10: Les psychothérapies en prison

Chapitre 10


Les psychothérapies en prison



En préambule, nous rappellerons peut-être une définition, certes parmi les plus larges, de la psychothérapie :



Si l’éventail définitionnel de la psychothérapie s’étend néanmoins de critères ainsi généraux [2] à d’autres beaucoup plus restrictifs par leur exigence scientifique [3], O. Chambon et M. Marie-Cardine [4] proposent de considérer les vues de C. Garrone faisant de la psychothérapie « l’intégration de trois éléments principaux : [un] processus relationnel […] relié à un cadre par un contrat plus ou moins formel ». Sur cette base, selon la nature de la relation, du cadre, du contrat et de leurs articulations relatives, les auteurs établissent une classification des psychothérapies en cinq niveaux de spécificité et complexité croissantes. Dans cette optique, nous ne pourrons nous contenter d’aborder la question psychothérapique en prison par la seule lucarne du travail avec les psychologues et les psychiatres, même si cette modalité est fréquemment la première attendue, peut-être parce que spécifique et systématisée, donc mieux repérée.


En second lieu, précision probablement inutile, mais que nous mentionnerons toutefois : le personnel des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) comme celui des dispositifs de soins en psychiatrie (DSP) dépend du service public hospitalier dont il n’est qu’une émanation implantée dans les établissements pénitentiaires. Aussi, ce personnel est-il tenu au secret professionnel vis-à-vis des corps judiciaire et pénitentiaire absolument selon les mêmes règles que ses collègues hors les murs. À l’inverse, les psychologues du parcours d’exécution de peine (PEP) et les conseillers d’insertion et de probation (CIP) sont recrutés par la Justice et exercent leurs missions déliés de pareille obligation envers les deux corps sus-cités [5, 6, 7] : leurs entretiens avec les détenus s’organisent ainsi selon un cadre et un contrat très particuliers qu’il importe d’extrêmement bien clarifier au préalable. À l’occasion d’une première partie consacrée aux psychothérapies iividuelles, nous reviendrons quelque peu sur les enjeux majeurs d’une confusion, dans l’esprit du patient, entre psychologue du PEP et psychologue du SMPR/DSP, comme entre CIP et travailleur social du SMPR/DSP. Nous tenterons ensuite de donner un aperçu des psychothérapies de groupe telles que permises dans les conditions carcérales actuelles.




Les psychothérapies individuelles : par qui ?



Des psychothérapeutes


Quels processus relationnels sont à même de recouvrir, durant l’incarcération, une vertu psychothérapique ? Le soutien social, dans ses formes les plus variées, est reconnu pour jouer un rôle parfois majeur dans la prévention, la minoration et partant le pronostic d’un grand nombre de troubles psychiques [8]. O. Chambon et M. Marie-Cardine [4] placent ainsi au premier niveau des psychothérapies « l’aide psychologique de la vie courante », aide véhiculée via divers cadres, pas nécessairement de façon intentionnelle ni même consciente et qui, dès lors, sans advenir proprement « malgré elle », opère comme « de surcroît » ou « en parallèle » de relations humaines tissées d’une multitude d’autres objectifs et intérêts. Cette aide psychologique présente en filigrane du réseau de relations (familiales, amicales ou sociales) devient bien souvent visible lorsque justement elle n’est plus, par disparition ou altération des liens quotidiens qui la portaient [9] ; elle apparaît alors a posteriori et « en creux ». Dans certains contextes, le soutien psychologique émanant de l’entourage émerge en revanche très clairement hic et nunc : nous pensons aux situations de deuil, maladie, licenciement, rupture sentimentale, etc. où sa dimension « active », délibérée, le rend plus saillant. L’incarcération d’un proche peut à ce titre mobiliser des membres de sa famille, des amis voire des soutiens moins attendus comme celui de son employeur. Leur rôle, surtout dans leur constance et aptitude à masquer leurs propres souffrances, est de première importance. Avec ce corollaire : la multiplication des parloirs fantômes, la raréfaction du courrier ou des mandats, sinon leur interruption, comme l’ambivalence d’un discours, l’annonce d’une séparation ou la « volatilisation » des enfants, constituent de puissants facteurs de décompensation majeure, parmi d’autres (décès d’un intime pendant l’incarcération, refus d’extraction exceptionnelle pour l’inhumation d’un parent, proches menacés ou blessés à l’extérieur dans le cadre de divers chantages, enfant accidenté, malade…). En pratique, les files d’attente au parloir se constituent essentiellement de mères et de sœurs mêlées de compagnes avec ou sans enfants ; quelques grand-mères ponctuent également ces groupes plus avares de pères, frères ou amis.



Des éducateurs spécialisés, des assistants sociaux…


Dans un cadre quant à lui chaque fois spécifique et bien défini, divers professionnels – et bénévoles – accomplissent des missions dont le but premier n’est pas le changement psychologique mais qui en sont néanmoins porteuses implicitement [4, 10] : éducateurs spécialisés et assistants sociaux des SMPR/DSP, conseillers d’insertion et de probation, visiteurs de prison, acteurs des relais enfants-parents, étudiants du GENEPI (groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées), représentants des différents cultes, d’associations caritatives, comme infirmiers, médecins et dentistes des unités de consultations et soins ambulatoires (UCSA) s’inscrivent dans ce type de relations nommées « attitudes psychothérapeutiques » par J. Guyotat [10] ou, parce que cadre et processus n’y sont pas homogènes, « psychothérapies de niveau II » par O. Chambon et M. Marie-Cardine [4]. Si les contrats explicites de ces intervenants sont aussi disparates que nombreux (demande de couverture maladie universelle (CMU), d’allocation adulte handicapé (AAH), préparation de projet de sortie, mise en relation avec les centres de post-cure ou les foyers envisageables, offrir des visites, une correspondance, apprendre à lire, apporter ou laver du linge, envoyer un colis pour Noël, restaurer une dentition… etc), les effets élargis de leurs actions n’en sont pas moins vastes : anxiolyse, stimulation émotionnelle, reprise d’élan vital, enraiement d’un projet suicidaire, amélioration de l’estime de soi, motivation au changement, développement de l’introspection, changement des angles de vue, (ré)ouverture du champ des possibles… Aussi, pareille liste ne saurait prétendre à l’exhaustivité.



Des infirmiers, des psychologues et psychiatres


Enfin, au SMPR comme en DSP, infirmiers, psychologues et psychiatres tentent également de répondre aux besoins de la population pénale dans leur domaine de compétence et avec les moyens dont ils disposent. Le travail psychothérapique (ici « spécifique ou systématisé » [4]) en est un, qu’il s’appuie sur des références préférentiellement – voire exclusivement – analytiques, systémiques, cognitivo-comportementales ou autres. Si certaines écoles de pensée s’avèrent peut-être un peu moins représentées que d’autres, le phénomène ne semble pas propre aux services psychiatriques implantés en prison ; de la même manière, aucun référentiel théorique n’y apparaît spécifiquement plus hégémonique qu’ailleurs. Et comme en milieu extérieur, cette pratique psychologique spécialisée peut certes, à l’extrême, se déployer de la simple activité de conseil [11] à la « psychothérapie proprement dite » [4] (selon l’opposition « expérience de soi dans l’ensemble non pathologique versus gravement perturbée », « comportements problématiques de nature essentiellement instrumentale versus personnelle et affective », « relevant plutôt de l’actualité versus du développement », avec « demande de consultation spécifique, concrète et claire versus complexe » ; [4]). Toutefois, ce qui relèverait effectivement d’une « simple activité de conseil » est bien souvent compliqué par une série de facteurs environnementaux, au premier rang desquels les conditions carcérales peuvent trouver une bonne place, en France du moins. La prise en charge se mue alors en un parcours plus complexe, plus éprouvant certainement, et qui pourrait parfois sembler absurde si le pronostic vital ou ne serait-ce que la santé du consultant ne finissaient par être si souvent engagés faute d’avoir pu atteindre des capacités adaptatives suffisamment élevées. En parallèle de ces situations, potentiellement simples mais concrètement envenimées, psychologues et psychiatres suivent en psychothérapie « proprement dite » un nombre conséquent de sujets souffrant de troubles psychiatriques de tout type. La décompensation de certains tableaux cliniques – durant l’incarcération – peut étonner par son degré de sévérité, son caractère particulièrement inattendu ou atypique, comme sa rapide association à de lourdes comorbidités ; mais probablement faut-il alors avoir un peu oublié le quotidien dans lequel émergent ces syndromes. La concomitance de pareils états mentaux et d’une décision de mise sous mandat de dépôt demeure quant à elle autrement plus mystérieuse.


Le travail des psychologues du PEP, s’il ne consiste pas officiellement en une expertise, ne peut pour autant s’apparenter à une psychothérapie « proprement dite » – loin s’en faut – et n’a d’ailleurs pas été prévu comme tel [5, 6, 7]. Le jadis « projet » d’exécution de peine, tel que défini dans la circulaire du 21 juillet 2000 et aux articles D. 74 et D. 94 du Code de Procédure Pénale, affichait trois objectifs :



Au terme d’une première expérimentation, il aurait été notamment observé « dans beaucoup de sites (…) des résultats concrets tels que le net accroissement du montant des remboursements des dommages – intérêts dus aux parties civiles », et « la pertinence du recrutement de psychologues dans la mise en œuvre du projet d’exécution de peine » [5]. Sans entrer plus avant dans les détails et subtilités de ce dispositif, tout en essayant de ne pas en trahir l’esprit, nous pouvons citer quelques implications pratiques ne concernant pas moins le psychologue du PEP que les autres acteurs dudit projet : « évaluations régulières et approfondies » de l’implication du détenu dans un projet de réinsertion et dans une réflexion à l’égard des actes qui ont motivé sa condamnation ; les détenus « doivent en être partie prenante de sorte que puissent être efficacement discutées les perspectives de leur évolution, les ajustements nécessaires, les engagements éventuels de l’administration à leur égard » ; le projet d’exécution de peine est un « dispositif de suivi des détenus » dans un « souci de lisibilité, de partage et de transmission de l’information, tant pour les services pénitentiaires que pour le détenu lui-même » avec constitution d’un « livret individuel, seule garantie dans le temps d’une continuité du suivi et de l’évaluation des détenus » ; « tous les détenus, qu’ils aient ou non accepté de s’inscrire dans un projet individuel, doivent faire l’objet d’une observation et d’un recueil d’informations réguliers pendant l’exécution de leur peine. Ces éléments sont consignés dans leur livret individuel, lequel est systématiquement consulté pour toute décision importante d’individualisation administrative ou judiciaire de leur peine » ; le projet d’exécution de peine est « pour les autorités judiciaires, un outil pertinent d’aide à la décision : il apporte, notamment au travers du livret individuel, une information enrichie, concrète et objective sur le condamné ; il favorise une perception plus globale de celui-ci et permet surtout de retracer son évolution en détention » ; « la nécessaire cohérence de la jurisprudence en matière d’application des peines et de l’individualisation de la peine implique que le juge de l’application des peines et le procureur de la République soient associés à la mise en place du projet d’exécution de peine » [5]. Aussi, Catherine Mercier, psychologue du PEP au centre pénitentiaire de Rennes, décrit-t-elle très bien toute l’ambiguïté et la difficulté de sa fonction dans un petit article consultable en ligne [7]. Dans un tel contexte, parler de « psychothérapie proprement dite » [4] nous semblerait osé ; et d’« attitude psychothérapeutique » [10], non explicitement incluse dans le contrat relationnel mais présente en tant qu’effet secondaire (bénéfique), peu possible également. En effet, la dyade détenu- psychologue PEP se trouve au cœur d’un dispositif de surveillance et d’évaluation si pressant, si avide de pronostics (dangerosité ? agressivité ? probabilité de réinsertion ?), qu’il paraît peu réaliste de ne pas voir les entretiens biaisés, sinon contaminés par ces enjeux institutionnels trop présents à l’esprit de chacun des interlocuteurs. À l’inverse, si le détenu oublie, n’a pas réellement compris voire ignore qu’il se confie à un psychologue différent de ceux du SMPR/DSP, s’il lui échappe que le contenu de leurs entretiens n’a rien d’obligatoirement confidentiel vis-à-vis de l’administration pénitentiaire (AP), tout ou partie de ses propos risque fort de le desservir tôt ou tard auprès de cette dernière, du juge d’application des peines et/ou du procureur de la République, selon ce que le psychologue PEP en transmettra, comment, et peut-être surtout à quel type de personnalité. Catherine Mercier n’évoque-t-elle pas « des professionnels qui, de toute bonne foi, attendent de la personne détenue qu’elle se saisisse de ce qu’on lui propose, la plaçant implicitement dans “un contrat” unilatéral : “Je peux faire de toi ce que je veux si tu n’évolues pas comme je le souhaite” » [7] ? Aussi estime-t-elle pour sa part que « le risque est de confondre l’acteur et le sujet : on peut être un bon acteur sur la scène sociale, c’est-à-dire répondre à la logique institutionnelle en s’inscrivant dans un parcours “sans faute” et échapper à la logique du sujet qui est aussi celle du rapport à l’autre. Le psychologue doit être celui qui tend vers la logique du sujet en la faisant entendre [à ces] professionnels (…). Le propos du psychologue serait alors de restituer à chacun sa place ». Dans un scénario « parfait », nous pourrions voir un psychologue du PEP « garder son intégrité professionnelle, une certaine indépendance avec les enjeux de pouvoir, de séduction… inhérents à chaque institution » [7] ; s’entretenir avec un détenu parlant librement, non préoccupé par le « qu’en saura-t-on » ; et juger toujours au mieux des informations à donner ou taire aux corps pénitentiaire et judiciaire afin de réellement servir les intérêts du détenu. Dans ce scénario, la relation pourrait effectivement présenter des vertus psychothérapiques de niveau II, au sens où l’entendent O. Chambon et M. Marie-Cardine [4]. Mais comme C. Mercier le dit elle-même :



Aussi, pour reprendre un terme de ce même article, l’interaction détenu- psychologue PEP paraît s’inscrire dans un « entre-deux » extrêmement curieux, flou et mouvant ; pour le moins inconfortable à penser.



Les psychothérapies individuelles : pour qui ?



Des patients

La place occupée par les équipes des SMPR (ou DSP) semble quant à elle beaucoup plus claire, et la finalité de leur travail beaucoup plus simple : les détenus pris en charge sont des patients, les relations nouées avec eux à but soignant, et optimisation sécuritaire comme prévention de la récidive criminelle ou délictuelle ne font pas partie de leurs missions. On pourrait certes objecter que si la sécurité intéresse aussi ce personnel : l’évaluation et la prévention du risque auto-agressif, en particulier suicidaire, sont des constantes de travail si quotidiennes qu’on en arriverait presque à ne plus remarquer leur omniprésence. Le risque hétéro-agressif est également considéré, mais comme il le serait pour la prise en charge de toute personne présentant une clinique en rapport. Donc si la sécurité intéresse ces équipes, c’est sous l’angle sanitaire, comme un des paramètres dont il faut tenir compte dans un processus global de soin ; cette sécurité ne constitue pas la ligne d’horizon de leur travail. De même, la prévention de la récidive rentre dans leurs prérogatives si l’on évoque récidives et rechutes cliniques. Il se trouve que la prévention, le traitement et l’accompagnement de troubles psychiques peuvent avoir comme retombée, parfois une diminution ou une cessation d’actes délictueux ou criminels. Le cas échéant, que ces changements découlent très directement ou au contraire beaucoup plus indirectement de soins dispensés, il n’en demeure pas moins que le premier sinon le seul objectif d’une prise en charge soignante est de soulager la souffrance du patient, son alpha et son oméga. Les autres changements adviennent de surcroît ou parce qu’ils servent cet objectif final. La fonction des soignants, fussent-ils en SMPR ou DSP, n’est pas correctrice ni normalisatrice, notamment pas au sens où judiciaire et pénitentiaire l’entendraient ; aussi, les psychothérapies ne sont-elles pas les chevaux de Troie de la justice ni de la discipline. Avoir à le préciser peut sembler choquant, mais les psychothérapies menées en prison sont donc bien pour les patients, pour leurs attentes et non celles de l’environnement.



Des hommes jeunes


Dans leur immense majorité, ces patients sont des hommes jeunes à très jeunes (surtout en maison d’arrêt, mais plus uniquement), souvent sans travail ni qualification ou même formation, sans ressources régulières, avec des problèmes de logement majeurs, des demandes de CMU et d’AAH à renouveler ou initier, parfois des titres de séjour non valides ou même jamais obtenus ; l’incarcération en cours n’est généralement pas la première. Par ailleurs, toutes les formes de maltraitance infantile se retrouvent rapidement au fil des anamnèses et la sortie du système scolaire est fréquemment très précoce, comme la consommation de stupéfiants. Sur un plan plus clinique, on note en effet une prévalence importante des addictions, de nombreux diagnostics de troubles de la personnalité (en particulier de type antisocial) et la présence flagrante de troubles psychotiques et thymiques extrêmement sévères (notamment bipolaires). La déficience mentale est également bien représentée, et pas seulement parmi les patients auteurs de violences sexuelles. Enfin, la comorbidité paraît la règle.



Des réductions de peine qui sèment le trouble


L’existence d’un certain système de réduction de peine supplémentaire (RPS) introduit toutefois un facteur de confusion dans les demandes de suivi provenant de la population pénale. Plus exactement, une des conditions d’attribution – éventuelle – de cette RPS biaise la demande : être suivi par le service psychiatrique (SMPR ou DSP) compte parmi les quatre principaux critères examinés en commission d’application des peines (CAP) afin de déterminer si le sujet « manifeste des efforts sérieux de réadaptation sociale » (et donc s’il mérite ou non l’octroi d’une RPS, comme s’il mérite ou non l’obtention d’une permission, d’un aménagement de peine… etc). Ainsi, un psychothérapeute entend-il régulièrement de la bouche de patients : « mais le juge [d’application des peines] trouve que je ne vous vois pas assez souvent », « le juge me dit qu’on devrait parler plus des faits en consultation », « le juge préférerait que je vois un psychologue plutôt qu’un psychiatre », « il dit “bon, eh bien d’accord, restez avec votre psychiatre si vous préférez, mais alors pourquoi ne vous donne-t-il pas de médicaments ?” », ou encore « ils disent que c’est bien, que je vais bien régulièrement aux consultations, mais que la prochaine fois [i.e. à la prochaine CAP], il faudrait que j’aie quand même baissé les médicaments » etc. En effet, selon les représentations d’une apparente majorité de magistrats, certains patients auraient davantage vocation à recevoir une chimiothérapie (tout particulièrement les auteurs de violences sexuelles), quand d’autres – pour bien faire et montrer leur bonne volonté – seraient censés diminuer et arrêter le plus rapidement possible leur traitement (qui est alors généralement substitutif aux opiacés). En revanche, les molécules anti-psychotiques semblent susciter moins de commentaires de la part des membres de la CAP ; du moins les patients ne les rapportent-ils pas en consultation. Ainsi, les psychothérapeutes sont amenés à rencontrer des patients nécessitant un suivi pour trouble psychique, et d’autres nécessitant un suivi pour absence de trouble psychique. En effet, selon une logique toute spéciale, l’absence de tel trouble exclut le détenu des indications psychothérapiques habituellement reconnues, lequel n’aura donc pas d’attestation de suivi à produire devant la CAP, pas de croix dans la case « suivi SMPR », soit un des quatre critères d’« efforts sérieux de réadaptation sociale » non rempli et ainsi moins de chance d’obtenir RPS, permissions ou aménagement de peine favorisant justement ladite réadaptation sociale (via la facilitation de nombreuses démarches, comme honorer un entretien d’embauche, refaire des photos d’identité, préserver des liens familiaux menacés, rencontrer les responsables d’un foyer d’hébergement, etc.) ; ou comment l’absence de problème psychique peut devenir un problème. Pour ces personnes, les consultations pourront donc être extrêmement espacées et fort brèves (sauf émergence d’un besoin autre que la validation écrite du « précieux » suivi), afin d’empi éter au minimum sur les temps d’entretiens nécessaires aux autres patients. Néanmoins, malgré des attestations de suivi n’en stipulant ni la fréquence ni la qualité (psychologique, psychiatrique, éducative, infirmière…), ces données parviennent de toute évidence aux instances pénitentiaires et judiciaires via d’autres canaux. Nous n’exposerons pas plus avant les termes et enjeux d’un débat qui peine à évoluer actuellement ; disons simplement que dans certaines régions la manière dont sont rédigées ces attestations de suivi est une importante pierre d’achoppement entre juges d’application des peines et SMPR/DSP. Nous prétendions précédemment que les psychothérapies menées en prison sont pour les patients et leurs attentes. Cependant, on peut estimer que ces consultations demandées « pour les RPS » ne répondent finalement qu’à des attentes judiciaire et pénitentiaire. Aussi, certains psychothérapeutes n’y donneront-ils pas suite afin de ne pas cautionner un système jugé déviant, de surcroît inique et aberrant puisqu’il conduit, en moyens constants, à diminuer le volume d’entretiens dévolu aux « vrais » patients. D’autres accepteront ces demandes, considérant qu’ils remplissent avant tout une attente du patient (ne pas être lésé en CAP simplement parce que je ne nécessite pas de soins médico-psychologiques), quand bien même cette légitime attente procéderait d’autres attentes, en amont, beaucoup moins fondées. Le principe de ces thérapeutes pourrait être : « ne pas contribuer, par mon abstention, à la perte de chances pour ces personnes ». De plus, cette position, qui avalise en apparence des représentations assez extravagantes, mène au contraire vers un salutaire effet paradoxal : sa logique poussée jusqu’au bout, le système se noie lui-même, démontrant peut-être ipso facto son absurdité. Quand dans un établissement tous les détenus auront ainsi bien rencontré le SMPR/DSP, attestations à l’appui, à quoi pourront-elles encore servir ? En quoi seront-elles discriminantes ? Quel sera leur pouvoir informatif ? Les autorités judiciaires et pénitentiaires en concluront-elles que les détenus font désormais tous « de sérieux efforts de réadaptation sociale », ou cette profusion d’attestations n’indiquera-t-elle pas seulement que tout le monde a bien appris sa leçon ? « Maintenant qu’à coups de tête tu es passé à travers le mur, que feras-tu dans la cellule à côté ? » questionnait S. J. Lec [12]… « Voilà justement pourquoi il est indispensable que vous précisiez la fréquence du suivi sur les attestations : “régulier”, “très régulier”, “extrêmement régulier” (…) », rétorquent certains juges d’application des peines aux SMPR et DSP concernés. Sans la crainte d’être soupçonnée de mauvais esprit, nous citerions volontiers un psychothérapeute expliquant consulter pour sa part extrêmement régulièrement son dermatologue. Une fois par an. Mais vraiment très régulièrement. D’autres collègues pourraient clore le débat en remarquant que de toute façon les détenus n’ayant besoin d’aucune prise en charge psychothérapique se font désormais bien rares.

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Jun 2, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 10: Les psychothérapies en prison

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