Les conduites psychopathiques ou trouble des conduites


Les conduites psychopathiques ou trouble des conduites1


Issu en ligne directe des hypothèses étiopathogéniques du XIXe siècle et du début du XXe, avec les notions de dégénérescence ou de déséquilibre, le statut de la psychopathie reste de nos jours difficile à préciser. En 2005, une audition publique, sous la direction de la Haute Autorité de la santé (HAS), réunissant un collège d’experts, praticiens psychiatres d’adultes et d’adolescents, praticiens du droit et du social a tenté de définir des attitudes consensuelles, si elles existent, tant pour la définition que pour la prise en charge du sujet psychopathe. Cette mise au point semblait être effectivement une nécessité en raison des préoccupations politiques et sanitaires actuelles. En effet, la psychopathie occupe actuellement le devant de la scène politico-médiatique, notamment à travers des projets de loi de plus en plus sécuritaires, sur le modèle américain de la tolérance zéro. Le sentiment partagé d’insécurité au niveau de la population générale contribue grandement à l’élaboration des lois de prévention de la délinquance. Une expertise collective INSERM au sujet du « Trouble des conduites » a d’ailleurs été rendue publique en 2005 mais, comme l’a soulignée N. Catheline (2005), ce travail s’est essentiellement orienté vers la prévention de la délinquance et nullement vers la prévention de la souffrance psychique.



La psychopathie : une catégorie et des dimensions


Le terme de « psychopathie » tel qu’on l’utilise actuellement correspond en réalité à la confluence de trois courants conceptuels, mais cette confluence masque difficilement certains malentendus. En effet pour certains auteurs, la psychopathie constitue en soi une entité, maladie autonome, avec à la limite des critères de définition biologique et génétique ; pour d’autres le terme de psychopathie renvoie avant tout à une description sémiologique sans préjuger de son étiologie, ni de sa psychopathologie ; d’autres enfin considèrent que la psychopathie se définit par un type précis d’organisation psychopathologique et correspond à une structure mentale caractéristique. Ces ambiguïtés résultent de l’hétérogénéité des trois courants historiques porteurs de ce concept. De manière très schématique, on peut en effet distinguer :



Sur le plan catégoriel, il est remarquable de constater que la « psychopathie » n’existe pas vraiment dans les classifications internationales puisque l’on rencontre dans la CIM-10 le terme « personnalité dyssociale » à la rubrique des troubles de la personnalité, la personnalité psychopathique étant considérée comme un équivalent, tandis que dans le reste du corpus de cette classification, les pathologies à expression comportementale sont éparpillées dans d’autres catégories. Il en va de même pour le DSM-IV, où l’entrée « psychopathie » n’est pas référencée. On y trouve à la place le diagnostic de « personnalité antisociale » qui « ne peut être porté que si le patient est âgé de 18 ans ou plus et a déjà présenté avant l’âge de 15 ans au moins quelques symptômes du Trouble des conduites ». L’hypothèse d’un continuum entre certains troubles à l’adolescence, qu’ils soient comportementaux (externalisés) ou psychiques, et un trouble de la personnalité marqué en partie par des conduites antisociales à l’âge adulte est extrêmement complexe et nourrit encore actuellement les échanges entre spécialistes de la santé mentale et politiques, dont la préoccupation principale reste la lutte contre la délinquance et l’insécurité. Cette continuité psychopathologique, si elle existe, ne peut s’appréhender en dehors du prisme des comorbidités, en particulier celles que nous observons dans les troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité, les troubles des conduites (TC) et les troubles oppositionnels avec provocation (TOP).


Par ailleurs, l’entité « psychopathie » s’appréhende difficilement car elle entrecroise trois dimensions dont la conjugaison est particulièrement difficile à démêler :



La psychopathie siège au carrefour de ces trois dimensions qui doivent être simultanément présentes pour que le tableau clinique se constitue. Il faut d’ailleurs d’emblée souligner la dépendance majeure de ce tableau clinique au contexte environnemental » (D. Marcelli et D. Cohen, 2005).



Quelques précisions terminologiques


Pour conclure ce paragraphe introductif, nous rappellerons brièvement la définition de quelques termes dont l’usage parfois conjoint avec celui de « psychopathie » risque d’être facteur de confusion :



• la notion de déviance et de marginalité est une notion essentiellement sociologique : elle renvoie à une norme sociale (déviance) et/ou à un ensemble de valeurs (marginalité) auxquels un groupe d’individus se conforme. Est dit « déviant » ou « marginal » l’individu qui, pour des raisons variables, ne se conforme pas à ces mêmes normes et/ou valeurs ;


• la notion de « délinquance » est une notion essentiellement juridique : elle renvoie à la loi et à sa transgression. Est dit « délinquant » l’individu qui ne se conforme pas aux termes de la loi. Il est évident par conséquent que les limites de la délinquance varient d’un pays à l’autre, et dans un même pays d’une période à l’autre de son histoire : ainsi en France la fugue n’est plus un délit et n’appartient plus de ce fait au domaine de la délinquance ;


• la notion de « sociopathie » est utilisée par les auteurs anglo-saxons pour désigner les individus qui ne peuvent s’adapter au groupe social dans lequel ils vivent. Le présupposé d’une telle appellation est que l’inadaptation à la structure sociale est nécessairement « maladive », pathologique. Ce terme ne nous paraît pas adéquat dans la mesure où il existe une antinomie dans sa définition même quand on l’applique à un individu précis.



Étude clinique : approche dimensionnelle et phénoménologique


Sans préjuger d’une typologie, d’une structure ou d’une psychopathologie particulière, nous décrirons ici les conduites fréquemment observées dans le cas « des psychopathes asociaux », termes utilisés par H. Flavigny (1977) pour souligner d’un côté la dimension individuelle, et de l’autre la dimension sociale des troubles.


Parmi les conduites de l’individu, nous distinguerons les conduites bruyantes de dyssocialité et les conduites témoins de la souffrance psychique. Si les premières sont aisément repérables, il serait faux de limiter à ces comportements bruyants la totalité des symptômes. En effet, chez la plupart des individus psychopathes on peut observer des conduites témoignant d’un malaise, d’une souffrance psychique certaine, mais qui se manifestent par l’inhibition ou le retrait de telle sorte qu’elles peuvent passer assez facilement inaperçues.



Les conduites de l’individu



Les conduites de dyssocialité




L’instabilité

Elle se manifeste dans tous les secteurs : comportemental, mais aussi affectif, scolaire, professionnel. Au plan du comportement, notons les fugues, les errances, ou simplement le besoin de bouger (on se « carre »). Au plan moteur, l’instabilité se traduit par l’importance de l’inattention motrice, de la maladresse gestuelle : il existe fréquemment des perturbations dans le tonus de base avec des dystonies et des paratonies : la maladresse explique que toute tâche est bâclée, sans méthode et sans soin, avec pour seul souci d’en avoir terminé au plus vite. Dans l’enfance, les antécédents d’instabilité psychomotrice, d’hyperkinésie ne sont pas rares (voir paragraphe suivant).


Au plan thymique, on note une labilité souvent excessive : de brusques effondrements d’humeur surgissent pour des raisons en apparence minime, ou simplement parce que le psychopathe a le sentiment diffus d’être mal aimé ou rejeté. Dans d’autres cas, on observe parfois des moments soudains d’expansivité de l’humeur, de jovialité factice. Cette instabilité affective aboutit généralement au passage à l’acte, seule mode d’expression possible de la tension psychique, qu’elle soit dépressive ou expansive.


L’instabilité envahit aussi les activités sociales : chez l’adolescent le choix d’une formation professionnelle, d’une orientation scolaire est sans cesse projeté, mais échoue dès le début de sa réalisation. En général des trésors d’énergie sont dépensés par les éducateurs, les assistantes sociales, le psychiatre, pour trouver une place dans un établissement, ou comme apprenti, place réclamée avec vigueur par l’adolescent et censée correspondre à son choix profond. Au bout de quelques jours ou de quelques semaines l’adolescent se désintéresse de cette orientation, désire autre chose. Un nouveau projet d’une insertion sociale paisible et confortable, d’un métier intéressant et valorisant est mis en avant. Dans ces conditions, après un certain nombre de tentatives qui épuisent les services sociaux, le risque de marginalisation sociale est de plus en plus grand. Dans tous les cas, l’absentéisme scolaire ou professionnel est élevé, l’apprentissage est refusé, l’adolescent voulant tout de suite accéder aux tâches qui sont les plus valorisées et les plus gratifiantes.


L’instabilité est aussi sentimentale, les relations affectives doivent être immédiatement « payantes », les changements de partenaires sont fréquents. L’homosexualité épisodique n’est pas rare. Ces relations sexuelles chaotiques sont rarement satisfaisantes et traduisent une quête affective toujours insatisfaite.


À l’origine de cette instabilité et de cette impulsivité on évoque le besoin de satisfaction immédiate. Pour H. Flavigny (1977), on devrait dire « que les psychopathes sont en état de besoin, plutôt que de désir ». Le besoin est impérieux, demande à être aussitôt comblé : l’objet doit être possédé dans l’instant même où, soit son désir, soit plutôt son besoin s’en fait sentir. Ce besoin de satisfaction immédiat renvoie à l’incapacité à tolérer la frustration et aux perturbations si fréquentes dans les notions de temps et d’espace (voir les paragraphes suivants).



La nature des relations humaines

À l’opposé des manifestations précédentes de nature plutôt péjorative, il convient de noter que les adolescents psychopathes ont souvent, de prime abord, un contact facile : ils engagent aisément la conversation, cherchent à plaire, deviennent aussitôt « copains ». Ils racontent facilement leur vie, du moins leurs exploits, s’inventent un curriculum vitae alléchant, construisent des projets. Le contact est d’autant plus facile que le lien de parasitisme social est grand : l’intérêt, le bénéfice immédiat dictent fréquemment les relations avec les autres. Le changement peut être brusque quand le sujet n’a plus rien à attendre de la relation, ou quand il en est déçu : soudain il peut devenir froid, distant, méprisant et agressif. Les relations humaines se caractérisent essentiellement par leur superficialité, leur irrégularité et par l’impérieux besoin d’une satisfaction immédiate.


Avec les proches les relations sont dominées par l’avidité affective : la demande affective est intense, insatiable. Quand la relation paraît sûre, le psychopathe se montre exigeant, dominateur, possessif, jaloux. Il n’est jamais content et en veut toujours plus. Au moindre doute, au moindre manque sur cette affection ou sur ce lien, on assiste à des effondrements spectaculaires, des tentatives de suicide, des absorptions impulsives d’alcool ou de drogue. Ces relations sont toujours sous-tendues par une angoisse très importante derrière les habituelles attitudes de prestance. De même l’absence de culpabilité qu’on allègue fréquemment laisse plus souvent la place à un sentiment d’écrasante culpabilité, tellement intense que le psychopathe estime qu’il n’y a pas de réparation possible : après une conduite déviante ou agressive, un nouveau passage à l’acte avec la rupture du lien est la solution d’abord envisagée avant de penser à une éventuelle réparation considérée comme impossible en raison de la honte et de l’indignité ressenties alors.


Actuellement, on tend à regrouper ces difficultés relationnelles sous la notion de manque d’empathie. L’empathie est la capacité de ressentir et éventuellement de partager les émotions des autres, ce qui autorise une communauté d’émotion à la base du lien social. Les sujets dits « psychopathes » manquent profondément de cette capacité d’empathie, manque qui s’exprime dans les deux sens : des parents en direction de l’enfant ou de l’adolescent, en direction de ses proches (J.M. Guilé, 2007). Les attitudes négatives et le manque de chaleur affective de la part des parents semblent corrélés chez le jeune entre 9 et 18 ans avec l’apparition ultérieure de conduites antisociales agressives ou non (M.E. Feinberg et coll., 2007).



Les conduites de retrait


Derrière le paravent bruyant des conduites précédentes, lorsqu’on connaît le continuum de la vie de l’adolescent psychopathe, on perçoit l’existence d’autres symptômes ou manifestations qui traduisent beaucoup plus la fragilité, le désarroi, la souffrance. Ces conduites sont peut-être d’autant plus caractéristiques que le sujet est encore dans l’adolescence.



La passivité

Elle est habituelle : oisiveté et désœuvrement sont la règle ; l’ennui est la tonalité affective dominante. Le manque d’intérêt est général, l’investissement dans une activité, même de loisirs, reste superficiel, temporaire, et doit toujours être source de satisfaction ou de bénéfice immédiat. L’individu se laisse aisément « conduire » par les événements, il suit la bande, s’adapte aux conditions externes. Les centres d’intérêt se limitent à des situations passives : écoute interminable d’un même disque, refuge dans une salle de cinéma, attente dans la rue ou le « bistrot ».



La dépendance

Elle complète la passivité : il n’y a pas d’autonomie réelle, que ce soit par rapport à la famille, à la bande de copains, à l’environnement. L’adolescent psychopathe se laisse aisément manœuvrer, toujours d’accord avec la dernière opinion. Il ne peut rien entreprendre seul. Il ne fait preuve d’aucune initiative, reproduit sans imagination la tâche qu’on lui propose.


Cette passivité et cette dépendance ne font qu’accentuer le sentiment de dévalorisation de l’individu, ce qui peut alors susciter des réactions de prestance dont la manifestation la plus fréquente est la rupture, en particulier quand la dépendance devient trop grande. Ces ruptures renvoient immédiatement à l’impulsivité et à l’instabilité : mais il faut noter que si le geste impulsif, si la rupture se repèrent plus facilement, ces gestes sont fréquemment encadrés par des périodes plus ou moins longues de passivité et de dépendance.



Les décompensations aiguës

Sur ce fond de dépendance et de passivité peuvent surgir des moments dépressifs parfois profonds : il existe alors un pessimisme intense, un profond désarroi. Les réactions de projections persécutives sont fréquentes, l’origine du malaise étant attribué aux autres : famille, bande, société. Il n’existe pas de sentiment de culpabilité, mais une souffrance qui ressemble plus à une honte ou à une plainte sur soi-même. Le passage à l’acte suicidaire, la prise de drogue ou d’alcool sont à l’évidence des risques majeurs au cours de ces épisodes dépressifs aigus.



Le psychopathe dans son environnement




L’environnement social : la bande


Très souvent la famille elle-même est déjà en situation de rejet social. Ce rejet aussi bien du psychopathe à l’égard des institutions sociales que de ces mêmes institutions à l’égard du psychopathe enclenche la spirale de l’exclusion et de la marginalité progressive.


Le rejet est scolaire à partir de 13–14 ans. Cantonné dans les secteurs d’éducation spécialisée, dans la scolarisation marginale, le psychopathe refuse toute scolarité à partir de 14–16 ans. Souvent d’ailleurs il ne sait ni lire ni écrire, ou du moins n’en possède que les rudiments. Les connaissances en calcul sont fragmentaires, réduites aux nécessités de la vie quotidienne.


Le rejet est professionnel : la relative durée des conditions d’apprentissage, la lente progression, la répétitivité des tâches initiales sont bien évidemment l’objet d’un refus massif.


Le rejet est aussi institutionnel : après quelques semaines ou mois satisfaisants qui ont vu se créer un attachement affectif intense avec un éducateur, des conflits apparaissent entre les adolescents, ou avec les autres adultes. Les transgressions des quelques lois imposées mettent en péril le fonctionnement de l’institution qui réagit par l’exclusion.


La seule structure sociale capable d’intégrer le psychopathe semble être la bande (voir chap. 1). Elle lui offre une identité de rôle, une protection, une puissance, un statut même. Toutefois cette insertion dans la bande est souvent plus précaire qu’il n’y paraît au premier abord : les relations de dépendance y sont à la fois contraignantes (l’adolescent doit constamment correspondre à son image) et fragiles (l’adolescent qui s’écarte de la bande est vite rejeté, oublié). Il faut souligner que le psychopathe occupe rarement dans ces bandes une place de choix, par exemple celle du meneur, et qu’il peut même en être rejeté.



Approche catégorielle : le trouble des conduites


Le trouble des conduites s’exprime chez l’enfant et l’adolescent par une palette de comportements très divers qui vont de crises de colère et de désobéissance répétées de l’enfant difficile aux agressions graves comme le viol, les coups et blessures et le vol du délinquant. Sa caractéristique majeure soulignée par l’expertise collective INSERM « est une atteinte aux droits d’autrui et aux normes sociales ».


Les classifications internationales (DSM-IV et CIM-10) définissent les différents critères diagnostiques du trouble des conduites (TC) : agressions, brutalité, destructions de biens matériels, vols, fraudes, violations de règles. Il est à noter que le TC se définit avant tout par la répétition et la persistance des conduites au travers desquelles sont bafoués les droits fondamentaux d’autrui et les règles sociales.


Comme pour la majorité des troubles du comportement dits « externalisés », l’expression clinique varie en fonction de l’âge du sujet. Chez l’enfant, les manifestations du TC se limitent le plus souvent au milieu familial et à l’espace scolaire. Les capacités d’apprentissage de l’enfant s’en trouvent généralement réduites (voir chap. 18 de l’ouvrage Enfance et psychopathologie). À l’adolescence, le trouble va s’étendre à tout l’environnement social et peut entraîner des conduites de prise de risque. D’autre part, un trouble déficit de l’attention-hyperactivité ou un trouble oppositionnel avec provocation est une comorbidité fréquente du TC. Ces deux troubles comorbides favoriseraient la persistance du TC et accentueraient sa sévérité. La question des liens entre ces trois troubles reste cependant posée : facteurs de risque, prédicteurs ou entités cliniques à part entière ? Le TC peut également être associé à d’autres types de troubles mentaux : troubles anxieux, troubles de l’humeur, troubles liés à la consommation abusive de substances psychoactives ou encore trouble des apprentissages.



Épidemiologie


La prévalence du TC à l’adolescence est comprise entre 6 et 16 % chez les garçons, 2 à 9 % chez les filles (S. Kutcher et coll., 2004). La prévalence du TOP est en revanche maximale à 8–10 ans tous sexes confondus (entre 3 et 4 %).

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Les conduites psychopathiques ou trouble des conduites

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