« Nos yeux ne nous trompent […] pas seulement dans la grandeur des corps en eux-mêmes, mais aussi dans les rapports que les corps ont entre eux. »
Malebranche, La Recherche de la vérité
Agir dans le monde qui nous environne implique de pouvoir connaître les paramètres spatiaux des objets (volume, direction, mouvement), leurs relations spatiales, mais implique aussi de savoir mobiliser notre corps au sein d’un espace réel déjà connu ou exploré grâce à la lecture, sur carte ou sur plan, de relations topographiques. On peut, avec Hecaen (1972), distinguer les troubles de la perception spatiale et les troubles de la manipulation et de la mémoire des données spatiales et topographiques.
Les troubles de la perception spatiale
La désorientation visuelle de Holmes et Horrax
Elle regroupe les troubles de la localisation d’objets isolés, le malade pouvant déclarer que les objets lui semblent trop grands ou trop petits ou trop courbés ou trop proches ou trop éloignés ou parfois le désordre est confusément perçu (« Les choses ne ressemblent pas à ce qu’elles devraient. », Critchley, 1960). Ainsi les sujets ne peuvent-ils indiquer, dans un groupe d’objets, celui qui est le plus lointain ou le plus proche, le plus à droite ou le plus à gauche, le plus long ou le plus court ; il leur est difficile de pointer le doigt vers un stimulus ou de suivre un objet en mouvement. Ils peuvent avoir des difficultés à dénombrer des objets dans l’espace et ces troubles peuvent se limiter à un hémichamp visuel, même en l’absence d’Hémianopsiehémianopsie. Les difficultés peuvent prédominer dans l’espace proche. La Visionstéréoscopiquevision stéréoscopique peut aussi être défaillante, en sachant qu’il faut distinguer la perception de la profondeur réelle des objets dans l’espace et la perception de relief liée à la Visionbinoculairevision binoculaire. La perception du mouvement peut être abolie mais cette abolition peut aussi exister de manière isolée.
Les déficits des jugements de direction de lignes peuvent être objectivés en présentant au sujet des paires de lignes de direction différente et de choisir les deux lignes de même direction dans une disposition étalonnée disposée en éventail (Benton, 1978 ; figure 8.1).
Figure 8.1 |
Les troubles de la perception spatiale sont liés à des lésions postérieures des hémisphères cérébraux, particulièrement du côté droit.
Les troubles de la Rotation mentalerotation mentale désignent l’incapacité à imaginer, et donc à désigner dans une épreuve à choix multiple, comment évolue la représentation d’une figure quand elle tourne autour de son axe. Chez les sujets « normaux », le temps de réaction à des jugements de rotation est d’autant plus long que la valeur de l’angle de rotation est élevée. Les troubles de la rotation mentale peuvent s’observer après une lésion gauche comme après une lésion droite et il a été avancé que l’Hémisphèredroithémisphère droit assure la transformation des images mentales, tandis que l’Hémisphèregauchehémisphère gauche permet l’évocation des images à partir du stock mnésique.
L’ataxie et l’agnosie du miroir
L’être humain acquiert progressivement, tout au long de son enfance et à l’âge adulte, les adaptations visuomotrices nécessaires pour reconnaître ce qui est vu dans un miroir y compris son propre corps et pour agir sur l’objet « réel » en regardant l’objet « virtuel ». C’est ainsi que l’être humain peut se raser, se coiffer, se maquiller en se regardant et en guidant son action dans un miroir. L’ataxie du miroir et l’agnosie du miroir se caractérisent par l’incapacité d’atteindre un objet réel en regardant dans un miroir son image virtuelle.
L’ataxie du miroir se caractérise, dans ses formes sévères, par le fait que le patient à qui l’on demande d’attraper un objet réel en regardant dans un miroir son image virtuelle, dirige spontanément sa main vers l’objet virtuel sans pouvoir se corriger de façon autonome. Le sujet peut toutefois diriger sa main vers l’objet réel après que l’examinateur lui a indiqué la direction du mouvement à travers le miroir, encore que cette aide laisse persister des erreurs directionnelles, aussi bien avec le bras controlatéral qu’avec le bras homolatéral. Le trouble n’est pas de nature agnosique car l’objet réel est correctement distingué de son image virtuelle. Les formes mineures se caractérisent par des erreurs directionnelles, le sujet dirigeant néanmoins son bras non vers l’image virtuelle mais vers l’objet. Il n’y a pas de trouble au test de jugement de direction de lignes de Benton (voir figure 8.1).
L’agnosie du miroir se caractérise par l’incapacité de distinguer l’espace réel de l’espace virtuel vu dans le miroir : l’objet est ainsi localisé dans ou derrière le miroir et l’une et l’autre main se dirigent vers le miroir quand on demande au sujet d’attraper l’objet. Le sujet dirige parfois sa main vers l’objet réel, ce qui arrive plus souvent avec la main ipsilatérale à la lésion qu’avec la main controlatérale. Il existe des perturbations au test évaluant les capacités de Rotation mentalerotation mentale (Peters et al., 1995) et au test de jugement de lignes. Les lésions intéressent l’un ou l’autre lobe pariétal et s’expriment de manière bilatérale avec une plus grande sévérité pour l’hémicorps controlatéral.
Au cours des ataxies du miroir, les lésions sont localisées entre la partie postérieure de la portion inférieure du Gyruspostcentralgyrus postcentral et le Gyrussupramarginalgyrus supramarginal ainsi que dans la profondeur du Sillonintrapariétalantérieursillon intrapariétal antérieur. Au cours des agnosies du miroir, les lésions intéressent la jonction temporo-pariéto-occipitale au voisinage du Sillontemporal supérieursillon temporal supérieur (Binkofski et al., 1999).
Les troubles du maniement des données spatiales et de l’orientation topographique
La négligence spatiale unilatérale
La négligence spatiale unilatérale (voir p. 131) est une perturbation du traitement des données spatiales dont l’existence peut à elle seule rendre compte de troubles du maniement des données spatiales (comme s’orienter sur un plan) ou de la mémoire topographique (comme marcher dans une ville selon un itinéraire défini). Mais ces troubles peuvent exister intrinsèquement en dehors de toute Héminégligencehéminégligence. En outre, ainsi que le soulignent Hecaen et ses collaborateurs en 1956, ces troubles ne sont pas purement agnosiques : ils compromettent aussi l’action sur l’espace et ils sont étroitement associés avec des perturbations visuoconstructives, des Agraphieagraphies, des Alexiealexies ou des Acalculiespatialeacalculies spatiales, des Asomatognosieasomatognosies pour réaliser « un Syndromeapractognosiquesyndrome apractognosique du carrefour postérieur de l’hémisphère mineur ».
La planotopokinésie de Pierre Marie
Décrite par Pierre Marie en 1924, et désignée par Hecaen et ses collaborateurs en 1972 sous le nom de Pertedes notions topographiquesperte des notions topographiques, elle se caractérise par l’incapacité de s’orienter sur une carte. On peut la rechercher en étudiant les performances des sujets dans :
▪ la localisation des villes sur une carte muette ;