître l’agitation anxieuse provoquée par les difficultés des tâches auxquelles il était soumis (ce que l’auteur appelait « Névrose expérimentalenévrose expérimentale ») et devenait équanime, ce qui donna à Egas Moniz l’idée d’utiliser la lobectomie préfrontale à titre thérapeutique.
Chez l’homme, le triste accident de Phineas Gage est devenu exemplaire : en 1848, cet employé des chemins de fer, compétent et efficace, fit exploser malencontreusement une charge explosive et la barre à mine qu’il tenait traversa sa joue gauche, son lobe frontal gauche puis la convexité crânienne. Apparemment guéri, il devint évident que sa personnalité fut profondément bouleversée : il était devenu grossier, capricieux, instable et l’on disait de lui que « Gage n’était plus Gage ». Il perdit son métier et mena une vie d’errance et d’instabilité professionnelle. En dépit de quelques théorisations sur les fonctions frontales, il fallut attendre les travaux de Luria pour renouveler l’analyse séméiologique des troubles en rapport avec des lésions des lobes frontaux ; cette approche déboucha sur une conception tripartite du cerveau : une zone basale intégrant le Tronc cérébral tronc cérébral et le Systèmelimbiquesystème limbique, générant un « tonus cortical » permettant Attentionattention et mémorisation ; une zone postérieure dévolue au traitement des informations sensorielles ; une région antérieure assurant la régulation séquentielle et la Planificationplanification de l’activité cérébrale, qu’elle soit motrice ou mentale, avec ce que ces fonctions impliquent dans les choix à opérer et à adapter, comme dans la Résolution de problèmesrésolution des problèmes et dans la capacité stratégique à sélectionner les comportements nécessaires à la réalisation des projets qui tissent la vie humaine. La plupart des fonctions du Lobefrontallobe frontal sont rassemblées sous le terme anglais de « Fonctionexécutivefonction exécutive », ce qui ne veut pas dire que le lobe frontal soit chargé de fonctions d’exécution : le lobe frontal est chargé du contrôle de la mise en œuvre des actions (executive cognitive control, écrit Benson) par l’Anticipationanticipation, le choix des buts à atteindre, la planification, la sélection adéquate (qui sous-entend le choix d’une réponse et l’inhibition d’autres réponses), la surveillance du déroulement et la vérification du résultat obtenu. Ce contrôle préfrontal dorsal des actions est lié aussi à la motivation sous-tendue par la région frontale médiane (en particulier le Gyruscingulairegyrus cingulaire) et à la capacité de prévoir la succession d’actions à faire, dénommée par Ingvar « Mémoiredu futurmémoire du futur ». L’altération des fonctions du lobe frontal s’accompagne chez les malades d’une perte de l’autocritique, d’une incapacité à évaluer leurs propres performances, de la mésestimation ou de l’inconscience du caractère morbide de leur état.
La personnalité frontale
Les troubles de la personnalité sont dus aux liens du lobe frontal avec le Systèmelimbiquesystème limbique et les structures régulant les manifestations autonomiques de la vie émotionnelle (tableau 13.I).
Cortex dorso-latéral | Cortex frontal interne (gyrus cingulaire) | Cortex orbito-frontal |
---|---|---|
Aphasie transcorticale motrice (lésion gauche) Réduction de lafluence Apathie,aboulie,inertie,distractibilité | ||
Dépression Troubles de l’organisation dynamique des actes moteurs Échopraxie Perturbations du contrôle exécutif avec atteinte : – de la planification – de la mémoire prospective – de la flexibilité mentale de la résolution de problèmes | Apathie parfois intense Akinésie Mutisme akinétique (lésions bilatérales) | Moria Euphorie Désinhibition Irritabilité État maniaque Impulsivité Distractibilité Dépendance à l’environnement Sociopathie acquise |
L’humeur peut être, sur le versant euphorique, expansive, d’une niaiserie puérile et insouciante, donnant parfois au comportement une allure hypomaniaque réalisant la « Moriamoria » avec son cortège de plaisanteries sottes (« Vous me demandez comment je m’appelle… Si c’est ma pelle, c’est pas ma pioche. Ah ! non, mais avec ma pelle, on peut faire du boulot »… « Comment je vais ! ah ! je vais assez mal… assez mal, c’est pas assez femelle pour être assez mal »…) ou caustiques, souvent érotiques ou grossières (« Vous me demandez qui est le président de la République ? ah! ah! de la ré… publique ! enfin ! »). Le comportement peut être de type psychopathique (voir infra) ou agité et inefficace. Ce versant exalté de la personnalité frontale s’observe plutôt dans les lésions de la portion orbitaire du Lobefrontallobe frontal. Le comportement de miction voire de défécation dans des endroits inappropriés est, en règle générale, observé dans les lésions médianes bilatérales des lobes frontaux et est à relier à la perte des influences inhibitrices qu’exercent les régions frontales. Il laisse le malade indifférent ou goguenard.
L’humeur peut être dépressive comme elle peut aussi être pseudo-dépressive, le comportement étant caractérisé par une Inertieinertie, un Apragmatismeapragmatisme, une Aboulieaboulie, une Adynamieadynamie, une placidité émotionnelle, sans la douleur morale des Étatdépressifétats dépressifs. Une certaine confusion règne dans la littérature attribuant le versant apathique–aboulique de la personnalité frontale, soit au syndrome dorso-latéral préfrontal soit au syndrome cingulaire antérieur. L’un et l’autre peuvent comporter une perte des capacités d’Initiativeinitiative et de l’Élan psychiqueélan psychique (drive des auteurs anglo-saxons), une Inertieinertie, une lenteur idéatoire et motrice, un désinvestissement des activités quotidiennes, une relative indifférence, une distractibilité. Les états apathiques les plus profonds, parfois qualifiés d’akinétiques, sont observés dans le Syndromecingulaire antérieursyndrome cingulaire antérieur et sa forme extrême est représentée par le mutisme akinétique qui s’observe dans les lésions frontales internes bilatérales comme lors d’un Infarctusdes cérébralesantérieuresinfarctus des deux cérébrales antérieures lésant les Gyruscingulairegyrus cingulaires et qui réalise un état d’immobilité éveillée et silencieuse.
La personnalité peut aussi, sous l’influence d’une lésion plutôt ventro-médiane (plus particulièrement droite), se désorganiser sur un mode désigné par Damasio de « Sociopathieacquisesociopathie acquise » pour décrire une analogie séméiologique avec la sociopathie du DSM III, ou Déséquilibre mentaldéséquilibre mental qui est une anomalie du développement de la personnalité. Ainsi certains sujets, adaptés et stables sur les plans professionnel et affectif, développent-ils, après une lésion frontale, une instabilité professionnelle et affective, accompagnée d’une incapacité à prendre des décisions qui sont alors suscitées par le hasard, qu’il s’agisse de choix apparemment simples comme la sélection des plats sur la carte d’un restaurant ou de décisions engageant la vie professionnelle et affective. Cet état serait lié au défaut d’activation de marqueurs somatiques qui tout au long de l’existence lient des « situations » (les stimuli) et leur retentissement émotionnel vécu par le corps sous l’impulsion du système nerveux autonome soit sous une forme positive, attractive, soit sous une forme négative, répulsive (striction pharyngée, malaise général, etc.). En présence d’un choix à opérer, l’activation des marqueurs fonctionne comme un signal émotionnel corporel d’aide à la décision. Le cortex frontal est le centre de convergence des perceptions venues du monde et des signaux émotionnels qu’elles véhiculent. Privé de cette assistance émotionnelle à la décision, le sujet ne peut plus sélectionner les choix positifs même s’il accède à la reconnaissance du sens des situations sociales et imagine les réponses possibles. Tel est l’un des aspects de l’engagement du lobe frontal dans la « Cognition socialecognition sociale » (voir chapitre 18). Selon Laplane, ce type de comportement pourrait relever d’une perte de « l’Auto-activation psychiqueauto-activation psychique », accompagnée de manifestations obsessionnelles dont pourraient témoigner non seulement l’incapacité à choisir mais aussi des activités mentales stéréotypées (comme des activités de comptage) qui occupent le « vide mental » : cette interprétation séméiologique sera abordée au chapitre traitant de la neuropsychologie des noyaux gris centraux (chapitre 19).
Le concept de programmation appliqué aux mouvements
Les lésions du cortex préfrontal entraînent un déficit de l’organisation dynamique des actes moteurs caractérisé par la difficulté de réaliser des actions séquentielles selon un programme fixé, par de la Persévérationpersévération du même geste alors qu’une autre action peut être oubliée, ce qui entraîne une simplification du programme qui, parti par exemple de quatre mouvements successifs, peut se réduire à la réitération anarchique de deux d’entre eux.
On peut ainsi demander au sujet de répéter la séquence de gestes suivante : mettre successivement sur le bureau la main à plat puis le poing puis la tranche ou encore reproduire des rythmes sonores que l’examinateur indique en tapant sur la table avec un crayon ou encore reproduire des séquences de figures géométriques simples comme un rond puis une croix puis un triangle puis un carré (figure 13.1). La Régulation verbale des actes moteursrégulation verbale des actes moteurs est diversement altérée. Ainsi la verbalisation à haute voix peut faciliter le maintien du programme mais dans les cas plus graves les sujets répètent la consigne sans la réaliser (comme s’il existait une rupture entre la pensée et l’action) ou encore se bornent à répéter la consigne verbale de manière écholalique. Il faut d’ailleurs souligner que le langage n’acquiert que progressivement pendant l’enfance son pouvoir de réguler les activités motrices : pendant les toutes premières années de la vie, l’enfant, malgré une consigne verbale (quand la lumière s’allumera, il faudra se lever), a tendance à effectuer une réponse motrice immédiate. Quant à l’imitation de gestes, elle montre des Réponse en miroirréponses en miroir de type échopraxique. Quand on attire l’attention sur leurs erreurs, les malades peuvent se corriger, ce qui ne les empêche pas ensuite de se tromper à nouveau.