7: Être mère en prison

Chapitre 7


Être mère en prison




Le cadre légal


Comme le souligne Quibel [1], le Code de Procédure Pénale ne prévoit pas de régime spécifique pour les femmes détenues, à l’exception des femmes enceintes et des mères incarcérées avec leur enfant, qui doivent, en principe, bénéficier d’un régime de détention et de soins appropriés (Article D. 400 du Code de Procédure Pénale). L’article D. 401 du Code de Procédure Pénale prévoit que les femmes détenues peuvent garder leur enfant en détention jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de 18 mois. Aucune autorisation du juge d’instruction pour les prévenues ou du juge de l’application des peines ou du chef d’établissement pour les condamnées n’est nécessaire. Cette limite peut être reculée par décision du directeur régional des services pénitentiaires suite à la demande de la mère et après avis d’une commission régionale consultative (Articles D. 401-1 et D. 402-2 du Code de Procédure Pénale). Comme le précise Céré [2],



Dans le dernier cas, le procureur de la République doit être alerté et c’est lui qui apprécie l’opportunité de saisir le juge des enfants.



La préservation de l’équilibre de l’enfant


Selon le Code de Procédure Pénale, les mères détenues doivent être incarcérées dans des conditions de nature à préserver l’équilibre de l’enfant. C’est en effet la circulaire du 16 août 1999 qui prévoit les aménagements nécessaires pour les modalités d’accueil et d’hébergement des enfants avec leur mère en détention : une ouverture des portes des cellules durant la journée ; un aménagement particulier de la cellule (une superficie d’au moins 15 m2, un accès à l’eau chaude, une présence d’éléments indispensables pour l’accueil d’un enfant : lit, espaces de rangement appropriés, baignoire, chauffe-biberon, etc.), une séparation de l’espace de vie de la mère de celui de l’enfant (la télévision doit se trouver hors de l’espace de l’enfant) ; une présence à proximité de la cellule d’une pièce permettant de cuisiner ; une cour de promenade particulière ; des facilités pour acheter à l’extérieur de l’établissement des produits ou des objets destinés à leur enfant (jouets, vêtements, etc.).



La prise en charge de l’enfant


Elle doit être la plus proche possible de celle dont il aurait pu bénéficier à l’extérieur. C’est sa mère incarcérée qui a l’autorité parentale et la garde, d’ailleurs, hormis un temps très bref, un enfant ne peut rester dans la détention sans sa mère. Il revient aux parents de l’enfant d’assumer la prise en charge de ses besoins et si la mère subvient seule aux besoins de l’enfant, il lui est possible de continuer à percevoir les prestations familiales. La mère conserve la totale liberté du choix du médecin traitant de l’enfant, ainsi que la décision ou non d’autoriser certaines personnes à rencontrer son enfant, sous réserve d’une décision de justice refusant ou acceptant qu’une personne rende visite à l’enfant. Enfin, la mère détenue est la seule à pouvoir décider à tout moment de mettre un terme au séjour de l’enfant en prison, sauf, bien évidemment, dans le cas d’une décision judicaire du juge des enfants ou du juge aux affaires familiales saisis, par exemple, par le père de l’enfant ou par un professionnel des services sociaux et/ou sanitaires.



Le suivi de la grossesse


La loi du 18 janvier 1994 prévoit pour les détenus un accès aux soins le plus proche possible de ce qui peut être proposé à toute personne en milieu ouvert, dans les limites de l’offre de soins proposés par l’UCSA et le SMPR. De même, en dehors de “l’enceinte” carcérale, la prise en charge sanitaire des femmes enceintes incarcérées doit se dérouler selon les dispositions légales du suivi de grossesse proposé à toute femme enceinte en France. Peut-on pour autant envisager un seul instant qu’accompagner une femme enceinte en maternité et en prison revient au même ?


Lorsqu’un état de grossesse est observé chez une femme détenue, une orientation privilégiée vers la consultation de gynécologie-obstétrique est proposée. Celle-ci est assurée par un obstétricien ou une sage-femme de l’hôpital ou de la maternité de proximité qui s’engage sur le suivi de la grossesse et la préparation à l’accouchement. L’éloignement des établissements pénitentiaires de la maternité et la lenteur des déplacements du fait de leur statut de détenue justifient dans la mesure du possible la mise en place d’une réflexion et d’une coordination entre les professionnels de la maternité, de l’UCSA et de son DSP, de l’UHSI et éventuellement du SMPR concernant la mise en place d’un protocole d’intervention en fin de grossesse. Ce protocole vise l’optimisation des conditions d’accouchement des femmes enceintes incarcérées et l’évitement, autant que faire se peut, des accouchements à l’extérieur de l’hôpital et en particulier les accouchements en cellule. Par exemple, dans la maison d’arrêt de Sequedin établissement de la région Nord Pas de Calais qui dispose d’un quartier pour femmes détenues, il est proposé un transfert à l’UHSI à la 38e semaine de grossesse et une procédure d’accouchement programmé avec un éventuel déclenchement à la 39e semaine de grossesse sur décision des obstétriciens. La patiente peut évidemment refuser le séjour à l’UHSI et préférer arriver directement à la maternité pour le déclenchement, tout comme elle peut refuser la procédure de déclenchement. Dans ce cas, elle est transférée dès que le travail de l’accouchement débute ou à la 41e semaine à la maternité pour la visite de terme.



La prise en charge de la femme enceinte détenue


L’intérêt de ce protocole se trouve également dans la désignation de professionnels référents de la maternité pour la prise en charge de ces femmes, professionnels sensibilisés à la particularité de leur situation. En effet, comme le souligne Pinto da Rocha [3], face à la prise en charge des femmes enceintes détenues, les professionnels de l’hôpital public doivent repenser l’hôpital comme lieu pouvant accueillir une autre institution avec ses règles sécuritaires, escorte et garde tactique. De plus, la présence permanente de policiers aux côtés de ces femmes peut accentuer différentes représentations sociales négatives envers elles, liées à des fantasmes et des craintes autour de la prison ou du crime. Cette tension ressentie par les soignants, le personnel de l’administration pénitentiaire, la police, a conduit à des attitudes sécuritaires inadéquates pendant les escortes policières au sein de la maternité, comme la traversée de la maternité des femmes détenues enceintes menottées ou encore la présence de la police pendant les examens médicaux ou l’accouchement. Ces situations de stigmatisation voire d’humiliation, dénoncées par des organismes internationaux comme Amnistie Internationale [4], ont pu provoquer d’importantes angoisses chez ces femmes allant jusqu’à refuser l’extraction de la prison vers l’hôpital ou en maternité, en anticipation de ce vécu négatif. L’intérêt d’un protocole préalable permet aux professionnels de rester dans le champ de compétence et d’éviter des situations préjudiciables pour la santé de la future mère, pour le bon déroulement de la grossesse et pour la qualité des interactions en construction.


La spécificité de la grossesse vécue en milieu carcéral justifie une prise en charge pluridisciplinaire, obstétricale, psychologique, éducative, sociale et parfois le suivi psychiatrique dans une perspective périnatale s’impose le plus souvent en raison de la haute fréquence de problématiques psychiatriques et addictives. La particularité de ces prises en charge réside dans l’accompagnement nécessaire du travail psychique de préparation à la parentalité auprès de personnes vulnérables, dans un objectif de prévention du développement de troubles du lien précoce mère-enfant.



Antécédents des femmes détenues


Selon les résultats de l’étude de Rouillon et al. [5], la population des femmes incarcérées en France constitue en soi une population à risque. En effet, 37 % d’entre elles ont un niveau éducatif très faible, 18 % ont déjà été suivies par un juge pour enfants, une sur cinq a fait l’objet d’une mesure de placement en foyer ou en famille d’accueil. Quarante pourcent d’entre elles ont déclaré avoir subi des maltraitances de nature physique, psychologique ou sexuelle. Selon la même étude, 70 % présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité cumulant plusieurs troubles (troubles anxieux : 54 %, troubles thymiques : 51 %, abus de substances illicites ou d’alcool) et un quart des femmes détenues présenteraient un trouble psychotique. Cette précarité sociale, éducative et psychique est également observée par Hotelling [4] chez les femmes enceintes incarcérées aux États-Unis, justifiant que la grossesse en prison devrait systématiquement être considérée comme étant à risque.



Mères détenues et troubles psychiques


La grossesse et l’accouchement constituent des “événements physiologiques” pour une femme mais représentent aussi de véritables épreuves physiques et psychiques. La grossesse peut constituer une crise identitaire pour la femme avec des troubles psychiques transitoires, tels qu’une labilité émotionnelle, des moments d’anxiété et d’irritabilité, un vécu dépressif sans forcement de manifestations cliniques de dépression [6]. Ces moments ont une valeur d’adaptation, a priori, non pathologique pour elle. C’est leur intensité qui va définir la valeur pathologique et donc la gravité potentielle pour les premières relations mère-enfant.


Un premier épisode de troubles psychotiques ou une décompensation de troubles psychotiques chroniques sont rares pendant la grossesse. Il est même classique de dire que la grossesse « joue un rôle protecteur » et constitue une sorte de temps de latence avant l’accouchement et la naissance [6, 7]. Il demeure, fort heureusement, rare de rencontrer des femmes schizophrènes enceintes en milieu carcéral. Néanmoins, leur grossesse doit être surveillée car la symptomatologie peut, dans certains cas, s’aggraver à cause de l’incarcération et entraîner des difficultés d’investissement du bébé, ou encore elle peut bénéficier d’une certaine amélioration, suscitant ainsi une probable suspension du traitement, ce qui aggrave la vulnérabilité de ces femmes pendant le post-partum immédiat, période difficile en soi pour les mères schizophrènes [8].

Only gold members can continue reading. Log In or Register to continue

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Jun 2, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 7: Être mère en prison

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access