8: Hémophilie

Chapitre 8


Hémophilie




L’hémophilie est une affection congénitale de l’hémostase liée à l’X touchant presque exclusivement des sujets de sexe masculin. Son incidence est de 1/10 000 naissances. Elle est causée par un déficit en facteur VIII (F VIII) (hémophilie A) ou IX (F IX) (hémophilie B).


Le diagnostic doit être évoqué devant un nombre anormal d’ecchymoses dans la petite enfance, des hémorragies spontanées, notamment articulaires ou des tissus mous, et des saignements excessifs post-traumatiques ou lors d’actes chirurgicaux. Sur le plan biologique, le temps de céphaline activé (TCA) est allongé mais il peut être normal dans les formes mineures [52]. Le diagnostic définitif repose sur la mise en évidence du déficit quantitatif en F VIII ou F IX.


La sévérité des manifestations hémorragiques est corrélée à celle du déficit en facteur de coagulation. L’hémophilie est dite sévère pour un pourcentage d’activité coagulante inférieur à 1 % de la normale, modérée entre 1 et 5 % et mineure entre 6 et 30 % [17]. Les manifestations hémorragiques des formes sévères sont spontanées ou surviennent à l’occasion d’un traumatisme minime. Les hémarthroses sont très fréquentes (70–80 % des cas). Les hématomes musculaires et des tissus mous surviennent dans 10-20 % des cas. Les autres sites hémorragiques (digestif, urinaire, rétropharyngé, intracérébral) sont rares mais le pronostic vital peut être engagé. Dans les formes modérées et mineures, les saignements sont occasionnels et provoqués par un traumatisme ou un acte chirurgical.


L’espérance de vie des patients hémophiles devrait désormais approcher celle de la population générale grâce aux nouvelles propositions thérapeutiques [52].



Atteinte articulaire


L’arthropathie hémophilique constitue la première cause de morbidité chez les patients hémophiles sévères [3]. Elle résulte de la répétition d’un certain nombre d’hémarthroses touchant une articulation dite « cible » [50]. Elle est caractérisée par une hypertrophie synoviale, des dépôts synoviaux d’hémosidérine, une destruction cartilagineuse et une modification de l’os adjacent. Les articulations atteintes sont de type synovial. Les chevilles, genoux et coudes sont les cibles les plus fréquentes [41], suivies en fréquence par les hanches et les épaules. Les autres articulations (poignets, mains, pieds) sont plus rarement affectées.



Physiopathologie


Les mécanismes impliqués dans le développement de l’arthropathie hémophilique sont encore imparfaitement connus mais ils sont probablement multifactoriels. Ils font intervenir des éléments de nature inflammatoire et dégénérative [1].


Les dépôts de fer jouent un rôle majeur dans la pathogénie de cette arthropathie, entraînant au final, après un long processus, une fibrose synoviale et une destruction du cartilage hyalin [46]. Lors d’une hémarthrose, les dépôts synoviaux d’hémosidérine entraînent la libération de médiateurs locaux de l’inflammation. Une hyperplasie villeuse de la synoviale, une infiltration par des cellules inflammatoires et une augmentation de l’activité fibroblastique sont les substrats de cette synovite [16]. La néoangiogenèse associée à cette inflammation synoviale participe à la création d’un cercle vicieux hémorragique du fait de l’augmentation de la perméabilité capillaire, favorisant de nouveaux épisodes d’hémarthroses [50]. Cette synovite participe à la destruction du cartilage mais elle reste cependant modérée comparée à celle de la polyarthrite rhumatoïde [46]. L’hypertrophie synoviale inflammatoire et très vascularisée devient, avec le temps, fibreuse et acellulaire.


De façon indépendante et concomitante, il existe un effet délétère direct de la présence du sang intra-articulaire sur le cartilage [20, 47, 50]. Les dérivés réactifs de l’oxygène, formés à partir du fer des globules rouges intra-articulaires, participent à l’apoptose des chondrocytes [50].


Des facteurs mécaniques interviennent également dans la progression des lésions, une remise en charge précoce étant préjudiciable [18, 19].


La pathologie est souvent révélée vers l’âge d’un an lors de l’apprentissage de la marche alors que l’enfant n’a pas la même perception de la douleur et continue ses activités de découverte. Une hémarthrose aiguë à un âge très jeune semble être un facteur de risque accru d’évolution vers l’arthropathie hémophilique [45].


Enfin, on notera la présence d’un déséquilibre du remodelage osseux, qu’il soit la conséquence unique de la destruction cartilagineuse ou qu’il soit lié à des facteurs indépendants. Il s’accompagne de modifications de l’os sous-chondral [20] : ostéoporose, formation de kystes sous-chondraux, érosions et formation d’ostéophytes.



Formes cliniques [52]


Les hémarthroses surviennent lors de l’apprentissage de la marche pour des traumatismes minimes ou de manière spontanée dans les hémophilies sévères.


L’hémarthrose aiguë se caractérise par une douleur brutale, une tuméfaction articulaire, une augmentation de la chaleur locale, une limitation de la mobilité et une attitude antalgique en flexion antalgique entraînant parfois une raideur musculaire. Des signes annonciateurs sont souvent rapportés par les patients (picotements notamment).


La synovite chronique s’observe après plusieurs hémarthroses. L’articulation reste gonflée sans être franchement douloureuse, avec une relative conservation de la fonction articulaire. La limitation des mouvements entraîne une atrophie musculaire.


L’arthropathie hémophilique chronique se manifeste par une raideur articulaire, une amyotrophie et parfois une déformation angulaire. Elle peut être douloureuse ou non.


Enfin, on signalera la possibilité d’hémarthroses infracliniques, non reconnues et par conséquent non traitées, susceptibles d’évoluer vers l’arthropathie hémophilique [33].



Radiographie


On recherche des signes témoignant d’une hémarthrose et/ou d’une arthropathie hémophilique. On peut objectiver (encadré 8.1) :




image une tuméfaction synoviale responsable du déplacement des plans graisseux adjacents (fig. 8.1). Parfois, lors des épisodes initiaux d’hémarthrose chez les jeunes enfants, on peut observer un élargissement de l’interligne articulaire. Avec le temps, un liseré dense périphérique traduisant des dépôts d’hémosidérine peut être visualisé ;



image une raréfaction osseuse périarticulaire secondaire à l’hyperhémie synoviale chronique ;


image une hypertrophie épiphysaire (fig. 8.2 et 8.3). Elle est réactionnelle à l’hyperhémie synoviale sur une épiphyse immature. Avec le temps, elle va contraster avec le caractère grêle des diaphyses ;




image des scallopings ou érosions marginales bien limitées, aux zones de réflexion de la synoviale (fig. 8.4) ;



image des érosions et géodes centrales dont la taille contraste souvent avec la préservation relative de l’interligne articulaire (fig. 8.4) ;


image un pincement articulaire typiquement diffus, avec parfois engrènement des surfaces articulaires, fragmentation des berges et destruction articulaire (fig. 8.3 et 8.4) ;


image des stries d’arrêt de croissance métaphysaires, non spécifiques (fig. 8.2) ;


image une inégalité de longueur des membres inférieurs, majorée par d’éventuelles déformations et angulations articulaires.


Selon l’articulation affectée, certaines particularités peuvent être observées :



image au genou : modification de la forme de la patella (aspect carré ou au contraire aminci et allongé), géodes sous-chondrales parfois volumineuses, hypertrophie des épiphyses tibiales et fémorales dont les surfaces articulaires sont aplaties, hypertrophie de la berge latérale de la trochlée fermant l’angle trochléen, élargissement de la fosse intercondylaire, subluxation latérale du tibia et de la patella, crête osseuse horizontale à la jonction condylotrochléenne (fig. 8.2 à 8.4) ;


image à la cheville et au pied : déformation des surfaces articulaires avec inclinaison de l’articulation talocrurale vers le bas et le dedans, élargissement du sinus du tarse, érosions de la malléole médiale, ostéophytes de la partie antérieure de l’articulation talocrurale pouvant empêcher toute flexion dorsale, engrènement des surfaces articulaires. L’analyse des articulations talonaviculaire et subtalaire doit également être systématique (fig. 8.5) ;



image au coude : élargissement des incisures trochléaire et radiale de l’extrémité proximale de l’ulna, élargissement de la tête radiale et des fossettes olécrâniennes et coronoïdienne de l’humérus, accentuation de la profondeur de la trochlée humérale (fig. 8.6) ;



image à la hanche : coxa valga, luxation de la tête fémorale, pincement diffus, protrusion acétabulaire, ostéonécrose de la tête fémorale mimant une maladie de Legg-Perthes-Calvé, résorption osseuse parfois sévère (cf. fig. 8.7) ;



image à l’épaule : érosions profondes, fréquente rupture de la coiffe des rotateurs, remodelage de la tête humérale au stade tardif.




Limites des radiographies


Les radiographies sous-évaluent l’importance de l’atteinte articulaire [12]. Même si la destruction cartilagineuse est évaluée indirectement par la diminution de l’interligne articulaire, les lésions osseuses débutantes (géodes et érosions sous-chondrales) sont souvent mal visibles. De plus, cette technique ne permet pas l’étude des tissus mous, en particulier de la synoviale [15].



Tomodensitométrie


Elle se révèle plus sensible que les radiographies pour l’analyse des surfaces articulaires et de l’os sous-chondral [53]. Cependant, elle n’a pas d’intérêt face à l’IRM [53], si ce n’est à visée préopératoire (évaluation du stock osseux et des déformations articulaires) (fig. 8.7).



Échographie


Son apport dans l’évaluation d’une arthropathie hémophilique soulève de plus en plus d’enthousiasme, depuis la publication de quelques études visant à standardiser l’examen [23, 54] ou corrélant le degré de l’atteinte cartilagineuse échographique à la sévérité de la destruction radiographique [15]. Un auteur a également montré une corrélation entre échographie Doppler et IRM concernant le diagnostic de synovite [2].


Lors d’une hémarthrose aiguë, l’échographie objective un épanchement intra-articulaire d’échogénicité variable. L’étude en Doppler puissance pourrait permettre de se prononcer sur le caractère actif ou non du saignement [2]. L’intérêt de l’échographie réside surtout dans la confirmation diagnostique de l’hémarthrose, dans l’évaluation de son abondance et éventuellement dans le guidage d’une ponction évacuatrice [44].


Dans l’évolution de l’arthropathie hémophilique, l’intérêt principal de cette technique est de différencier épanchement liquidien, hypertrophie et hyperhémie synoviales, ce qui peut orienter la prise en charge thérapeutique (fig. 8.8) [15]. On peut, par ailleurs, objectiver des anomalies cartilagineuses (irrégularités, érosions et plages hyperéchogènes), des érosions osseuses marginales (défects des contours osseux) et des ostéophytes.


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May 5, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 8: Hémophilie

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