La consultation thérapeutique


La consultation thérapeutique



Les entretiens d’évaluation – consultations thérapeutiques


Pour Winnicott, la consultation thérapeutique est, à l’occasion des premières rencontres, la possibilité d’établir un climat favorable permettant une « rencontre et un échange relationnel » entre l’adulte et l’enfant de sorte que ce dernier puisse exprimer ses difficultés : « c’est presque comme si, par les dessins, l’enfant cheminait à mon côté et, jusqu’à un certain point, participait à la description du cas. » D.W. Winnicott constate que ce travail d’explicitation et de clarification soutenu par un échange relationnel et affectif avec un adulte dans une disposition d’empathie fondamentale a, en lui-même, une vertu thérapeutique.


Toutefois, D.W. Winnicott trace aussi des limites à ces consultations thérapeutiques. En effet, pour que celles-ci soient thérapeutiques, il faut :



Avec un adolescent la consultation thérapeutique répond à la même logique et connaît les mêmes limites qu’on omet souvent de préciser.


Ces consultations thérapeutiques font partie intégrante des entretiens d’évaluation avec l’adolescent et sa famille tels qu’ils ont été décrits au chapitre 3. En effet, le but de l’entretien clinique est double, concomitance d’objectifs qu’on doit toujours garder à l’esprit. C’est d’abord un objectif d’évaluation dans les divers domaines de la clinique psychiatrique de l’adolescent (sémiologique, nosographique, psychopathologique, psychodynamique, individuel, interindividuel familial, etc.). C’est aussi un objectif thérapeutique : du fait du dévoilement, de l’énonciation, des tentatives de clarification des diverses difficultés et symptômes, les entretiens peuvent avoir un effet thérapeutique certain. Se contenter d’un recueil d’informations, sans formuler en contrepartie diverses propositions thérapeutiques risque de représenter pour l’adolescent et son entourage une intrusion intolérable et stérile. Les entretiens avec l’adolescent doivent toujours avoir cette double fonction : évaluation d’un côté, projet thérapeutique de l’autre.


L’interaction qui se déploie pendant l’entretien constitue l’instrument de cette double démarche. La particularité de l’entretien avec l’adolescent est que cette interaction adolescent–consultant, est dès le début de la rencontre prise dans un investissement d’allure transférentielle immédiat et intense. D’emblée l’adolescent « attribue » au consultant un statut, des jugements, une fonction qui dépendent étroitement de ses propres relations à ses images parentales et à la manière dont il intègre le cours actuel du processus d’adolescence.


L’importance et l’immédiateté de cet « investissement » présentent un inconvénient et un avantage. Un inconvénient, car il risque d’obscurcir et de rendre plus difficile l’évaluation : sauf quelques exceptions, l’adolescent n’a pas spontanément tendance à reconnaître que ses symptômes et sa souffrance lui sont personnels. En général, il en attribue l’origine et le maintien à des facteurs externes : parents, enseignants, copains, société… Il n’est pas rare qu’il prenne la personne du consultant comme un « représentant » de ces prétendus facteurs externes ; le consultant devient alors « la cause » transférée des difficultés de l’adolescent. Ainsi certaines conduites de l’adolescent peuvent survenir comme autant de manœuvres de sa part pour chercher à faire réagir le clinicien et à l’inscrire dans un rôle parental et/ou social précis. Au pire l’adolescent peut « réagir » aux consultations par une apparente et paradoxale exacerbation des conduites les plus pathologiques ce qui risque d’entraîner le consultant dans une escalade d’actions thérapeutiques de plus en plus lourdes ou contraignantes.


Souvent cependant cette rencontre constitue pour l’adolescent la première occasion qui lui soit donnée de parler de son monde interne, de ses affects, de ses émotions, de ses pensées, rêves ou rêveries, sans être jugé selon des critères moraux ou éthiques, être aussitôt pris dans une relation d’autorité type parent-enfant. Le consultant représente souvent le premier adulte rencontré qui ne soit ni un membre de la famille, ni une figure d’autorité (enseignant, éducateur, etc.). D’une certaine façon le premier travail du consultant consiste en une sorte d’« apprentissage » de la relation nouvelle, apprentissage de la démarche réflexive, de la nécessité de clarification, d’énonciation, de délimitation des difficultés en même temps que la reconnaissance de leur origine intrapsychique et pas seulement réactionnelle.


Dans ces conditions l’importance et l’immédiateté de cet investissement présentent aussi un avantage car il constitue un instrument thérapeutique précieux.


Cette nouvelle relation peut en effet provoquer rapidement une émergence d’affects jusque-là méconnus, enfouis ou refoulés, une mobilisation rapide et intense des investissements pulsionnels et des contre-investissements défensifs. Ceci explique, dans les cas les plus heureux, les améliorations ou même la disparition rapide des difficultés après quelques entretiens. C’est en ce sens que ces « entretiens d’évaluation » peuvent être thérapeutiques. P. Mâle avait parlé d’« expérience émotionnelle correctrice » pour décrire ces rencontres.


Ils peuvent l’être aussi dans le domaine des interactions familiales quand la présence du consultant introduit un tiers médiateur dans le face à face parents–adolescent ou modifie des « alliances » qui avaient tendance à se figer (« père » opposé à « adolescent(e)–mère » ou inversement : mère opposée à adolescent(e)–père). Le consultant par ses questions ou son intérêt sur l’histoire (anamnèse mais aussi histoire de l’enfant, du couple parental, de la famille) réintroduit la dimension du temps dans un conflit qui trop souvent ne connaît que l’instant.


En effet, l’évocation de la petite enfance, la recherche des symptômes ou plus simplement des conduites habituelles, des traits de caractère du petit enfant présente le double intérêt d’introduire la dimension du temps et de l’histoire et de permettre à l’adolescent d’entendre une partie de son passé ; il arrive que ce soit pour lui la première fois. Le récit d’événements traumatiques tels que séparation, maladie ou hospitalisation et des réactions du jeune enfant, peuvent avoir un effet cathartique chez l’adolescent et ses parents. Les moments de séparation dans l’enfance, la façon dont ils ont été gérés par la famille, leur retentissement sur le développement de l’enfant constituent un bon modèle anamnestique permettant d’augurer de la qualité du « travail de séparation » à venir pour l’adolescent.


De façon plus spécifique, il est intéressant d’évoquer avec les parents en présence de l’adolescent leur motivation du choix du prénom, leur désir d’enfant avant la naissance et parfois même les circonstances de leur propre rencontre. Là encore ces remémorations quand elles sont possibles introduisent la dimension du temps, relativisent l’intensité actuelle des difficultés, jouent un rôle cathartique en déplaçant les lignes de conflits, en ouvrant des espaces nouveaux de curiosité et d’intérêt, levant une partie du refoulement, etc.


Enfin l’existence ou non d’un traitement « psychologique ou psychanalytique » antérieur, dont la fréquence est de plus en plus grande, représente souvent soit par le souvenir qu’il active soit par son oubli un indice prédictif ou du moins caractéristique de la relation du sujet, de son entourage avec le « psychologique ».


Cette démarche qui procède de ce qu’on pourrait appeler une « évaluation empathique » a donc, par elle-même, une force thérapeutique certaine, si les préconditions sont remplies : préinvestissement du consultant par l’adolescent et ses parents, absence d’interactions pathologiques rigides et de situation sociale très dégradée, absence d’une trop importante surdétermination symptomatique.



La clarification de la demande


Le cadre de ces entretiens d’évaluation-consultations thérapeutiques, tel que nous l’avons défini, avec une série de trois à six entretiens dont au moins deux avec l’adolescent et ses parents (D. Marcelli, 1991) présente ainsi l’intérêt d’une évaluation de la dynamique individuelle et familiale permettant de mieux assurer les bases des propositions thérapeutiques ultérieures. Fréquemment le consultant a le sentiment qu’entre la demande de l’adolescent et/ou des parents et son éventuelle proposition de soins, il existe un écart notable et que cet écart ne va pas se « résoudre » par enchantement. Ainsi qu’on le dit dans un certain jargon : « il faut faire évoluer la demande. » Le travail épidémiologique de A. Dazord et coll. (1993) confirme d’ailleurs ce sentiment subjectif du consultant. Cette enquête semble montrer qu’une décision thérapeutique trop rapide, dès la première consultation, est plus souvent suivie d’abandon ou d’inefficacité que si cette décision arrive après un temps d’attente et de latence : « la principale hypothèse émergeant de ces résultats concerne l’importance que pourrait avoir sur l’évolution ultérieure de la prise en charge ce qui est proposé à la fin du premier entretien. Un accord trop rapide pourrait ne pas s’accompagner d’une évolution favorable. Il est possible au contraire qu’un temps d’attente, où puisse s’élaborer la demande et se construire un véritable lien thérapeutique soit l’élément le plus important à prendre en compte. » Il est intéressant qu’une démarche épidémiologique arrive à cette constatation très proche de l’impression des cliniciens.


Bien sûr l’attente n’est pas procrastination et n’a pas en soi de vertu thérapeutique. Il s’agit ici d’une attente « active » faite d’une série de consultations rapprochées (tous les 15 jours–3 semaines, plus fréquentes en cas de pathologie d’allure aiguë ou critique) pendant lesquelles le consultant développe cette action de clarification, différenciation des fonctionnements psychiques, remise en perspective historique, etc. Mais cette attente permet aussi d’évaluer la tolérance de l’adolescent et de ses parents face à la relative frustration, de juger des possibilités d’alliance thérapeutique ou au contraire d’apparition des résistances, d’apprécier la capacité de persévérer dans la demande et la démarche ou au contraire d’arrêter aussitôt (que ce soit parce qu’il y a eu une légère détente, amélioration ou qu’au contraire la première rencontre « n’a servi à rien » : voir la séquence des entretiens). Nous verrons le problème de l’alliance thérapeutique au paragraphe suivant.



Cadre formel et maniement des rendez-vous


D’un point de vue technique, il s’agit toujours de rencontres en face à face, parfois assez longues (60 minutes) afin qu’un climat de confiance s’établisse et que la période initiale de résistance ou de conformisme relationnel puisse être surmontée. Une question spécifique doit être clarifiée : elle concerne le maniement des rendez-vous, surtout quand il s’agit de rencontres intermittentes. Convient-il de laisser l’adolescent prendre lui-même ses rendez-vous « à la demande » ou au contraire, est-il préférable de lui proposer, voire d’imposer un rendez-vous ? La technique des entretiens à la demande a souvent été préconisée ; nous pensons qu’on devrait la réserver aux seuls adolescents qui présentent des difficultés mineures, qui ont développé un intérêt pour leur monde psychique interne, qui ont établi avec le thérapeute une relation de confiance teintée ni de séduction œdipienne, ni de soumission infantile. Dans ces conditions, on peut laisser l’adolescent libre d’évaluer l’aide potentielle qu’il attend de l’entretien et du thérapeute. À l’évidence ces cas sont peu nombreux et traduisent des difficultés minimes. Dans la majorité des cas la situation est différente. En effet, le plus souvent laisser l’adolescent libre de reprendre contact, représente pour celui-ci un risque plus qu’un avantage. Tout d’abord la passivité de l’adolescent, passivité en général d’autant plus grande qu’il est plus malade est un obstacle majeur ; ensuite l’adolescent redoute parfois l’excès d’excitation pulsionnelle qu’il ressent en étant libre de prendre lui-même rendez-vous et craint que sa demande soit comprise comme une soumission à cette excitation pulsionnelle, et par conséquent une soumission au consultant ; enfin, et cette dernière éventualité est fréquente, l’adolescent a le sentiment que le thérapeute l’abandonne, se désintéresse de lui et de son monde psychique interne en ne lui donnant pas un rendez-vous précis. Pour toutes ces raisons, les entretiens « à la demande », contrairement à un certains discours véhiculant les habituels clichés sur la nécessité de « se prendre en charge », « d’exprimer sa demande », etc. ne doivent pas constituer la règle générale. De même en cas d’absence à un rendez-vous, lorsqu’il ne s’agit pas d’une psychothérapie formalisée et réglée où l’absence prend une signification directement transférentielle, laisser l’adolescent libre de recontacter le thérapeute présente les mêmes risques auxquels s’ajoute un sentiment de culpabilité parfois non surmontable. Dans notre expérience, la proposition d’un nouveau rendez-vous en adressant une lettre à l’adolescent a toujours reçu un écho favorable et a été ressentie par celui-ci comme une marque d’intérêt et d’attention. Ainsi il est souvent nécessaire d’« imposer » ces rendez-vous à l’adolescent, mais il est nécessaire de définir brièvement ce que nous voulons dire par « imposer ». Bien entendu nous ne parlons pas ici de contrainte matérielle concrète qui obligerait l’adolescent à venir au rendez-vous. En revanche, cela veut dire que nous signifions très clairement à l’adolescent notre préoccupation sur son monde psychique et ses conflits internes, notre conviction que nous pouvons l’aider et que cette aide est nécessaire, notre désir de ne pas le laisser se dégrader ou s’enfoncer dans des conduites de plus en plus pathologiques. Formulé en d’autres termes, imposer ce rendez-vous représente fréquemment la première limite, la première borne que le thérapeute pose dans l’espace souvent chaotique et conflictuel de l’adolescent.



La distance relationnelle


Toutefois si une attitude « active » est nécessaire, celle-ci doit toujours être mise au service de la clarification, voire de l’explication (il paraît nécessaire d’expliquer pourquoi on pose certaines questions) et doit éviter deux dangers : la séduction, la croyance en la magie.


Pour tout adolescent, être écouté avec attention, avoir le sentiment d’être enfin compris, ne pas être contesté directement dans les opinions émises peut susciter un intérêt certain, vite ressenti comme une menace de séduction. L’adolescent peut éprouver un sentiment d’attirance qui aussitôt constitue pour lui une menace narcissique potentielle : l’effraction narcissique est à la hauteur de l’avidité objectale.


L’émergence de ce sentiment de séduction amplifie généralement les conduites symptomatiques, exacerbe les défenses et peut conduire à une rupture d’avec le consultant pour tenter précisément de contrôler celui-ci.


La croyance en la magie attribue au consultant et à la démarche clinique une toute-puissance auprès de laquelle l’adolescent est parfois tenté de se réfugier au début mais qui exacerbera rapidement les composantes les plus pathologiques de la personnalité (passivité/soumission factice ou au contraire rébellion intempestive, etc.), et rendra plus difficile le processus thérapeutique.


Ainsi ces consultations doivent s’efforcer d’établir la « bonne distance » entre l’adolescent et le consultant à partir de laquelle ce travail de réflexion-introspection en présence d’un autre devient possible. Cette évaluation permet également de prendre la mesure d’une motivation à une éventuelle psychothérapie au long cours.


Par motivation nous signifions un ensemble de trois variables qui nous paraissent indispensables pour qu’un adolescent s’engage durablement dans un traitement psychothérapique et a fortiori analytique, quel que soit le diagnostic posé en terme structurel ou nosographique. Ces trois variables sont les suivantes :



• une curiosité suffisante par rapport au monde psychique interne. Certains adolescents font preuve en effet d’un intérêt pour leurs pensées, leurs rêveries, leurs rêves, souhaitent comprendre le pourquoi de leurs pensées et de leurs états affectifs. D’autres, au contraire, sont sans cesse à la recherche d’un objet, d’une cause externe, dans une attitude sinon projective, du moins externalisante qui les empêche de porter le moindre intérêt à leur monde représentationnel interne ;


• une anxiété, un malaise assez important pour faire souffrir l’adolescent et une reconnaissance de cette anxiété de ce malaise comme étant le sien. Ce malaise diffus, cette souffrance doivent certes rester modérés pour ne pas précipiter l’adolescent dans un état d’effondrement, mais doivent cependant exister et persister au moins au début du traitement. Ce malaise représente la meilleure des motivations à l’engagement dans la démarche psychothérapique.


• une lassitude devant la perception que les événements se répètent, que « ça recommence encore ». Cette perception débutante de la compulsion de répétition représente aussi un des facteurs de motivation essentielle à l’engagement psychothérapique.


Bien évidemment il est rare que ces trois variables soient présentes d’emblée dès les premières consultations. On pourrait dire que l’objectif thérapeutique de celles-ci est précisément d’amener ces facteurs d’incitation à la conscience de l’adolescent lorsque le consultant considère qu’une psychothérapie s’avérera nécessaire. En particulier c’est le rôle et l’objectif de la stratégie de clarification, de délimitation des fonctionnements psychiques et de l’insistance sur l’intériorisation dont il a été question.

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on La consultation thérapeutique

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