La sexualité et ses troubles


La sexualité et ses troubles


Depuis Freud nous savons que le développement psychosexuel ne débute pas à l’adolescence. À travers des activités intéressant directement les organes génitaux, comme par exemple la masturbation, ou à partir des questions posées par l’enfant sur la différence entre un petit garçon et une petite fille, les adultes ne peuvent pas ignorer les préoccupations sexuelles infantiles. Pour les psychanalystes la sexualité infantile ne se limite pas aux activités et aux plaisirs qui dépendent du fonctionnement de l’appareil génital proprement dit, mais concerne en réalité l’ensemble du corps. L’adolescence et l’avènement de la puberté marquent cependant un tournant dans la sexualité de l’individu. Le développement de l’appareil génital, l’activité sexuelle qui y est liée et les modifications intrapsychiques qui en découlent, caractérisent en grande partie l’adolescence. En effet, la sexualité est un point focal de la vie de l’adolescent. Si ce chapitre se situe au terme de cette seconde partie consacrée aux diverses conduites de l’adolescence c’est parce que nous estimons que, à travers la sexualité, transparaît l’harmonisation possible ou non, de ces diverses conduites. En effet la sexualité inclut en elle-même une part d’agir, nécessite une élaboration mentale et mobilise le corps et son image. La mise en place d’une organisation sexuelle définitive, c’est-à-dire d’une organisation qui d’un point de vue somatique, psychologique et sociologique inclut maintenant les organes génitaux physiquement matures représente une des tâches fondamentales de l’adolescence. L’établissement de cette organisation ne se fait pas sans variation selon l’environnement socioculturel et selon les individus. En tout état de cause la tâche de l’adolescent sera de faire coïncider, et si possible de rendre satisfaisant à travers la réalisation sexuelle, l’impératif du besoin sexuel et le déploiement de ses fantasmes sexuels. Il est important chez l’adolescent de distinguer la réalisation sexuelle qui se situe au niveau comportemental, du fantasme et des fantaisies sexuelles qui se situent au niveau de la psyché.


Des difficultés inéluctables surgissent dans ce déroulement et peuvent prendre une signification psychopathologique. De ce point de vue une distinction fondamentale doit cependant toujours être présente à l’esprit : la distinction entre, d’un côté un comportement sexuel qui peut parfois prendre des allures inquiétantes par sa répétition ou son intensité sans pour autant rompre le développement psychique, et de l’autre des activités sexuelles qui représentent invariablement une dislocation dans ce développement psychique. En d’autres termes, il faut distinguer le comportement en soi et la façon dont il retentit sur la personnalité puis s’y intègre.


La sexualité de l’adolescent est sujet de curiosité, sujet d’inquiétude, sujet de nostalgie, sujet révélateur de l’évolution sociale. Au cours de ces cinquante dernières années, l’évolution de la représentation sociale des tabous sexuels et des menaces qui les justifient et les alimentent est intéressante à observer. On peut ainsi constater qu’on est passé du tabou sexuel associé à la crainte de la syphilis au tabou associé à la crainte du sida, en passant par la grossesse prématurée et les maladies sexuellement transmissibles (MST). Toutefois, les travaux sur cette question sont très hétérogènes. Il existe en effet une grande différence d’évaluation de la sexualité de l’adolescent selon la manière dont elle est appréhendée à travers diverses méthodes : enquêtes, le plus souvent statistiques anonymes et sur un grand nombre, des pratiques sexuelles des adolescents et des fantaisies conscientes ; ou au contraire analyse des fantaisies, des fantasmes sexuels et de leur retentissement dynamique sur l’équilibre psychoaffectif à travers le déroulement d’une psychothérapie individuelle.


Ceci nous a conduit à distinguer deux chapitres différents avec d’une part les études quantitatives et épidémiologiques et d’autre part la dynamique de la pulsion sexuelle et de la sexualité avec ses avatars (la physiologie de la puberté a été brièvement envisagée dans la première partie de cet ouvrage : voir chap. 1).



Données quantitatives et épidémiologiques


Plusieurs enquêtes françaises et étrangères ont étudié quantitativement les divers aspects du comportement sexuel et même certaines fantaisies sexuelles des adolescents. Nous ne citerons que quelques-unes d’entre elles.



L’orgasme


Selon le rapport Kinsey (1948), il semble exister une brusque augmentation de l’activité sexuelle surtout dans l’année qui précède la puberté. La fréquence maximale des orgasmes est atteinte dans la deuxième année qui suit la puberté. Chez la fille, il existe une augmentation régulière de l’activité sexuelle qui commence bien avant la puberté et qui se poursuit après cette dernière. Dans l’enquête de A.C. Kinsey, 20 % seulement des filles de 15 ans ont eu au moins un orgasme.



La masturbation


Bien que la masturbation comme activité sexuelle n’apparaisse presque jamais dans le discours spontané des adolescents (discours aux adultes, dans le cadre d’une enquête par entretiens non directifs réalisée par M.F. Castarede en 1976 à propos de la « vie psychosexuelle »), 90 % des garçons et 40 % des filles s’y adonnent pendant une période plus ou moins longue et avec une fréquence variable à l’adolescence (enquête faite anonymement). La masturbation amène à la première éjaculation dans 68 % des cas chez les garçons et au premier orgasme dans 84 % des cas chez les filles (A.C. Kinsey).



Les fantaisies sexuelles conscientes


Une enquête américaine sur les collégiens (enquête réalisée sur 1 177 collégiens) a étudié quantitativement les fantaisies sexuelles conscientes des adolescents. La très grande majorité des pensées ou rêveries citées en premier par ces adolescents était de caresser un partenaire que l’on aime ou de lui faire l’amour. Des fantaisies homosexuelles étaient citées par 3 % des adolescents ; des fantasmes sadiques par 24 % des garçons et 6 % des filles ; des fantasmes masochiques par 21 % des filles et 11 % des garçons ; des fantasmes voyeuristes par 35 % des garçons et 25 % des filles.



La première relation sexuelle


La date de survenue de la première relation sexuelle est particulièrement étudiée dans les différentes enquêtes ou études épidémiologiques. Dans les années 60 le rapport Simon en France apprécie la moyenne de l’âge du premier rapport sexuel à 19,2 pour les hommes et 20,5 ans pour les femmes ; 18 % des garçons et 4 % des filles ont eu leur premier rapport sexuel avant l’âge de 16 ans ; à 18 ans 46 % des garçons et seulement 20 % des filles. Dans l’enquête de M.F. Castarede, l’âge moyen des rapports sexuels des garçons est de 17 ans, celui des filles de 18 ans. Selon les Dossiers de l’Étudiant, en 1980, à 16 ans près de 37 % des lycéens ont déjà fait l’amour et seulement 19 % des lycéennes ; à 18 ans plus de la moitié des lycéens et 35 % des lycéennes. À travers la question souvent posée concernant la date de ces premiers rapports sexuels on s’interroge sur l’évolution des mœurs au cours des années. Aux États-Unis, une enquête a été effectuée à trois ans d’intervalle auprès d’adolescents âgés de 15 ans dans le même contexte socioculturel : en 1970, 25 % des garçons et 13 % des filles avaient eu un premier rapport ; en 1973, 38 % des garçons et 24 % des filles déclaraient avoir eu un premier rapport ; un tiers des adolescents âgés de 17 ans avaient eu un rapport sexuel, chiffre nettement plus élevé que celui du rapport de Kinsey vingt ans plus tôt. En France, les trois enquêtes citées ci-dessus montre une évolution comparable sur une période plus longue mais avec des populations étudiées différentes.


Trois autres données semblent caractériser l’évolution du comportement sexuel des adolescents au cours de ces vingt dernières années : les filles évoluent beaucoup plus rapidement que les garçons (les pourcentages statistiques ont beaucoup moins changé pour ces derniers que pour les premières) ; conséquence de ce changement, les jeunes font de plus en plus leurs premières expériences sexuelles avec des camarades du même âge ; enfin on note une homogénéisation progressive des comportements selon les différents milieux (Le Monde de l’Éducation).


En revanche, une distinction subsiste entre les garçons et les filles en ce qui concerne : 1) la poursuite des relations sexuelles : 8 % des garçons seulement contre 29 % des filles continuent avec le même partenaire ; 2) l’implication affective de ce premier rapport : 46 % des garçons disent ne pas être pour autant impliqués affectivement contre 8 % des filles (étude américaine précédemment citée et ayant eu lieu au cours des années 70).



L’homosexualité


L’homosexualité est souvent étudiée dans les enquêtes épidémiologiques. Il semble que les relations sexuelles proprement dites avec des personnes du même sexe restent rares à l’adolescence. Selon l’enquête des « Dossiers de l’Étudiant » citée précédemment, 4,6 % des lycéens et 2,9 % des lycéennes seraient concernés. Dans l’enquête de H. Lagrange et coll. (1997), 6 % des jeunes de 15 à 18 ans se disent attirés par le même sexe de façon exclusive ou non. La proportion de relations homosexuelles s’accroît à partir de 18-19 ans. Dans l’étude de M.F. Castarede, aucun adolescent ne mentionne spontanément une expérience homosexuelle dans son discours.



Conduites liées à la sexualité : contraception, avortement, grossesse


Nous citerons ici quelques chiffres concernant la contraception, l’avortement et la grossesse. La contraception chez les adolescentes reste semble-t-il assez peu utilisée puisque environ une fille sur quatre recourrait à un moyen contraceptif efficace. La nécessité de l’information sexuelle auprès des adolescentes apparaît encore plus clairement quand on sait qu’en France, en 1980, environ dix mille interruptions de grossesses sont pratiquées et trois mille accouchements se produisent chez des adolescentes entre 14 et 18 ans. Aux États-Unis, une étude datant de 1975 apprécie le nombre de grossesses chez les adolescentes à un million aboutissant à six cent mille naissances et quatre cent mille avortements. Le nombre de grossesses « illégitimes » aurait été multiplié par trois entre 1940 et 1975.



Les conduites sexuelles déviantes


Pour être complet, nous citerons la prostitution et les actes de viols qui semblent actuellement augmenter chez les adolescents. Ces conduites sexuelles déviantes s’inscrivent en général dans le vaste cadre de la délinquance juvénile.



Le développement psychosexuel à l’adolescence


Le développement psychosexuel à l’adolescence est sous la dépendance d’une série de facteurs organiques, cognitifs, affectifs et socioculturels.



Facteurs organiques


L’existence de facteurs organiques dont l’importance reste cependant inconnue est acceptée par tous dans le développement psychosexuel des adolescents : la libido est en partie sous la dépendance des hormones. Les stéroïdes sexuels ont un effet sur le comportement d’agressivité. À l’inverse, toute situation chronique de stress tend à bloquer l’activité gonadique et retarde ou atténue l’apparition des caractères sexuels. Cette apparition des caractères sexuels secondaires, la capacité physiologique d’avoir des relations sexuelles, la capacité de procréer représentent incontestablement un bouleversement physiologique et psychologique. « L’acquisition de la puberté est toujours une surprise. L’enfant en guette les signes, les constate, n’y croit pas, se met à y croire, à les intégrer semble-t-il et… se retrouve totalement étranger à ce qu’il était auparavant (et ceci quel que soit le sexe), que va-t-il faire de cette inquiétante étrangeté ? Je crois que pour tous, et pour refoulé que cela soit, il en aura éprouvé, ne serait-ce que fugacement, un moment de gloire auquel succède, tantôt comme une vague, tantôt comme une marée sournoise, l’angoisse. De l’aménagement de cette angoisse va dépendre l’avenir » (E. Kestemberg, 1980).



Facteurs cognitifs


La capacité cognitive nouvelle d’accéder au stade des opérations formelles et de les comprendre interfère avec la symbolisation de l’érotisme, l’appréhension, l’abstraction et la rationalisation nécessaire des transformations sexuelles, des scénarios imaginables, des relations sexuelles interpersonnelles et des conflits qui y sont associés. Sans que cette capacité cognitive soit le facteur déterminant d’une sexualité satisfaisante, elle est un élément du sens de la réciprocité et un moyen de modulation vis-à-vis des exigences pulsionnelles. A contrario, l’exemple des adolescents encéphalopathes et débiles profonds montre le rôle potentiellement aggravant d’une sexualité non intégrable. Il est d’observation courante de voir apparaître chez ces adolescents, lorsque émerge le besoin sexuel, des conduites chaotiques : masturbation violente, hétéro-agressivité sexuelle, provocation, exhibitionnisme sans contrôle, etc. Le plus souvent ces conduites sont immédiatement réfrénées par l’entourage, mais cette répression suscite alors une exacerbation des troubles symptomatiques antérieurs (stéréotypie, automutilation, etc.). L’intégration de la sexualité chez ces adolescents reste un problème majeur, souvent mal résolu, qu’il concerne la famille ou les diverses institutions où séjournent les adolescents.



Facteurs affectifs et relationnels


Nous insisterons plus largement sur les facteurs affectifs et relationnels. Les transformations intrapsychiques sont largement étudiées par les psychanalystes. Nous pouvons distinguer deux courants. D’un côté il y a ceux qui, dans la lignée de Freud, voient dans le développement psychosexuel de l’adolescence une nouvelle étape à laquelle l’individu accède avec une sexualité déjà établie et organisée dès l’enfance : l’adolescence n’est qu’une terminaison ou une reviviscence des expériences sexuelles infantiles déjà exprimées, qui seront complétées puis réalisées grâce à la transformation de l’appareil génital ; dans ce cadre on insiste sur la notion d’après-coup. D’autre part, il y a ceux qui, avec Erikson, insistent sur l’originalité profonde de l’adolescence, originalité liée justement aux nouvelles potentialités et aux nouvelles capacités.


Tous les psychanalystes sont cependant d’accord pour reconnaître qu’une partie importante de ce qui survient au cours du développement psychosexuel de l’adolescent dépend de ce qui s’est passé dans l’enfance, mais que l’expérience de la sexualité lors de l’adolescence est liée aux expériences actuelles et nouvelles.


Deux points particuliers méritent d’être abordés : l’image du corps et l’identité sexuelle.




Le choix d’objet1 sexuel


Le choix d’objet sexuel est soumis à l’ensemble des remaniements que constitue l’adolescence (voir chap. 1, Le modèle psychanalytique). Cependant, deux éléments nous paraissent prépondérants : 1) le regroupement des pulsions partielles au sein de la pulsion génitale subordonnée à l’aménagement de la capacité reproductive ; 2) l’harmonisation et la mise en équilibre à l’adolescence entre la lignée objectale et la lignée narcissique.


Tout choix d’objet sexuel à l’adolescence est soumis à ces deux éléments. De plus une série de passages, mouvements dynamiques, progrédients et régrédients, caractérisent le processus de l’adolescence, infiltrent le choix d’objet sexuel et ses difficultés et s’y reconnaissent :



Ces mouvements dynamiques s’expriment à travers le flottement transitoire dans le choix d’objet sexuel, flottement qui s’illustre lui-même à travers la multiplicité des conduites sexuelles. C’est le sens des oscillations entre l’hétérosexualité et l’homosexualité, entre l’attachement aux parents et l’amour porté à un nouvel objet, entre le groupe ou la bande et l’ami unique et idéalisé, entre le premier amour et la relation sexuelle de passage sans investissement affectif et durable.


Ainsi, le choix d’objet sexuel peut-il prendre une forme particulière à l’adolescence dans cette passion amoureuse qu’on appelle « premier amour » : « il s’agit d’une brutale effraction narcissique, d’une violence faite au Moi par un objet extérieur d’autant plus réel que ses qualités sont projectivement celles qui, dans le passé non mémorisable où s’est construit le narcissisme primaire, dans ce temps de la mégalomanie infantile, était celle de la mère : odeur, saveur, traces acoustiques… Cette trace heureusement traumatique ordonnera d’autres amours, des amours d’adultes… » (S. Daymas, 1980).



L’identité sexuelle


L’identité du Moi, concept développé par Erikson, diffère de l’image corporelle parce qu’elle englobe les identifications de l’individu et qu’elle met l’accent sur les interactions psychosociales. La recherche, puis la constitution de l’identité sont une des tâches importantes de l’adolescence. Une organisation stable de l’identité est considérée par les tenants de la psychanalyse dite génétique comme le signe de la fin de l’adolescence. Cette organisation stable de l’identité est acquise lorsque l’individu est parvenu à s’identifier de façon permanente dans ses objectifs, dans ses ambitions, dans sa sexualité et dans ses rapports avec l’autre sexe, à la fois sur le plan collectif social et sur le plan individuel, éthique. Ainsi, vis-à-vis de la question « quel type de personne suis-je ? », « les sentiments concernant la masculinité ou la féminité et les caractères qui y sont associés, tels que l’activité ou la passivité, la domination ou la soumission, jouent un rôle essentiel dans la réponse ». Cette identité sexuelle, partie intégrante et même souvent fondamentale de l’identité du Moi est appelée identité de genre. L’identité de genre (Gender Identity) rend compte du sexe psychique qu’on doit différencier du sexe biologique se manifestant à la puberté par l’apparition des caractères sexuels secondaires. Ce rappel est nécessaire pour mieux comprendre la divergence entre la position freudienne et la position des postfreudiens comme R.J. Stoller. Pour Freud, l’opposition féminin–masculin ne s’établit clairement qu’à l’adolescence, la sexualité étant caractérisée par l’opposition phallique–castré ; l’œdipe modifie la bisexualité psychique avec chez le garçon une identification masculine prépondérante sur l’identification féminine, et l’inverse chez la fille. Pour les auteurs qui ont succédé à Freud, l’identité sexuelle est acquise bien antérieurement à la puberté. R.J. Stoller distingue le sentiment précoce d’appartenir à un sexe et la réalité anatomique de son propre sexe, « identité nucléaire de genre » (apparaissant dans la petite enfance), du sentiment qui s’appuyant sur le premier s’élabore ultérieurement grâce à l’évolution libidinale décrite par Freud : identité sexuelle proprement dite ou « identité de genre ». Cette dernière s’établit pour Stoller avant la puberté car elle est issue directement du conflit œdipien. La masculinité et la féminité correspondent aux identifications secondaires constituées par l’enfant grâce au fantasme du complexe d’Œdipe. Le développement de cette identité de genre se poursuit intensément au moins jusqu’au terme de l’adolescence. Cette période, comme le souligne Erikson représente à la fois la dernière étape, mais également une menace pour l’achèvement de cette identité de genre.


Ainsi, l’accession à la sexualité génitale implique une organisation satisfaisante de l’identité sexuelle et des identifications. L’identité sexuelle se « construit » progressivement au cours des étapes successives de l’enfance et de l’adolescence. Cette construction entrecroise subtilement une ligne qu’on peut dire « narcissique » (N) où domine la question de la représentation pour le sujet de ce qu’est le sexe dans son corps et une ligne « objectale » (O) où domine la dimension relationnelle. On pourrait définir la première ligne comme le travail de mise en représentation préconsciente et consciente de la pulsion sexuelle ; cette ligne suit un long chemin déjà préparé par le complexe d’Œdipe et qui est réactivée par l’émergence de la puberté. On peut la résumer de la façon suivante (tableau 7.1) :



• (N1) « Le sexe que j’ai ». – C’est la phase de reconnaissance de son propre sexe qui correspond à l’affirmation narcissique/phallique de son identité sexuée. Certes, cette reconnaissance s’est affirmée dès l’enfance, au décours de la période œdipienne mais, à cet âge, elle reste précisément dominée par l’affirmation phallique. L’émergence pubertaire la réactualise et lui donne une réalité et une acuité tout à fait nouvelles. Classiquement, cette reconnaissance serait primaire chez le garçon (N1 précède N2), secondaire chez la fille (N2 précède N1) ;


• (N2) « Le sexe que je n’ai pas ». – C’est la phase de reconnaissance de la différence anatomique des sexes qui correspond à l’acceptation de l’épreuve de réalité dans le champ de la sexualité : « l’autre n’est pas comme moi ». Là encore, si ce constat de différence est en général acquis dès l’enfance (mais pas toujours) et mobilise la « curiosité sexuelle » d’une part, l’angoisse de castration d’autre part, cette différence reste assujettie au primat du phallus. Elle prend à l’adolescence une tout autre dimension précisément parce que le corps devenant pubère ce n’est plus simplement une question de curiosité psychique mais un éprouvé corporel qui peut être source d’angoisse, de perplexité ou de sentiment de persécution. (« Qu’est-ce que l’autre peut bien ressentir dans un corps si différent du mien ? ») ;


• (N3) « Il me manque quelque chose ». – C’est la phase d’acceptation de la castration symbolique pour l’un comme pour l’autre sexe : au-delà du constat de la différence anatomique des sexes, la puberté confronte le sujet au manque fondamental et structurel qui constitue toute personne : la pulsion génitale cherche son objet d’assouvissement. L’immaturité sexuelle avait jusque là « protégé » l’enfant de cette obligation de constat et lui avait donné par là même ce sentiment d’omnipotence infantile auquel l’adolescent doit précisément renoncer. C’est en ce sens que l’accession à la génitalité n’est pas seulement un gain, elle peut aussi être ressentie comme une perte relative (voir ci-après). Cette phase est spécifique à l’adolescence et il est probable que son acuité est bien plus intense à cet âge qu’elle le sera ultérieurement ;


• (N4) « L’autre est pourvu de ce qui me manque ». – C’est la phase de reconnaissance de la nécessaire complémentarité des sexes et par conséquent d’acceptation de la dépendance avec l’élaboration consécutive de la position dépressive. Au moment où l’adolescent voudrait affirmer sa totale indépendance, la pulsionnalité sexuelle le confronte au « besoin » de l’objet complémentaire d’abord (analogue sexuel du stade de l’objet partiel), de l’autre porteur de cet objet ensuite (objet total), ce qui peut être éprouvé comme une menace de persécution voire même d’aliénation. Accepter cette nécessaire complémentarité des sexes revient à accepter la finitude humaine et le besoin de relation auquel nul ne peut échapper ;


• (N5) La réalisation sexuelle. – C’est la phase au cours de laquelle le sujet se trouve confronté à ses fantaisies sexuelles à travers la scène imaginaire de l’accouplement, reprenant les scénarios de la « scène primitive » infantile, c’est-à-dire la manière dont l’enfant, à la période de la névrose infantile, pouvait fantasmer la sexualité parentale. La possible réalisation sexuelle réactualise ces fantasmes chez l’adolescent sous forme de « scènes pubertaires » de façon d’autant plus intense qu’il aura éprouvé les phases précédentes avec un sentiment d’angoisse ou de persécution. La nécessaire agressivité doit pouvoir être neutralisée par la libido de façon à ce que cette « scène génitale » (issu de la scène primitive via les scènes pubertaires) ne soit pas entièrement sous l’emprise des motions pulsionnelles de violence et de haine. Contenant-contenu doivent sinon se neutraliser du moins s’équilibrer dans une relation de confiance réciproque minimum. Deux fantasmes agressifs peuvent prédominer et empêcher ce relatif équilibre, celui de l’oralité dévorante ou celui de l’analité explosive :


– (N5a) « Le vagin n’est pas dangereux pour le pénis ». – C’est la phase de neutralisation de l’oralité agressive et de dégagement de la soumission à l’archaïque maternel dévorateur qui est symbolisée par le fantasme de la dangerosité du contenant pour tout contenu,


– (N5b) « Le pénis n’est pas dangereux pour le vagin ». – Phase de neutralisation de l’analité agressive et de dégagement de la soumission à la violence mâle destructrice qui est symbolisée par le fantasme de la dangerosité du contenu pour tout contenant.



Cependant, à côté de cette mise en représentation pour le sujet de sa pulsionnalité sexuelle, une seconde ligne de réaménagement doit s’opérer, celle où l’individu doit ré-élaborer sa relation à l’autre à partir de la nouveauté de sa position œdipienne post-pubertaire. En effet, le « pubertaire » qui est au fonctionnement psychique ce que la puberté est au fonctionnement du corps (Ph. Gutton, 1991) excite l’adolescent et le contraint au travail relationnel suivant (tableau 7.2) :



• (O1) « Le rapproché incestueux ». – C’est la phase qui pousse l’adolescent(e) vers son « objet incestueux », le parent de l’autre sexe. Mais en même temps ce mouvement le confronte à la menace incestueuse. Autant pendant l’enfance ce rapproché était inoffensif et même source d’un évident plaisir, autant à l’adolescence ce rapproché, tout en étant excitant, devient menaçant ;


• (O2) « La soumission isogénérique ». – C’est la phase qui pousse l’adolescent(e) à aller vers son « objet œdipien indirect », c’est-à-dire le parent du même sexe que lui, pour se protéger de la menace incestueuse. Mais en même temps, ce mouvement le confronte à la menace de la confusion identitaire : je suis trop proche, si je lui ressemble trop, je risque de ne plus savoir qui je suis. Alors que dans l’enfance ce rapprochement confortait la construction de l’identité, soudain à l’adolescence il devient une menace potentielle pour cette même identité ;


• (O3) « L’alliance aux pairs ». – Au cours de cette phase, l’adolescent(e) s’éloigne de son objet œdipien indirect, le parent du même sexe, pour ne pas s’y soumettre et s’y confondre. Désormais, il va chercher et tenter de trouver auprès des pairs surtout ceux de son sexe, les étayages nécessaires marqués par la barrière des générations (il y a des choses qu’on fait entre copains qu’on ne fait plus avec les adultes et surtout avec les parents), mais qui éveille le risque de l’homosexualité par-delà l’homophilie qui se caractérise par ce plaisir d’être tous ensemble et tous semblables ;


• (O4) « La découverte de l’objet d’amour ». – Cette phase inscrit l’adolescent(e) dans la relation à un autre différent de soi, tant au plan de la différence des sexes que de la radicale « altérité » d’autrui. Ainsi l’adolescent(e) se dégage de la menace homophilique et homosexuelle, mais il est confronté à la radicale altérité de l’autre, c’est-à-dire au sentiment de solitude.

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on La sexualité et ses troubles

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