13: Enseignement et recherche psychanalytiques dans le cadre du SMPR à Sequedin

Chapitre 13


Enseignement et recherche psychanalytiques dans le cadre du SMPR à Sequedin



Il y a dix ans, nous avons mis en place un séminaire interdisciplinaire, intitulé « Psychanalyse et criminologie » qui se poursuit depuis 2006 au SMPR de la maison d’arrêt de Lille, à Sequedin. Le Dr Archer nous a fait l’honneur d’y participer quelques fois. Des médecins, psychiatres, psychanalystes, psychologues, infirmières interviennent une fois par mois dans ce cercle, en présentant des cas et des observations cliniques, mais aussi leurs lectures de livres ou d’articles psychiatriques, analytiques et criminologiques. Leurs interventions, construites sur la base de leurs formations respectives, sont toujours discutées par l’ensemble des participants. Des concepts de psychanalyse sont proposés sans aucune exclusivité pour élaborer les structures de ces observations et afin de les interpréter. Ces concepts, par exemple la répétition, la pulsion, le passage à l’acte, l’acting out, sont expliqués mais aussi mis à l’épreuve du matériel apporté par les intervenants. Nous nous astreignons aussi à l’effort de présenter notre recherche dans le cadre de ce séminaire.


Avant de présenter les orientations et les difficultés de cette recherche, nous devons répondre à deux questions préalables : Pourquoi la psychanalyse s’intéresse-t-elle à la délinquance et en quoi peut-elle aider dans les soins aux détenus manifestant des symptômes qui indiquent qu’ils souffrent d’une névrose, d’une psychose ou d’une perversion ?



Pschanalyse et délinquance


Dès 1914, Sándor Ferenczi propose une « psychanalyse du crime », dont il prend comme point de départ la thèse avancée par Sigmund Freud qu’à l’orée de l’humanité eût lieu un crime, celui du meurtre du père [1]. Ce crime commis par la horde primitive des ses fils serait à l’origine des institutions humaines, la loi et la culture qui fonderaient l’humanité [2]. Thèse contestée par les anthropologues, mais aussi par Jacques Lacan qui l’a néanmoins prise au sérieux en la renversant grâce à la sentence de Saint Paul : « c’est la loi qui fait le péché [3] ». Le grand psychanalyste français maintiendra cette généalogie durant tout son enseignement. Selon lui, Sade a dit la vérité de Kant. Sade n’exclut pas le crime quand il esquisse dans son brûlot :



Cette maxime donne à chaque citoyen de la république qu’il imagine un droit universel à la jouissance. Or, la maxime sadienne est, du point de vue de sa forme logique aussi cohérente que le formalisme kantien de l’impératif catégorique.


Nous ne résumerons pas ici l’histoire des apports des différentes écoles de psychanalyse à la criminologie [5].



Pour l’élaboration d’une criminologie psychanalitique


L’enthousiasme des pionniers de la psychanalyse ne connaissait pas de limites. En 1919, Sandor Ferenczi [6] plaide pour l’élaboration d’une criminologie psychanalytique. Avec une logique implacable, il prend les criminologues au mot :





Recherche des déterminations de l’acte par le sujet


On préférerait que le sujet qui s’est rendu coupable d’un crime trouve lui-même les déterminations de son acte à travers une analyse. Il faut pourtant faire remarquer qu’il est pratiquement exclu d’analyser un détenu dans les conditions que présentent nos maisons d’arrêt. De plus, les détenus demandent, en général, à voir un psychiatre ou un psychologue ; ils ne demandent pas une analyse. À cette barrière s’ajoute un autre obstacle : si n’importe qui, quelle que soit sa situation sociale, doit avoir droit à une psychanalyse, force est de constater que tout le monde n’est pas analysable. D’une certaine façon, le programme de Ferenczi était trop exclusif car il mettait les déterminations inconscientes au centre. Or, il n’est nullement garanti qu’on puisse faire accéder un détenu au travail de son inconscient. Sa parole est certes porteuse de son inconscient et un analyste peut en prendre acte par son écoute mais il n’est pas sûr que le détenu assume ce que l’on lui aura révélé de ses motions pulsionnelles et de ses désirs, ignorés de lui-même. La raison en est simple : une telle assomption demande un temps qui nous est rarement accordé en prison. L’inconscient ne se fait entendre que grâce à la répétition de l’acte psychanalytique [7]. Or, cette continuité est souvent mise en question : certains détenus, mis en examen pour agressions sexuelles, évitent la cellule d’attente collective par peur d’être agressés par leurs codétenus ; d’autres ne sont simplement pas appelés par les surveillants. Et il faut dire aussi que la prise de parole demande beaucoup de courage à un sujet privé de sa liberté. Une fois surmontés le désarroi du début de l’incarcération, l’urgence due à une crise d’angoisse ou une dépression dépassée, beaucoup de détenus n’éprouvent plus le besoin de parler à leurs thérapeutes. Ils se contentent alors des médicaments qui leur sont distribués.




Trois exemples de réussite thérapeutique relative




image Nous mentionnons d’abord cette femme étrangère, condamnée à plusieurs années de prison pour trafic de drogue. La séparation d’avec ses enfants mineurs et de ses parents malades dans son pays d’origine, la perspective incertaine d’obtenir une réduction de peine pour pouvoir rejoindre les siens, un certain arbitraire de la part d’une surveillante à son égard et une santé physique fragile renforcèrent sa dépression déclenchée par ce qu’elle tenait pour un déni de justice. Elle a en effet maintenu jusqu’à la fin avoir transporté à son insu une grande quantité de drogue dans le camion qu’elle conduisait. Ses entretiens avec différents membres de notre équipe ont permis de juguler ses idées noires et de supporter les tensions dues à l’incertitude sur sa situation et celle des siens. Elle pouvait ainsi travailler afin de pouvoir payer l’amende que la douane lui avait imposée, un paiement qui appartenait aux conditions de sa libération.


image Une autre femme, jugée pour une série d’incendies mystérieux, commença sa détention par une crise de désespoir si forte qu’il fallut l’hospitaliser deux fois. Dès le lendemain de son arrivée, elle présenta une cécité qui pouvait faire penser à un cas d’hystérie. Ce diagnostic posait néanmoins des problèmes, étant donné les agissements de cette personne pendant les premières semaines de son séjour à Sequedin : elle se rendait si insupportable que les surveillants finissaient par ignorer toutes ses plaintes. Elle « se faisait oublier ». Niant strictement avoir jamais mis le feu, elle accusait son ex-mari d’être l’incendiaire. Dans nos entretiens, nous sommes au moins arrivés à dresser la liste de tous les incendies dont elle se disait la victime. D’un de ses récits surgit aussi une étrange figure : un jour, disait-elle, une voyante aurait frappé à sa porte pour lui lire les lignes de la main. Elle n’y aurait vu que du feu ! Nous pensons que la patiente a donné à cette rencontre une interprétation délirante et qu’elle avait entendu la parole de cette cartomancienne comme un ordre de mettre le feu. Notre effort à établir un ordre discursif dans son histoire restée longtemps incompréhensible pour elle-même a amené à un certain apaisement et à la sérénité quand elle a pu espérer sortir de prison.


image Le troisième exemple d’un soulagement atteint à travers nos entretiens thérapeutiques nous est fourni par un homme d’une cinquantaine d’années qui a été envoyé pour deux ans en prison parce qu’il s’était égaré sur un site pédo-pornographique d’internet. Cet homme se disait victime d’une erreur judiciaire que la complexité de son cas avait induite. Il aurait en effet fallu que ses juges acquièrent un certain savoir en psychanalyse et en psychopathologie pour comprendre qu’ils n’avaient pas affaire à un pervers mais à un psychotique que les petites filles n’intéressaient guère comme objets sexuels.


image Le détenu, un homme intelligent, nous faisait part d’une grande souffrance, causée en partie par la honte qu’il avait fait à ses vieux parents, un couple malade dont il était le fils unique. Il disait être particulièrement peiné par sa mère, atteinte d’un cancer, à qui il promettait de faire un pèlerinage afin qu’elle guérisse. Sa contrition fut accompagnée d’un symptôme somatique d’origine psychogène, particulièrement invalidant en prison – une rétention urinaire qui avait démarré dès son incarcération dans une autre prison où il devait partager sa cellule avec sept autres détenus, n’arrivant pas à uriner devant tout ce monde. Il était donc obligé de porter une sonde. Le problème urinaire le tourmentait depuis sa naissance. Depuis sa septième année, il devait se cacher pour faire pipi. Il se demandait qui lui avait appris l’action d’uriner. La miction lui posait de toute évidence un problème plus grave qu’une perturbation physiologique. Elle l’inquiétait au niveau de sa sexuation. À travers ce symptôme, il s’est posé la question de savoir s’il avait le droit de porter son pénis ou si ce droit était contestable. Son affection pour sa mère s’est vite avérée comme la formation réactionnelle à une dépendance, installée depuis sa prime enfance. Baptisé sous un nom que portent les deux sexes, sa mère le traitait comme une fille, en lui mettant par exemple des barrettes dans les cheveux et en lui offrant une poupée rose, posée sur son lit. Quand il eut cinq ans, il fit à cette poupée un pénis en pâte à modeler qu’il enleva par la suite. Cela ne faisait aucun doute pour lui que sa mère aurait préféré avoir une fille au lieu d’un garçon.


image Ces dernières années, une grande angoisse le hantait, l’angoisse de subir la castration dans le réel. Que la castration ne soit point une opération symbolique pour lui est aussi avéré par le fait qu’elle ne lui pose aucun problème au niveau des relations sexuelles avec sa femme. À la différence d’un névrosé qui, par crainte de la castration, peut perdre ses moyens en présence d’une femme, l’idée d’être châtré par sa partenaire lors d’un coït ne lui est jamais venu à l’esprit. Ce qu’il craignait, c’était d’être agressé par-derrière par un homme et d’être émasculé.


image La peur qui augmentait durant les années précédant son incarcération lui rappelait une peur infantile qui surgissait quand son père l’amenait en promenade. Peur accompagnée d’une hallucination : il entendait un enfant pleurer au loin et craignait d’être agressé par-derrière. À 16 ans, il a essayé de couper son sexe avec des ciseaux, voulant ainsi anticiper sur un tel acte commis par un autre. « Pour moi, c’était ce qu’il fallait faire ». Il n’a pourtant jamais eu la moindre envie de se travestir et n’a jamais été tenté par le transsexualisme, protestant plusieurs fois qu’il voulait rester un homme. Son point de fixation délirant était la castration réelle.


image De par sa profession, habitué à une pensée systématique, il cherchait une solution et crût l’avoir trouvée en commençant une enquête sur les eunuques. Il fréquentait une bibliothèque pour y lire des livres sur les castrats à la cour de Byzance, sur une communauté que ces êtres pouvaient former en Inde et sur les castrats en Chine. Il a aussi commencé à écrire un livre sur ce sujet qui l’a tant troublé. De visiter également des sites sur internet fut fatal pour lui, car en s’intéressant à la nudité des castrats, il atterrit aussi sur des sites pédo-pornographiques. Aussi a-t-on plusieurs fois repéré son nom sur un site qui exposait des images de bas-ventres cicatrisés d’eunuques comparés à des corps dénudés de jeunes filles, abjection qui ne lui a pas échappé.


image Face au désarroi de cet homme, nous lui avons donné une explication à son égarement. Nous lui avons dit qu’il avait eu tort de visiter ces images obscènes affichées sur ce site mais que l’idée que le sexe féminin était le résultat d’une castration correspondait à une théorie sexuelle infantile et que celle-ci n’avait rien de répréhensible. Son erreur se situait au niveau de son angoisse de subir la castration réellement. À partir de ce moment, le patient fut moins angoissé et il soumit cet argument à sa juge lors de son procès en appel. Elle ne sembla pas avoir été complètement insensible à cette explication. Il a été condamné à dix mois de prison ferme. À sa sortie de prison, nous avons adressé cet homme à une psychiatre qu’il continue de voir régulièrement.

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Jun 2, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 13: Enseignement et recherche psychanalytiques dans le cadre du SMPR à Sequedin

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