Les troubles de la mémoire

Les peuples ont une Mémoiremémoire qui s’exprime dans leur culture et témoigne de leur identité. Les hommes qui composent un peuple partagent la même mémoire et ils vivent, dans le groupe social qu’ils choisissent ou qu’ils subissent, une histoire unique qui témoigne aussi de leur identité. La mémoire est cette aptitude qui, parce qu’elle permet le souvenir, permet du même coup à tout être humain de se reconnaître dans un présent qui est le produit de son histoire et la racine de son avenir. L’élaboration identitaire de chaque être humain est bien la résultante de la cascade d’événements survenus depuis sa naissance comme de l’édification d’un savoir-faire et d’un savoir. La mémoire est donc multiple. Sa mise en œuvre suppose :



▪ la réception, la sélection (consciente ou inconsciente) et, de manière plus générale, le traitement d’informations reçues par les organes des sens ;


▪ le codage et le stockage de ces informations sous forme « d’engrammes » qui seraient, au sein d’ensembles de neurones, des réseaux représentant le support des informations stockées ;


▪ la capacité d’accéder à ces informations.


La comparaison des capacités de rappel et de reconnaissance permet de distinguer ce qui peut revenir à une atteinte des processus d’Encodageencodage et de Stockagestockage d’une part, de rappel (Récupération en mémoirerécupération en mémoire) d’autre part. Ces capacités sont testées par le rappel libre d’une liste de mots (comme la liste des mots de Rey), le rappel indicé où des aides sont fournies au sujet (par exemple, « Vous ne vous souvenez pas du troisième objet. C’était un fruit… »), la reconnaissance au cours de laquelle les items précédemment rappelés sont présentés au sujet, mêlés à d’autres items. Ainsi, quand les informations ont été correctement encodées mais ne peuvent pas être rappelées, les performances sont médiocres en rappel libre et meilleures en rappel indicé et en reconnaissance : c’est ce qui peut être observé dans les détériorations cognitives sous-corticales et dans les lésions frontales. Si le déficit touche les capacités d’encodage et de stockage, les performances sont altérées à la fois dans les procédures de rappel et de reconnaissance : c’est ce que l’on observe typiquement dans les Amnésiehippocampiqueamnésies hippocampiques.

La diversité des compétences mnésiques peut s’envisager selon deux axes : un axe séquentiel ou diachronique qui inscrit la mémoire sur l’abscisse du temps, un axe synchronique qui décrit les différents domaines où opère la mémoire.


Mémoire et mémoires



Les étapes de la mémorisation



Mémoire à court terme, mémoire de travail


Les informations sensorielles sont maintenues fugitivement (200 à 300 ms) sous forme de traces caractérisant une mémoire sensorielle visuelle (ou Mémoireiconiqueiconique), Mémoireauditiveauditive (ou Mémoireéchoïqueéchoïque), Mémoireolfactiveolfactive… La mémoire à court terme ou mémoire immédiate ou mémoire primaire est une mémoire de capacité limitée englobant l’analyse de l’information sensorielle au niveau des aires cérébrales spécifiques (visuelles, auditives…) et sa reproduction immédiate pendant un temps de rémanence très bref de l’ordre d’une à deux minutes. Cette « duplication », « sur le champ », des informations concerne un nombre restreint d’éléments qui définissent l’empan. On distingue ainsi un empan auditif et un empan visuel. L’empan auditif peut concerner des chiffres (dit numéral ou digital, couramment exploré par le subtest de mémoire de chiffres de la WAIS) ou des mots (empan verbal) : parfois globalement désigné sous le nom d’empan verbal, l’empan auditif chez le sujet normal est de sept (plus ou moins deux) lettres, chiffres ou mots. L’Empanvisuelempan visuel mesure la rétention et la restitution immédiate d’informations visuelles comme la disposition spatiale d’une série de carrés de couleur dans le subtest de mémoire visuelle de l’Échellecliniquede mémoire de Wechsleréchelle clinique de mémoire de Wechsler. Cette mémoire immédiate, intacte dans les Syndromeamnésiquesyndromes amnésiques, correspond à la rémanence d’informations, en instance ou non, de destinée mnésique durable. Son substratum serait représenté par des modifications électrophysiologiques fondées sur des circuits réverbérants locaux qui pourraient impliquer des systèmes neuronaux corticaux ou des Bouclecortico-thalamiqueboucles cortico-thalamiques : ainsi s’expliquerait le fait que toute modification soudaine du fonctionnement cérébral (émotion, bruit…) annule par interférence la rétention immédiate des informations préalablement délivrées.

L’oubli en mémoire à court terme est classiquement illustré par le paradigme de Brown et Peterson : le sujet doit rappeler dans un délai bref (jusqu’à une vingtaine de secondes) des trigrammes, c’est-à-dire des séries de trois éléments (lettres ou mots) ; dès que le trigramme est présenté, et dans le délai séparant la présentation du rappel, on demande au sujet de compter à rebours à partir d’un nombre donné. L’examinateur dit par exemple au sujet « RXT 188 ». Le sujet compte alors « 188-187-186… » jusqu’à ce que l’examinateur l’arrête au bout d’une durée de temps précise au terme de laquelle, il lui demande de rappeler le trigramme ; on constate alors que l’Oublioubli survient très rapidement ; le nombre de consonnes rappelées chutant dès que la durée de la tâche distractive augmente (de 3 à 18 secondes dans les protocoles habituellement utilisés), ce qui a pu être interprété, la répétition étant gênée par la tâche concurrente, soit comme le déclin rapide de la trace mnésique soit comme la conséquence d’une interférence proactive entre les trigrammes successifs. S’il est maintenant établi que les deux mécanismes interviennent, ces interrogations ont nourri un débat sur la nécessité d’admettre ou non deux systèmes mnésiques différents sous-tendant la mémoire à court terme et celle à long terme : privilégier la théorie de l’Interférenceinterférence plaidait pour une conception unitaire d’un seul système mnésique, privilégier l’effacement de la trace mnésique militait pour la conception d’un double système. La conception dualiste s’imposa finalement sur de multiples arguments, les uns d’ordre cognitif (comme l’existence d’un effet de récence dans une Tâchede rappeltâche de rappel libre, voir infra), les autres d’ordre neuropsychologique (et en particulier la dissociation de l’atteinte des registres mnésiques à court et à long terme montrés en pathologie).

Le Paradigme de Brown et Petersonparadigme de Brown et Peterson a permis à Baddeley d’introduire le concept de mémoire de travail. La mémoire à court terme ne peut être réduite à un système de stockage passif à court terme : elle sert en effet de mémoire de travail et fonctionne, selon le Modèlede Baddeleyet Hitchmodèle de Baddeley et Hitch, comme un système de capacité limitée capable de stocker mais aussi de manipuler les informations, permettant ainsi l’accomplissement de tâches cognitives comme le Raisonnementraisonnement, la Compréhensioncompréhension, la Résolution de problèmesrésolution de problèmes grâce au maintien et à la disponibilité temporaires des informations. Il s’agirait donc d’une mémoire tampon, permettant l’allocation de ressources attentionnelles, supervisée par un système de contrôle de l’attention appelé « Administrateur centraladministrateur central » (analogue au système attentionnel de supervision lié au Lobefrontallobe frontal et décrit par Shallice) qui coordonne des systèmes dits auxiliaires ou esclaves dont les plus étudiés sont la boucle phonologique et le bloc-notes visuospatial (figure 14.1). La boucle phonologique permet le stockage des informations verbales, qu’elles soient présentées par la voie auditive ou par la voie visuelle ; elle est faite de deux composantes, une unité de stockage phonologique et un processus de contrôle articulatoire fondé sur « l’autorépétition subvocale » qui permet d’alimenter l’unité de stockage ; en outre les informations écrites font l’objet d’un Codagephonologique codage phonologique avant d’être transmises à l’unité de stockage grâce au processus de contrôle articulatoire (figure 14.2). Ainsi s’explique la suppression articulatoire : lors du subtest de Mémoirede chiffresmémoire de chiffres, les performances (c’est-à-dire l’empan) seront plus basses si l’on demande au sujet de répéter un son sans signification (comme « bla… bla… bla… ») pendant qu’on lui présente la suite de chiffres à restituer. Ainsi s’explique aussi l’effet de similarité phonologique et l’effet de longueur : l’Empanempan d’une suite de lettres ou de mots est moins élevé quand ils sont phonologiquement proches et le nombre de mots à rappeler est d’autant plus bas que les mots sont plus longs. L’empan est donc limité par la saturation de la boucle phonologique : il équivaut à peu près au nombre d’éléments qui peuvent être prononcés en deux secondes et il est donc fonction du temps (et par conséquent de la vitesse) d’articulation. Le bloc-notes visuospatial est alimenté soit par la perception visuelle soit par l’imagerie mentale. Son fonctionnement, analogue à celui de la Bouclephonologiqueboucle phonologique, permet le maintien temporaire des informations visuelles (qui concernent la reconnaissance, c’est-à-dire le « quoi ») et des informations spatiales (qui concernent la localisation, c’est-à-dire le « où »). Toutefois, le Modèlede Baddeleymodèle de Baddeley ne laisse pas de place au codage sémantique dont l’intervention dans la mémoire de travail semble prouvée par le fait que l’empan est augmenté quand les mots à restituer ont une ressemblance sémantique : ceci pourrait permettre d’envisager une Mémoirede travailmémoire de travail faite de représentations multiples constituant autant de systèmes tampons connectés entre eux (visuel, auditif, phonologique, lexical, sémantique, moteur, etc.).








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Figure 14.1
Schéma du modèle de mémoire de travail de Baddeley et Hitch.









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Figure 14.2
L’Administrateur centraladministrateur central et la boucle phonologique dans le Modèlede mémoire de travail de Baddeley et Hitchmodèle de mémoire de travail de Baddeley et Hitch.



Mémoire à long terme


La mémoire à long terme comporte d’abord une Mémoiresecondairemémoire dite secondaire (figure 14.3) qui permet la conservation durable des informations grâce à un codage, suivi d’un stockage organisé dans une trame associative multimodale (sémantique, spatiale, temporelle, affective) ; cette mémoire permet l’apprentissage et les informations engrangées font l’objet d’une consolidation variable en fonction de leur importance émotionnelle et de leur répétition. Cette mémoire est un système distinct de la mémoire à court terme et repose anatomiquement sur le Circuitde Papezcircuit de Papez (figure 14.4), bilatéral et symétrique (initialement décrit comme support de la régulation des émotions), unissant l’Hippocampehippocampe, le Fornixfornix, les Corpsmamillairecorps mamillaires, rejoignant par le Faisceaumamillo-thalamiquefaisceau mamillo-thalamique, les Noyauantérieurdu thalamusnoyaux antérieurs du thalamus pour aboutir ensuite au Gyruscingulairegyrus cingulaire. Ainsi, l’exemple le plus étudié d’Amnésiehippocampiqueamnésie hippocampique est le malade H.M., suivi par Scoville et Milner, opéré à l’âge de 27 ans d’une double lobectomie temporale incluant l’hippocampe et devenu incapable de mémoriser les événements survenus depuis sa lobectomie, alors même que son empan est normal. Il a pu même être exceptionnellement observé (dans l’Aphasiede conductionaphasie de conduction) la dissociation inverse, à savoir un déficit de la Mémoireauditivoverbaleà court termemémoire auditivoverbale à court terme contrastant avec une préservation de la Mémoireà long termemémoire à long terme. Ces constatations sont importantes car elles empêchent de considérer que la mémoire à court terme est le passage obligé vers la mémoire à long terme. Le Modèlede Shallice et Warringtonmodèle de Shallice et Warrington postule un fonctionnement « en parallèle » de ces deux mémoires (figure 14.5).








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Figure 14.3
Les étapes de la mémorisation (telles qu’elles ont été en particulier envisagées dans le modèle « modal » d’Atkinson et ShiffrinModèlemodal d’Atkinson et Shiffrin).On note toutefois que le système de mémoire à court terme peut ne pas être un passage obligatoire avant le système à long terme puisqu’il a été observé un déficit du rappel auditivoverbal à court terme sans atteinte du rappel à long terme (voir texte et figure 14.5).









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Figure 14.4
Le Circuitde Papezcircuit de Papez : Circuithippocampo-mamillo-thalamo-cingulairecircuit hippocampo-mamillo-thalamo-cingulaire.

D’après Lazorthes G. Le système nerveux central. Paris : Masson ; 1967








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Figure 14.5
Modèle de Shallice et Warrington (1979) postulant les relations entre la Mémoireà court termemémoire à court terme et la Mémoireà long termemémoire à long terme dans le rappel auditivoverbal.Le codage est phonologique pour la mémoire à court terme et sémantique pour la mémoire à long terme. Les deux systèmes de mémoire peuvent être lésés indépendamment.


Les Effetde récenceeffets de récence et Effetde primautéde primauté s’inscrivent aussi contre une conception uniciste de la mémoire : en effet, quand on demande à un sujet de restituer dans une Tâchede rappelimmédiattâche de rappel immédiat une liste (supérieure à l’Empanempan) de mots sans lien, de syllabes ou de chiffres, les derniers mots (effet de récence) et les premiers mots de la liste (effet de primauté) sont les mieux mémorisés. L’effet de récence dépendrait de la Mémoireà court termemémoire à court terme, labile, alors que l’évocation des premiers mots, plus stable, montrerait qu’ils sont récupérés à partir de la Mémoireà long termemémoire à long terme. Ainsi, chez le malade H.M., qui a un empan normal, il persiste un effet de récence mais pas d’effet de primauté.


L’apprentissage et les modifications neuronales et synaptiques qu’il suppose auraient un support biochimique et feraient intervenir l’ARN ou des protéines, comme le suggèrent certaines expériences animales de transfert chimique d’informations, ainsi que l’effet amnésiant de produits inhibant la synthèse protéique. La mémorisation fait par ailleurs intervenir plusieurs systèmes de neuromédiation parmi lesquels une place doit être réservée à l’acétylcholine.

Les techniques d’Imageriedynamiqueimagerie dynamique suggèrent que l’Encodageverbalencodage verbal met en jeu le Cortexpréfrontalcortex préfrontal gauche en lien avec l’Hippocampehippocampe gauche (Dolan, 1997 ; Fletcher, 1998), tandis que le rappel impliquerait surtout le cortex préfrontal droit. L’Encodagevisuelencodage visuel et Encodagevisuospatialvisuospatial impliquerait le cortex préfrontal droit (Kelley et al., 1998) mais aussi les régions temporales moyennes (et en particulier les hippocampes : Grady et al., 1998). Toutefois la lecture des nombreux travaux consacrés à l’imagerie ne peut se faire sans tenir compte de la multiplicité des protocoles : certain utilisent des tâches d’activation en IRM fonctionnelle, en SPECT (tomographie à émissions monophotoniques), PET (tomographie à émisssion de positons) chez le sujet normal ; chez les sujet cérébrolésés, outre les tâches d’activation, d’autres études examinent la consommation de glucose au repos et analaysent ensuite les liens entre les performances mnésiques. Les résultats doivent donc être interprétés de manière nuancée. Ainsi le modèle HERA (hemispheric encoding/retrieval asymetry) proposé par Tulving (1994) indique que le cortex préfrontal droit est électivement impliqué dans le rappel d’informations épisodiques (qu’elles soient verbales ou visuospatiales), tandis que le cortex préfrontal gauche est plutôt impliqué dans le rappel en mémoire sémantique mais dans l’encodage en mémoire épisodique. Ainsi il n’est pas contradictoire de dire que :


▪ en frontal gauche, l’activité liée à l’encodage et au rappel de matériel verbal est supérieure à l’activité liée à l’encodage et au rappel de matériel non verbal ;


▪ en frontal droit, l’activité liée à l’encodage et au rappel de matériel non verbal est supérieure à l’activité liée à l’encodage et au rappel de matériel verbal ;


▪ l’activité d’encodage en mémoire épisodique est supérieure à l’activité de rappel dans l’hémisphère gauche, quel que soit le matériel, tandis que l’activité de rappel est supérieure à l’activité d’encodage dans l’hémisphère droit, quel que soit le matériel, ce qui est conforme au modèle HERA1.



En clinique, il est habituel d’opposer l’Amnésieantérogradeamnésie antérograde à l’Amnésierétrogradeamnésie rétrograde. La première désigne l’incapacité ou les difficultés de mémorisation des événements nouveaux : il s’agit donc d’un oubli à mesure dont le commencement correspond au début de la maladie ou de l’accident. L’amnésie antérograde altère donc les capacités d’apprentissage de même que la mise en mémoire des événements de la vie quotidienne pouvant dans les cas les plus graves entraîner une désorientation dans le temps voire dans l’espace. L’amnésie rétrograde intéresse les événements survenus avant le début de la maladie ou du traumatisme avec un gradient temporel, les événements les plus anciens étant les mieux mémorisés. La durée de l’amnésie rétrograde est variable, de quelques jours à quelques années ; son étendue temporelle peut être évaluée en fonction des réponses aux questions concernant les événements datés de la vie familiale et sociale. Quand la maladie évolue vers la guérison, l’amnésie rétrograde régresse des souvenirs les plus anciens vers les souvenirs les plus récents. Quand la maladie s’aggrave (par exemple, une Démenced’Alzheimerdémence d’Alzheimer), l’amnésie rétrograde s’étend et dissout progressivement des tranches de passé de plus en plus ancien.

Il faut aussi en clinique tenter de distinguer les amnésies, selon qu’elles sont liées à un déficit de l’Encodageencodage, du Stockagestockage ou du Rappelrappel (dit encore de la Récupération en mémoirerécupération en mémoire ou du repêchage) : ces trois paramètres peuvent être par exemple contrôlés dans le Testde Gröber-Buschketest de Gröber-Buschke (voir infra, l’examen de la mémoire et chapitre 16). Le plus souvent les amnésies par déficit du stockage correspondent à une atteinte hippocampique (voir chapitre 16). Les amnésies dites d’évocation ou encore par déficit de la récupération en mémoire se caractérisent par un déficit en rappel libre amélioré ou normalisé par l’indiçage ou la reconnaissance sur choix multiple. Une dissociation entre le rappel altéré et la reconnaissance, moins altérée ou normale, peut avoir des significations multiples ; elle peut témoigner d’un déficit de la stratégie de récupération (lobe frontal dorso-latéral, voir chapitre 13, et démences fronto-sous-corticales mais aussi dépression, voir chapitre 16). Comme on le verra plus loin, un tel profil peut aussi témoigner d’un déficit de la mémoire épisodique contrastant avec une préservation ou une moindre atteinte de la mémoire sémantique et, dans ce cas, les bonnes performances en reconnaissance sont imputées à la persistance du sentiment de familiarité (voir infra).


Les autres aspects de la mémoire



Les mémoires « sectorielles »


La Mémoireauditiveverbalemémoire auditive verbale, explorée par l’Empanauditifempan auditif (par exemple subtest de Mémoirede chiffresmémoire de chiffres de la WAISWAIS) est électivement altérée lors des lésions rétrofrontales de l’Hémisphèregauchehémisphère gauche et tout particulièrement temporo-pariétales, la structure clé étant la partie inférieure du Lobepariétallobe pariétal. La Mémoirevisuoverbalemémoire visuoverbale à court terme est quant à elle altérée par les lésions de la partie postérieure de l’Hémisphèremajeurhémisphère majeur (Hémisphèredominantdominant). Par contre, la Mémoirevisuospatialemémoire à court terme visuospatiale (explorée par exemple par un Testde dénombrement de points en présentation tachistoscopiquetest de dénombrement de points en présentation tachistoscopique) dépend de lésions temporales ou pariétales de l’Hémisphèredroithémisphère droit. Cette « spécialisation hémisphérique » demeure au-delà de la mémoire à court terme, tant pour l’apprentissage verbal (histoire, liste de mots) électivement lié à l’hémisphère gauche que pour l’apprentissage visuel (figures ou images) lié à l’hémisphère droit.


Mémoire sémantique et mémoire épisodique


C’est Tulving qui a soutenu la distinction entre deux types de mémoire, sémantique et épisodique. La mémoire épisodique (mémoire pure selon la terminologie bergsonienne ; mémoire autonoétique selon Tulving, car impliquant la connaissance par le sujet de sa propre histoire construite par les événements de la vie) permet au sujet d’enregistrer et de se souvenir d’informations référencées dans un environnement spatial et temporel, donc de se souvenir d’événements de sa propre histoire personnelle, familiale ou sociale : il s’agit donc d’une Mémoireévénementiellemémoire événementielle permettant au sujet d’actualiser des souvenirs qu’il reconnaît « comme siens et comme passés ». La mémoire épisodique peut concerner la mémoire secondaire et tertiaire. Chez un sujet ayant un Syndromeamnésiquesyndrome amnésique, l’altération de la mémoire épisodique est antérograde et rétrograde. En clinique, la mémoire épisodique la plus étudiée est la mémoire épisodique secondaire : relater les événements d’une journée ou d’un passé récent relève typiquement de la mémoire épisodique qu’il est très habituel d’explorer par de nombreuses épreuves d’apprentissage comme le Testdes mots de Reytest des mots de Rey, le Testde Gröber-Buschketest de Gröber-Buschke, la Figurede Reyfigure complexe de Rey, l’apprentissage d’histoires, l’Échellecliniquede mémoire de Wechsleréchelle clinique de mémoire de Wechsler, la Batteried’efficience mnésique de Signoretbatterie d’efficience mnésique de Signoret (voir infra, l’examen de la mémoire). La mémoire épisodique se confond en partie avec la mémoire autobiographique dont certains éléments renvoient cependant à un savoir et relèvent alors de la mémoire sémantique. Le statut mnésique des événements publics peut être difficile à établir : ils peuvent ou non faire partie de la mémoire autobiographique ; alors qu’ils sont par définition référencés dans le temps et dans l’espace, ils peuvent relever soit de la Mémoireépisodiquemémoire épisodique, soit de la Mémoiresémantiquemémoire sémantique. La Mémoiredes faitsanciensmémoire des faits anciens (ou Mémoirerétrogrademémoire rétrograde définie de manière plus stricte comme antérieure au début de la maladie) ou mémoire du passé mêle mémoire épisodique et mémoire sémantique. La mémoire sémantique (mémoire noétique, selon Tulving) concerne le corpus des connaissances d’un individu affranchies de toute référence spatio-temporelle : elle définit le savoir ou la « culture » ou encore les « compétences » d’un individu ; c’est donc une Mémoiredidactiquemémoire didactique qui concerne des informations dont l’évocation est dépourvue de toute référence à l’histoire personnelle du sujet (qui a assassiné Henri IV ? quelle est la capitale des États-Unis ?). Cette mémoire gère aussi la signification des mots comme des informations qui parviennent à notre conscience par le canal des sens. Cette distinction a été stimulée par la séméiologie des syndromes amnésiques qui représenteraient un découplage entre la mémoire épisodique, massivement atteinte et la mémoire sémantique, préservée ou relativement préservée : ainsi en est-il du professeur d’histoire, qui, au cours d’un Ictusamnésiqueictus amnésique, peut évoquer la vie de Charlemagne mais qui, quelques instants plus tard, ne se souvient pas l’avoir fait. On pourrait ainsi opposer, selon l’hypothèse de Tulving, une mémoire sémantique hautement organisée, relativement permanente, indépendante du contexte et une mémoire épisodique bien moins organisée, hautement sujette à l’oubli et dépendante du contexte. Cependant, il serait abusif de faire une dichotomie stricte entre ces deux mémoires et surtout d’en inférer qu’elles expriment deux Systèmemnésiquesystèmes mnésiques séparés. Les constatations faites chez les amnésiques peuvent aussi être expliquées par la distinction entre les mémoires rétrograde et antérograde ou encore entre les mémoires secondaire et tertiaire : ce que l’on désigne sous le nom de mémoire sémantique a fait l’objet d’un apprentissage répétitif et ancien et a ainsi bénéficié des effets structurants de la consolidation. De la même manière, comme le montre le cas H.M., les événements les plus anciens de l’existence, même s’ils font partie de la mémoire épisodique, sont pourtant préservés dans les amnésies. Il existe ainsi un gradient temporel de l’amnésie rétrograde qui explique que les malades amnésiques se rappellent plutôt bien les informations épisodiques et sémantiques acquises tôt dans la vie et plutôt plus mal les deux types d’informations acquises plus tardivement dans l’existence. Au cours d’un syndrome amnésique avec oubli à mesure, le malade ne mémorise pas ce qu’il vit et du même coup, il ne peut « mettre à jour » sa mémoire sémantique. Il paraît assez clair que les événements de l’existence comme les apprentissages nouveaux concernent la mémoire épisodique et les informations à visée didactique sont mémorisées en même temps que le contexte dans lequel elles ont été apprises. Progressivement les connaissances s’autonomisent par rapport au contexte et ainsi rejoignent la mémoire sémantique.


Mémoire autobiographique et identité humaine


C’est la mémoire qui fabrique l’identité de chaque être humain dont le Self se construit à partir des expériences de vie et des comportements qui vont le configurer à l’égard des autres de manière telle qu’il soit « reconnu » (James). Mais la construction du Self permet aussi au sujet de se reconnaître lui-même dans une histoire et de manifester cette identité narrative dont Paul Ricœur avait fait l’une des manifestations privilégiées de la prise de conscience et de l’attestation du sentiment de Soi. La mémoire constitue le fil d’Ariane qui donne au sentiment de Soi, sa continuité identitaire. Et ainsi avait déjà dit John Locke, en prenant appui sur la mémoire, « aussi loin que la conscience peut remonter vers quelque action ou pensée passée, aussi loin s’étend l’identité personnelle ». « It is the same self now it was then. » Le Soi est maintenant le même qu’il était alors. L’identité personnelle est donc bien dans la reconnaissance par chaque sujet comme sienne et comme passée de son histoire quels que soient les changements de « substance » (Locke), de « caractère » (Hume).

On conçoit donc le rôle clé (mais non exclusif) joué par la mémoire autobiographique dans cette construction et ce maintien du Soi (Piolino, 2007), l’identité humaine s’élaborant « en inscrivant chaque sujet dans une histoire unique » (Gil, 2004).

La mémoire autobiographique exprime bien nos capacités de mémoire épisodique à long terme quand elle nous permet de nous souvenir, après qu’ils ont été encodés et stockés, des événements de vie qui peuvent être ainsi situés dans le temps et dans l’espace. Il s’agit donc là d’une conscience autonoétique. Mais la mémoire autobiographique comporte aussi une part sémantique qui se constitue de diverses manières : il peut s’agir de souvenirs qui avec le temps perdent leur références spatio-temporelles (on sait qu’on s’est blessé au coude jadis sans s’en rappeler les circonstances), soit de souvenirs qui se répètent et se sémantisent (tous les ans, je pars en vacances en Bretagne ; ma tante m’offre un livre à chaque anniversaire), soit de connaissances générales sur soi et son environnement (dates de naissance, adresses, etc.). L’étude des amnésies développementales a bien contribué à montrer que ces deux composantes de la mémoire autobiographique (le « Remember » épisodique et le « Know » sémantique), ne reposant pas sur les mêmes structures, pouvaient être atteintes de manière dissociée. L’exploration neuropsychologique de la mémoire autobiographique doit donc tenir compte du caractère composite de cette mémoire (voir p. 204).

La mémoire autobiographique nous permet ainsi tout au long de la vie d’inscrire les changements dans une continuité historique qui permet d’énoncer qu’enfant, adulte puis vieillard, il s’agit de la même personne même si elle n’est pas la même tout au long de sa vie. Et ainsi peut être surmontée « la diversité de nos perceptions en les reliant dans un flux continu qui aboutit à créer la notion du “Soi” » (Hume). Et on sait aussi l’importance de l’émotion dans l’encodage, le stockage et la reviviscence des souvenirs.

Mais comment s’organise cette mémoire tout au long de la vie et plus précisément comment vieillit-elle ? On se souvient de la loi de Ribot : « La destruction progressive de la mémoire suit donc une marche logique, une loi. Elle descend progressivement de l’instable au stable. Elle commence par les souvenirs récents, mal fixés dans les éléments nerveux, rarement répétés et par conséquent faiblement associés avec les autres, représentant l’organisation à son degré le plus faible. Elle finit par cette mémoire sensorielle, instinctive qui, fixée dans l’organisme, devenue une partie de lui-même ou plutôt lui-même, représente l’organisation à son degré le plus fort. » On voit que cette loi privilégie à la fois les souvenirs anciens et la répétition. Et effectivement dans le vieillissement normal, l’étude de la courbe d’évolution des souvenirs montre que les plus robustes sont bien les plus récents, que leur volume tend ensuit à décroître avec le temps avec toutefois un « pic de réminiscence » entre l’âge de 18 et 30 ans.

La comparaison (Piolino, 2007) des scores en mémoire autobiographique épisodique et sémantique a pu montrer dans une population de malades Alzheimer (dont la lésion cible est hippocampique) un gradient temporel conforme à la loi de Ribot alors que les démences sémantiques (lésion cible : cortex temporal externe) avaient un gradient inverse (voir chapitre 16) avec un effet de récence particulièrement net, alors qu’il n’était observé aucun gradient temporel dans la population atteinte de variantes frontales de démences fronto-temporales (fv-DFT). En comparant les réponses de type « Remember » (mémoire épisodique) par rapport aux réponses « Know » (sentiment de familiarité relevant de la mémoire sémantique), la proportion des premières était inférieure à celle des secondes chez les malades Alzheimer et chez les malades atteints de démence fronto-temporale mais pas chez les malades présentant une démence sémantique. Ainsi, l’atteinte de la conscience autonoétique est probante dans la maladie d’Alzheimer et dans les démences frontales, ce qui est en accord avec l’implication et du lobe frontal et de l’hippocampe dans le rappel autobiographique épisodique, le premier intervenant schématiquement dans la stratégie du rappel, le second dans la « reviviscence » du souvenir. Quant au cortex temporal antérieur et externe, affecté dans la démence sémantique, il n’altère pas la mémoire antérograde et permet donc la mémorisation d’informations épisodiques récentes préservant ainsi la conscience autonoétique.

À première vue, ces résultats peuvent conforter le modèle selon lequel le lobe temporal interne intervient dans la récupération en mémoire épisodique comme en mémoire sémantique pendant toute la période de consolidation (jusqu’à une dizaine d’années) après laquelle les souvenirs en mémoire épisodique et les informations en mémoire sémantique seraient stockées dans des aires néocorticales et deviendraient autonomes par rapport aux structures temporales internes (voir mémoire à long terme, p. 177). Cependant, il a pu aussi être observé (Piolino, 2003, 2007, 2009) que les malades atteints de démence sémantique avaient un déficit de la mémoire autobiographique éloignée qui concernait aussi sa composante épisodique : dans ces conditions, on pourrait contester que le gradient temporel inverse observé soit seulement lié à la sémantisation « déficiente » des souvenirs en admettant que le support de la mémoire autobiographique épisodique est le lobe temporal interne pour le passé récent et le néocortex pour le passé ancien (Bailey, 2003). En outre, il est apparu que le gradient temporel n’était plus observé chez les malades Alzheimer et déments frontaux quand on ne considérait que les scores en mémoire épisodique, ce qui pourrait suggérer que le rôle de l’hippocampe dans la consolidation des souvenirs s’étend sur une période de temps plus prolongée que les quelques années qui étaient alors évoquées. Ainsi, selon un nouveau modèle dit traces multiples, on pourrait admettre que le rappel épisodique dépend toujours du lobe temporal interne quel que soit l’intervalle de temps et du lobe frontal pour l’indexation temporelle des souvenirs, tandis que le modèle classique de consolidation s’accorderait mieux avec le rappel de la part sémantique de la mémoire autobiographique. Mais il s’en faut que ces propositions puissent être considérées comme définitives.

La latéralisation gauche de l’activation hémisphérique et notamment frontale constatée lors des tâches de rappel en mémoire autobiographique doit conduire moins à contredire qu’à nuancer et à compléter le modèle HERA (voir mémoire à long terme, p. 177).

Les amnésies rétrogrades massives induisent des amnésies d’identité, essentiellement psychogènes (voir infra). La maladie d’Alzheimer offre un exemple saisissant de délabrement identitaire progressif de la personne humaine : telle est l’une des zones de rencontre entre la neuropsychologie et la neuro-éthique (Gil).


Mémoire déclarative et mémoire non déclarative ou implicite


Se souvenir d’un événement de sa vie, répondre à des questions de vocabulaire, d’histoire, de géographie renvoient à une mémoire (épisodique et sémantique) consciemment exprimée : on peut la nommer mémoire déclarative. Mais l’acte de mémoire n’est pas toujours mis en œuvre de manière consciente. On distingue ainsi trois types de Mémoirenon déclarativemémoire non déclarative ou implicite (figure 14.6) :


▪ le premier type est le conditionnement ;


▪ le deuxième est la mémoire procédurale (ou mémoire anoétique) qui permet d’acquérir des « Habiletéhabiletés » ou « savoir-faire » perceptivo-moteurs ou cognitifs sans qu’il ne soit nécessaire de faire une référence explicite aux expériences antérieures. Ainsi, la rapidité de la Lectureen miroirlecture des mots en miroir s’améliore-t-elle avec la pratique répétée de ce mode de lecture : quand un sujet amnésique (comme H.M.) est soumis à cette tâche, il voit ses performances s’améliorer comme le sujet normal ; ultérieurement confronté à la même tâche, le sujet amnésique gardera de bonnes performances témoignant du maintien de l’apprentissage mais il n’aura conservé aucun souvenir d’avoir déjà réalisé cette tâche. Cette constatation importante a donc suggéré que la mémoire explicite et la mémoire procédurale reposaient sur des systèmes neuroanatomiques distincts. Un certain nombre de travaux ont porté sur d’autres habiletés perceptivo-motrices : apprentissage d’un Labyrinthelabyrinthe, poursuite de cibles en mouvement, apprentissage de séquences d’apparition d’une cible aux quatre angles d’un écran avec amélioration des temps de réaction. Parmi les habiletés cognitives, on peut citer le Testde la tourde Hanoïtest de la Tour de Hanoï : l’acquisition de ces procédures dépendrait des structures sous-corticales et en particulier du Striatumstriatum, ce que suggèrent leur altération dans la Maladiede Huntingtonmaladie de Huntington et leur intégrité dans la Maladied’Alzheimermaladie d’Alzheimer ;


▪ l’amorçage (ou priming) par répétition représente une autre manifestation de la mémoire implicite : il peut être verbal ou perceptif. L’épreuve d’Amorçageverbalamorçage verbal habituellement utilisée est une tâche de complément de trigrammes (groupes de trois lettres) au cours de laquelle on montre d’abord au sujet une liste de mots sur lesquels on sollicite un jugement affectif en ne faisant référence à aucune tâche de mémorisation ; puis on présente au sujet des trigrammes qu’on lui demande de compléter et l’on constate que les sujets normaux utilisent préférentiellement les mots qui leur ont été préalablement présentés. Ce type de tâche peut être effectué par les patients amnésiques alors même qu’ils sont ensuite incapables de rappeler sur ordre les mots qui leur ont été préalablement présentés. L’Amorçageperceptifamorçage perceptif peut être objectivé en constatant que l’identification de mots préalablement montrés peut se faire pour des durées de présentation plus brèves que pour des mots non préalablement rencontrés ; de même l’identification de mots et de dessins (amorçage pictural) partiellement effacés par fragmentation est-elle plus satisfaisante pour les items auxquels le sujet a été préalablement exposé. L’amorçage dépendrait de l’intégrité du Cortexcortex : l’amorçage perceptif serait atteint dans la Maladied’Alzheimermaladie d’Alzheimer alors que les performances aux épreuves d’amorçage verbal donnent des résultats plus disparates.








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Figure 14.6
Mémoires explicite et implicite.


May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Les troubles de la mémoire

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