Éléments d’une propédeutique de neuropsychologie

La neuropsychologie a pour objet l’étude des perturbations cognitives et émotionnelles de même que les désordres de la personnalité provoqués par les lésions du cerveau, qui est l’organe de la pensée donc le siège de la conscience. Recevant et interprétant les informations sensorielles, communiquant avec les autres et agissant sur le monde par le langage et la motricité, forgeant sa continuité donc sa cohérence identitaire par la mémoire, le cerveau exprime sa souffrance lésionnelle par des désordres comportementaux, d’où le nom de neurologie comportementale donné aussi à la neuropsychologie.


Les objectifs de la neuropsychologie sont triples : diagnostiques, thérapeutiques et cognitifs. L’analyse séméiologique des troubles permet de proposer une systématisation syndromique du dysfonctionnement du comportement et de la pensée puis d’étayer son substratum lésionnel et de formuler des hypothèses sur la topographie lésionnelle. Mais le temps n’est plus où seule une démarche clinique minutieuse permettait de déduire la localisation des lésions dont la preuve ultime restait à l’autopsie. L’Imagerieimagerie moderne, qu’elle soit (tomodensitométrie) ou non à base radiologique (imagerie par résonance magnétique nucléaire) pourrait conduire à se contenter d’une neuropsychologie sommaire quand la stratégie de prise en charge est essentiellement orientée sur la nosologie : ainsi une Hémiplégiedroitehémiplégie droite avec aphasie de survenue brutale suffit à suspecter un Infarctussylvieninfarctus sylvien, qui sera ou non confirmé par l’imagerie et dont la biologie, les investigations cardio-vasculaires, l’angiographie affineront l’étiologie et permettront de proposer la prévention d’une récidive. La démarche neuropsychologique invite à jeter sur le malade un autre regard qui viendra en complément de la démarche étiologique : analyser de manière détaillée le trouble du langage permettra de mieux comprendre le désarroi du malade et ainsi d’être sensibilisé à la prise en charge rééducative qui est le deuxième objectif de la neuropsychologie. Il reste enfin que la connaissance des désordres provoqués par les lésions du cerveau permet de générer des hypothèses sur le fonctionnement du cerveau normal : tel est le troisième objectif, cognitif, de la neuropsychologie, celui qui tisse un lien entre la neurologie du comportement et les sciences dites humaines.

L’exposé des grandes modalités d’expression neuropsychologique et comportementale des lésions cérébrales ne doit pas laisser l’impression d’un cerveau éclaté entre des fonctions atomisées.

Si l’être humain peut connaître le monde et agir dans le monde, c’est bien grâce à un fonctionnement coordonné de ses ressources cognitives, et grâce aux multiples connexions que le cerveau tisse non seulement d’un hémisphère à l’autre mais aussi à l’intérieur de chaque hémisphère, dessinant un réseau complexe articulé d’un bout à l’autre du névraxe. D’innombrables liens se tissent ainsi entre la cognition, l’affectivité, la sensoricité, la motricité. Ces liens ont pour substratum le neurone, désigné comme l’unité fondamentale du système nerveux à condition d’imaginer que, si le rôle du neurone est bien de véhiculer et de traiter de l’information, les neurones ne valent que par leur multiplicité (plusieurs dizaines de milliards) et par la multiplicité des connexions qui les unissent au niveau des Synapsesynapses pour créer ainsi d’innombrables réseaux. Les corps cellulaires des neurones, rassemblés, constituent la substance grise répartie à la surface du cerveau (et constituant le cortex) mais aussi dispersée en petits amas « centraux » constituant le Thalamusthalamus et les Noyaugrisnoyaux gris (particulièrement le Noyaulenticulairenoyau lenticulaire, le Noyaucaudénoyau caudé, le locus niger). La substance blanche, répartie entre le Cortexcortex et les noyaux gris (figure 1.1), est constituée des prolongements des neurones, Axoneaxones et Dendritedendrites, entourés de leur gaine de Myélinemyéline.








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Figure 1.1
Les noyaux gris centraux (Ganglion de la baseganglions de la base) vus sur une coupe vertico-frontale dite de Charcot.

Tiré de Gil R. Neurologie pour le praticien. Paris : Simep ; 1989


Neurones et activité électrique


Les neurones sont le siège d’une activité électrique dont l’enregistrement à la surface du cerveau a permis à Hans Berger de promouvoir en 1929 l’électroencéphalogramme, suivi par l’enregistrement des réponses électriques provoquées par les stimulations sensorielles, visuelles, auditives, somesthésiques que l’on dénomme « Potentielévoquépotentiels évoqués » et dont on peut mesurer l’amplitude et la latence. Un nouveau pas fut franchi quand, à partir des travaux de Sutton (1965), on opposa deux types de potentiels. Les uns attestent de la réception des stimulations, quelle que soit la valeur informative qu’ont, pour le sujet, les stimulations reçues : on peut les dénommer potentiels exogènes. Les autres de latence plus tardive apparaissent quand on demande au sujet de pratiquer une tâche mentale dont l’exemple le plus simple est de compter des sons aigus répartis aléatoirement au sein de sons graves : on les dénomme potentiels évoqués endogènes ou cognitifs.


Neurones et neurotransmetteurs


Les « influx » nerveux qui parcourent les Neuroneneurones et qui créent ces activités électriques détectables sont sous-tendus par des phénomènes biochimiques complexes. Les récepteurs sensoriels ont pour tâche la « Transductiontransduction » des signaux physiques qu’ils reçoivent en impulsions nerveuses. La transmission de l’influx nerveux d’un neurone à l’autre au niveau des Synapsesynapses et des neurones aux muscles au niveau des plaques motrices est permise grâce à la libération de « Neuromédiateurneuromédiateurs » qui sont ensuite recapturés par la membrane présynaptique ou détruits dans la Fentesynaptiquefente synaptique. Ils exercent un effet inhibiteur ou excitateur sur les membranes postsynaptiques. Même quand la libération de tel ou tel neuromédiateur par tel ou tel système neuronal est bien identifiée, il ne faut pas en déduire que le neuromédiateur est spécifique du système neuronal en cause ou des fonctions dans lesquelles ce système est impliqué : ainsi, si la Dopaminedopamine est bien libérée par les neurones nigrostriés, et qu’elle est impliquée dans la motricité, c’est aussi de la dopamine qui est libérée par les Neuronemésolimbiqueneurones mésolimbiques dans la régulation affectivo-émotionnelle.


Les trois cerveaux


Les structures phylogénétiquement les plus anciennes du cerveau sont essentiellement constituées d’une grande partie du Tronc cérébraltronc cérébral et en particulier du Systèmeréticulairesystème réticulaire impliqué dans la vigilance, ainsi que des Noyaugrisnoyaux gris centraux impliqués dans la motricité : ces structures correspondent, dans la conception tripartite de MacLean, au « cerveau reptilien ». Ce cerveau, le plus archaïque, riche en Récepteuropiacérécepteurs opiacés et en Dopaminedopamine, contrôle les comportements nécessaires aux besoins de base et à la survie de l’espèce, comme l’acte de se nourrir et la défense du territoire. Le Systèmelimbiquesystème limbique ou « cerveau mammifère » ou « Cerveaupaléomammalienpaléomammalien » entoure comme un « anneau » (un « limbe ») le précédent, à la face interne des Hémisphèrecérébralhémisphères cérébraux (Figure 1.2 and Figure 1.3). La partie la plus profonde, connectée à l’Hypothalamushypothalamus, est constituée de structures sous-corticales et en particulier de l’Hippocampehippocampe et de l’Amygdaleamygdale. La partie périphérique de l’anneau correspond au Cortexlimbiquecortex limbique, constitué de la Circonvolutionde l’hippocampecirconvolution de l’hippocampe (T5 ou gyrus parahippocampalis), et de la Circonvolutiondu corps calleuxcirconvolution du corps calleux (Gyrus cinguli), l’ensemble constituant la grande Circonvolutionlimbique de Brocacirconvolution limbique de Broca ou gyrus fornicatus (tableau 1.I), parcouru par un faisceau associatif, le Cingulumcingulum, et prenant son origine dans le Cortexfronto-orbitairecortex fronto-orbitaire (Aire11aires 11, Aire1212, Aire3232). L’appareil olfactif complète le Systèmelimbiquesystème limbique. De multiples connexions unissent en outre le système limbique avec le Néocortexnéocortex (frontal, temporal) de la face interne des Hémisphèrecérébralhémisphères cérébraux, les Noyaudit limbique du thalamusnoyaux dits limbiques du thalamus (et notamment les Noyauantérieurnoyaux antérieur et Noyaudorso-médiandorso-médian), la Formation réticuléeformation réticulée mésencéphalique (Airelimbique du mésencéphaleaire limbique du mésencéphale). Enfin, le système limbique comprend le Circuitde Papezcircuit de Papez, fait de fibres efférentes de l’Hippocampehippocampe qui, par l’intermédiaire du Trigonetrigone ou Fornixfornix, atteignent les Corpsmamillairecorps mamillaires, font relais avec le Faisceaumamillo-thalamiquede Vicq d’Azyrfaisceau mamillo-thalamique de Vicq d’Azyr, pour gagner enfin le Noyauantérieurdu thalamusnoyau antérieur du thalamus et le gyrus cinguli (ou cingulaire). Le système limbique intervient dans la régulation des comportements instinctuels, émotionnels ainsi que dans la mémoire.








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Figure 1.2
Connexions de l’Archicortexarchicortex et duPaléocortexpaléocortex.

D’après Lazorthes G. Le système nerveux central. Paris : Masson ; 1967








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Figure 1.3
Schématisation anatomique du Systèmelimbiquesystème limbique et des structures du Circuithippocampo-mamillo-thalamo-cingulairecircuit hippocampo-mamillo-thalamo-cingulaire de Papez.1. Hippocampe. 2. Fornix ou trigone. 3. Tubercule mamillaire. 4. Noyau antérieur du thalamus. 5. Gyrus cinguli (partie antérieure). 6. Corps calleux. 7. Tronc cérébral. 8. Faisceau mamillo-thalamique de Vicq d’Azyr (tractus mamillo-thalamicus).

D’après Mamo, 1962 et d’après Barbizet J, Duizabo Ph. Abrégé de neuropsychologie. Paris : Masson ; 1985












































Tableau 1.I Systématisation anatomique simplifiée du système limbique
(d’après Poirier et Ribadeau-Dumas, 1978 et Mesulam, 1985)
*Structures du système limbique proprement dit.
(d’après Poirier et Ribadeau-Dumas, 1978 et Mesulam, 1985)
Système limbique
proprement dit (*)
et structures paralimbiques
Appareil olfactif ou lobe olfactif de Broca* Bulbe olfactif
Tractus olfactif (ou bandelette olfactive)
Racines olfactives
Aire olfactive corticale (en particulier aire entorhinale – paléocortex – au niveau de l’uncus ou crochet de l’hippocampe)
Formation hippocampique* Hippocampe (ou corne d’Ammon), partie essentielle de l’archicortex, et fornix
Gyrus dentatus (ou corps goudronné)
Amygdale* Adjacente à l’extrémité antérieure de l’hippocampe
Région septale Noyaux du septum*
Striatum ventral*
Cortex limbique
(grand lobe limbique
de Broca)
ou gyrus fornicatus
et autres régions corticales dérivées de l’archicortex
Gyrus parahippocampalis (circonvolution parahippocampique)
Gyrus cinguli (circonvolution du corps calleux)
Et cortex rétrosplénial, unissant en arrière les deux précédents
Aire septale (à l’extrémité antérieure du gyrus cinguli)
Autres aires corticales dérivées du paléocortex Cortex orbito-frontal (aires 11, 12, 32)
Insula
Pôle temporal (aire 38)
Régions connexes Hypothalamus Reçoit des afférences néocorticales, limbiques (hippocampe, amygdale), thalamiques, mésencéphaliques
Ganglion de l’habenula
Aire limbique du mésencéphale Réticulée mésencéphalique
Noyaux limbiques du
thalamus
Noyau antérieur
Noyau dorso-médian
(noyaux non spécifiques)

Au-dessus des cerveaux « reptilien » et « limbique », se déploient les hémisphères cérébraux recouverts d’un manteau ou cortex cérébral et constituant le « cerveau néomammalien » (figure 1.4) qui gère les informations en provenance de l’environnement, adapte les actions, permet le déploiement des fonctions cognitives avec à leur sommet le langage mais aussi les capacités de Planificationplanification, d’Anticipationanticipation dévolues au Lobefrontallobe frontal et où culmine l’humanisation du cerveau. Cette conception tripartite, certes schématique, ne peut s’imaginer sans les connexions qui lient entre elles les trois structures.








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Figure 1.4
La conception tripartite du cerveau.

(selon Mac Lean, 1970)


Cortex et aires de Brodmann


Mises à part les structures phylogénétiquement les plus anciennes citées plus haut (Paléocortexpaléocortex de l’appareil olfactif, Archicortexarchicortex de l’hippocampe, groupés sous le nom d’Allocortexallocortex), la quasi-totalité du cortex ou Néocortexnéocortex ou encore Isocortexisocortex représente la structure la plus récente. Les colorations à l’argent montrent qu’il est constitué de six couches cellulaires (la quatrième, riche en cellules, est dénommée couche granulaire). Suivant les régions du cerveau, la morphologie et la densité cellulaire des couches sont très variables et ce sont ces critères architectoniques qui ont permis à BrodmannBrodmann d’établir la carte des aires corticales numérotées de 1 à 52 (figure 1.5) et qui peuvent se regrouper en trois grands types : Cortexagranulairecortex agranulaire avec absence de couche 4 et profusion de cellules pyramidales (aires 4 et 6), Cortexhypergranulairecortex hypergranulaire avec une couche granulaire développée et très cellulaire (aires sensitives et sensorielles), Cortexeulaminécortex eulaminé avec équilibre entre les six couches (Aireassociativeaires associatives).








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Figure 1.5
Les Airecytoarchitectoniqueaires cytoarchitectoniques, selon Airede BrodmannBrodmann.

D’après Barbizet J, Duizabo Ph. Abrégé de neuropsychologie. Paris : Masson ; 1985


Bases de neuroanatomie


La surface des hémisphères cérébraux est parcourue par des scissures et des Sillonsillons (sulcus) qui délimitent des Circonvolutioncirconvolutions (gyrus) regroupées en Lobelobes (lobus) (Figure 1.6, Figure 1.7 and Figure 1.8). La Scissurede Rolandoscissure de Rolando (sulcus centralis), qui parcourt la face externe de chaque hémisphère oblique en bas et en avant, sépare le Lobefrontallobe frontal en avant du Lobepariétallobe pariétal en arrière. La Scissurede Sylviusscissure de Sylvius (sulcus lateralis) est profonde (vallée de l’artère sylvienne ou cérébrale moyenne), presque perpendiculaire à la précédente, se dirige d’avant en arrière et un peu de bas en haut. Elle sépare le Lobetemporallobe temporal, situé au-dessous d’elle, du lobe frontal situé au-dessus d’elle et en avant de la scissure de Rolando et du lobe pariétal situé au-dessus d’elle et en arrière de la scissure de Rolando. Tout en arrière, le Lobeoccipitallobe occipital n’est séparé que virtuellement des lobes pariétal et temporal ; la Scissurescissure ou Silloncalcarinsillon calcarin (sulcus calcarinus) est située à la face interne et limite, avec le Sillonpariéto-occipitalsillon pariéto-occipital en haut, le Cunéuscunéus. Le Lobeinsulalobe de l’insula est enfoui entre les berges de la scissure de Sylvius, recouvert par l’Operculelatéralopercule latéral, subdivisé en Operculefrontalopercules frontal, Operculecentralcentral (ou Operculerolandiquerolandique), Operculepariétalpariétal en haut et en Operculetemporalopercule temporal en bas.

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Éléments d’une propédeutique de neuropsychologie

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