Neuropsychologie de la douleur chronique et de la souffrance

La douleur1 est une expérience sensorielle désagréable suscitant des ajustements émotionnels, cognitifs et comportementaux dont le déploiement varie en fonction de la durée de la douleur, de son intensité, de ses caractères qualitatifs qui sont eux-mêmes liés aux mécanismes de la douleur et à la personnalité du sujet.



La première distinction à opérer concerne la douleur aiguë et la douleur chronique. En effet, la première privilégie le traitement de la cause, même s’il ne faut pas négliger le traitement symptomatique de la douleur qui peut aussi parfois résumer la conduite thérapeutique (comme la prescription d’antalgiques usuels dans le traitement de certaines migraines). La seconde, si elle peut appeler un traitement de sa cause (comme un cancer), devient par sa chronicité même une maladie appelant une évaluation et une prise en charge argumentée de la douleur elle-même.




































Tableau 24.I Quelques caractères distinctifs des douleurs aiguës et des douleurs chroniques

Douleur aiguë Douleur chronique
Fonction Alarme ou exprimant un dysfonctionnement algogène transitoire (migraine, crise de goutte, etc.) Débilitante
Mécanisme causal Celui de la maladie prime sur celui de la douleur
Souvent bien établi
D’abord celui de la douleur (par excès de nociception, par désafférentation, psychogène…)
Souvent composite
Effets physiologiques de type sympathique (hyperventilation, tachycardie, dilatation pupillaire, hypersudation, etc.) Importants Atténués par habituation
Manifestations affectives Dominées par l’anxiété Dominées par la dépression
Comportement familial et social Faible disponibilité ou indisponibilité transitoire Déstabilisation et reconfiguration durables
Ré-assurance Efficace Peu ou pas efficace
Approche thérapeutique Réponse médicale symptomatique et/ou étiologique Réadaptation après prise en compte des composantes multidimensionnelles du syndrome douloureux chronique

Mais quels sont les liens entre les termes douleur et souffrance ? Le mot douleur (dont l’équivalent issu de la langue grecque est « algie ») est un terme descriptif : une sensation ou un ensemble de sensations pénibles. Le verbe correspondant est en latin « dolere » qu’on devrait traduire par « avoir mal ». Le mot « souffrance » désigne par contre non pas une sensation mais un état, une posture. Il vient du latin « suffere » qui contient l’idée de « porter », de « supporter » dont les connotations se tressent dans un vaste champ lexical avec des mots comme affronter, endurer, ou encore pâtir dont le sens glisse encore vers patience et passion. La douleur est donc un message reçu comme douloureux, c’est-à-dire en première approximation comme désagréable par le sujet. Elle est une expérience sensorielle et pour le médecin un symptôme dont on peut analyser les caractères descriptifs ou somesthésiques : où est la douleur ? Où irradie-t-elle ? est-ce un serrement, une brûlure ou une pulsation ? dure-t-elle quelques minutes ou quelques heures ? se renouvelle-t-elle chaque jour ? En ce sens, la douleur décrite est une expérience universelle : aiguë ou chronique, ces caractères d’universalité permettent de distinguer une douleur hépatique, une douleur osseuse, une douleur rénale comme ils permettent de dire quel tel type de mal de tête est une migraine. Mais contrairement aux autres expériences sensorielles, la douleur, dès qu’elle atteint un certain seuil, dès qu’elle atteint une certaine intensité, est un message qui envahit le cerveau comme une vague déferlante. C’est en effet ce que nous enseigne la neurophysiologie. Et ce préalable est nécessaire à la compréhension de ce qui distingue la douleur et la souffrance.



Neurophysiologie des voies de la douleur : pour comprendre ce qui lie et distingue douleur et souffrance



Classification des sensibilités : les sensibilités lemniscales et extralemniscales


La douleur fait partie des sensibilités dites générales et plus précisément des sensibilités générales conscientes qui avec les sensibilités dites spécifiques (vue, audition, équilibration, goût, odorat) informent l’être vivant des modifications et des événements qui surviennent en lui-même et dans son environnement.

Les sensibilités peuvent être classées de manière descriptive en distinguant les sensibilités superficielles ou extéroceptives et les sensibilités profondes ou intéroceptives ; ces dernières peuvent à leur tour être segmentées en sensibilités proprioceptives, issues des tendons, des articulations, des os et les sensibilités à point de départ viscérales dites viscéroceptives. Les sensibilités proprioceptives et viscéroceptives sont pour partie conscientes, pour partie inconscientes. Les sensibilités proprioceptives inconscientes participent à la régulation de l’équilibre statique et cinétique et du mouvement. Les sensibilités proprioceptives conscientes renseignent sur la position du corps dans l’espace et sur les mouvements du corps, constituant ainsi un véritable sens des attitudes et du mouvement, nous permettant hors du contrôle de la vue de ressentir la position des différents segments du corps et leur mobilisation dans l’espace. Les sensibilités viscéroceptives, quand elles se manifestent à la conscience, le font essentiellement sur le mode douloureux (douleurs des péritonites, des occlusions intestinales, de l’infarctus du myocarde, etc.). Les sensibilités superficielles comportent le tact, la température, la douleur. Il est resté classique de distinguer le tact épicritique, fin, localisé avec précision, rapidement perçu, du tact protopathique, qui à l’instar de la douleur est moins bien localisé.

En fait, la classification la plus opérationnelle conduit à distinguer deux grandes catégories de sensibilités selon que les voies nerveuses cheminent ou non au niveau du tronc cérébral dans le ruban de Reil médian ou pes lemniscus median. Car à cette distinction anatomophysiologique correspond une distinction neurophysiologique. En effet, les sensibilités extralemniscales, celles qui ne passent pas par le ruban de Reil médian ont une fonction d’alarme, d’alerte, de défense de l’organisme. Elles sont représentées par les sensibilités à la douleur (et à la température). Les sensibilités lemniscales, celles qui passent par le ruban de Reil médian ont une fonction de connaissance. Elles sont représentées par le tact (dit épicritique) et par les sensibilités proprioceptives conscientes.

Tous les influx sensitifs en provenance des membres et du tronc convergent vers les racines postérieures de la moelle ; le corps cellulaire de ces premiers neurones est situé dans le ganglion rachidien. Les influx issus de l’extrémité céphalique convergent vers les racines sensitives des nerfs crâniens avant de pénétrer dans le tronc cérébral.



Parcours des voies des sensibilités (Figure 24.1 and Figure 24.2 et tableau 24.II)



Les sensibilités lemniscales


Les sensibilités lemniscales, dispositif de connaissance, nées de récepteurs spécifiques extéroceptifs et proprioceptifs, cheminent dans des fibres myélinisées, de vitesse de conduction nerveuse rapide. Parvenues au niveau des racines postérieures de la moelle, les fibres passent dans la corne postérieure de la moelle, et pénètrent ensuite les cordons postérieurs de la moelle du même côté. La première étape les conduit par les faisceaux de Goll et de Burdach dans la moelle jusqu’au bulbe où elles font relais au niveau des noyaux de Goll et de Burdach. Les deuxièmes neurones croisent la ligne médiane pour constituer le ruban de Reil médian, qui reçoit au niveau de la protubérance les fibres sensitives du nerf trijumeau (qui assure l’essentiel de la sensibilité de la face) et aboutissent au noyau ventro-postéro-latéral du thalamus. Les troisièmes neurones thalamo-corticaux aboutissent au cortex somesthésique primaire S1, au niveau de la circonvolution pariétale ascendante (gyrus postcentral). À chaque étape de leur parcours (cordon postérieur de la moelle, thalamus, cortex pariétal), les voies lemniscales ont une somatotopie précise en ce sens que tous les endroits du corps y sont représentés de manière topographiquement précise en une mosaïque de points différents. Ainsi au niveau pariétal, le corps se projette sous forme d’une représentation tête en bas au sein de laquelle la surface de représentation des parties du corps n’est pas fonction de leur taille mais de la richesse de leur innervation donc de la finesse de leur perception sensitive, la face, la main, et surtout les doigts ayant une surface beaucoup plus vaste que les autres segments du corps et réalisant une représentation difforme du corps classiquement nommée homunculus sensitif. Des fibres issues de S1 se projettent aussi au niveau du cortex somesthésique secondaire S2 situé en bas et en arrière de S1 et sur la lèvre supérieure de la scissure de Sylvius.








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Figure 24.1
Voies lemniscales (voir tableau 24.II).

Illustration Éléonore Lamoglia








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Figure 24.2
Voies extralemniscales (voir tableau 24.II).

Illustration Éléonore Lamoglia



































Tableau 24.II Traits distinctifs des sensibilités lemniscales et extralemniscales

Sensibilités lemniscales Sensibilités extralemniscales
Types de sensibilité Tactile (épicritique)
Proprioceptive consciente
Douleur
Température
Fibres De gros diamètre (A bêta)
Myélinisées
Vitesse de conduction rapide
De petit diamètre (A delta et C)
Peu ou pas myélinisées
Vitesse de conduction lente
Voies Paucisynaptiques Multisynaptiques
Phénomène de convergence (davantage de seconds neurones que de premiers neurones) Non Oui
Cibles cérébrales Spécifiques
Limitées
Aspécifiques
Multiples
Somatotopie Précise Imprécise (sauf pour le faisceau néo-spino-thalamique)
Interactions Contribuent à moduler la transmission des messages douloureux :


– au niveau métamérique


– au niveau central


Les sensibilités extralemniscales


Les fibres extralemniscales, dispositif d’alarme, frappent d’emblée par leur plus grande complexité liée à leur caractère multisynaptique et à la diversité de leurs cibles cérébrales. Nés de thermorécepteurs spécifiques et pour la douleur de terminaisons nerveuses libres, les influx cheminent dans des fibres peu (A delta) ou pas myélinisées (C), de petit diamètre et de vitesse de conduction nerveuse lente. Les premiers neurones pénètrent la moelle par la racine postérieure et la corne postérieure où elles font synapse avec les deuxièmes neurones qui traversent la ligne médiane pour former, au niveau du cordon latéral du côté opposé, le faisceau spino-thalamique. Un phénomène dit de convergence (moins de deuxièmes neurones que de premiers) contribue à donner à la douleur son caractère volontiers irradié. Le faisceau spino-thalamique monte alors dans la moelle et le tronc cérébral en constituant deux contingents :


▪ le faisceau néo-spino-thalamique, phylogénétiquement le plus récent (primates et Homo sapiens), suit le même trajet que les voies lemniscales jusqu’au cortex somesthésique et est le mieux organisé sur le plan somatotopique ;


▪ le faisceau paléo-spino-(réticulo)-thalamique, phylogénétiquement le plus ancien (commun à tous les vertébrés), dépourvu de somatotopie précise, se projette sur des cibles cérébrales multiples et bilatérales :



• elles rejoignent ensuite le thalamus (faisceau paléo-spino-réticulo-thlamique) que d’autres fibres (faisceau paléo-spino-thalamique) atteignent directement. Mais les synapses ne s’effectuent pas au niveau du noyau ventro-postéro-latéral du thalamus mais au niveau du thalamus dit non spécifique (système thalamique diffus et noyaux associatifs). Des collatérales atteignent le cervelet,



• les fibres thalamo-corticales ont des projections plus diffuses que celles issues des voies lemniscales. Les études d’imagerie dynamique par la tomographie à émission de positons (TEP) et par l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique nucléaire (Laurent et al., 2000) tendent à dresser une véritable cartographie des modifications cérébrales (interprétées comme « réponses cérébrales » à la douleur). Sont ainsi impliqués de manière uni- ou bilatérale (Figure 24.3 and Figure 24.4) :


– l’aire somesthésique primaire S1,


– l’aire somesthésique secondaire S2 mais aussi le cortex insulaire (dont l’activation est proportionnelle à l’intensité de la douleur), ces régions ayant des liens avec l’amygdale (dont on connaît le rôle central dans l’intégration et la réactivité émotionnelles ; voir chapitre 17) et l’hippocampe (dont les fonctions de mémorisation sont en lien étroit avec l’activation amygdalienne),


– l’aire motrice supplémentaire (impliquée dans la préparation et la mise en œuvre des réponses motrices),


– le cortex cingulaire antérieur, dont l’activation est proportionnelle au désagrément provoqué par la douleur et qui intervient dans les aspects émotionnels, attentionnels et comportementaux mis en œuvre par la douleur,


– le cortex fronto-orbitaire, dont l’activation serait inversement corrélée à celle du cortex préfrontal et qui serait engagé dans les dimensions affectives de la douleur, peut-être au sein d’un réseau (Lorenz, 2003) comprenant aussi le thalamus médian et le noyau accumbens (voir chapitre 19),


– le cortex préfrontal activé dans les douleurs chroniques et dans l’effet analgésique des situations d’évaluation et de contrôle de la douleur (Wiech et al., 2006), ce qui suggère son intervention dans les aspects cognitifs de la douleur alors que son activation n’est pas corrélée à l’intensité de la douleur (Buschnell et Apkarian, 2006),


– le cortex pariétal postérieur, impliqué dans les traitements de l’espace et la perception physique du Soi (schéma corporel).








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Figure 24.3
Représentation cérébrale de la douleur.La liste des aires cérébrales actives est issue d’une littérature abondante relatant des protocoles multiples et ne peut être considérée comme exhaustive. D’autres aires cérébrales sont aussi citées come le cortex cingulaire postérieur, le cortex pariétal postérieur, le cortex prémoteur. Il reste à ajouter les multiples structures sous-corticales citées dans le texte.

Illustration Éléonore Lamoglia








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Figure 24.4
Schéma simplifié des principales connexions des structures cérébrales activées par la douleur.


Ces constatations montrent les liens qui se tressent entre l’analyse qualitative de la douleur (S1, S2), son retentissement émotionnel (insula, amygdale, cingulum, cortex fronto-orbitaire), la mise en œuvre de réponses motrices (cingulum, aire motrice supplémentaire), ses aspects attentionnels et comportementaux (cingulum), la mémoire (couple amygdalo-hippocampique), l’évaluation et le contrôle cognitifs du vécu douloureux (cortex préfrontal).


De la douleur à la souffrance


Toutefois cette liste de structures ne doit pas donner du fonctionnement cérébral une conception compartimentée. Le nombre des structures impliquées tout au long du cheminement des voies de la douleur montre au contraire que par la multiplicité des cibles cérébrales investies tant dans les régions sous-corticales que corticales, la douleur dès qu’elle devient intense ou chronique envahit l’ensemble du champ de conscience d’un individu et tend à le rendre indisponible à toute autre chose que le souffrir, et c’est ainsi que l’on glisse du concept de douleur comme message à celui de souffrance comme posture : les cibles cérébrales affectées par la douleur – qu’elles intéressent l’éveil, les réactions neuro-hormonales au stress, la déstabilisation affectivo-émotionnelle, l’attention, les tentatives d’adaptation motrice et plus généralement comportementale, la mémoire, la cognition – démontrent la capacité aliénante d’une douleur devenue souffrance. Au caractère universel et communicable de l’expérience douloureuse, qui peut être décrite en termes de localisation, d’irradiation, etc., s’oppose le caractère personnel, insubstituable et plus difficilement communicable de la souffrance. Cet embrasement cérébral qui rétracte le sujet de l’agir vers le pâtir et brise sa dynamique existentielle introduit la nécessité éthique d’une prise en charge de la douleur qui sache prendre en compte l’ensemble de ses dimensions, c’est-à-dire non seulement ses aspects somesthésiques mais aussi ses aspects émotionnels et cognitifs. Car s’il existe par sa fonction protectrice une nécessité biologique de la douleur, la neurophysiologie montre que l’organisme tend de manière permanente à contrôler et à inhiber la transmission des messages douloureux aux centres supérieurs.


Mécanismes de contrôle de la douleur



Le contrôle métamérique : la théorie de la porte


Les sensations douloureuses nées de l’activation des terminaisons libres et cheminant dans les fibres de faible calibre A delta et C ne sont pas transmises telles quelles au deuxième neurone : arrivées au niveau de la corne postérieure de la moelle, elles doivent franchir ce que Wall et Melzach ont appelé une « porte » ou encore un « guichet » dont la porte d’entrée est initialement fermée par l’activation concomittante des fibres lemniscales qui de manière indirecte tendent à inhiber le franchissement de l’information douloureuse. Cette inhibition sera levée quand l’action activatrice des fibres de faible diamètre prédominera sur l’action inhibitrice des grosses fibres (figure 24.5).








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Figure 24.5
Théorie de porte (gate control) de Wall et Melzack.Les décharges douloureuses activent à la fois les fibres de gros diamètre, protoneurones des voies lemniscales, de vitesse de conduction nerveuse rapide et les fibres de petit diamètre, protoneurones des voies extralemniscales, de vitesse de conduction nerveuse lente. Ces dernières font synapse au niveau de la corne postérieure de la moelle avec le deuxième neurone (neurone central T), qui croise la ligne médiane pour constituer le faiceau spino-thalamique qui transmet les messages douloureux aux centres supérieurs.Or, l’activité de ce deuxième neurone est modulée par des interneurones inhibiteurs situés dans la substance gélatineuse de Rolando au niveau de la corne postérieure de la moelle et qui tendent à exercer sur les neurones T une action inhibitrice.Or, les grosses fibres peu après leur entrée dans la moelle décochent des collatérales qui exercent sur ces interneurones inhibiteurs une action facilitatrice, entravant ainsi la transmission du message douloureux ; ces fibres dont les influx arrivent à la moelle de manière rapide, « ferment » la porte. Les petites fibres au contraire qui vectent la sensation douloureuse décochent aussi des collatérales qui exercent sur les interneurones inhibiteurs une action inhibitrice. Ainsi quand l’activité des petites fibres, en raison de l’intensité et de la répétition des sensations douloureuses, devient prépondérante, l’inhibition exercée par les interneurones est levée, la porte s’ouvre et la douleur est transmise.La transmission des messages douloureux au niveau métamérique dépend donc de l’affrontement permanent de deux influences au niveau de la corne postérieure, l’une inhibitrice, lemniscale, l’autre facilitatrice, extralemniscale.

Illustration Éléonore Lamoglia


Le contrôle central de la douleur










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Figure 24.6
Schéma résumant les contrôles métamérique et central de la douleur.

Illustration Éléonore Lamoglia

On comprend ainsi qu’on puisse en pathologie isoler deux grands types de douleurs : les douleurs par excès de nociception et les douleurs dites neuropathiques par défaut du contrôle inhibiteur lors de lésions des voies des sensibilités lemniscales (encadré 24.1).

Encadré 24.1
Les différents types de douleurs



Il est devenu classique de distinguer les douleurs dites par excès de nociception des douleurs dites par désafférentation, elles-mêmes incluses dans le cadre des douleurs observées lors des lésions du système nerveux et appelées douleurs neurogènes ou encore douleurs neuropathiques.




Les douleurs par excès de nociception


Elles sont donc liées à l’activation excessive des nocicepteurs par des stimulations mécaniques, thermiques, chimiques, électriques qui induisent la libération de substances « algogènes ».Ce sont les douleurs des processus inflammatoires aigus ou chroniques, mais aussi les douleurs provoquées par distension des parois des organes mais aussi par lésions tissulaire qu’elles soient de causes inflammatoire, anoxo-ischémique, nécrotique, compressive. Ce sont donc aussi les douleurs des cancers. Ces douleurs d’origine « profonde » peuvent être « projetées » ou « référées » à « distance » et le plus souvent sur le territoire cutané dont les fibres convergent vers les mêmes niveaux métamériques radiculaires postérieures et de la corne postérieure de la moelle*. Ainsi les douleurs cardiaques peuvent être projetées au niveau de l’épaule gauche, les coliques « hépatiques » peuvent revêtir la topographie d’un « baudrier douloureux droit ». Ces douleurs projetées doivent être distinguées des douleurs « rapportées » qui intéressent le ou les dermatomes correspondant à une ou plusieurs racines, que les lésions intéressent les racines, les plexus ou les nerfs. Ainsi la névralgie crurale par atteinte du nerf crural ou des racines L3 et L4 se projette au niveau de la face antérieure de la cuisse et de la face antéro-interne de la jambe. Ces douleurs s’accompagnent typiquement d’une hyperalgésie dite primaire située au niveau du territoire douloureux et d’une hyperalgésie secondaire en périphérie du territoire (Guilbaud et al.). Ces douleurs peuvent s’accompagner de troubles vasomoteurs témoignant d’un hyperactivité du système sympathique comme elle peuvent aussi s’accompagner de contractures musculaires. Elles ont volontiers un caractère mécanique exacerbé par l’action, comme elles peuvent aussi pour les douleurs inflammatoires avoir une exacerbation nocturne.


Les douleurs par excès de nociception sont sensibles aux antalgiques périphériques, (qu’ils soient ou non pourvus d’effets anti-inflammatoires, ainsi qu’aux antalgiques centraux, donc aux opiacés). Elles sont aussi sensibles aux blocs anesthésiques et aux interventions chirurgicales visant à interrompre la transmission des messages nociceptifs ; radicotomie postérieure, cordotomie antérolatérale sectionnant les voies qui y circulent et notamment le faisceau paléo-spino-(réticulo)-thalamique.


Les douleurs dites par désafférentation


Ces douleurs surviennent typiquement en l’absence de stimulation de nocicepteurs et elles sont donc imputées au déficit des contrôles inhibiteurs vectés par les fibres des voies lemniscales. Ces douleurs ne sont donc pas modifiées par les interventions décrites au paragraphe précédent et qui visent à interrompre la transmission des influx nociceptifs aux centres supérieurs. Elles sont par définition liées à des lésions du système nerveux qui interrompant la transmission des messages sensitifs, induisent dans le territoire intéressé un déficit sensitif mais aussi des douleurs. Ce territoire en effet ne peut plus être soumis aux influences inhibitrices générées par les fibres afférentes, car les messages ne peuvent plus atteindre les structures centrales de contrôle de la douleur qui génèrent normalement les contrôles inhibiteurs descendants. Parce qu’imputables à des lésions du système nerveux, ces douleurs ont aussi été qualifiées de neuropathiques ou de neurogènes. Ces douleurs apparaissent volontiers de manière décalée par rapport à la constitution de la lésion et elles ont tendance à se pérenniser voire à s’aggraver avec le temps. Certains auteurs souhaitent réserver le terme de douleurs de désafférentation aux douleurs générées par une lésion du système nerveux périphérique, c’est-à-dire générée en amont de la moelle. D’autres auteurs incluent sous ce terme des douleurs liées à des lésions du système nerveux central dès lors qu’elle interrompent les voies lemniscales inhibitrices comme les douleurs observées lors des atteintes des cordons postérieurs de la moelle. Mais le mécanisme de certaines douleurs neurologiques centrales peut aussi être lié à une souffrance des voies de la nociception comme les douleurs observées dans les atteintes du faisceau spinothalamique ou du thalamus.

On comprend aussi que certaines lésions périphériques (cancer) ou centrales puissent intriquer les deux mécanismes : excès de nociception et désafférentation.

Quoi qu’ils en soit les douleurs dites neuropathiques outre leur survenue retardée, occupent un territoire cohérent avec une distribution nerveuse (d’un ou plusieurs nerfs ou racines, d’un hémicorps – comme le syndrome thalamique – des membres inférieurs ou des quatre membres en cas d’atteinte cordonale postérieure). Elles ont une tonalité algoparesthésique avec des décharges électriques fulgurantes sur fond paresthésique, alors qu’ailleurs prédominent les sensations de cuisson ou de brûlure. La composante émotionnelle de ces douleurs est souvent très marquée. Elles surviennent électivement au repos et la nuit. La stimulation mécanique douce comme l’effleurement peut parfois être douloureuse (allodynie) alors qu’ailleurs un massage doux de la région douloureuse peut soulager le malade comme si la manœuvre stimulait les fibres afférentes qui ne seraient pas alors strictement interrompues. Certaines douleurs neuropathiques s’accompagnent de complications trophiques imputées à un dysfonctionnement sympathique et elles sont appelées causalgies décrites lors de lésions de troncs nerveux (en particulier le nerf médian) par Weir-Mitchell chez des blessés de la guerre de Sécession des États-Unis. Les douleurs, intenses, pénibles s’exacerbent en crises particulièrement éprouvantes déclenchées par toute stimulation sensitive, sensorielle, émotionnelle : elles s’accompagnent de troubles vasomoteurs, sudoraux et trophiques : téguments rouges, chauds, tendus, luisants (« glossy-skin »), hypersudation.

Les douleurs neuropathiques relèvent de traitements médicamenteux d’action centrale comme les antidépresseurs tricycliques et les antiépileptiques mais aussi la morphine, voire la toxine botulinique (Jin). La neurostimulation transcutanée ou cordonale postérieure améliore aussi les douleurs par désafférentation. Les troubles pourraient être améliorés par le traitement dit du miroir qui agit par rétroaction visuelle virtuelle : le sujet réalise des mouvements avec son membre sain, tandis qu’un miroir donne l’illusion que les mouvements sont effectués par les deux membres (Mercier et al., 2009).


Le cas particulier des douleurs et membres fantômes


Trois situations doivent être distinguées :


▪ Il est fréquent d’observer chez les amputés le phénomène du membre fantôme qui est la sensation de présence voire de mouvement du membre amputé. Des phénomènes semblables sont observés chez des sujets paraplégiques ayant un syndrome de « section médullaire ». Ce trouble qui n’apparaît qu’après l’âge de 6 ans montre que le schéma corporel, tel qu’il est organisé progressivement dans le cerveau pendant l’enfance, devient ensuite relativement indépendant des processus somesthésiques qui ont permis son élaboration ;


▪ les douleurs du membre fantôme ou algohallucinoses sont plus rares et constituent une réactualisation de la douleur qui précédait l’amputation (douleur mémoire : Laurent). Ces douleurs font intervenir des mécanismes spinaux comme le montre l’hyperactivité observée au niveau des neurones désafférentés du tractus spinothalamique de la corne dorsale, leur amélioration par un bloc anesthésique des racines concernées ou encore par une pathologie intercurrente comme une myélopathie cervicale. Des processus thalamiques ou corticaux sont aussi invoqués sans doute par un phénomène de neuroplasticité secondaire : ils peuvent rendre compte et de l’inefficacité secondaire des blocs anesthésiques radiculaires et de l’amélioration des douleurs par une lésion corticale intercurrente comme un infarctus intéressant le lobe pariétal. Les douleurs du membre fantôme pourraient être prévenues par une analgésie (péridurale lombaire) précédant l’intervention au moins douze heures avant l’opération (Staehelin et al.) ou encore par une neurostimulation du moignon réalisée précocément après l’intervention. Les traitement restent d’une efficacité aléatoire : bêta-bloquants, antidépresseurs, carbamazépine et un antagoniste non compétitif des récepteurs NMDA : la kétamine ;


▪ les douleurs du moignon sont des douleurs de désafférentation. Elles peuvent s’intriquer aux précédentes.


Les douleurs psychogènes


Si les douleurs organiques peuvent entraîner des réactions anxio-dépressives, si l’anxiété peut majorer par elle-même une douleur organique, il est des douleurs sans substratum organique dont le diagnostic offre des difficultés variables.

Certaines douleurs par tension musculaire (comme des céphalées) peuvent être générées par l’anxiété mais aussi par une cause intercurrente comme une hétérophorie, tendance à la déviation des axes visuels impliquant du sujet un effort de convergence pour permettre la fusion des images nées de chaque rétine.

Les douleurs des hypocondriaques se fondent sur la crainte d’être atteints d’une maladie sévère et s’accompagnent volontiers d’asthénie. Les examens médicaux normaux n’arrivent guère à rassurer le malade. Aussi, il est inutile de recourir à des examens onéreux et à des traitements agressifs qui sont sans effet sur une affection d’évolution chronique avec des phases d’amélioration et d’aggravation et qui peut mettre à l’épreuve les qualités d’écoute du thérapeute. Des préoccupations hypocondriaques peuvent être au premier plan de certains états dépressifs, exprimant en quelque sorte le sentiment péjoratif que le sujet a de lui-même. L’hypocondrie dépressive est améliorée par le traitement de la dépression.

Un certain nombre de douleurs relève d’un mécanisme de conversion (dit somatoforme dans la terminologie anglo-saxonne). Elles peuvent ou non s’intégrer dans des plaintes somatiques multiples. L’absence d’une cause organique est rejetée par le patient même si, contrairement à l’hypondriaque, le malade est moins préoccupé par la crainte d’une maladie grave que par une quête thérapeutique qui peut le rendre avide de médicaments. On peut chercher la relation des troubles à un événement, à l’évitement d’activités néfastes, au désir d’obtenir un soutien de l’entourage. La prise en charge est pour l’essentiel d’ordre psychothérapique. Les troubles somatoformes peuvent s’accompagner d’anxiété et de dépression.


Morphine et peptides endogènes : les opioïdes au centre du puzzle biochimique impliqué dans le contrôle inhibiteur de la douleur


La culture du pavot (Papaver somniferum), « que la nature n’a pas en vain au sommet de ses capsules doté d’une couronne », a accompagné les habitats humains depuis la nuit des temps. C’est en effet du suc des capsules de pavot que l’opium était extrait. Et la morphine, l’un des alcaloïdes de l’opium, a été isolée au début du xixe siècle. Elle a ensuite été largement utilisée sur les champs de bataille pour contrôler les douleurs des blessés. Elle est un antalgique puissant et demeure l’antalgique de référence. Son nom a ainsi été associé à la douleur, mais il l’a aussi été au bien-être et à l’addiction. Les antimorphiniques sont des produits dont les effets sont voisins de ceux de la morphine. Ils sont ainsi dénommés car quand ils sont administrés conjointement à la morphine, ils exercent à son égard un antagonisme compétitif. C’est ainsi qu’ils sont des antidotes de la morphine lors des intoxications aiguës et que leur administration entraîne, chez les toxicomanes à la morphine, un syndrome de sevrage. Les paradigmes morphine et antimorphiniques, accoutumance et sevrage, intoxication et antidotes, renvoient à deux notions fondamentales :


▪ l’existence, dans l’organisme, de « récepteurs » morphiniques ;


▪ donc l’existence de substances morphinomimétiques endogènes ou « opioïdes », susceptible d’expliquer l’accoutumance (par multiplication des sites), le sevrage par libération soudaine des sites mais aussi l’antagonisme avec les antimorphiniques qui déplacent la morphine de ses sites, créant ainsi un syndrome de sevrage quand ils sont administrés à des morphinomanes.

Il existe ainsi quatre grandes classes de récepteurs largement distribués dans le système nerveux. Leurs ligands, spécifiques, appartiennent aussi à plusieurs familles de peptides opioïdes dont les gènes ont été identifiés :


▪ la propiomélanocortine, qui est notamment le précurseur de la bêta-endorphine ;


▪ les enképhalines ;


▪ les dynorphines, les néoendorphines et les dérivés de la prodynorphine.

De très nombreuses expériences et travaux scientifiques ont cherché à déterminer la localisation des récepteurs des opioïdes. Les plus classiques ont ainsi commencé par montrer que des micro-injections de morphine dans la substance grise péri-aqueducale provoquaient une analgésie puissante, alors que des micro-injections de naloxone (antimorphinique) dans cette même région annulaient les effets analgésiques obtenus par l’administration parentérale de morphine. La stimulation électrique de cette même région entraîne une analgésie comparable à celle de l’analgésie morphinique qui est elle-même réduite ou supprimée par l’administration de naloxone. Et c’est ainsi qu’a pu être établie progressivement une cartographie des récepteurs morphiniques par essence indissociable de nombre de structures déjà citées comme impliquées dans le contrôle de la douleur. Il s’agit en particulier de :


▪ la corne dorsale de la moelle et, tout particulièrement, la substance gélatineuse de Rolando ;


▪ la substance grise péri-aqueducale et la région bulbaire rostro-ventro-médiane (noyau raphé magnus, noyau paragiganto-cellulaire, noyau giganto-cellulaire) ;


▪ le locus niger, le noyau accumbens, le noyau caudé, le putamen, le thalamus ;


▪ l’amygdale, le cortex insulaire, le cortex orbito-frontal et le cortex cingulaire antérieur.

Ainsi, le « système analgésique à médiation endorphinique » est l’élément central mais non exclusif d’un puzzle biochimique impliqué dans le contrôle inhibiteur de la douleur dont les informations sont transmises par des systèmes descendants dont la pharmacologie particulièrement complexe fait aussi et notamment intervenir des voies bulbo-spinales sérotoninergiques (voir supra) de même que des voies noradrénergiques, ainsi que d’autres systèmes impliquant l’histamine, l’adénosine, la dopamine, la neurotensine.


La clé de voûte de la lutte de l’organisme contre la douleur repose ainsi sur une « rétroaction » négative ; les agents algogènes activent le système analgésique dont la mise en activité vise à alléger ou suspendre la douleur. Il s’ensuit que si les neurones modulateurs de la douleur peuvent être activés par des stimulations portées sur pratiquement n’importe quel endroit du corps, les douleurs, quand elles sont administrées en plusieurs endroits, tendraient à s’inhiber mutuellement : ce pourrait être une des modalités d’action de l’acupuncture et on peut ajouter que certains comportements comme se mordre les lèvres pourraient contribuer à améliorer quelque peu une douleur corporelle. Un certain nombre de travaux tendent à montrer que l’activation du système analgésique à médiation endorphinique pourrait être associé à « l’impuissance apprise » (learned helplessness). Ceci implique donc que l’activation du système endomorphinique dépend non seulement de l’intensité de la douleur, de sa durée, mais aussi de la capacité qu’a l’individu à la contrôler. Ainsi si l’on soumet des rats à des stimulations douloureuses, les rats qui ne peuvent échapper aux chocs électriques développent une analgésie, les rats qui reçoivent une quantité égale de chocs auxquels ils peuvent échapper et de chocs inévitables développent une analgésie moindre et les rats qui peuvent stopper la stimulation électrique en tournant une roue ne développent pas d’analgésie. L’analgésie observée chez les rats qui ne peuvent échapper aux chocs est réversible par la naloxone (antimorphinique) : elle est donc à médiation endorphinique. Ces constatations de Maier et al. ont été confirmées par des travaux ultérieurs de leur équipe (Drugan et al., Hyson et al.) et d’autres équipes (Altier et al.) : l’activation du système opioïde survient après des expositions douloureuses prolongées et est majeure quand les douleurs ne peuvent pas du tout être évitées. L’analgésie induite par les stress douloureux fait aussi intervenir des mécanismes non opioïdes impliquant notamment les endocannabinoïdes (Suplita et al.).



Les dimensions somesthésique, émotionnelle et cognitive de la douleur et leurs composantes comportementales


Parler de la douleur, est-ce renvoyer d’abord à un « état de conscience », et à un guide séméiologique, ou est-ce d’abord se remémorer les paroles, les cris, la crispation, l’agitation anxieuse ou la pétrification des douloureux ? Et si les traités classiques de médecine abondent en formules séméiologiques propres à analyser – certes pour secondairement les traiter – les douleurs aiguës et même les douleurs chroniques envisagées comme douleurs–symptômes, il importe aussi de savoir prendre en charge et, pour ce faire, savoir analyser ces douleurs, devenues chroniques et devenues souffrance et dont la neurobiologie permet déjà de comprendre comment elles sont en elles-mêmes une maladie. Or, si la douleur est d’abord ou donne d’abord à voir « un comportement » et pour l’essentiel un mélange de paroles et de gestes, c’est bien parce qu’elle véhicule une neuropsychologie émotionnelle et cognitive trop longtemps négligée par rapport à l’analyse « sensitive » des messages douloureux. Il ne s’agit pourtant que d’un retour, sous une forme plus scientifique, de débats qui ont toujours préoccupé les philosophes. Pour ces derniers, en effet, la douleur était classée dans les états affectifs avec les plaisirs, les sentiments, les passions. Pour Aristote, la douleur est bien une expérience affective qui suscite une activité de répulsion, d’évitement (sens de la défense) et s’oppose au plaisir, « sens du besoin », couronné de la conquête d’un « objet » convoité. Pour les épicuriens, le plus doux plaisir est la cessation de l’agitation douloureuse. Les stoïciens s’efforcent de considérer la souffrance comme un simple objet : l’esprit se tient au-dessus d’elle, s’efforçant de rester indifférent. Spinoza pensait aussi que la douleur pouvait être dominée par l’exercice de l’intelligence. On pourrait multiplier ces réflexions aussi anciennes que l’humanité mais l’essentiel est bien de s’être arrêté un court instant sur la richesse de ces réflexions philosophiques qui, longtemps laissées au second plan derrière l’analyse physique de la sensation douloureuse, ont permis grâce aux progrès neurobiologiques de mettre en lien ces pensées philosophiques et l’examen du malade douloureux.

Ainsi le questionnaire élaboré par Melzack (The McGill Pain Questionnaire) a permis d’écouter le langage de la douleur, d’établir les classes qualitatives des mots dont usent les douloureux, de montrer ainsi les diverses dimensions de la douleur, et d’en apprécier l’intensité, fournissant ainsi un score quantitatif. Le questionnaire comprend vingt classes de mots permettant d’apprécier les dimensions sensorielle (ou somesthésique), affectivo-émotionnelle et cognitive de la douleur. Cet outil a été adapté dans plusieurs langues et son équivalent en France est le questionnaire douleur de saint Antoine de Boureau et al. (encadré 24.2). Il en existe une version simplifiée (tableau 24.III). Il est bien sûr important de faire le point sur les caractères quantitatifs et topographiques de la douleur (à reporter sur un schéma du corps humain : tableau 24.IV) ainsi que sur ses signes d’accompagnement. L’objectif de ces questionnaires, en dehors de leur intérêt « métrologique », est d’apprendre à repérer dans le discours du patient la manière dont il exprime les dimensions somesthésique, émotionnelle, cognitive et même spirituelle de la douleur (encadré 24.3). Ces éléments sont essentiels à la prise en charge de la douleur chronique, à l’adaptation des protocoles thérapeutiques et ils doivent être intégrés dans les soins dits palliatifs et l’accompagnement des malades en fin de vie. Les outils d’évaluation comportementale, comme l’échelle de Boureau et al. (tableau 24.V), sont d’un secours d’autant plus grand que les difficultés de verbalisation sont importantes.

Encadré 24.2
Le questionnaire douleur de saint Antoine (Boureau et al.) Adaptation française du McGill Pain Questionnaire



Il permet d’évaluer les dimensions somesthésique ou sensorielle (classes de mots de A à I) et affective (classes de mots de J à P) de la douleur. Ce type de questionnaire nécessite une bonne compréhension du sujet et de bonnes aptitudes à verbaliser, ce qui peut poser problème chez les sujets alexithymiques ou chez les sujets de faible niveau culturel, aphasiques et déments. Ceci montre l’intérêt de la version abrégée et bien sûr des échelles comportementales.


























































Tableau 24.III Version abrégée du questionnaire douleur de saint Antoine (Boureau et al.) constituée de 16 qualificatifs (huit somesthésiques et huit affectifs) dont chacun doit être quantifié

Absent/non Faible/un peu Modéré/modérément Fort/beaucoup Extrêmement/extrêmement fort
Élancement



Pénétrante



Décharge électrique



Coup de poignard



En étau



Tiraillement



Brûlure



Fourmillement



Lourdeur



Épuisante



Angoissante



Obsédante



Insupportable



Énervante



Exaspérante



Déprimante



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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Neuropsychologie de la douleur chronique et de la souffrance

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