Chapitre 6
Syndrome SAPHO et ostéomyélite chronique récurrente multifocale
De manière schématique, le syndrome SAPHO et l’ostéomyélite chronique récurrente multifocale (OCRM) peuvent être considérés comme les deux versants d’une même affection. Le syndrome SAPHO affecte plus volontiers l’adulte tandis que l’OCRM est plus fréquente chez l’enfant et l’adolescent. La pathogénie demeure inconnue mais ces deux entités clinicoradiologiques sont caractérisées, sur le plan anatomopathologique, par une inflammation osseuse (ou ostéite) non spécifique, aseptique. En 1987, Kahn et al. [8] ont proposé d’utiliser l’acronyme SAPHO (S = synovite ; A = acné ; P = pustulose palmoplantaire ; H = hyperostose ; O = ostéite) pour désigner l’association fréquente (mais inconstante) entre certaines affections cutanées et ostéoarticulaires. Les manifestations cliniques et radiologiques du syndrome SAPHO (dont toutes les composantes sont présentes dans 70 % des cas) et de l’OCRM sont très variables d’un individu à l’autre et diverses appellations ont donc été utilisées dans la littérature pour faire référence au syndrome SAPHO (hyperostose sternoclaviculaire, hyperostose sternocostoclaviculaire, ostéite rhumatismale aseptique, spondylarthropathie associée à l’acné, etc.) ou à l’OCRM (ostéomyélite symétrique subaiguë et chronique, ostéomyélite symétrique chronique multifocale, ostéomyélite chronique multifocale cléïdométaphysaire, etc.). L’un comme l’autre demeurent des diagnostics d’élimination.
Pathogénie
Elle demeure incertaine mais trois hypothèses prédominent : infectieuse, auto-immune et génétique :
origine infectieuse par un agent microbien faiblement virulent compte tenu des constatations anatomopathologiques (ostéomyélite aiguë, subaiguë et/ou chronique) et de la topographie des lésions osseuses (rachis, os longs). Du Propionibacterium acnes a ainsi été isolé au sein de prélèvements osseux chez des patients présentant un syndrome SAPHO [38, 50]. Il s’agit toutefois d’un germe saprophyte anaérobie du derme sous-cutané dont la présence pourrait résulter d’une contamination des prélèvements, d’autant que l’antibiothérapie n’a pas réellement prouvé son efficacité, même si quelques cas de bonne réponse aux tétracyclines ont été rapportés [3, 38, 52] ;
origine auto-immune en raison :
des similitudes constatées entre les atteintes osseuses du syndrome SAPHO et de certaines spondyloarthrites (rhumatisme psoriasique, arthrite réactionnelle) : atteinte axiale fréquente, ossifications paravertébrales, lésions de spondylite antérieure,
de l’association possible entre syndrome SAPHO, OCRM et affections cutanées (pustulose palmoplantaire, psoriasis, acné, syndrome de Sweet, pyoderma gangrenosum) [12, 41], entre syndrome SAPHO, OCRM et maladies inflammatoires du tube digestif (maladie de Crohn, rectocolite hémorragique) [5] et entre OCRM et maladies auto-immunes (artérite de Takayasu, granulomatose de Wegener) [5, 12].
Cependant, l’origine auto-immune des spondyloarthrites est actuellement remise en question, au profit d’une origine auto-inflammatoire (cf. chapitre 4) ;
origine génétique car des cas d’OCRM ont été rapportés dans des fratries, chez des jumeaux homozygotes et en association avec le syndrome de Majeed [1, 2, 23, 43]. Ce syndrome se transmet de manière autosomique récessive et associe une OCRM sévère (début précoce, poussées fréquentes, retard de croissance) à une anémie dysérythropoïétique congénitale et une dermatose inflammatoire (syndrome de Sweet, pustulose palmoplantaire). Des mutations sur le chromosome 18 (gènes LPIN2, PSTPIP2) seraient en cause [19, 36].
Histologie
La ponction-biopsie osseuse peut être nécessaire pour éliminer une cause tumorale, en particulier au début de l’affection, lorsque l’ostéolyse prédomine. L’examen anatomopathologique révèle une ostéite non spécifique [36, 37]. Aucun germe n’est retrouvé [4, 37, 46]. En phase aiguë, la moelle osseuse est le siège d’une infiltration cellulaire composée principalement de leucocytes polynucléaires, associée à de la nécrose et de la résorption osseuse (ostéoclastose) [4, 9]. En phase subaiguë, l’infiltrat cellulaire inflammatoire est essentiellement constitué de lymphocytes, parfois associés à des granulomes tuberculoïdes non caséeux [4]. En phase chronique, l’infiltrat cellulaire laisse la place à de la fibrose médullaire et de la formation osseuse (ostéoblastose) [4, 9]. Compte tenu du mode évolutif chronique de l’affection, il n’est pas rare que ces différentes phases coexistent sur la même biopsie osseuse [46]. Les anomalies anatomopathologiques sont mal corrélées à la clinique mais assez bien corrélées aux anomalies radiographiques (par exemple, l’ostéoblastose avec l’ostéocondensation) [36].
Épidémiologie
Le syndrome SAPHO et l’OCRM peuvent survenir à tout âge, le syndrome SAPHO étant plus fréquent chez l’adulte jeune et l’OCRM, chez l’enfant [36]. Quel que soit l’âge, il existe une discrète prédominance féminine [16].
Clinique – Biologie
Manifestations cutanées
Elles seraient plus fréquentes dans le syndrome SAPHO que dans l’OCRM [31]. La pustulose palmoplantaire et l’acné représentent les lésions les plus classiques mais d’autres manifestations cutanées sont possibles : psoriasis, syndrome de Sweet, pyoderma gangrenosum. La pustulose palmoplantaire consiste en une éruption intermittente de pustules intradermiques jaunâtres, stériles, de la paume des mains et de la plante des pieds (fig. 6.1). L’acné, lorsqu’elle est présente, est sévère (acne fulminans, ulcerans ou conglobata, hidrosadénite suppurée). La pustulose palmoplantaire et l’acné ont respectivement été rapportées chez 50 % et 10 à 18 % des patients présentant un syndrome SAPHO [8, 53]. Elles précèdent l’atteinte osseuse dans la plupart des cas mais elles peuvent survenir de façon concomitante ou plus tardive. L’atteinte osseuse peut donc s’observer sans affection cutanée connue mais un interrogatoire minutieux est indispensable car l’affection cutanée peut avoir été oubliée. Un intervalle libre de 38 ans a ainsi été rapporté entre une acné sévère et le développement des lésions osseuses [27]. Il semble exister une prépondérance masculine en cas d’acné et une prépondérance féminine en cas de pustulose palmoplantaire. Le psoriasis est vulgaire ou pustuleux (et dans ce cas difficile à différencier d’une pustulose palmoplantaire) [27, 36]. Le syndrome de Sweet (ou dermatose aiguë fébrile neutrophilique) et le pyoderma gangrenosum peuvent survenir en association avec l’OCRM (tableau 6.1).
Tableau 6.1
Manifestations cliniques comparées du syndrome SAPHO et de l’OCRM.
Manifestations | Syndrome SAPHO | OCRM |
Ostéoarticulaires | Atteinte articulaire principalement (région sternocostoclaviculaire, rachis, bassin) Arthrites périphériques Enthésites périphériques | Atteinte osseuse principalement (os longs, clavicule, rachis) |
Cutanées | Pustulose palmoplantaire Acné Psoriasis | Pustulose palmoplantaire Acné Psoriasis Syndrome de Sweet Pyoderma gangrenosum |
Digestives | Maladie de Crohn Rectocolite hémorragique | Maladie de Crohn Rectocolite hémorragique |
Manifestations digestives
Elles témoignent de l’association possible à une maladie de Crohn ou une rectocolite hémorragique [34].
Autres manifestations cliniques
De manière anecdotique, une amylose rénale [55] ou un ostéosarcome [42] ont été rapportés en association avec le syndrome SAPHO.
Signes biologiques
Il peut exister un syndrome inflammatoire biologique modéré sous forme d’une élévation de la vitesse de sédimentation et du taux de C réactive protéine mais la numération formule sanguine est habituellement normale [36].
Évolution
Le syndrome SAPHO et l’OCRM évoluent typiquement de manière chronique, par poussées entrecoupées de rémissions mais de façon variable d’un individu à l’autre : certains patients ne vont présenter qu’une ou deux poussées inflammatoires alors que d’autres vont souffrir de manière prolongée et développer en permanence de nouvelles lésions. L’OCRM de l’enfant peut se transformer en syndrome SAPHO (et comporter une atteinte axiale au premier plan) mais des rémissions sont possibles [59].
Distribution des lésions
Une seule (atteinte monostotique) ou plusieurs (atteinte polyostotique) lésions ostéoarticulaires peuvent être présentes. Dans le syndrome SAPHO, l’atteinte ostéoarticulaire prédomine, en particulier celle de la région sternocostoclaviculaire, suivie par l’atteinte du rachis, du bassin et des os longs. De même, des arthrites périphériques peuvent être observées, à la différence de l’enfant (tableau 6.1). Dans l’OCRM, l’atteinte osseuse prédomine. Elle est plus volontiers multiple, bilatérale, symétrique de façon simultanée ou successive mais contrairement à ce que son nom indique, il n’est pas rare que l’OCRM se manifeste par une atteinte osseuse isolée [36, 38]. La réalisation croissante d’IRM corps entier (cf. infra) devrait permettre de découvrir davantage de lésions multiples, asymptomatiques, à radiographies normales.
Aspects radiologiques
Syndrome SAPHO
La région sternocostoclaviculaire, le rachis et le bassin sont les plus touchés mais toutes les pièces osseuses peuvent être concernées (tableau 6.2). Les articulations périphériques, de même que les enthèses périphériques, ne sont pas épargnées.
Région sternocostoclaviculaire
Il s’agit de l’atteinte la plus fréquente (60–90 % des cas) et la plus caractéristique du syndrome SAPHO. Les radiographies peuvent objectiver l’ostéocondensation et l’hypertrophie des pièces osseuses affectées, notamment des clavicules et des premières côtes (fig. 6.2) mais le scanner en permet une étude plus fine. On peut observer :
une ostéite. Elle se traduit par une ostéocondensation fibrillaire souvent importante et homogène des os affectés, avec épaississement des travées osseuses (fig. 6.3 et 6.4). À un stade précoce ou lors de poussées inflammatoires, l’IRM permet d’objectiver une réaction œdémateuse de l’os spongieux et des parties molles adjacentes (fig. 6.5) ;
Fig. 6.3 Syndrome SAPHO : ostéocondensation témoignant de l’ostéite, irrégularités des contours osseux dues à l’hyperostose et érosions, notamment de l’articulation sternoclaviculaire droite.
Fig. 6.4 Syndrome SAPHO : coupes tomodensitométriques de la région sternocostoclaviculaire chez deux patients différents.
Notez la condensation osseuse, l’hypertrophie osseuse, les proliférations osseuses (flèches), les érosions sternoclaviculaires (têtes de flèches), et l’ankylose osseuse sternocostale (double tête de flèche).
Fig. 6.5 Syndrome SAPHO : coupes frontales pondérées en T1 avant (a) et après (b) injection de gadolinium.
Notez l’ostéite du manubrium en regard de la clavicule et du sternum (flèches).
une hyperostose, très caractéristique du syndrome SAPHO, habituellement associée à l’ostéite [6, 11, 27]. Elle se traduit par des proliférations osseuses volontiers exubérantes (fig. 6.3 et 6.4), une hypertrophie osseuse et des ossifications ligamentaires, notamment du ligament costoclaviculaire (fig. 6.6) ;
des érosions des articulations sternoclaviculaires ou manubriosternale, fréquentes, habituellement secondaires à l’ostéite adjacente (fig. 6.3, 6.4 et 6.6) ;
une ankylose, secondaire à l’arthrite ou à l’hyperostose, également fréquente et très caractéristique du syndrome SAPHO, notamment dans la région sternocostale (fig. 6.4 et 6.7) ;
une tuméfaction des parties molles adjacentes à l’atteinte osseuse, notamment à la partie postérieure du manubrium sternal. Il s’agit d’une inflammation chronique, non spécifique, habituellement de taille modeste mais dans certains cas, responsable d’une masse de grande taille (fig. 6.8). Elle peut alors déplacer, voire thromboser les veines adjacentes, et être prise à tort pour une tumeur (fig. 6.8) [17, 57]. Toutefois, le scanner démontre habituellement des remaniements caractéristiques de la paroi thoracique antérieure adjacente. Les veines peuvent également être comprimées dans la traversée cervicothoracobrachiale en raison de l’hypertrophie claviculaire et des ossifications ligamentaires.
Fig. 6.8 Syndrome SAPHO : compression du tronc veineux brachiocéphalique gauche par la masse tissulaire située au contact du sternum.
Notez les remaniements sternocostaux adjacents caractéristiques du syndrome SAPHO.