L’adolescence et les pathologies somatiques


L’adolescence et les pathologies somatiques



Retards pubertaires1


Le retard pubertaire est défini par l’absence de manifestation physique de puberté à un âge supérieur à +2 déviations standard au-dessus de l’âge moyen de démarrage pubertaire. Il atteint donc par définition 2,5 % des sujets. Chez le garçon, il s’agit de l’absence d’augmentation de volume testiculaire (volume inférieur à 4 mL ou longueur inférieure à 25 mm) au-delà de 14 ans, ou l’absence de développement complet 4 ans après le début pubertaire. Chez la fille, il est défini par l’absence de développement mammaire au-delà de 13 ans, ou absence de règles (aménorrhée primaire) quatre ans après le démarrage pubertaire.


La puberté, lorsqu’elle ne démarre pas, s’associe à un infléchissement de la croissance staturale : il n’y a pas l’accélération staturale correspondant à l’adolescence, la taille quitte sa DS sur la courbe (fig. 18.1).



Le défaut de maturation des caractères sexuels, l’absence d’accélération de la vitesse de croissance normalement associée à la puberté entraînent la persistance d’un aspect infantile. La mauvaise perception psychologique du retard pubertaire, la petite taille et le sentiment d’infériorité qui l’accompagne sont les raisons amenant le plus souvent les adolescents à consulter. Bien que la proportion de garçons et de filles ayant un retard de puberté soit la même (2,5 %), les garçons consultent 1,5 à 2 fois plus souvent pour ce motif que les filles : le motif de consultation vers 13 ans chez la fille, et vers 14 ans chez le garçon, est plus souvent la gène lié au retard statural qu’à l’absence de manifestation physique de puberté : il y a alors un biais de recrutement vers les enfants qui sont déjà constitutionnellement assez petits, car c’est chez eux, en l’absence d’accélération staturale pubertaire, que le décalage de taille avec les pairs sera le plus important. Un peu plus tard, vers 14–15 ans chez la fille et 15–16 ans chez le garçon, le défaut de développement pubertaire, mammaire chez la fille, pilosité et taille infantile de la verge chez le garçon deviennent la première plainte.


Le médecin s’efforce de distinguer les patients présentant un retard pubertaire « simple », cause la plus fréquente et se corrigeant spontanément (leur puberté se déroulera normalement mais avec retard), des déficits gonadotropes et des insuffisances gonadiques, permanents, qui nécessitent un traitement pour aboutir au développement pubertaire complet.



Les principales étiologies



Les pathologies gonadiques (hypogonadisme hypergonadotrophique)


Il est en général facile de faire le diagnostic de retard pubertaire lié à une pathologie gonadique. L’impubérisme ou le développement pubertaire incomplet contrastent avec les valeurs très élevées des gonadotrophines (FSH surtout, à un moindre degré LH), alors que les concentrations des stéroïdes gonadiques sont faibles.


Chez la fille, le diagnostic de syndrome de Turner est le plus fréquent (fréquence ½ 500 filles) devant un hypogonadisme hypergonadotrophique. Il est associé à un retard statural important (la taille finale en l’absence de traitement par hormone de croissance est de 142 ± 5 cm), à une dysmorphie souvent discrète (micrognathisme, cou bref et large, implantation basse des cheveux sur la nuque, thorax saillant avec écartement intermammelonnaire excessif) et à des malformations viscérales (cardiopathies, uropathies). Le caryotype le plus fréquent est 45 X, des mosaïques (45 X, 46 XX ; 45 X, 46 XY) ou des anomalies de structures de l’X sont possibles (isochromosome X isoXq ; X en anneau Xr).


Chez le garçon, c’est le syndrome de Klinefelter qui est le plus fréquent devant un hypogonadisme hypergonadotrophique. Le syndrome de Klinefelter touche 1,6 garçon/1 000. Il n’entraîne en général pas de retard pubertaire, mais une puberté traînante, avec une absence de développement pubertaire complet. La morphologie est eunuchoïde, une gynécomastie est fréquente. La pilosité pubienne et axillaire se développe, la verge s’allonge, mais les testicules ne dépassent pas 35 mm de longueur. Le QI global est proche de la normal, avec souvent un déficit dans le domaine verbal. Le déficit gonadique s’accentue avec le temps, et les hommes atteints sont infertiles. Le caryotype le plus fréquent est 47 XXY, plus rarement 48 XXXY, 49 XXXXY, 48 XXYY (dans ces derniers cas, l’atteinte mentale est plus sévère).



Les hypogonadismes hypogonadotrophiques fonctionnels


Il est également facile de rattacher le retard pubertaire à une pathologie générale ; il s’agit alors d’un hypogonadisme hypogonadotrope fonctionnel et réversible avec la correction de la pathologie. C’est le cas des hypothyroïdies, des hypercorticismes (syndromes de Cushing ou iatrogènes), de l’insuffisance rénale, des malabsorptions digestives et autres malnutritions (en particulier l’anorexie mentale chez la fille qui représente la cause principale dans ce groupe d’étiologie).



Les hypogonadismes hypogonadotrophiques


Les principales causes sont résumées dans le tableau 18.1. Le diagnostic à l’adolescence n’est pas toujours simple, car il est difficile de distinguer un défaut gonadotrope (la puberté ne se produit pas car l’axe gonadotrope hypothalamo-hypophysaire ne s’active pas) du retard simple (l’axe n’est pas encore sorti de la quiescence de l’enfance) : dans les deux cas, les gonadotrophines FSH et LH sont basses.




Le retard pubertaire simple


C’est le diagnostic le plus fréquent, mais il est difficile à distinguer des hypogonadismes hypogonadotropes congénitaux ou acquis. Aucune exploration biologique ne permet d’affirmer le diagnostic de retard pubertaire simple qui reste un diagnostic d’exclusion et qui ne se confirmera que lorsque la puberté se déclenchera ou se maintiendra spontanément. Les arguments en faveur du diagnostic présomptif de retard simple de puberté sont indiqués dans le tableau 18.2.





Maladies chroniques et adolescence



Introduction


L’adolescence bouleverse l’équilibre progressivement établi entre la maladie chronique, le pédiatre, les parents (surtout la mère) et l’enfant malade.


Chez un enfant, la maladie chronique respecte et même amplifie les besoins psychologiques participant à son développement affectif. Ainsi elle renforce le lien de dépendance et le lien de soin qui tous deux caractérisent les relations entre l’enfant et ses parents. La maladie chronique instaure un lien de proximité privilégié, lien qui d’ailleurs n’est pas sans poser problème à la fratrie. Il n’est pas question d’ignorer la souffrance et les contraintes liées à la maladie mais de reconnaître aussi que chez l’enfant, pour ce qui concerne le développement psycho-affectif, cette maladie chronique respecte les exigences développementales. C’est probablement pour cette raison que les enfants malades chroniques font souvent preuve d’un grand équilibre affectif voire d’un réel épanouissement psychologique.


En revanche, à l’adolescence, la maladie chronique prend le contre-pied des exigences développementales :



Le passage de l’adolescence est toujours un temps difficile pour la personne atteinte d’une maladie chronique car ce passage s’accompagne d’un profond remaniement dans les relations entre :




La diversité des maladies chroniques


Nombreuses sont les études qui ont montré l’absence de corrélation entre une maladie particulière et l’expression d’un profil de personnalité ou d’un état psychopathologique défini. Tous les travaux sur un nombre suffisant d’individus malades chroniques montrent que ceux-ci se répartissent, au plan des traits de personnalité et des diverses pathologies mentales à peu près de la même manière que la population tout-venant. Il est donc important de reconnaître que la présence d’une maladie chronique ne peut, à elle seule, imposer au fonctionnement psychique des contraintes telles qu’elles aboutissent à un profil psychologique ou psychopathologique monomorphe.


Toutefois certaines maladies peuvent, par leurs caractéristiques, faciliter ou renforcer l’expression d’un trait comportemental, par exemple un comportement d’allure volontiers obsessionnelle chez le diabétique insulino-dépendant (sans que, cependant on retrouve une personnalité obsessionnelle).


Devant la grande diversité des maladies chroniques il peut sembler arbitraire de regrouper des situations cliniques aussi différentes où il faut prendre en compte :



• des maladies respectant l’intégrité physique (diabète insulino-dépendant) et des maladies qui s’expriment par des malformations ou des handicaps physiques (spina bifida) ;


• des maladies où une atteinte motrice est d’emblée fixée (amyotrophie spinale infantile) et des maladies où cette atteinte est évolutive et croissante (dystrophie musculaire de Duchenne) ;


• des maladies dont les symptômes sont présents en permanence (mucoviscidose), ou se manifestent par intervalle ou crise (asthme), poussée (arthrite juvénile), ou rechute (syndrome néphrotique) etc. ;


• des maladies où le pronostic vital est impliqué (myopathie de Duchenne, mucoviscidose), alors que pour d’autres il s’agit surtout d’un pronostic fonctionnel ;


• des maladies qui entravent la croissance (insuffisance rénale) ou qui la respectent (épilepsie) ;


• des maladies d’allure asymptomatique et non douloureuse et des maladies à poussées douloureuses (hémophilie, arthrite chronique, etc.).


À ces différences liées à la gravité, à la nature des maladies, il faudrait ajouter les différences liées aux traitements, aux contraintes qu’ils imposent : régimes, style de vie, obligations et interdictions diverses…


Face à cette diversité, l’enjeu en terme psychologique est relativement univoque : comment l’adolescent peut-il intégrer l’image d’un corps lésé dans un investissement narcissique qui ne soit pas lui aussi endommagé à travers une image de soi et/ou une estime de soi « lésées » : c’est à cette contradiction fondamentale qu’est confronté l’adolescent porteur d’une maladie chronique.


Cependant, si cet enjeu psychodynamique est commun à tous les adolescents il est essentiel de répéter que la maladie chronique ne provoque pas une pathologie mentale particulière et qu’il n’y a pas de corrélation entre un profil de personnalité précis et un type de maladie.


Grâce aux progrès de la médecine les enfants malades chroniques vivent plus longtemps. Selon S. Gortmacher et coll. (1984) 85 % des enfants nés avec une anomalie congénitale survivent à l’âge adulte. On rencontre donc de plus en plus souvent d’enfants malades chroniques qui accèdent à l’adolescence et la dépassent. La maladie de Duchenne est de ce point de vue un exemple caricatural. Mais en outre il n’est pas rare que les adolescents malades chroniques cumulent plusieurs problèmes de santé comme le montre l’enquête de P.W. Newacheck (1991). Ce cumul de problème semble corréler à une limitation des activités et à des troubles associés du comportement (conflits avec les pairs, isolement social, etc.).



Maladies graves survenant à l’adolescence


La situation de l’adolescent porteur d’une maladie chronique est très différente de celle de l’adolescent en bonne santé jusque-là et atteint à cet âge d’une maladie grave. En effet, les enjeux psychodynamiques énoncés dans le paragraphe suivant ne sont pas les mêmes. Au plan clinique, le comportement le plus fréquemment observé est une attitude de régression affective parfois intense, l’adolescent pouvant retrouver des comportements de petit enfant. Au plan psychodynamique, le vécu de culpabilité semble d’autant plus intense que l’éclosion de la maladie est concomitante du processus pubertaire ou des mouvements affectifs d’individuation–séparation. Il n’est pas rare que l’adolescent vive sa maladie comme la « sanction » des émergences pulsionnelles nouvelles. Dans la suite de ce chapitre nous aborderons uniquement la situation de l’enfant malade chronique devenu adolescent.



Les enjeux psychodynamiques



Impact de la maladie chronique sur la puberté et la croissance


Avant d’aborder le retentissement psychologique et psychopathologique de la maladie chronique sur l’adolescent, il importe de ne pas méconnaître les interactions somatiques entre cette maladie et le processus pubertaire (D.S. Rosen, 1991 ; P. Alvin, 1994). À cet âge, l’impact de la maladie chronique s’ajoute aux manifestations somatiques inhérentes à la maladie elle-même. En effet, certaines maladies chroniques provoquent :



Mais le processus pubertaire ou la poussée de croissance peuvent aussi avoir un impact sur la maladie provoquant :



D’un point de vue psychologique, ces faits peuvent renforcer le vécu négatif de l’individu face à sa maladie :



Le poids de ces effets somatiques sur la puberté et la croissance s’ajoutent aux symptômes de la maladie chronique que l’enfant connaissait et dont il avait l’habitude. Ces effets négatifs peuvent temporairement prendre le contre-pied des espérances entretenues par l’enfant et ses parents (bien se soigner pour ménager l’avenir, préserver la croissance, etc.) et accentuer le mouvement de déception, de désillusion et même de dépression (voir ci-dessous). Ils expliquent aussi en partie au plan cognitif l’accrochage en des croyances magiques ou archaïques cohabitant avec des connaissances rationnelles (voir ci-dessous).



Maladie chronique et individuation : le défi de l’autonomie


Il est bien évident que la présence d’une maladie chronique chez un enfant renforce les liens de dépendance entre l’enfant et ses parents d’un côté, l’enfant, les parents et l’équipe médicale de l’autre. Ces liens renforcés peuvent constituer des entraves aux processus d’adolescence. La nature de ces entraves dépendra en grande partie de la façon dont la maladie chronique a été dans l’enfance, intégrée au sein des interactions et des fantasmes parentaux. Elle dépendra aussi de la façon dont parents et enfant auront pu ou non élaborer la conflictualité inhérente à cette situation. C’est en particulier le cas pour le sentiment de culpabilité toujours présent chez les parents qui ont un enfant souffrant d’une maladie chronique grave. Cette culpabilité où se mêlent sentiment d’injustice, vécu agressif voire mortifère, désir de réparation, sentiment de faute, etc. est rarement l’objet d’un travail d’élaboration psychodynamique d’autant qu’elle est souvent transformée en une alliance réparatrice avec le corps médical pour « bien soigner » l’enfant (voir l’ouvrage Enfance et psychopathologie : l’enfant et la maladie chronique).



Liens parent(s)–adolescent

Les enquêtes épidémiologiques constatent la fréquente proximité entre l’adolescent et sa mère, les attitudes hyperprotectrices ou de contrôle excessif de la part des parents.


Habituellement il existe un lien privilégié de dépendance et de soin entre l’adolescent et sa mère qui peut être l’occasion de bénéfices secondaires importants, souvent de nature régressive ; les soins exigés par la maladie sont, à l’évidence, l’occasion d’une proximité corporelle accrue qui peut aller jusqu’à une quasi-délégation par l’enfant puis l’adolescent de son corps, en partie ou en totalité, à ses parents.


Dans les familles fonctionnelles, le lien renforcé entre l’enfant malade et le(s) parent(s) ne s’est pas développé aux dépens des liens entre les parents et la fratrie ou des liens conjugaux ; cependant il n’est pas rare que le lien privilégié mère-enfant malade ait modifié la qualité des autres liens familiaux expliquant la fréquence des conflits même si le divorce ne semble pas plus fréquent (B.F. Sabbeth et J.M. Leventhal, 1988) et des difficultés diverses dans la fratrie. Quand il existe ainsi un lien mère-enfant malade particulièrement intense et surtout d’allure exclusive ayant provoqué des perturbations dans les autres liens familiaux, la probabilité d’une conflictualité majeure autour de ce lien lors de l’adolescence est importante. Le lien de dépendance se teinte alors d’une ambivalence agressive–anxieuse majeure. Cette dépendance ambivalente et agressive-anxieuse est illustrée de façon caricaturale à travers certains comportements de non-observance de l’adolescent qui, par cette conduite, exprime parfois directement son agressivité et sa colère envers le parent. En même temps la mère accroît le contrôle, la surveillance, la sollicitude inquiète sur la vie quotidienne de l’adolescent du fait de son anxiété précisément justifiée et amplifiée par la non-observance.


Cette prise de distance dans le lien parents–adolescent malade nécessite donc le double mouvement de désengagement du lien œdipien comme pour tous les autres adolescents (voir chap. 1, Le second processus de séparation–individuation) mais il s’y ajoute en outre : du côté de l’adolescent la nécessité de renoncer au privilège du lien de soin régressif et aux bénéfices dont il avait pu être l’occasion. Du côté des parents, surtout de la mère, la capacité à accepter une prise d’autonomie et parfois de risque chez un enfant plus « fragile » que les autres, sans que cela provoque un surcroît d’anxiété propice au renforcement subreptice du lien dans d’autres secteurs de la vie sociale (par exemple : affecter de laisser l’adolescent diabétique autonome dans ses soins mais vérifier qu’il a bien pris « ses sucres », l’inscrire d’office au séjour de vacances des jeunes diabétiques…). Elle entraîne parfois un véritable état anxieux ou dépressif chez l’un ou l’autre parent.



Liens adolescents–pairs

Certaines études ne montrent pas de différence sur le plan des relations sociales et des amis entre adolescent malade et groupe témoin tandis que d’autres études rapportent des résultats contraires (L. Zirinsky, 1993). Les adolescents malades chroniques apparaissent souvent isolés, avec moins d’activités sociales, culturelles, de loisirs. Il est possible de penser que les liens accrus de dépendance familiale entravent l’établissement de ces liens sociaux. Par ailleurs, les effets de la maladie sur la puberté et la croissance accentuent encore l’écart entre l’adolescent et ses pairs majorant aussi bien la mise à distance ou le rejet (par les pairs) que la réaction de repli (par l’adolescent malade lui-même).


L’adolescent malade chronique risque de ce fait de ne pas trouver l’étayage indispensable sur les relations aux pairs pour entamer le mouvement de distanciation parents–adolescent. Cette difficulté est d’autant plus grande que les handicaps physiques et moteurs sont importants. Parfois seul le milieu médical ou la rencontre avec d’autres adolescents porteurs de pathologies identiques pourront procurer cette diversification relationnelle nécessaire. À l’opposé quand le handicap est minime ou que la maladie ne présente pas de signe manifeste, l’adolescent refuse tout contact avec des pairs porteurs de maladies identiques ou similaires mais en même temps dans ses relations avec des amis non malades chroniques, il éprouve le sentiment d’être « différent des autres ». Il faut noter que, très souvent, dans ses relations avec les pairs, l’adolescent malade privilégie la relation avec un ou deux amis plus que la relation avec le groupe ou la bande.


Quoi qu’il en soit, la capacité à établir des relations satisfaisantes avec les pairs semble représenter un facteur important d’autonomisation sociale, ce qui est évident, mais surtout d’amélioration de l’observance (I. Litt, 1984).

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on L’adolescence et les pathologies somatiques

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