75: Accouchement sous le secret

Chapitre 75 Accouchement sous le secret



L’objectif de ce chapitre est de procurer aux équipes des services de gynécologie-obstétrique et en particulier à l’encadrement sage-femme et aux sages-femmes praticiennes les bases juridiques qui sont le support indispensable à l’élaboration des « procédures qualités » internes liées à la prise en charge de cette catégorie de patientes particulièrement vulnérables.


Après un rappel historique chronologique permettant aux personnels de gynécologie-obstétrique de clarifier ses connaissances sur l’évolution de cette pratique, nous aborderons l’aspect légal et ses différents points qui devront faire l’objet d’explicitation dans les procédures pour les personnels médicaux devant assurer la permanence des soins obstétricaux.



Rappel historique


Dans notre pays, l’accouchement anonyme et l’abandon d’enfant qui lui est majoritairement consécutif ont une longue histoire étroitement liée à celle de notre société judéochrétienne qui, au nom de la « morale et de la religion », a jusqu’au siècle dernier condamné les naissances hors mariage, la contraception et l’avortement.


Ainsi, il existe un lien direct entre la législation sur l’accouchement dans le secret et celle sur la contraception et sur l’avortement, la première constituant un utile complément de la seconde pour éviter de placer de trop nombreuses femmes dans une impasse totale en cas de grossesse imprévue et impossible à assumer, pour quelque raison que ce soit.


Il a fallu le vote de la loi Neuwirth en 1967 et de la loi Veil le 17 janvier 1975 pour bouleverser cet ordre établi qui liait par des lois successives l’abandon, l’avortement et la contraception, et ainsi offrir aux femmes sécurité et protection en leur permettant une prise en charge par le système de santé et de protection sociale.


En effet, jusqu’à ces dates, quasiment rien n’avait changé pour les femmes depuis le Moyen-Âge.



Du Moyen-Âge à la fin du xixe siècle


Historiquement, l’Hôtel-Dieu de Paris a été le premier établissement à offrir dès le milieu du XVIe siècle un asile réservé à l’accouchement clandestin. L’objectif était d’offrir aux jeunes femmes prostituées, violées, adultères, la possibilité d’échapper au déshonneur, et à la condamnation à mort en cas d’avortement ou d’infanticide.


À partir du xviiie siècle, des « tours » furent placés aux portes de certains hospices pour recueillir anonymement des nouveau-nés. Le principe du « tour » qui fonctionne nuit et jour, à la porte de chaque hospice, est un cylindre de bois muni d’une fenêtre. Le bébé est déposé dans le tour et récupéré à l’intérieur de l’établissement, préservant ainsi l’anonymat maternel. Sous le pontificat de Clément XIV, l’Église elle-même reconnut la maternité secrète en 1774 [1].


Sous la Révolution, la convention institua le premier cadre législatif organisant spécifiquement la règle du secret de la grossesse et de l’accouchement et la prise en charge des parturientes qui le demandaient. Le décret- loi du 28 juin 1793 faisait obligation à la Nation de se charger de « l’éducation physique et morale des enfants connus sous le nom d’enfants abandonnés », obligeait chaque district à se doter d’une maison où « la fille enceinte pourrait se retirer secrètement pour faire ses couches ». Il garantissait la prise en charge matérielle de la mère (« frais de gésine et tous besoins ») pendant son séjour, qui devait durer jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement rétablie, et exigeait que « le secret le plus inviolable soit conservé sur tout ce qui la concerne » [1].


En 1860, le « tour » fut remplacé par le bureau secret d’admission où les mères, encouragées à garder leurs enfants, recevaient en échange des allocations.


Après la guerre de 1870, face aux craintes nées de l’observation de la situation démographique nationale (la France se remettait des pertes humaines engendrées par la guerre et était confrontée à une baisse continue de son taux de fécondité), tous les moyens furent utilisés pour éviter que ne s’accentue l’écart démographique avec son puissant voisin allemand. L’esprit guerrier de revanche a ainsi contribué à encourager l’abandon.


Les initiatives encourageant l’abandon furent nombreuses et parmi elles, on peut citer celles du professeur Pinard et du sénateur Strauss :





Au xxe siècle


En 1904, fut créé le « l ocal ouvert de jour et de nuit », ultérieurement qualifié de « bureau ouvert », destiné à recueillir les enfants dépourvus de filiation reconnue.



Entre 1922 et 1924, Paul Strauss, devenu ministre de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociale, permit la légalisation des refuges maternels secrets. Ces refuges ont été le support de la création par le décret-loi du 29 juillet 1939 des maisons maternelles [1].


C’est ensuite le décret-loi du 2 septembre 1941 qui, en organisant et en systématisant les dispositions législatives et réglementaires antérieures, constitua le fondement moderne du droit à l’accouchement dans le secret. Ce texte admettait ainsi le secret de l’identité des parturientes et organisait la gratuité de leurs frais d’hébergement et d’accouchement, qui étaient pris en charge par le service de l’Aide sociale à l’enfance.


Parallèlement, la prohibition de l’avortement fut renforcée par le régime de Vichy en 1941 puis en 1942, allant jusqu’à l’assimiler à un crime contre la sûreté de l’État, passible de la peine de mort après jugement par des tribunaux d’exception, démontrant ainsi l’existence de l’étroit lien social entre l’accouchement dans le secret et l’avortement. La légalisation du premier a permis au second de ne pas avoir d’existence légale et a constitué le complément moralement indispensable évitant de placer de trop nombreuses femmes dans une impasse totale en cas de grossesse non désirée et impossible à assumer dans cette période difficile de guerre, d’occupation, où l’État revendiquait l’ordre moral.


Il faudra ensuite dans les années 1950-1960 la publication de l’ouvrage de Simone de Beauvoir Le Deuxième Sexe et l’apparition du mouvement féministe « égalitariste » français pour voir aboutir le vote des lois sur la contraception et l’avortement respectivement en 1967 (loi Neuwirth) et 1975 (loi Veil).


La loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 dans son article 27 introduira la modification du code civil avec un article 341-1 ainsi rédigé : « Lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé. » [2, 3]


Par l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 art. 2, art. 3 publiée au Journal officiel du 6 juillet 2005 en vigueur le 1er juillet 2006, cet article (rédigé à l’identique) est devenu l’article 326 de l’actuel code civil [4].



Quelques chiffres


À la fin du xixe siècle, le professeur Pinard estimait que « les statistiques portent à 300 000 chaque année le nombre de femmes qui se réclament du droit à la grossesse secrète et à l’accouchement secret ».


Cette estimation trouvait son écho au début des années soixante-dix, dans le chiffre des avortements clandestins avancé par les sociologues et les médecins, lui aussi estimé à 300 000 par an (dont 40 000 à 80 000 pratiqués par des médecins) [1].


Dans le même temps, diverses statistiques évoquent le chiffre de 50 000 enfants nés dans le secret entre 1941 et 1991 et évaluent à 400 000 au début du xxie siècle actuellement le nombre de personnes privées de leur filiation maternelle.



Cette régression quantitative considérable qu’ont connue au cours du xxe siècle l’accouchement sous « X » et l’abandon d’enfant, en particulier entre les années 1960 et 1999, a une origine multifactorielle.


Tout d’abord, l’explosion industrielle liée la reconstruction de l’après-guerre, le quasi plein emploi durant cette période, l’augmentation considérable du revenu par habitant ont permis l’évolution de la société vers une meilleure protection sociale.


L’évolution des mentalités sous l’influence des grands courants philosophiques égalitaires entre les hommes et les femmes, l’ampleur du mouvement féministe français, la libéralisation de la contraception puis de l’avortement ont largement fait admettre les naissances hors mariage.


Les progrès de la médecine, de la néonatalogie et à la fin du siècle dernier, les travaux de la pédopsychiatrie ont également très largement contribué à la réappropriation par les femmes de la maternité et l’élaboration par la société des nouveaux concepts de parentalité et de périnatalité.



Aspect législatif


À ce jour, la France et le Luxembourg sont les seuls pays européens à avoir conservé dans leur législation le droit de la mère à l’accouchement dans le secret encore appelé « accouchement sous X ».


Il faut savoir que ce mode d’accouchement ne permet pas d’établir de lien de filiation entre la mère et l’enfant.


La mère a droit au secret le plus absolu, l’enfant ne pourra pas la retrouver.


L’essentiel de ce que nous dit la loi figure dans les parties législatives et réglementaires du code de l’action sociale et des familles, en particulier à l’article L. 222-6 et a pour fondement l’article 2 de la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 paru au Journal officiel du 23 janvier 2002 [6, 7].



En créant le Conseil national pour l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État pour mettre en œuvre le montage juridique du respect du secret avec cependant une possibilité sous conditions de pouvoir le lever, le législateur a souhaité donner un cadre administratif et juridictionnel défini pour permettre à l’accès des personnes à leurs origines [6, 9, 10].


La grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dans son arrêt du 13 février 2003 prononcé dans l’affaire Françoise-Pascale Odièvre (jeune femme qui, devant le refus des juridictions françaises, s’était adressée aux juridictions européennes pour obtenir la levée du secret sur l’identité de ses parents), l’a jugé en ces termes : « Par la loi du 22 janvier 2002, qui s’efforce d’assurer équitablement la conciliation entre la protection du secret de la mère et la demande légitime de l’enfant concernant ses origines, la France n’a pas excédé sa marge d’appréciation qui doit lui être reconnue en raison du caractère complexe et délicat de la question qui soulève le secret des origines au regard du droit de chacun à son histoire, du choix des parents biologiques, du lien familial. » [11]


Sep 24, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 75: Accouchement sous le secret

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