33: Pathologies hématologiques et grossesse

Chapitre 33 Pathologies hématologiques et grossesse




Anémie



Anémie carentielle



Fer


La prévalence de l’anémie par carence en fer varie de 12 à 43 % à travers le monde. Elle est la conséquence d’un stock initial insuffisant chez la mère et de besoins accrus pendant la grossesse et dans le post-partum. En effet, une alimentation normale n’apporte en moyenne que 20 mg de fer journalier dont seuls 10 % sont absorbés alors que les besoins totaux en fer avoisinent 850 m g en moyenne pour une grossesse. Une augmentation physiologique des capacités d’absorption intestinale du fer héminique et minéral est cependant observée pour répondre à la diminution des réserves maternelles. Les grossesses rapprochées, la multiparité, les grossesses multiples, le jeune âge, le bas niveau socioéconomique et les infections parasitaires chroniques favorisent la survenue de ces anémies ferriprives.


Cliniquement, l’anémie ferriprive se manifeste par une asthénie, une pâleur cutanéomuqueuse, une dyspnée d’effort avec tachycardie et souffle systolique fonctionnel, une perlèche associée à une langue lisse et une fragilisation des phanères.


L’anémie ferriprive est microcytaire, hypochrome et arégénérative. La diminution des réserves en fer précède l’anémie, diminution objectivée par la baisse de la ferritine plasmatique (inférieure à 20 µg/L). En cas d’inflammation, un taux de ferritine augmenté peut masquer une carence mais dans ce cas il existe une élévation concomitante de la CRP Plus que la baisse du fer sérique, c’est l’augmentation de la capacité totale de saturation de la sidérophiline et de la capacité totale de fixation de la transferrine qui semblent les mieux corrélées à l’anémie. Une hyperplaquettose discrète, plus importante en cas d’inflammation, est présente.


En pratique, l’existence d’une anémie augmente le taux de transfusions sanguines maternelles. Certains travaux rapportent également des taux accrus d’accouchements prématurés et de faibles poids de naissance. L’anémie du post-partum ne semble pas liée aux réserves en fer du 3e trimestre (NP3).


Le traitement de la carence avérée est l’apport oral de sels ferreux (200 mg/jour soit 100 mg/jour de fer élément) dont les effets indésirables essentiellement digestifs ne seraient pas dose-dépendants. Le traitement dure au minimum 3 mois et ses effets biologiques apparaissent après quelques semaines. Plusieurs études prospectives se sont intéressées à l’apport de fer par voie intraveineuse qui permet une restauration des réserves plus efficace et plus rapide que par voie orale en cas d’anémie sévère avec des effets indésirables, notamment allergiques, minimes. Le traitement systématique n’est pas justifié dans les pays développés car une surcharge en fer n’est pas dénuée de risques pour la mère et pour le fœtus, une ration alimentaire variée et suffisante (> 2 000 kcal) semble couvrir les besoins (NP4). Un taux de ferritine inférieur à 50 µg/L en début de grossesse justifie une supplémentation en insistant également sur la diversification de l’alimentation. Un traitement complémentaire anti-helminthique systématique s’impose dans les pays d’endémie. Les réserves ferriques néonatales restent normales, que la mère ait été carencée ou supplémentée.



Folates


Ce type d’anémie peut toucher jusqu’à 25 % des femmes enceintes non supplémentées en folates dans les pays en développement et 2,5 à 5 % dans les pays industrialisés, sans compter les carences infracliniques. La baisse des folates sériques et érythrocytaires est presque constante au cours de la grossesse chez les femmes non supplé- mentées. Elle est en partie due à l’hémodilution et à un catabolisme accru. Le degré de carence dépend de l’importance des réserves en début de grossesse et l’on estime qu’un tiers des femmes seraient carencées dans les sociétés occidentales (NP4).


Le tableau clinique qui comprend une pâleur, un subictère, une dyspnée et une langue dépapillée se voit rarement dans les pays développés. En effet, il concerne des femmes ayant un régime alimentaire pauvre en viandes et légumes verts.


L’anémie par carence en folates est macrocytaire aré- générative. Elle peut s’accompagner d’une leucopénie avec anomalie de la segmentation des polynucléaires et d’une thrombopénie. Elle s’associe le plus souvent à une carence martiale qui peut masquer la macrocytose. Le taux de folates sériques est peu fiable et il faut lui préférer le taux de folates intra-érythrocytaires.


Dès 1950, l’administration d’acide folique per os a été proposée pour traiter l’anémie mégaloblastique (5 mg/jour jusqu’à correction de l’anémie) puis à partir de 1990, des travaux ont mis en valeur l’intérêt de la supplémentation systématique préconceptionnelle (0,4 mg/jour 4 semaines avant et 8 semaines après la conception) dans la prévention des défauts de fermeture du tube neural (NP1). Cette supplémentation entraîne également une diminution significative des malformations fœtales urinaires et cardiaques (NP1). En cas d’antécédents d’anomalie de fermeture du tube neural, la supplémentation nécessite 4 à 5 mg/jour pendant 4 semaines avant et 8 semaines après la conception. Chez des femmes débutant leur grossesse avec des réserves insuffisantes, le déficit en folates peut être prévenu par des apports équivalents à 0,2 mg/jour d’acide folique. Des études récentes attribuent aux folates des propriétés concernant les fonctions de reproduction et de lactation et, auraient constaté un accroissement du taux de grossesses multiples en cas de supplémentation systématique.



Autres causes



Anémies hémolytiques


Les anémies hémolytiques sont constitutionnelles (sphéro- cytose, déficit en glucose-6-phosphate-déshydrogénase : G-6-PD) ou acquises (auto-immunes).


Les formes héréditaires sont essentiellement liées à une altération de la membrane du globule rouge (sphéro- cytose, elliptocytose, poïkylocytose) responsable d’une demi-vie raccourcie. Leur mode de transmission est variable et leur diagnostic se fait rarement au moment de grossesse en raison d’une fragilité physiologique accrue de la membrane globulaire sans accélération de la destruction cellulaire. La morbidité maternelle et périnatale est faible surtout chez les patientes splénectomisées. Le déficit en G-6-PD est de transmission héréditaire liée à l’X et un diagnostic prénatal peut être proposé.


Habituellement, l’anémie hémolytique auto-immune est connue avant la grossesse. Seules les immunoglo- bulines de type G traversent la barrière placentaire, entraînant un risque d’anémie hémolytique fœtale. Le diagnostic se fait par un test de Coombs direct qui met en évidence les autoanticorps. Soit un anticorps unique est dirigé contre un antigène spécifique, soit une série d’anticorps se fixent sur différents antigènes de la membrane globulaire. Le taux d’autoanticorps n’est pas corrélé à la sévérité de l’hémolyse. Il n’existe pas de relation entre les résultats périnatals et la gravité de l’anémie ou la date d’apparition des autoanticorps. Devant l’existence d’immunoglobulines de type G, une surveillance stricte du fœtus s’impose, utilisant l’échographie et la cardioto- cographie et, parfois, les techniques de diagnostic prénatal pour éliminer une anémie fœtale. Une corticothérapie est instaurée si le mécanisme auto-immun est démontré. Devant l’échec des corticoïdes, des perfusions d’immunoglobulines ont été utilisées avec succès. Le traitement palliatif des anémies hémolytiques auto-immunes comporte des transfusions de sang compatible.



Pathologies plaquettaires


Une thrombopénie généralement modérée (entre 75 et 150 G/L) est observée chez 6 à 15 % des femmes en fin de grossesse. Plusieurs études ont montré une élévation progressive de la consommation plaquettaire compensée par une augmentation physiologique de la thrombopoïèse pendant la grossesse. Il en résulte des chiffres stables avec cependant de grandes variations interindividuelles. Le diagnostic différentiel entre une thrombopénie gestationnelle la plus commune et un purpura thrombopénique idiopathi- que (PTI) est essentiel en raison du risque de thrombopé- nie néonatale dans le PTI, mais il reste difficile. En dehors des antécédents de PTI connu, il se fait principalement sur la sévérité de la thrombopénie, le terme de la grossesse au moment du diagnostic et l’évolution dans le post-par- tum. Une thrombopénie de la grossesse peut s’associer à des pathologies spécifiques ou non de la grossesse qu’il convient de rechercher (pré-éclampsie, HELLP syndrome, stéatose aiguë gravidique, lupus érythémateux disséminé, coagulation intravasculaire disséminée, purpura thromboti- que thrombocytopénique ou syndrome hémolytique et uré- mique). Les investigations concernent les thrombopénies préexistantes à la grossesse, celles des 1er et 2e trimestres, celles du 3e trimestre avec un nombre de plaquettes inférieur à 75 G/L et celles qui sont associées à d’autres complications de la grossesse (tableau 33.1).




Thrombopénie gestationnelle [1]


Elle est dite idiopathique et se définit par une thrombopé- nie isolée supérieure à 75 G/L de découverte fortuite au 3e trimestre, de résolution spontanée dans le post-partum et ne touchant pas le fœtus. Elle justifie un minimum d’explorations (tableau 33.1) et des contrôles hebdomadaires jusqu’à l’accouchement. L’accouchement par voie basse est autorisé. Les plaquettes du nouveau-né sont contrôlées par un prélèvement de sang au cordon et un contrôle maternel est indispensable 3 mois après l’accouchement afin d’éliminer une pathologie hématologique en l’absence de normalisation.



Purpura thrombopénique idiopathique


Il s’agit d’une thrombopénie acquise isolée, de mécanisme périphérique et immunologique. Le PTI est lié à la production d’autoanticorps par un clone de lymphocytes dirigés contre le complexe GPIIb/IIIa et GPIbIX essentiellement. Les plaquettes recouvertes d’anticorps sont alors épurées rapidement par le système réticulo- histiocytaire principalement dans la rate. Le PTI touche toutes les tranches d’âge mais principalement les patients jeunes et de sexe féminin. Sa fréquence est estimée à 1 à 5 pour 10 000 grossesses. Les anticorps antiplaquettaires maternels de type IgG et en particulier IgG1, IgG3 et IgG4 traversent la barrière placentaire dès 16 SA et peuvent induire une thrombopénie fœtale précocement mais plus souvent vers la fin de la grossesse.




Retentissements maternel, fœtal et néonatal


L’évolution de la numération plaquettaire maternelle est difficile à prédire mais la thrombopénie a tendance à s’aggraver au cours de la grossesse. Le risque hémorragique maternel est élevé indépendamment du mode d’accouchement. L’accouchement sera programmé dans un centre bénéficiant de produits sanguins labiles et d’une unité de réanimation adulte et néonatale. La morbidité et la mortalité maternelles ont cependant nettement diminué en raison des progrès thérapeutiques et techniques mis en œuvre pour juguler le syndrome hémorragique.


Dans une étude, 5,5 % des nouveau-nés de mères atteintes de PTI présentaient une thrombopénie sévère inférieure à 20 G/L à la naissance. La complication la plus redoutée est l’hémorragie intracrânienne qui reste cependant rare. Les hémorragies cérébroméningées sont essentiellement provoquées par l’hypertension intracrânienne lors du passage dans la filière pelvienne ou en cas d’extraction instrumentale et sont très rarement spontanées par opposition aux thrombopénies fœtales par allo-immunisation. Leur découverte anténatale est exceptionnelle (1 à 2 %). La sévérité de la thrombopénie maternelle n’est corrélée ni avec la probabilité que l’enfant développe une throm- bopénie, ni avec la sévérité de la thrombopénie fœtale. Le traitement maternel par stéroïdes ou immunoglobulines ne modifie pas non plus ces deux paramètres. La thrombopé- nie peut se développer après la naissance avec un nadir à J3-J5 imposant un suivi rigoureux. La numération se normalise en 1 à 2 mois.


Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Sep 24, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 33: Pathologies hématologiques et grossesse

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access