« Le souffle de la fausseté n’atteint aucunement le nombre ; car la fausseté combat et hait sa nature, tandis que la vérité est chose propre et connaturelle au nombre. »
Philolaos
Les nombres sont faits de chiffres répertoriés dans un lexique (douze, 12), unis entre eux par des Règle syntaxiquerègles syntaxiques (trois cent vingt et un, 321), bénéficiant tant au niveau de leur compréhension que de leur production de plusieurs types de signifiants (ou notations) dont deux sont essentiellement utilisés : la Notationverbalenotation verbale utilisée à l’oral et à l’écrit ; la Notationarabenotation arabe, utilisée à l’écrit. Ces deux types de notations bénéficient d’un Transcodagetranscodage mutuel permettant de passer d’un système à l’autre. Les nombres permettent des calculs exprimés sous forme de Signearithmétiquesignes arithmétiques qui peuvent être dits (multiplier), lus ou écrits verbalement (moins, plus…) ou symboliquement (−, +, =…) permettant ainsi de réaliser les quatre opérations de base. Ces opérations peuvent être effectuées mentalement ou par écrit en utilisant une disposition spatiale rigoureuse, comme l’alignement séquentiel de la droite vers la gauche des unités, dizaines, centaines… joint, dans l’addition par exemple, à un alignement vertical de chaque classe lexicale numérique.
Une Acalculieacalculie ou une Dyscalculiedyscalculie peut donc procéder de mécanismes multiples voire composites. La classification proposée en 1961 par Hecaen et ses collaborateurs peut fournir la matrice des situations rencontrées en clinique et qui conduit à distinguer :
▪ les acalculies en rapport avec des troubles de la lecture et de l’écriture des nombres, liées ou non à une alexie ou une agraphie verbale parfois dénommées Acalculieaphasiqueacalculies aphasiques ;
▪ les Acalculiespatialeacalculies spatiales ;
▪ les désordres du calcul lui-même ou Anarithmétieanarithmétie, pouvant correspondre à l’Acalculieprimaireacalculie primaire selon l’acception de Berger (1926) à opposer aux Acalculiesecondaireacalculies secondaires à des troubles du langage, de la mémoire, de l’attention ou à d’autres distorsions cognitives.
Les acalculies aphasiques et les déficits de la compréhension et de la production orales des nombres
Les alexies et les agraphies pour les chiffres et les nombres
L’incapacité de lire et d’écrire les nombres accompagne souvent mais non constamment une Aphasieaphasie et peut s’associer à une Apraxieidéatoireapraxie idéatoire ou Apraxieidéomotriceidéomotrice, à des désordres visuoconstructifs, à une Alexiepour les motsalexie pour les mots et Alexiepour les lettresles lettres, à une Agraphieagraphie. Mais des dissociations sont possibles entre la lecture et l’écriture des chiffres d’une part, des lettres et des mots d’autre part. Ainsi peut-on observer une incapacité sélective de la compréhension écrite des nombres, tant en Notationverbalenotation verbale qu’en Notationarabenotation arabe contrastant avec une compréhension normale des mots écrits. De même a pu être observée une agraphie pour les mots et les lettres coexistant avec une préservation de l’écriture des chiffres et des nombres. Si la plupart des alexies et des agraphies sont mixtes (lettres, nombres), on peut aussi observer des alexies verbales isolées, des Alexienuméralealexies numérales isolées, des Agraphieverbale isoléeagraphies verbales isolées et des Agraphieisolée pour les nombresagraphies isolées pour les nombres.
L’Alexiedes nombresalexie des nombres peut être globale ou intéresser les chiffres isolés (ce qui peut être considéré comme comparable à l’alexie littérale) ou encore les nombres avec perte de la signification positionnelle des chiffres, omission et inversion. De même peut-on distinguer une Agraphiepour les chiffres isolésagraphie pour les chiffres isolés et une agraphie pour les nombres (figure 6.1). L’alexie et l’agraphie pour les chiffres pourraient correspondre à une atteinte lexicale tandis que l’alexie et l’agraphie pour les nombres pourraient correspondre à l’atteinte des processus syntaxiques numériques permettant la combinaison des chiffres en nombres. Mais d’autres dissociations ont été observées :
▪ altération de la Compréhensiondes nombresécritscompréhension des nombres écrits en notation verbale (« Parmi les chiffres suivants, quel est le plus grand, trois cent quarante-huit ou deux cent cinquante-neuf ? ») contrastant avec la préservation de la compréhension des nombres écrits en notation arabe (348 et 259) ;
▪ altération de la Compréhensiondes signes arithmétiquescompréhension des signes arithmétiques écrits contrastant avec la préservation de la Compréhensiondes nombresécritscompréhension des nombres écrits quel que soit le système de notation, le même contraste s’observant aussi en écriture et en dénomination (chez deux patients avec une Aphasieamnésiqueaphasie amnésique et Aphasiede conductionde conduction).
Figure 6.1 D’après Hecaen H. Rev Neurol 1961 ; 105 (2) : 85-103 |
Les lésions observées dans les alexies et les agraphies pour les chiffres et les nombres intéressent plutôt l’Hémisphèregauchehémisphère gauche : les lésions peuvent être étendues en cas d’association à une aphasie mais l’alexie et l’agraphie pour les nombres paraissent électivement liées à des lésions du Lobepariétallobe pariétal et tout particulièrement du Gyrusangulairegyrus angulaire gauche, mais une atteinte associée du lobe pariétal droit est possible.
Les déficits de la compréhension et de la production orales des nombres
La Compréhensiondes nombrescompréhension orale des nombres peut être atteinte (avec échec aux comparaisons de nombres présentés verbalement), alors que les nombres écrits en chiffres arabes peuvent être aisément comparés et en l’absence de troubles de la compréhension générale.
La Productiondes nombresproduction des nombres peut être altérée à la lecture (alexie), à l’écrit (agraphie) mais aussi à l’oral avec, au cours d’aphasies fluentes, des substitutions de nombres à d’autres qui doivent être considérées comme des Paraphasieparaphasies : les performances des sujets en calcul sont alors altérées alors même que les capacités de Calculcalcul sont intrinsèquement préservées. Ainsi en est-il de ce patient, chez qui la lecture de nombres en chiffres arabes était préservée et qui, confronté au problème écrit « 4+5 », écrivait « 5 », disait « 8 » mais sur choix multiple indiquait la bonne réponse : « 9 ». L’étude du transcodage des nombres (du code arabe au code verbal et inversement) a pu montrer que les erreurs des Aphasiede Brocaaphasies de Broca évoquent un Déficitmorphosyntaxiquedéficit morphosyntaxique (avec bouleversement des classes lexicales : treize → 3 ; quinze → 50) alors que dans l’Aphasiede Wernickeaphasie de Wernicke les erreurs restent dans le cadre de la même classe lexicale (douze → 11).
Les acalculies spatiales
Elles se caractérisent par le bouleversement de l’agencement spatial des nombres qu’écrit le sujet avant de réaliser le calcul qui lui est demandé, alors que le principe même du calcul est conservé comme en témoigne la préservation habituelle du calcul mental. En effet les erreurs ne dépendent ni du type de calcul ni de sa complexité. L’acalculie spatialeAcalculiespatiale est souvent (deux fois sur trois pour Hecaen et ses collaborateurs) associée à une Agnosiespatialeunilatéraleagnosie spatiale unilatérale gauche et il est alors légitime de penser que les erreurs viennent de l’omission de la partie gauche des nombres et des opérations arithmétiques. Le problème est de savoir si toutes les acalculies spatiales relèvent d’une Héminégligencehéminégligence ou s’il existe des désordres spatiaux spécifiques pour le calcul. Il reste aussi que les acalculies spatiales peuvent s’associer à des perturbations visuoconstructives, à une Apraxiede l’habillageapraxie de l’habillage, à des Agnosiespatialeagnosies spatiales (et en particulier à une Planotopokinésieplanotopokinésie), à une Dyslexiede type spatialdyslexie de type spatial, à une Hémiasomatognosiehémiasomatognosie. L’existence de dissociations entre ces troubles et les acalculies spatiales montre qu’il est difficile de faire de ces acalculies une simple conséquence des troubles associés. Les lésions intéressent donc les régions postrolandiques (et en particulier pariéto-occipitales) de l’hémisphère droit mais des lésions bihémisphériques ont pu aussi être observées.