La cécité corticale et les agnosies visuelles

« Notre connaissance dérive de deux sources,


dont la première est la capacité de recevoir des représentations…

et la seconde, la faculté de connaître un objet au moyen de ces représentations…

Intuition et concepts, tels sont donc les éléments de toute notre connaissance…

Sans la sensibilité, nul objet ne nous serait donné,

sans l’entendement, nul ne serait pensé. »

Kant




La cécité corticale


La Cécitécorticalecécité corticale désigne l’abolition de la vision en rapport avec une destruction du cortex visuel occipital (Airestriéeaire striée ou Aire17aire 17 occupant le Silloncalcarinsillon calcarin et la face interne du Lobeoccipitallobe occipital) et plus généralement des Connexionsgéniculo-calcarines connexions géniculo-calcarines ou radiations optiques, ce qui a pu faire proposer le terme, resté peu usité, Cécitécérébralede cécité cérébrale. Ainsi définie, la cécité corticale doit être distinguée de :


▪ la double Hémianopsiehémianopsie, qui respecte la vision maculaire, donc la vision centrale, le malade voyant comme à travers « un canon de fusil ». Une double hémianopsie peut néanmoins précéder ou suivre une cécité corticale ;


▪ la Cécitépsychique de Munkcécité psychique de Munk où il n’y a pas disparition de la sensation visuelle et que l’on appelle maintenant agnosie visuelle (voir infra) ;


▪ la Cécitéhystériquecécité hystérique qui laisse le malade indifférent mais non anosognosique et au cours de laquelle il est possible de déclencher un réflexe de clignement à la menace mais dont le diagnostic peut être difficile ;


▪ la Cécitésimuléecécité simulée (dans le cadre d’un Syndromede Münchhausensyndrome de Münchhausen).


Description séméiologique


La cécité corticale (le plus souvent due à un Infarctusbioccipitalinfarctus bioccipital) peut s’installer soudainement ou de manière bégayante après une Hémianopsiehémianopsie unilatérale ou d’emblée bilatérale. Il s’agit d’une cécité « véritable », totale ou importante, pouvant laisser une vague perception de la lumière ou du mouvement. Cette cécité ne s’accompagne d’aucune anomalie du fond d’œil et les Réflexephotomoteur réflexes photomoteurs sont conservés alors que le Réflexede clignement à la menaceréflexe de clignement à la menace est aboli ; la capacité d’évoquer des images visuelles peut disparaître ; quand elle persiste, les couleurs sont absentes tout comme dans les rêves. Cette cécité s’accompagne souvent d’Anosognosieanosognosie (Syndromed’Antonsyndrome d’Anton), le malade se refusant à admettre qu’il est aveugle même s’il se cogne aux obstacles en marchant ; l’anosognosie peut parfois se réduire à une indifférence ou à une appréciation partielle de l’importance du déficit visuel. La réalité de cette méconnaissance de la cécité a été discutée : en effet, il peut exister des Hallucinationvisuellehallucinations visuelles simples ou élaborées qui expliqueraient alors la négation de la cécité ; il peut par ailleurs s’associer à la cécité une Amnésieantérogradeamnésie antérograde, le fait d’être aveugle ne pouvant donc pas être mémorisé et parfois il existe aussi une Confabulation visuelleconfabulation visuelle remplaçant la perception absente par des souvenirs visuels. Mais l’anosognosie peut être irréductible à ces explications. La cécité corticale est rarement isolée. Elle peut s’accompagner d’une Confusionmentale confusion mentale, d’une désorientation spatiale, d’une acalculie, de troubles sensitivo-moteurs dimidiés, d’une Amnésiekorsakovienneamnésie korsakovienne par un Infarctusde l’artèrecérébrale postérieureinfarctus bilatéral des cérébrales postérieures lésant les Lobeoccipitallobes occipitaux et les Hippocampehippocampes et réalisant le Syndromede Dide-Botcazosyndrome de Dide-Botcazo.

Sur le plan oculomoteur, on ne peut pas obtenir de mouvement de poursuite et le Nystagmus optocinétiquenystagmus optocinétique est aboli, mais les mouvements volontaires sur ordre et la Motilitéoculaire automatico-réflexemotilité oculaire automatico-réflexe sont préservés. Sur le plan électroencéphalographique, l’alpha est aboli, ou diminué d’amplitude avec une réaction d’arrêt abolie et une absence d’entraînement à la stimulation lumineuse intermittente. Des ondes lentes delta, souvent plates, et plus rarement des anomalies épileptiques peuvent intéresser les régions postérieures. Les Potentielsévoquésvisuelspotentiels évoqués visuels peuvent être altérés ou abolis mais la présence d’une onde P100 normale ne permet pas d’exclure une cécité corticale.


Étiologie et pronostic


Des cécités corticales régressives peuvent s’observer comme manifestations épileptique, migraineuse ou de l’Encéphalopathiehypertensiveencéphalopathie hypertensive. Les cécités corticales durables sont le plus souvent de cause ischémique, par infarctus des cérébrales postérieures ou du Infarctusdu tronc basilairetronc basilaire ; des cécités ischémiques peuvent aussi compliquer l’Angiographiecérébraleangiographie cérébrale et la Chirurgiecardiaquechirurgie cardiaque. Les autres étiologies sont l’Encéphalopathieanoxiqueencéphalopathie anoxique, l’Intoxicationoxycarbonée intoxication oxycarbonée et, plus rarement, les Traumatismecraniocérébraltraumatismes craniocérébraux ou les Tumeurs tumeurs, ces dernières pouvant se compliquer d’une Ischémie des cérébrales postérieuresischémie des cérébrales postérieures lors d’un engagement.

Le pronostic est sombre quand la perte de vision est totale, sans perception de lumière, quand la cécité est liée à un infarctus spontané (encore que les accidents artériographiques et postchirurgicaux puissent aussi être de mauvais pronostic) et surtout quand la tomodensitométrie objective des lésions bioccipitales. L’amélioration, quand elle existe, commence par la vision de la lumière et se poursuit par la perception du mouvement ou des couleurs et enfin des formes. La régression peut être partielle, le malade gardant une agnosie visuelle plus ou moins massive.


Les agnosies visuelles


Les informations visuelles élémentaires cheminant de la rétine aux corps genouillés externes puis à l’aire striée (ou Airevisuelleprimaire aire visuelle primaire ou Aire17 aire 17 ou AireV1aire V1 du singe) font ensuite l’objet d’un traitement séparé pour la forme, la couleur, le mouvement au niveau des aires extrastriées (numérotées de AireV2V2 à AireV5V5) : il existe donc une spécialisation fonctionnelle des Aireextrastriéeaires extrastriées étalées dans la région occipito-temporale de la même manière que le traitement des attributs spatiaux des informations visuelles est assuré par la région occipito-pariétale. Ainsi, les informations visuelles parvenant au Lobeoccipitallobe occipital cheminent par deux systèmes. L’un, archaïque, est le Systèmemagnocellulairesystème magnocellulaire, empruntant les Tuberculesquadrijumeaux antérieurs tubercules quadrijumeaux antérieurs (colliculi superiores), se projetant de manière dorsale vers la région occipito-pariétale et qui permet la localisation de l’information visuelle (where ?) en vue d’agir sur l’objet perçu (par exemple l’atteindre et s’en saisir : how ?). Le second système est le Systèmeparvocellulaire système parvocellulaire, plus récent, de trajet ventral, se projetant vers le Cortexoccipito-temporalcortex occipito-temporal, qui a pour fonction l’analyse et l’identification de l’information. Ainsi, sitôt la Réactiond’orientationréaction d’orientation mise en œuvre, le cerveau opère en induisant la meilleure rencontre visuelle et visuo-motrice de la stimulation (le « où » de la Voieoccipito-pariétalevoie occipito-pariétale) avant même d’effectuer les traitements nécessaires à l’identification du stimulus (le « quoi » de la voie occipito-temporale). Les agnosies visuelles et les ataxies optiques montrent les conséquences des lésions de chacun de ces deux canaux, l’un dévolu à la perception pour l’identification, l’autre dévolu à la perception pour l’action (voir encadré 7.1 et figure 7.8).

Encadré 7.1
La perception pour identifier (what ?) et la perception pour agir (where ? how ?)(figure 7.8)



Après les travaux de Mishkin et al. (1982, 1983) le modèle de Goodale et Milner (1992) établissait qu’à partir du cortex visuel primaire, le traitement des informations visuelles se scindait en deux flux, l’un, ventral, permettant de « voir pour percevoir » (qu’est-ce ? : what ?), l’autre, dorsal, permettant de « voir pour agir » (où et comment : where ? how ?).

Le flux ventral, cheminant vers le cortex temporal inférieur, permet l’identification de l’objet et de son environnement spatial. Les traitements effectués sont centrés sur l’objet de la perception (référence allocentrique). Mais le flux ventral permet aussi de planifier une éventuelle action à déployer en direction de l’objet « perçu ».

Le flux dorsal, cheminant vers le cortex pariétal supérieur, permet la programmation et le contrôle des mouvements nécessaires pour mener l’action souhaitée (par exemple, atteindre l’objet et le prendre avec la main) en utilisant les informations sur la taille, la forme, la localisation de l’objet. Il ne s’agit pas seulement de repérer l’objet (where ?) mais aussi de déterminer comment agir sur lui (how ?). Les traitements effectués sont centrés sur le sujet « percevant » (référence égocentrique).

Ainsi, le système ventral est un dispositif de connaissance et concerne la « conscience visuelle de l’objet » ; son atteinte provoque une agnosie visuelle. Le système dorsal dont l’atteinte donne une ataxie optique permet le contrôle « en temps réel » (online) de la programmation motrice nécessaire pour se diriger vers l’objet et éventuellement s’en saisir. Ce comportement visuomoteur nécessite que le membre supérieur se dirige vers l’objet (reaching) et que, s’il doit être saisi (grasping) l’écart entre le pouce et les doigts, en particulier l’index et/ou le majeur (pince pollici-digitale) adapte son amplitude à la taille et à la forme de l’objet.

On comprend alors que la stimulation magnétique transcrânienne en regard du cortex pariétal postérieur ait pu sélectivement perturber la capacité d’atteindre une cible visuelle (Desmurget, 1999). Quant à la malade DF étudiée par James et al. (2003) et qui avait des lésions bilatérales de la voie ventrale dans les régions ventrolatérales du cortex occipital, elle avait une agnosie visuelle mais avait des mouvements de préhension adaptés pour se saisir d’objets qu’elle ne reconnaissait pas et qu’elle ne pouvait pas non plus discriminer en fonction de leur taille.

Si la perception pour la vision est à la fois inconsciente et consciente, la procédure utilisée pour la perception pour l’action, à savoir l’information visuelle nécessaire pour programmer et contrôler les mouvements est automatique et inconsciente.

Les traitements effectués par le flux dorsal sont plus rapides que ceux effectués par le flux ventral.

Les traitements effectués par le flux dorsal proviennent plutôt de la vision périphérique, alors que ceux effectués par le flux ventral proviennent plutôt de la vision centrale. Il est vrai que la détérioration de la capacité d’atteindre une cible, c’est-à-dire l’ataxie optique est souvent plus évidente en vision périphérique qu’en vision centrale. Mais il ne s’agit pas d’une règle absolue. En effet, la capacité de se saisir d’un objet, si elle est moins altérée en vision centrale, n’est pas pour autant normale. Toutefois, il est non moins vrai que l’ataxie optique peut ne se manifester qu’en vision périphérique, tandis que les mouvements effectués en vision centrale, accompagnés d’une saccade oculaire de capture fovéale de l’objet, ne sont pas affectés (Prado, 2005).

Les deux circuits naissent de cellules rétiniennes différentes. Le circuit parvocellulaire (flux ventral) serait dévolu aux informations de forme et de couleur. Le circuit magnocellulaire (flux dorsal) serait dévolu au traitement du mouvement.

Les nombreux travaux effectués avec des illusions perceptives montrent en règle qu’elles n’affectent pas les comportements visuomoteurs. La prise en compte et l’évitement d’obstacles situés sur la trajectoire d’une cible à atteindre dépendent de l’intégrité de la voie ventrale. Ainsi, cette capacité d’évitement est préservée chez la malade DF et altérée en cas d’atteinte du flux dorsal comme chez le malade atteint d’ataxie optique rapporté par Schindler (2204).

Les traitements perceptifs essentiels à l’identification visuelle et gérés par la voie ventrale nécessitent la confrontation des informations perçues avec un système de stockage des connaissances perceptives. Les capacités de stockage à court terme de la voie dorsale sont limitées : ainsi la malade DF pouvait pointer vers une cible « en temps réel » mais ses performances se détérioraient quand un délai séparait la présentation du stimulus et la réponse. Ces constatations suggèrent que le pointage immédiat dépend bien de l’intégrité de la voie dorsale alors que le pointage avec délai nécessite la participation de la voie ventrale, altérée chez la malade DF. Au contraire, les malades atteints d’ataxie optique améliorent leur capacité d’atteindre une cible quand un délai est imposé, ce qui est possible grâce à l’intervention de leur voie ventrale, intacte : les sujets utilisent alors la mémorisation de la localisation permise par le traitement perceptif de l’information visuelle. En outre, les patients atteints d’ataxie optique ont un déficit net de l’évaluation de l’écartement de la pince digitale nécessaire pour se saisir des objets qui leur sont présentés, alors qu’ils peuvent être capables en voyant l’objet, et en dehors de tout geste dirigé vers cet objet, d’estimer l’amplitude de la pince digitale qui serait nécessaire pour saisir l’objet. À l’inverse la malade agnosique avec lésions ventrales bilatérales de Goodale et al. (1991) peut diriger correctement sa main vers un objet, et adapter sa pince digitale à la taille de l’objet ; par contre elle se révèle incapable d’estimer correctement la taille d’un objet par l’amplitude de l’écart entre le pouce et l’index. Il semble donc bien exister une double dissociation entre les capacités préservées et atteintes lors des lésions des voies ventrale et dorsale, ce qui, en neuropsychologie, est un argument en faveur de la validité de la distinction des fonctions de ces deux voies.

Néanmoins ces deux flux ne sont pas étanches. Au niveau des aires visuelles, des connexions existent entre V1 et V2 d’une part, V3, V4, V5 d’autre part. Les fibres issues de V4 se projettent (aussi) en pariétal et les fibres issues de V5 se projettent aussi bien que de manière moindre en temporal. D’importantes connexions relient le sulcus temporal supérieur au cortex pariétal. Dépassant la dualité anatomique de ces systèmes de traitement des informations visuelles, Jeannerod (1997) préfère distinguer l’analyse sémantique et l’analyse pragmatique des informations visuelles. Une même information visuelle peut générer l’une et l’autre analyse ; ces deux types d’analyse peuvent aussi se compléter pour une meilleure efficacité et de la perception et de l’action.


Bibliographie


Creem, S.H.; Proffitt, D.R., Defining the cortical visual systems : “What”, Where“, and “How”, Acta Psychologica 17 (2001) 4368.

Desmurget, M.; Epstein, C.M.; Turner, R.S.; Prablanc, C.; Alexander, G.E.; Grafton, S.T., Role of the posterieur parietal cortex in updating reaching movements to a visual target, Nature Neuroscience 2 (1999) 563567.

Goodale, M.A.; Milner, A.D.; Jakobson, L.S.; Carey, D.P., Perceiving the world and grasping it. A neurological dissociation, Nature 349 (1991) 154156.

Jeannerod, M., The cognitive neuroscience of action. (1997) Blackwell, Oxford .

Milner, A.D.; Goodale, M.A., Two visual systems revizwed, Neuropsychologia 46 (2008) 774785.

Mishkin, M.; Ungerleider, L.G.; Macko, K.A., Object vision and spatial vision: two cortical pathways, Trends in Neuroscience 6 (1983) 414417.

Schindler, I.; Rice, N.J.; McIntosh, R.D.; Rossetti, Y.; Vighetto, A.; Milner, A.D., Automatic avoidance of obstacles is a dorsal stream function: Evidence from optic ataxia, Nature Neurosciences 7 (2004) 779784.

La cécité corticale est définie par l’abolition des sensations visuelles : même si ces dernières sont préservées, il reste ensuite à effectuer les traitements perceptifs conçus comme l’intégration d’un ensemble de sensations permettant ensuite d’aboutir à la connaissance de notre environnement visible. L’agnosie, qui peut intéresser tout canal sensoriel, désigne, dans le cadre de la vision, l’incapacité d’accéder à la reconnaissance de certains composants du monde visuel, en l’absence de tout trouble sensoriel élémentaire, d’aphasie, de perturbations intellectuelles. Il s’agit, selon l’expression de Teuber (1968), « d’une perception dépouillée de sa signification ». Une Agnosievisuelleagnosie visuelle est pure quand elle se limite au seul canal sensoriel de la vision alors qu’elle est parfois associée à une agnosie tactile ou auditive. Les agnosies visuelles peuvent intéresser les objets, les images, les couleurs, les physionomies, ces déficits s’associant fréquemment entre eux. Elles peuvent exceptionnellement intéresser un seul hémichamp visuel : on parle alors d’une Hémiagnosiehémiagnosie.


Les agnosies visuelles des objets


La préservation d’une sensoricité visuelle est nécessaire à l’individualisation d’une agnosie visuelle mais un examen fin de la vision peut, chez ces malades, s’avérer difficile et, en présence d’une anomalie de la vision, il faut déterminer si elle peut à elle seule expliquer le déficit de la reconnaissance visuelle. Il faut donc disposer au moins d’une mesure de l’acuité visuelle, d’une périmétrie qui peut montrer une Hémianopsiehémianopsie latérale homonyme d’un enregistrement du nystagmus optocinétique (qui peut être normal ou asymétrique) ; des Potentielsévoquésvisuels potentiels évoqués visuels normaux ou unilatéralement altérés ne permettent pas d’exclure une Cécitécorticale cécité corticale (voir supra). Il est utile de pouvoir disposer d’une étude de la sensibilité au contraste pour les différentes gammes de fréquences spatiales mais il faut bien admettre qu’il n’existe pas une limite nette mais un continuum entre les sensations visuelles élémentaires et la perception et qu’un déficit de la Sensibilitéau contrastesensibilité aux contrastes, s’il peut rendre plus difficile l’analyse perceptive, ne donne pas cliniquement le change avec une agnosie visuelle. La vision des couleurs doit aussi être analysée (voir infra).

Il reste cliniquement efficace, même si les intrications sont fréquentes, de continuer de distinguer, depuis la féconde approche de Lissauer (1890), deux types d’agnosies visuelles : aperceptive et associative.


L’agnosie aperceptive


Elle désigne l’incapacité pour le malade d’accéder à la structuration perceptive des sensations visuelles : il s’agit donc de l’atteinte de l’étape « discriminative » de l’identification visuelle : ces malades sont incapables de dessiner un objet ou son image, d’apparier entre eux des objets ou des images, d’apparier entre eux des objets de même morphologie ou de même fonction. Ils sont conscients de leurs difficultés d’identification visuelle et regardent avec perplexité ce qu’on leur demande de reconnaître : ils tentent d’identifier, en examinant et en proposant une description pour certaines parties de l’objet ou pour certains détails, des images et les erreurs sont surtout de type morphologique (chapeau de paille → anneau ; ciseaux → un rond… du métal… une sorte d’outil…). Un « détail critique » peut permettre l’identification (« ça pourrait être une voile… ah! c’est un bateau sur la mer ») ou entraîner une erreur (« une roue… peut-être une bicyclette », alors qu’il s’agit d’une carriole). La mobilisation de l’objet peut faciliter son identification de même que le fait de mimer son utilisation, ce qui expose toutefois à des erreurs : ainsi le fait de montrer une cuillère et de la porter à la bouche peut la faire identifier comme un cigare. Dans les formes non massives, les échecs portent sur l’identification d’images fragmentaires progressivement enrichies de détails et sur l’identification d’images superposées et emmêlées comme le Testde Poppelreuter test de Poppelreuter (figure 7.1) et le Testde Lilia Ghenttest de Lilia Ghent (figure 7.2). En revanche, l’objet est reconnu s’il est palpé ou s’il émet un bruit spécifique et il peut être dénommé sur définition verbale ou défini après avoir été dénommé au sujet. L’agnosie aperceptive peut s’accompagner de troubles du champ visuel uni- ou bilatéraux, en particulier d’une Hémianopsiehémianopsie altitudinale, d’une Achromatopsieachromatopsie, d’une Prosopagnosieprosopagnosie. Les lésions observées sont bilatérales et postérieures, pariéto-temporo-occipitales, parfois étendues et diffuses, difficilement systématisables, parfois plus localisées et permettant alors d’impliquer les circonvolutions temporo-occipitales inférieures, c’est-à-dire le gyrus lingual et le gyrus fusiforme. Les étiologies correspondent à des Infarctusde l’artèrecérébrale postérieureinfarctus du territoire des cérébrales postérieures et à des Intoxicationspar l’oxyde de carbone intoxications par l’oxyde de carbone ; il existe aussi des cas de nature tumorale ou traumatique.








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Figure 7.1
Le Testde Poppelreutertest de Poppelreuter.









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Figure 7.2
L’épreuve des dessins emmêlés de Testde Lilia GhentLilia Ghent.a. Le sujet doit identifier chaque dessin. b. En cas d’échec, une épreuve à choix multiple est proposée.


Il peut exister des Agnosiepour les formesagnosies pour les formes ne permettant plus de discriminer les figures géométriques élémentaires (cercles, carrés, triangles…), ce qui explique l’incapacité d’identification des perceptions plus élaborées (objets et images) : ce déficit peut être conçu comme un trouble sensoriel ou comme une variété d’agnosie aperceptive (voir infra). On a pu aussi observer une incapacité d’identifier le mouvement. La Simultagnosiesimultagnosie ou Agnosiesimultanéeagnosie simultanée, décrite par Wolpert en 1924, désigne l’incapacité de reconnaître des images complexes alors que des détails, des fragments, ou des objets isolés peuvent être perçus sans qu’une synthèse cohérente ne puisse être faite ; les sujets ne peuvent pas voir plus d’un objet à la fois. On distingue une simultagnosie dite dorsale, par lésion pariéto-occipitale bilatérale, souvent associée à un Syndromede Balintsyndrome de Balint et qui pourrait être reliée aux désordres oculomoteurs (la mobilisation de l’objet aggrave d’ailleurs le trouble) et une simultagnosie dite ventrale, par lésion de la Jonctiontemporo-occipitalejonction temporo-occipitale gauche, habituellement moins sévère, associée à une Alexied’épellationalexie d’épellation et qui pourrait relever d’un trouble perceptif. Le déficit de la Catégorisation perceptive catégorisation perceptive désigne l’incapacité des sujets à apparier des images d’objets identiques prises sous deux angles différents : l’un conventionnel et l’autre inhabituel. Ce trouble qui intéresse la constance de l’objet n’a guère de retentissement sur la vie quotidienne. Tout se passe comme si les sujets ne pouvaient pas accéder aux représentations structurelles mémorisées des objets. Le Modèlede Marrmodèle de Marr (figure 7.3) postule que l’identification visuelle commence par une étape égocentrée, comportant une esquisse primaire de l’objet reposant sur l’analyse de la répartition des sensations lumineuses, puis une esquisse dite en 2,5D permettant d’appréhender l’orientation et la profondeur des surfaces visibles du seul « point de vue » du sujet. La Représentation3 Dreprésentation 3D constitue l’étape ultérieure permettant une reconnaissance centrée sur l’objet donc « sur toutes ses faces » : on pourrait aussi considérer que c’est à cette étape que ne pourraient pas accéder les malades atteints d’un déficit de la catégorisation perceptive. Il a aussi pu être postulé que la reconnaissance des objets dépende de traits distinctifs activant des représentations volumétriques des objets : la lésion cérébrale aboutit au fait que les traits distinctifs des objets présentés sous un angle inhabituel sont insuffisants pour que les représentations correspondantes puissent être activées. Les lésions intéressent la partie postérieure de l’Hémisphèredroithémisphère droit.








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Figure 7.3
Mise en parallèle des Modèlede Marrmodèles de Marr (à gauche), de Modèle de Hymphreys et RiddochHumphreys et Riddoch avec figuration des étapes du traitement des informations visuelles et de leurs altérations dans les différentes variétés d’Agnosie visuelleagnosie visuelle.

(1 à 6, voir texte p. 105 et 109)


L’agnosie associative


Elle se caractérise par l’intégrité de la perception : les sujets, qui ne se plaignent pas de leur vue, ne reconnaissent pas les objets mais ils sont capables de les décrire, de les dessiner en copie. Ils ne peuvent pas apparier des objets sur une base catégorielle ou fonctionnelle ; les erreurs d’identification peuvent être morphologiques, fonctionnelles ou persévératives. La désignation d’objet peut être un peu moins mal réussie que l’identification visuelle par la dénomination ou le geste. Par contre les patients peuvent montrer l’usage des objets sur consigne verbale (« Montrez-moi comment on se sert de… »). L’identification des images est généralement plus difficile que celle des objets. Dans les cas purs le déficit de reconnaissance est limité à l’identification visuelle et les sujets reconnaissent efficacement en modalité tactile tout comme ils peuvent être capables de classer les étiquettes verbales d’images quand elles sont présentées oralement. L’agnosie associative est souvent associée à une Hémianopsiehémianopsie latérale homonyme (communément droite, exceptionnellement gauche), à une Prosopagnosieprosopagnosie ou à une Anomiedes visagesanomie des visages, à une agnosie ou à une Anomiedes couleursanomie des couleurs, à une Alexiealexie. Les lésions intéressent typiquement la région postérieure (occipito-temporo-pariétale) de l’Hémisphèregauchehémisphère gauche ou des deux hémisphères. Deux types d’agnosie visuelle associative peuvent être distingués. Le premier, agnosie associative stricto sensu, se caractérise par des erreurs surtout morphologiques en dénomination visuelle alors que la reconnaissance tactile est préservée, la copie des dessins figuratifs est possible mais laborieuse et servile, plus malaisée que le dessin sur consigne verbale ; les objets réels sont mieux reconnus que les images ; les difficultés sont majeures quand les dessins sont fragmentés, incomplets ou quand les objets sont présentés sous des angles inhabituels et s’il existe un accès à la forme, cet accès est imparfait. Les malades se plaignent de difficultés visuelles. C’est ce type d’agnosie associative qui est associé à une prosopagnosie, à une Achromatopsieachromatopsie et parfois à une alexie totale. Comme l’agnosie aperceptive, les lésions, bilatérales, impliquent le Gyruslingualgyrus lingual et le Gyrusfusiformegyrus fusiforme ce qui reviendrait à faire de l’agnosie associative stricto sensu une forme fruste d’agnosie aperceptive. La seconde variété, Agnosieassociativemultimodaleagnosie associative multimodale (ou polymodale), se caractérise par des erreurs surtout sémantiques et persévératives en dénomination ; les objets, bien qu’utilisés dans la vie de tous les jours, ne sont pas reconnus et, sur ordre, les malades ne peuvent en mimer l’usage, alors que les dessins d’objets comme leur appariement témoignent de la qualité d’accès à la forme. Cependant le déficit de l’identification n’est pas typiquement limité à la sphère visuelle et peut intéresser aussi la palpation ou l’audition (la cloche, bien que dessinée, ne peut être identifiée ni par sa forme ni par son bruit). Le Systèmesémantiquesystème sémantique, exploré par voie verbale, est altéré (ce qui renvoie au concept d’Agnosieasémantiqueagnosie asémantique exposé ci-dessous) ; la définition des mots concrets est médiocre, contrairement aux mots abstraits ; le dessin est difficilement réalisé sur consigne verbale. Une anomie des couleurs et une Alexiesans agraphiealexie sans agraphie sont volontiers associées. Les lésions expriment la désactivation de l’Aire39aire 39 (Gyrusangulairegyrus angulaire gauche) conçue comme une Airede convergence polymodaleaire de convergence polymodale permettant le traitement des informations sensorielles visuelles, tactiles, auditives, verbales, en provenance de l’un et l’autre hémisphère : la désactivation de l’aire 39 peut être liée à son atteinte propre ou à une atteinte des Lobulelinguallobules lingual et Lobulefusiformefusiforme gauches : les informations en provenance des régions symétriques de l’hémisphère droit, et transitant par le Corpscalleuxcorps calleux, sont donc privées de leur accès à l’hémisphère gauche et l’aire 39 est ainsi privée des connexions avec les informations sensorielles visuelles en provenance des deux hémisphères, ce qui aboutit « à une pensée et à un langage sans image ».

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on La cécité corticale et les agnosies visuelles

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