5: Suicide et tentative de suicide en milieu carcéral

Chapitre 5


Suicide et tentative de suicide en milieu carcéral



Depuis les années 1960, le taux de suicide en prison a parallèlement presque quintuplé. Au vu de cette augmentation alarmante, la mission de prévention et de lutte contre le suicide en milieu carcéral est devenue un axe majeur de l’administration pénitentiaire, devant les émeutes, les évasions et les agressions.


Afin de mieux comprendre le phénomène du suicide en prison et d’en améliorer la prévention, il est important d’identifier au mieux les facteurs de risque et de vulnérabilité face au suicide en milieu carcéral.



Le suicide en milieu carcéral



Les données épidémiologiques


Le nombre de personnes écrouées dans les établissements pénitentiaires en France métropolitaine a plus que doublé depuis les années 1960 pour atteindre 62 712 personnes en moyenne en 2009. Parallèlement, le taux de suicide en prison a presque quintuplé en 50 ans passant de 4,3 pour 10 000 écroués en 1960 à 19,3 pour 10 000 en 2009 [1]. L’évolution a été marquée par des pics au milieu des années 1970 et à la fin des années 1990. Le niveau le plus élevé a été atteint en 1996 avec 26 suicides pour 10 000 détenus [2]. En population générale, il y a eu également une augmentation du taux de suicide notamment chez les hommes âgés de 15 à 59 ans particulièrement représentés en prison. En effet, 93 % de la population carcérale sont des hommes de ce groupe d’âge. [3] Ainsi, la « sursuicidité » de la population carcérale par rapport à la population générale est avérée puisque l’on retrouve un coefficient multiplicateur de 13,5 ramené à 6,5 pour une population de même caractéristiques sociodémographiques [4].



La France comparée à ses voisins européens


Le Monde daté du 1er avril 2009 titre au sujet des suicides en prison :



En effet, avec 20 suicides annuels pour 10 000 détenus en moyenne entre 2002–2006, la France présente le niveau de suicide en prison le plus élevé de l’Europe des Quinze, loin devant le Danemark (13/10 000), la Grèce ayant le taux le plus bas (4/10 000) [5]. Ces résultats sont à considérer avec beaucoup de précaution puisqu’il est, en effet, difficile de comparer les différents pays européens en raison des différences de définition du suicide d’un pays à l’autre, du mode de calcul du taux de suicide, des variations de la population carcérale et des variations du suicide dans la population générale dans chaque pays.



Les caractéristiques du suicide en milieu carcéral



Les modalités de passage à l’acte


La pendaison est surreprésentée puisque 95 % des détenus qui se sont suicidés en 2009 se sont pendus. Les autres moyens utilisés sont l’absorption de produits toxiques, les automutilations, l’immolation, l’ingestion de corps étrangers, la projection dans le vide et l’étouffement [6]. La pendaison est très présente, non par choix mais du fait du contexte carcéral. En effet, les moyens suicidaires sont restreints en raison du milieu lui-même et de la volonté de limiter au maximum les risques. Des filets sont installés dans les coursives pour éviter les précipitations d’un étage élevé et les objets tranchants sont interdits pour limiter les risques d’agression et d’évasions. La pendaison et l’étouffement sont des moyens qui restent toujours possibles quels que soient les moyens de fouilles.



Profil socio-démographique des détenus suicidés


D’après le rapport Albrand [7], le suicide en milieu carcéral représente la première cause de décès chez les populations les plus jeunes, 57 % des suicidés en 2008 avaient entre 21 et 40 ans. Le travail de N. Bourgoin [8], basé sur l’étude de l’ensemble des détenus décédés par suicide dans les prisons françaises entre 1982 et 1991, soit 621 cas, mettait en avant des facteurs de risque différents de ceux observés en population générale. Les délinquants « en col blanc » se suicideraient plus que « les cols bleus » et ceux-ci plus que les sans profession ». De même, le fait d’avoir une famille, un conjoint, ou des enfants est un facteur de risque au moment de l’écrou. Bourgoin, fait apparaître une trame explicative différente de celle qui caractérise le suicide en général où un faible niveau social et une absence d’attaches familiales et professionnelles sont des facteurs de risque. Elle tend à montrer qu’en milieu carcéral, le poids de ces facteurs serait différent puisqu’ils reflèteraient le « déracinement » et l’ampleur de l’échec lié à l’incarcération. Néanmoins, ces résultats s’appliquent plus à ce qui se passe en début d’incarcération car les facteurs de risque entre population carcérale et générale tendent à se rejoindre avec l’évolution de la détention.


La nationalité semble également avoir une influence sur le risque suicidaire des détenus ; les taux de suicide des étrangers, très inférieurs à ceux des Français en population générale, ont tendance à se rapprocher de ceux des Français en milieu carcéral ; la sursuicidité carcérale est ainsi plus élevée pour les étrangers que pour les Français. Cette sursuicidité carcérale des étrangers peut être expliquée par un effet de déracinement et par des problèmes de communication liés à la langue. De plus, les étrangers interdits de territoire sont particulièrement fragiles ; Tournier et Chemithe notent à ce propos :



Ainsi, le profil socio-démographique type du détenu à haut risque suicidaire serait le suivant : un homme jeune, de race blanche et marié [9].



Statut pénal des détenus décédés par suicide


Le taux de suicide chez les personnes en détention provisoire est plus de deux fois supérieur à celui des condamnés : 26 pour 10 000 pour les prévenus contre 11 pour 10 000 pour les personnes condamnées en 2007. Les prévenus représentent environ 28 % de la population carcérale. Cette différence se vérifie depuis plusieurs années, non seulement en France mais dans les autres pays occidentaux. Le suicide, plus important chez les prévenus, pourrait s’expliquer par le choc psychologique de l’incarcération, la difficulté d’adaptation, la privation de liberté, la révélation d’un crime ou d’un délit et la séparation de l’environnement habituel et familial.


La nature de l’infraction est également un élément déterminant ; les prévenus écroués pour crime de sang et pour agression sexuelle sur mineur se suicident 7 fois plus que ceux inculpés de vol sans violence. Un tiers des suicides concerne les accusés d’atteinte contre les personnes (meurtres, coups et blessures..), un autre tiers concerne ceux accusés de crimes ou de délits sexuels, alors que ces deux groupes ne forment respectivement que 17 % et 21 % de la population pénale [10]. Les personnes incarcérées pour viol, et encore plus pour viol sur mineurs, sont particulièrement ostracisées par leurs codétenus et subissent des brimades répétées qui, avec le temps, ajoutées aux autres tensions, pourraient les conduire au suicide.


À noter également qu’une infraction grave contre un proche est un facteur de précocité du suicide ; un certain nombre des ces prévenus a souvent déjà commis un geste suicidaire avant l’incarcération, parfois même juste après le geste criminel. Le risque suicidaire des détenus ayant commis des infractions graves sans lien avec un proche apparaît plus tardivement dans le temps de l’incarcération [11].


Des études montrent que le risque de suicide augmente avec la durée de la peine notamment chez les détenus condamnés à une peine supérieure à 10 ans [12]. Des analyses multivariées ont montré que l’effet de la nature de l’infraction était indépendant de l’effet de la durée de la peine sur le risque suicidaire [3].



Les lieux du geste suicidaire


Le geste suicidaire a principalement lieu en Maison d’Arrêt avec 90,7 % des suicides [8]. Ces établissements accueillent les prévenus, les condamnés à moins de un an de prison et les condamnés à de plus lourdes peines y attendant leur transfert dans un établissement pour condamnés. Ils n’ont pas de limitations de capacité d’accueil. Les conditions de détention en Maison d’Arrêt sont caractérisées par un flux important de détenus rendant difficile tout lien durable et moins de possibilité d’activités et de loisirs que dans les établissements pour peine.


Au sein même de l’établissement pénitentiaire, certains lieux sont plus propices au suicide comme le Quartier Disciplinaire (QD) et le Quartier d’Isolement (QI) où la sursuicidité est environ de 7 par rapport à la détention en section [11]. Le délai entre la mise au QD et le suicide est en général très court ; plus de la moitié des suicides interviennent dans la première journée de mise au QD et parmi ceux-ci plus d’un quart surviennent dans la première heure. Sur les 88 suicides recensés par Bourgoin dans son étude, 48 ont eu lieu alors que les détenus étaient placés en prévention disciplinaire. La proportion d’étrangers était plus élevée que la moyenne des suicidés. Les détenus transférés au QD sont souvent des détenus impulsifs, instables, dont la répétition des actes transgressifs peut traduire une tendance autopunitive et une dépressivité masquée [12]. Dans son ouvrage, Pauchet écrit :



En France, au cours de l’année 2006–2007, 16 % des suicides ont eu lieu au QD, alors que cette structure ne représente que 2 % de la capacité totale des places en détention en France.


Le Quartier d’Isolement permet au chef d’établissement d’écarter du reste de la détention des détenus gênants, suspects, meneurs sans qu’ils n’aient commis de faute disciplinaire. Il permet aussi de protéger des détenus qui pourraient subir des agressions de leurs codétenus. Un prisonnier peut donc être placé à l’isolement à sa demande ou sur décision de l’administration pénitentiaire. Il est alors seul en cellule, peut avoir des journaux, la télévision et la radio, peut bénéficier de parloirs, d’une promenade seul et d’une activité sportive dans un local du Quartier d’Isolement. L’isolement non disciplinaire augmente le risque de suicide mais d’une façon moins nette qu’au QD. Bourgoin constatait que plus d’un tiers des suicides au Quartier d’Isolement est le fait de détenus qui avaient demandé à être isolés [8].


Le fait d’être seul en cellule est un facteur facilitant le passage à l’acte [9]. En France, 79 % des suicides en 2006 se sont déroulés lorsque le détenu se retrouvait seul en cellule, soit parce qu’il n’avait pas de codétenu, soit parce que le codétenu était absent à ce moment [1].

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Jun 2, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 5: Suicide et tentative de suicide en milieu carcéral

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