6: À propos du quartier disciplinaire des prisons

Chapitre 6


À propos du quartier disciplinaire des prisons



Pour garder le contrôle sur ses prisons, l’administration pénitentiaire a organisé la vie des détenus de manière rigoureuse et a inventé et développé des systèmes de surveillance et de maintien de l’ordre. L’obéissance au règlement intérieur est fondamentale, l’insoumission est sanctionnée. Le jugement intra-carcéral, qui mime la justice pénale, a recours à l’isolement dans un quartier disciplinaire. Quel est le fondement de cette peine disciplinaire ? Peut-on attendre d’une telle sanction une modification d’un comportement déviant et surtout qu’en est-il de l’effet de cette sanction chez les détenus en souffrance psychique ou atteint de maladie mentale ? Le médecin en milieu pénitentiaire est pris à témoin de cette pratique. Il lui est demandé son avis sur l’aptitude du détenu à être maintenu en quartier disciplinaire. Peut-il exercer sans prendre une position critique devant l’action pénitentiaire ? Est-il possible pour le médecin d’exercer dans ces quartiers spéciaux sans se heurter à des conflits internes et externes ?




Historique de l’isolement carcéral


L’isolement carcéral a longtemps pris la forme de supplices avec les cachots ou les oubliettes. Au 18e siècle, la rationalisation de la peine a été accompagnée de propositions organisationnelles. Un des objectifs était d’isoler le détenu des mauvaises influences. Grâce à l’introspection facilitée par l’isolement, il pouvait redécouvrir les valeurs morales afin d’obtenir sa rédemption [1]. Il était admis que l’isolement permettait d’éviter les effets négatifs de la promiscuité, et la « contagion » des mauvaises conduites. Ce modèle s’est développé au 19e siècle, aux États-Unis. Le système de Philadelphie prônait l’isolement de jour et de nuit, afin que le détenu fasse « pénitence », alors que le système d’Auburn à New-York n’imposait l’isolement que la nuit, le jour étant consacré au travail, dans le silence.


Le système de Philadelphie a été adopté en France, sous l’influence de Tocqueville et de Beaumont [2]. Une circulaire de 1841 en précise les modalités : cellule de taille supérieure à 9 m2 permettant de travailler, promenoir individuel, parloirs cellulaires. Malgré la volonté de soumettre tous les détenus à ce régime, cette pratique se heurta à une réalité économique, les mesures d’isolement étant impossibles à mettre en œuvre partout. L’augmentation de la population carcérale en fit rapidement une mesure singulière à vocation disciplinaire.



Critiques de l’isolement


De nombreuses observations, critiquant les effets délétères de l’isolement carcéral, ont été formulées dès sa mise en application. Des écrivains, des légistes de même que des administrateurs d’institutions pénitentiaires prirent position pour tenter de réformer ces pratiques. Depuis la fin du XIXe siècle, le milieu médical a pris part au débat sur le recours à l’isolement comme mesure disciplinaire. Foucault qui critiquait l’univers intra-carcéral en décryptant son fonctionnement considérait que l’objectif principal du tribunal disciplinaire était la normalisation de l’individu. Le châtiment disciplinaire visait moins à l’expiation et au repentir qu’à la correction par sanction comportementale mettant en jeu un double système de récompenses et de punitions. Goffman émit lui aussi des réserves sur l’utilité des mesures disciplinaires qu’il considère déstructurantes en rappelant que :



Plus récemment, Shalev, a publié de nombreux ouvrages dans lesquels elle dénonce la pratique de l’isolement carcéral [3] Actuellement, en France, les mesures d’isolement carcéral sont régulièrement critiquées par le corps médical.



Les mesures disciplinaires dans le dispositif pénitentiaire actuel


Lorsqu’un détenu ne respecte pas le règlement intérieur, il peut comparaître devant la commission disciplinaire («le prétoire » dans le glossaire carcéral). Le détenu y est présenté, éventuellement accompagné de son avocat. Sa version de l’événement est confrontée à celles de deux surveillants et parfois de témoins de la scène litigieuse. Le directeur de la prison fait office de juge et rend le verdict. Le décret D. 251 du CPP instaure une liste de fautes disciplinaires auxquelles correspondent des sanctions de degrés variables : avertissement, privation du droit d’achat par le système des « cantines », suspension des parloirs, retrait de la télévision, confinement en cellule individuelle ordinaire, placement en cellule disciplinaire pour 45 jours consécutifs au maximum. L’isolement au quartier disciplinaire est la mesure de référence. À titre d’exemple, en 1999 en France, il y a eu 40 000 procédures disciplinaires qui ont donné lieu à 27 500 placements en cellule disciplinaire. Cette organisation judiciaire est critiquée par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme qui considère que l’autorité pénitentiaire dispose d’une trop grande marge de manœuvre [4].



Description du quartier disciplinaire


La cellule disciplinaire est un lieu de confinement d’au moins 8 m2. Les prisonniers sont seuls, séparés des autres détenus. Ils y passent généralement 22 heures par jour, soumis à une immobilité quasi permanente.



Environnement physique


Le régime correspond à une isolation sociale et sensorielle. La limitation du champ de vision et la lumière artificielle affectent les fonctions visuelles. La modification de l’environnement sonore peut perturber le détenu isolé de la vie carcérale. Le silence peut être source d’angoisses et les divers bruits sont susceptibles de mettre le détenu dans un état de vigilance exacerbé. D’autres sons, routiniers et continus, deviennent obsédants, et constituent alors les seules sources d’attention pour un individu privé de toute stimulation sensorielle.


La privation du système d’approvisionnement (« cantine ») et les modifications du régime alimentaire peuvent occasionner des perturbations des conduites alimentaires et du poids. La solitude et l’ennui participent aux modifications du comportement psychomoteur et de ses rythmes. L’ambiance confinée, le manque d’aération et parfois la moiteur peuvent provoquer un mal-être physique et des gênes respiratoires. Le matelas plastifié « antifeu » entraîne douleurs et sueurs froides. Le manque d’espace est à l’origine d’allongements prolongés pouvant occasionner des douleurs et l’apparition d’hypotension orthostatique.



Rythme de vie


Le règlement qui régit le quartier disciplinaire est le plus sévère qui existe en prison. Toutes les activités (le travail, l’éducation, le sport, la télévision, les promenades collectives…) sont interdites. La lecture est la seule source de stimulation intellectuelle autorisée. La radio a été autorisée par l’administration pénitentiaire en 2010. La vie quotidienne des détenus en quartier disciplinaire est peu structurée. Les repères temporels sont rares. Ils appréhendent difficilement le temps qui passe et vivent l’attente comme interminable. La journée est marquée par deux repas (il n’y a pas de petit déjeuner), une promenade seul d’une heure et les rondes de surveillants. Le manque d’activité contraint souvent à dormir pour que le temps passe plus vite. Cela contribue à déstructurer les rythmes physiologiques.



Les rapports concernant les mesures disciplinaires


Plusieurs rapports récents s’indignent des conditions de détention en France et de la pratique de l’isolement. Le rapport Floch rendu à l’Assemblée Nationale en 2000 soulignait « les conséquences désocialisantes et psychiquement déstructurantes d’une décision de mise à l’isolement ». Le rapport présenté au Sénat en 2000 rappelle que



Si beaucoup de progrès ont été réalisés depuis, les conditions de détention au quartier disciplinaire sont encore perfectibles. La proposition avait été faite de diminuer le nombre de jours d’isolement disciplinaire de 45 jours à 20 jours maximum [5]. Le Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé recommande, après avoir été saisi par l’OIP en 2005, d’encadrer la sanction disciplinaire « faute de quoi elle va à l’encontre de ses finalités disciplinaires en mettant en péril la santé mentale du détenu. » Il s’interroge aussi sur « la limite entre punition, traitement dégradant et torture, entre pouvoir de l’institution et protection des droits fondamentaux de la personne. » [6].

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Jun 2, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 6: À propos du quartier disciplinaire des prisons

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