Les disconnexions interhémisphériques

C’est grâce à ses deux Hémisphèrecérébralhémisphères cérébraux que l’être humain sent, marche, voit, entend, agit, parle, regarde, ressent. Malgré l’éparpillement des fonctions du cerveau et la latéralisation de certaines d’entre elles (comme le langage), l’être humain doit se construire et agir de manière cohérente et rassemblée. Ainsi est née l’idée que les différentes régions du cerveau doivent par conséquent communiquer entre elles et que certains troubles peuvent ne pas être liés à une lésion de « centres » spécialisés mais à une lésion de « connexions » d’un centre à l’autre ; c’est ainsi que Wernicke, en 1874, postula l’existence et la physiopathologie de l’Aphasiede conductionaphasie de conduction devenue l’exemple d’une Disconnexionintrahémisphériquedisconnexion intrahémisphérique. Ce fut ensuite Déjerine qui, en 1891 et 1892, montra le rôle de l’atteinte du Spléniumdu corps calleuxsplénium du corps calleux dans le déterminisme de l’Alexiesans agraphiealexie sans agraphie illustrant ainsi les conséquences d’une Disconnexioninterhémisphériquedisconnexion interhémisphérique. Ce fut aussi Liepmann qui, au début du siècle, stigmatisa l’importance des connexions intra- et interhémisphériques dans le mécanisme des désordres apraxiques et rapporta en particulier à une disconnexion calleuse la survenue d’une Apraxieidéomotriceunilatérale gaucheapraxie idéomotrice unilatérale gauche. Les deux hémisphères cérébraux sont en effet unis par des trousseaux de substance blanche ou commissures. On distingue les petites commissures et trois grandes commissures : la Commissureblancheantérieurecommissure blanche antérieure, la Commissuredu fornixcommissure du fornix (Trigonetrigone) et la plus importante, le Corpscalleuxcorps calleux qui unit un Néocortexnéocortex à l’autre (Figure 15.1, Figure 15.2 and Figure 15.3). Pendant longtemps pourtant, la section du corps calleux, utilisée pour traiter des épilepsies rebelles était considérée comme dépourvue de conséquences neuropsychologiques et la séméiologie des Tumeurcalleusetumeurs calleuses fut rapportée à l’envahissement des structures de voisinage. Il fallut attendre le milieu du siècle pour que, sous l’impulsion des constatations faites chez l’animal commissurotomisé, la séméiologie calleuse puisse être esquissée à partir des observations faites par Sperry et Gazzaniga chez les malades Commissurotomisécommissurotomisés, par Geshwind et Kaplan chez des malades atteints d’une tumeur envahissant le corps calleux. Le syndrome de disconnexion interhémisphérique fut ensuite confirmé et amplifié par nombre d’observations incluant aussi la pathologie vasculaire (la vascularisation calleuse est assurée par les artères cérébrales antérieure et postérieure) et la Maladiede Marchiafava-Bignamimaladie de Marchiafava-Bignami.









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Figure 15.1
Représentation schématique des commissures interhémisphériques et des connexions du Corpscalleuxcorps calleux.CommissuregriseCommissureblanchepostérieure

D’après Lazorthes G. Le système nerveux central. Paris : Masson ; 1967








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Figure 15.2
Morphologie des Commissureinterhémisphériquecommissures interhémisphériques.1. Bourrelet ou splénium du corps calleux. 2. Genou du corps calleux. 3. Bec ou rostrum du corps calleux. 4. Fornix ou trigone dont les fibres transversales constituent le psalterium ou Lyre de David. 5. Septum lucidum. 6. Commissure blanche antérieure. 7. Piliers postérieurs du trigone ou Crura fornicis. 8. Piliers antérieurs du trigone ou columnae fornicis. 9. Noyaux amygdaliens. 10. Tubercules mamillaires. 11. Faisceau temporal.

D’après Barbizet J, Duizabo P. Abrégé de neuropsychologie. Paris : Masson ; 1985








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Figure 15.3
Les connexions du corps calleux et de la Commissureblancheantérieurecommissure blanche antérieure.

(coupe horizontale et coupe frontale) Tiré de Lazorthes G. Le système nerveux central. Paris : Masson ; 1967


Séméiologie des disconnexions interhémisphériques


Les signes de disconnexion calleuse ne s’imposent pas à l’examen clinique et doivent être soigneusement recherchés (tableau 15.I) ; il faut en effet se souvenir que les sujets commissurotomisés ne sont habituellement pas gênés dans leur vie sociale routinière et que des mécanismes compensatoires masquent les troubles liés au déficit du transfert interhémisphérique d’informations qui constitue le cœur même du Syndromecalleuxsyndrome calleux et qui entraîne un sentiment « d’étonnement » d’un hémisphère par rapport à l’autre.



















Tableau 15.I Principaux gestes d’examen permettant de dépister une disconnexion calleuse
1. Palpation aveugle d’objets dans chaque main Anomie tactile gauche
2. Écriture dictée, copiée de la main droite et de la main gauche Agraphie gauche
3. Dessin du cube de chaque main (copie) Apraxie constructive droite
4. Désignation verbale des index présentés simultanément dans la partie périphérique des deux hémichamps visuels Absence de désignation verbale de l’index présenté à gauche
(pseudo-hémianopsie gauche)
5. Exécution de gestes avec chaque membre supérieur (voir chapitre 5) Apraxie idéomotrice gauche



L’anomie tactile gauche


Les objets placés dans la main gauche (les yeux étant cachés) ne sont pas dénommés (figure 15.4). Il ne s’agit pas d’une Astéréognosieastéréognosie car l’objet est correctement manipulé et reconnu si on demande au sujet d’ouvrir les yeux et de le désigner au sein d’un groupe d’objets. Il ne s’agit pas d’une aphasie car la Dénominationdénomination des objets vus est normale et l’objet est nommé dès qu’il est mis dans la main droite ; il est parfois dénommé si la manipulation permet un bruit spécifique (sonnette de vélo) ou s’il a une odeur spécifique (pipe). Parfois le sujet ne peut donner aucune description de l’objet ; parfois il analyse vaguement ses caractères physiques (épingle de sûreté → « objet comprenant deux branches, dont l’une est mobile ») ; parfois il produit des réponses erronées sans rapport avec l’objet (décapsuleur → « blaireau »), ce qui montre bien qu’il n’y a pas confusion avec un objet dont les qualités sont voisines mais qu’il s’agit bien d’une incapacité de dire le nom de l’objet : les influx somesthésiques issus de la main gauche gagnent l’hémisphère droit permettant l’identification mais la lésion calleuse ne permet pas le transfert de ces informations aux aires du langage de l’Hémisphèregauchehémisphère gauche alors que la dénomination des objets placés dans la main droite est correcte puisque les influx somesthésiques parviennent à l’Hémisphèredominanthémisphère dominant et que les connexions nécessaires à la verbalisation sont intrahémisphériques. En outre, la main droite ne peut dessiner ce que tient la main gauche, tout se passant comme si l’hémisphère gauche ignorait l’Hémisphèredroithémisphère droit.








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Figure 15.4
Schéma explicatif des anomies tactile et visuelle gauches.La section ou la lésion du corps calleux empêchent les informations tactiles venues de la main gauche et traitées au niveau de l’hémisphère droit d’atteindre la zone du langage située dans l’hémisphère gauche, d’où l’anomie tactile gauche. De même les informations venues de l’hémichamp visuel gauche sont traitées au niveau de la partie postérieure de l’hémisphère droit mais ne peuvent atteindre l’aire du langage hémisphérique gauche, d’où l’anomie visuelle gauche.

D’après Les Cahiers intégrés de médecine, Neurologie et d’après J. Barbizet et Ph. Duizabo, Abrégé de neuropsychologie

L’Alexietactilealexie tactile désigne l’incapacité de nommer des lettres mobiles placées dans la main (gauche chez le droitier), alors qu’elles ont été identifiées car les lettres palpées peuvent ensuite être désignées dans une épreuve à choix multiple : elle peut exister en l’absence d’anomie.



L’agraphie gauche (figure 15.5)


L’Agraphiecalleuseagraphie calleuse (voir p. 65) est certes souvent une agraphie apraxique, caractérisée par des lettres déformées, plus ou moins identifiables, parfois illisibles ou même réduites à un gribouillis. L’écriture peut être quelque peu améliorée en copie, l’épellation est préservée, de même que l’écriture par lettres mobiles et par dactylographie. L’association à une apraxie idéomotrice est fréquente : ce tableau clinique est plutôt observé dans les lésions situées en arrière du genou et en avant du Spléniumsplénium, au niveau du tronc (body ou corps proprement dit) du Corpscalleuxcorps calleux. Il serait lié à un déficit du transfert d’informations visuokinesthésiques qui permettent l’organisation spatio-temporelle du graphisme. Toutefois des lésions du tronc du corps calleux étendues au genou donnent en outre une incapacité à taper à la machine et à écrire avec des lettres mobiles, ce qui suppose que c’est par le genou du corps calleux que transitent les informations (ou engrammes) verbomoteurs.








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Figure 15.5
Agraphie unilatérale gauche (de type aphasique) au cours d’une lésion calleuse.

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Les disconnexions interhémisphériques

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