Introduction à l’étude de l’adolescent dans son environnement


Introduction à l’étude de l’adolescent dans son environnement


La quatrième partie de cet ouvrage est consacrée à l’étude de l’adolescent dans son environnement. Il s’agit d’un champ d’investigations particulièrement délicat à cerner parce qu’à cet âge précis la référence aux facteurs déclenchants environnementaux est très fréquente sinon constante dans l’évaluation psychopathologique d’une conduite particulière. Comme nous l’avons dit dans le chapitre introductif, le modèle sociologique est l’un des modèles de base de compréhension de l’adolescence ; certains sociologues vont même jusqu’à déclarer que l’adolescence constitue un phénomène purement social, propre au modèle de développement et au modèle éducatif adopté par nos sociétés occidentales (voir chap. 1, Le modèle sociologique). Il va de soi qu’ainsi définie, l’adolescence devient totalement dépendante de l’environnement et en grande partie déterminée par celui-ci. Certes, ce point de vue sociologique semble pertinent pour comprendre des phénomènes touchant un grand nombre d’individus (par exemple, mouvement hippy des années 60), et pour tenter d’appréhender la signification de ces phénomènes dans leur ensemble ; en revanche, face à l’individu, face à un adolescent, l’utilisation du seul modèle sociologique pour tenter d’appréhender le sens d’une conduite particulière risque de lui ôter toute signification historique individuelle et familiale.


D’une certaine manière, on aliène l’individu adolescent au groupe social et culturel auquel il appartient : les conduites de l’individu ne sont que l’expression des pressions environnementales sans que l’individu lui-même en soit le dépositaire à travers son histoire personnelle et familiale. Mais il est tout aussi vrai qu’on risque à l’inverse de donner une signification excessive à certaines conduites de l’individu si on ne les éclaire pas des conditions environnementales où elles sont apparues, et attribuer une signification pathologique à ce qui peut n’être que conformité à des normes sociales externes à l’individu. Comme toujours le renvoi dos à dos de deux modèles de compréhension, sociologique et collectif d’un côté, psychopathologique et individuel de l’autre, est plus appauvrissant qu’enrichissant. Toutefois, il n’est pas toujours facile pour le clinicien d’effectuer ce va-et-vient entre l’évaluation des conditions environnementales d’un côté et le sens pour l’individu d’une conduite particulière de l’autre. Pour notre part, il nous semble qu’à l’adolescence on observe fréquemment une profonde modification dans la capacité de tolérance de l’environnement vis-à-vis des conduites souvent anciennes, mais exprimées de manière nouvelle par l’adolescent. Nous avons déjà discuté ces divers points dans l’ouvrage Enfance et psychopathologie.


À l’adolescence, les remaniements psychiques importants ont pour conséquence une fragilité relative de l’équilibre psychoaffectif. Cette fragilité ou cette sensibilité du système psychique présente un avantage important : celui de permettre peu à peu une spécificité de fonctionnement. L’adolescent, de ce point de vue, ne nous paraît pas très différent du nourrisson dont Bowlby souligne la plasticité initiale des systèmes de comportement, plasticité qui permet une adaptation progressive par stabilisation des séquences interactives les plus pertinentes en fonction de l’environnement. De même que la plasticité des conduites du nourrisson lui permet la meilleure adaptation possible à son milieu familial, de même la relative plasticité des conduites sociales de l’adolescent lui permet d’optimiser son adaptation aux conditions d’environnement. Toutefois, le prix de cette plasticité est bien évidemment la relative fragilité du système, et par conséquent sa vulnérabilité. Le concept de vulnérabilité, conjoint aux concepts de compétence et de facteurs de risque d’abord introduit et utilisé chez le nourrisson et le jeune enfant (voir l’ouvrage Enfance et psychopathologie) est aussi utile pour mieux comprendre la psychopathologie à l’adolescence, et tenter de mieux cerner l’ancienne notion de « pathologie réactionnelle ». Toutefois l’entité « trouble réactionnel » est plus souvent utilisée pour l’enfant que pour l’adolescent, même si les facteurs d’environnement sont fréquemment considérés comme des éléments incitatifs des diverses conduites déviantes de l’adolescent. Il faut noter en outre que de nombreux auteurs, en particulier les auteurs anglo-saxons, à la suite des travaux d’E. Erikson, préfèrent parler de « troubles situationnels » pour montrer qu’il s’agit de troubles en rapport à une situation particulière, mais d’une part sans en inférer un déterminisme causal particulier (comme le sous-entend la notion de réaction), et d’autre part sans définir une organisation structurelle précise (s’opposant donc aux troubles structurés).


Dans un type de conceptualisation assez différent, ces positions sont cependant reprises par divers auteurs qui essaient d’articuler la psychopathologie de l’individu avec ses déterminants environnementaux, qu’il s’agisse de la famille ou du proche espace social. Ainsi P. Jeammet (1980) évoque la notion « d’espace psychique élargi » : pour cet auteur, l’adolescent abandonne à certaines personnes de son entourage tel ou tel part de ses instances psychiques cherchant à obtenir par le biais de l’extérieur des satisfactions pulsionnelles ou à l’opposé des limitations surmoïques qu’il ne peut s’autoriser ou s’imposer lui-même. Selon l’auteur ce passage par l’extérieur est différent de l’identification projective car il est plus global et plus superficiel, mais il rend l’adolescent à la fois plus dépendant et plus sensible aux conditions d’environnement. La quête de « l’âme sœur » avec le fantasme de complétude qu’elle sous-tend en constitue un exemple clinique. Du fait de la nature particulière des liens que l’adolescent noue avec son environnement, il devient particulièrement dépendant et vulnérable aux pressions et changements que cet environnement peut provoquer : ainsi la perte du lien de complémentarité que représente cette « âme sœur », peut provoquer une cassure dans le développement et des dégâts corrélatifs extrêmes. Il devient alors, on le conçoit, particulièrement difficile de vouloir faire un partage simpliste entre les facteurs d’environnement et la psychologie ou psychopathologie individuelle.


Pour F. Ladame (1980), la pathologie de l’adolescent doit être comprise constamment dans une double perspective : d’un côté la pathologie de l’adolescent renvoie fréquemment à des vicissitudes inscrites dans le premier développement, mais d’un autre côté l’actualisation de cette pathologie à l’adolescence révèle les défauts de l’environnement présent. Les tentatives de suicide de l’adolescent constituent une illustration de cette approche dynamique : ainsi selon F. Ladame, la tentative de suicide correspond à un moment particulier marqué par la coalition entre les mouvements psychoaffectifs internes et les conditions environnementales actuelles, coalition entre « le dedans et le dehors » (voir chap. 10, Les tentatives de suicide).


On voit à travers ces exemples le risque d’une excessive généralisation du concept de pathologie réactionnelle ce qui aboutirait à inclure dans cette cinquième partie de l’ouvrage la quasi-totalité de la psychopathologie de l’adolescent. En revanche, la prise en considération des conditions externes peut permettre de comprendre le choix de telle ou telle conduite symptomatique sous réserve de distinguer les divers paliers intervenant dans leur genèse. Nous proposons de distinguer trois niveaux essentiels :



Les facteurs psychopathologiques particuliers


Il s’agit ici des conséquences des premières relations d’objet sur l’organisation psychique de l’individu ; la nature de ces premières relations d’objet influe sur le type actuel de relation d’objet que l’adolescent établit avec son monde environnant. À titre d’exemple, on peut considérer que la conduite toxicomaniaque renvoie à une relation d’objet précoce marquée du sceau de la dépendance, tandis que la conduite psychopathique renvoie à des relations d’objet précoce marquées par la projection et la conduite suicidaire à des relations précoces marquées de l’ambivalence et du retournement sur soi de l’agressivité.

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Introduction à l’étude de l’adolescent dans son environnement

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