Les délires d’identité

Les délires d’identité ou d’identification sont définis par une altération de l’identification des personnes, des objets, des lieux, des événements, des parties du corps. Ils sont accompagnés de la conviction d’un dédoublement, d’une multiplication voire d’un remplacement de ce qui fait l’objet de l’altération identitaire. Ils ont la particularité de survenir en l’absence ou en présence de lésions cérébrales.



Description séméiologique



Les paramnésies de reduplication


Décrites par Pick en 1903, les paramnésies de reduplication environnementales désignent l’allégation d’une dualité de deux sites du même nom. Ainsi peut-il exister deux hôpitaux du même nom, le faux où le patient se trouve et le vrai situé ailleurs où le patient dit avoir séjourné antérieurement. Ainsi encore peut-il exister deux avenues qu’il nomme du même nom, la fausse où il se trouve et la vraie où il va incessamment se rendre. Ainsi y a-t-il allégation de la duplication d’un site en deux sites géographiques, celui où est situé le sujet, que ce dernier déclare ressemblant, mais différent du site authentique qu’il faut bien alors situer ailleurs. Tout se passe comme si certains détails choquaient le sujet et l’empêchaient d’aboutir à une identification plénière ; il s’agit donc d’une hypo-identification liée à un déficit du sentiment de familiarité accompagnée du délire que constitue l’allégation de duplication. La coexistence d’une amnésie antérograde est possible. Les paramnésies de reduplication peuvent aussi concerner des personnes, des objets, des animaux de compagnie, des parties du corps (avoir plus d’une tête, plus de deux bras…). Le sujet peut aussi alléguer qu’il est en deux endroits en même temps, ce qui peut être interprété soit comme la collusion en un même lieu de deux sites distincts (la maison et l’hôpital, Roane et al., 1998) soit comme un délire d’ubiquitéDélired’ubiquité.

La Reduplicationde soi-mêmereduplication de soi-même est la croyance selon laquelle il y a un autre soi-même ou que le vrai soi-même a été remplacé ou encore que d’autres personnes se métamorphosent pour prendre l’apparence de soi-même : c’est le délire des doubles subjectifs. La présentation clinique peut être différente quand certains sujets (en particulier au cours de la Maladied’Alzheimermaladie d’Alzheimer) ne se reconnaissent pas dans un miroir mais en outre identifient leur propre image comme celle d’une autre personne. L’Héautoscopiehéautoscopie est une hallucination dont le sujet lui-même est l’objet (voir p. 392).

On peut aussi observer des Reduplicationd’événementsreduplications d’événements : un sujet qui a eu un accident de la circulation avec traumatisme crânien déclare que plusieurs accidents similaires sont survenus au cours des années précédentes.



Le syndrome d’illusion de Fregoli


Ce syndrome a été décrit par Courbon et Fail (1927) et concernait une malade, âgée de 27 ans, passant son temps libre au théâtre où elle pouvait voir des actrices célèbres comme Robine ou Sarah Bernhardt qui, dans son délire, la poursuivaient en s’incarnant (comme le transformiste italien Fregoli) dans d’autres personnes qui l’entouraient ou qu’elle rencontrait, « pour lui prendre sa pensée, l’empêcher de faire tel ou tel geste, la forcer à en exécuter d’autres, donner des ordres et des envies… ». La personne cible du délire peut en outre imposer à d’autres personnes des transformations d’identité désignées sous le nom de « frégolification ». Ainsi dans le cas princeps, la malade a la conviction que l’actrice Robine « frégolifie » le médecin de l’hôpital psychiatrique, qui devient son père décédé ou un autre médecin qui la soigna dans son enfance. Contrairement au syndrome de Capgras, où un sosie est censé prendre l’apparence physique de la personne non reconnue, le délire « d’incarnation » du syndrome de Fregoli laisse à l’Autre son apparence physique : la femme croisée dans la rue et dont la patiente sent « l’influx » est Robine, les infirmières de l’hôpital qui l’empêchent de « penser et d’agir » ou « la poussent à se masturber » sont Robine ou Sarah Bernhardt, « bien que n’ayant ni leurs traits ni leur aspect ». En somme, le (ou les) persécuteur(s) emprunte(nt) le corps d’autres personnes pour poursuivre le délirant. Ainsi dans le syndrome de Capgras, l’Autre est vécu comme remplacé par un sosie, en raison de dissemblances minimes et imaginaires ; dans le syndrome de Fregoli, l’Autre remplace et investit d’autres personnes en dépit de dissemblances physiques réelles.


L’illusion d’intermétamorphose


Décrite par Courbon et Tusques, l’illusion d’intermétamorphose désigne l’illusion d’une fausse ressemblance physique entre des individus différents qui s’incarnent « corps et âme » dans le corps du même individu.


Étiologie


Des délires d’identité différents peuvent s’associer chez la même personne. Ainsi, parmi de multiples exemples, peut-on citer le cas de patient qui avait à la fois un syndrome de Fregoli, une Reduplicationenvironnementalereduplication environnementale et l’illusion que lui-même et sa compagne étaient incarnés dans le même corps (Hermaphrodisme déliranthermaphrodisme délirant, Mulholland, 1999). La particularité des délires d’identité est de survenir aussi bien dans des pathologies psychiatriques (donc à première vue non organiques ou non clairement lésionnelles, en l’état actuel de nos connaissances) que dans des pathologies neurologiques (donc clairement sous-tendues par une souffrance lésionnelle du cerveau). Ils sont en outre susceptibles de déclencher des conduites violentes. Il avait été traditionnellement considéré que les Syndromede Capgrassyndromes de Capgras, Syndromede Fregolide Fregoli et Syndromed’intermétamorphosed’intermétamorphose étaient plutôt de cause psychiatrique, tandis que les paramnésies reduplicatives relevaient plutôt de causes neurologiques et étaient volontiers associées à un syndrome confusionnel ou amnésique. On a pu aussi opposer les délires d’identité concernant des personnes, qui relèveraient de causes psychiatriques ou lésionnelles, aux délires d’identité concernant des lieux, qui relèveraient électivement d’une souffrance lésionnelle cérébrale tout particulièrement de l’Hémisphèredroithémisphère droit (Forstl et al., 1991a). Mais la réalité est plus complexe. En effet, si le syndrome de Capgras est observé dans des Schizophrénieschizophrénies à forme paranoïde (avec Dépersonnalisationdépersonnalisation et Déréalisationdéréalisation, Christodoulou, 1977) et dans des états dépressifs, il est aussi observé lors de lésions cérébrales focales (corticales ou cortico-sous-corticales ou, plus rarement, dans la Maladiede Parkinsonmaladie de Parkinson) comme lors de lésions diffuses comme dans la maladie d’Alzheimer, les traumatismes craniocérébraux ou encore lors de souffrances métaboliques comme dans l’Encéphalopathiehépatiqueencéphalopathie hépatique, l’Hypothyroïdiehypothyroïdie ou après une Myélographie au métrizamidemyélographie au métrizamide. Les Paramnésie de reduplicationparamnésies de reduplication peuvent être observées dans la schizophrénie, ce qui n’élimine pas une pathologie organique associée ; elles peuvent survenir en l’absence de syndrome amnésique ; elles sont le plus souvent secondaires à un large éventail de pathologies organiques du névraxe : Traumatismecraniocérébraltraumatismes craniocérébraux, Infarctuscérébralinfarctus cérébral, Démencedémences, complication de l’Électroconvulsivothérapieélectroconvulsivothérapie.


Bases neuropathologiques


Les délires d’identitéDélired’identité relèvent de lésions impliquant plus souvent l’Hémisphèredroithémisphère droit que l’Hémisphèregauchehémisphère gauche. Le dénominateur commun lésionnel des paramnésies de reduplication est représenté pour certains auteurs (Benson et al., 1976 ; Hakim et al., 1988) par l’association d’une lésion hémisphérique droite et d’une lésion bifrontale. Cependant, des lésions du seul hémisphère droit, et de topographie limitée mais variable, peuvent parfois entraîner un délire d’identité de type « spatial », qu’il s’agisse de lésions frontale, pariétale, temporo-pariétale, de la partie postérieure de l’hémisphère, du Thalamusthalamus (Kapur et al., 1988 ; Vighetto et Aimard, 1992). Toutes ces localisations lésionnelles pourraient avoir comme dénominateur commun une dépression lésionnelle ou fonctionnelle (par Diaschisisdiaschisis) du Lobefrontallobe frontal droit. Un Hématome sous-duralhématome sous-dural frontal droit (Alexander et al., 1979), une Cysticercosecysticercose localisée au lobe temporal gauche ont pu entraîner un Syndromede Capgrassyndrome de Capgras (Ardila et Rosselli, 1994). Les formes psychiatriques du syndrome de Capgras s’accompagnent, à l’imagerie, d’une atrophie fronto-temporale (Joseph et al., 1999), tandis que dans les paramnésies reduplicatives psychiatriques, est constatée une atrophie frontale bilatérale, du tronc cérébral et du vermis cérébelleux (Joseph et al., 1999). Au cours de la Maladied’Alzheimermaladie d’Alzheimer, les délires d’identité (syndrome de Capgras ou Paramnésie de reduplicationparamnésies de reduplication) s’accompagnent d’une atrophie plus marquée du lobe frontal droit (Forstl et al., 1991b).

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Les délires d’identité

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