4: Les addictions en milieu carcéral

Chapitre 4


Les addictions en milieu carcéral




Introduction


Parmi les personnes incarcères, 50 % consomment des substances psychoactives, et 60 % présentent à l’extérieur des difficultés sérieuses avec l’alcool [1]. À un moment ou un à autre de leur parcours de soin, une partie importante des usagers de drogue ont été, sont, ou seront confrontés à une incarcération. La spécificité des consommateurs de substances psychoactives incarcérés, la pluralité des acteurs, la diversité des modalités de suivi des détenus et d’organisation des soins en détention fait de la coordination des différents intervenants de santé (USCA, CSAPA, SMPR), un enjeu majeur pour assurer la continuité des soins.



Historique des CSST en milieu pénitentiaire et ouverture des CSAPA



Création des antennes toxicomanies


C’est sous l’impulsion de C. Jouven et de J. Laurens, à Fresnes, que la création des Antennes Toxicomanies a été envisagée [2] dans quatre sites pilotes (Fresnes, Bois d’Arcy, Lyon et Varces), avant leur généralisation aux établissements déjà pourvus d’un SMPR, en 1987 (Circulaire de la Direction Générale de la Santé du 3 novembre 1987) [3]. Il s’agissait de promouvoir une prise en charge psychosociale des toxicomanes incarcérés, différente de l’approche de la psychiatrie « classique » et de l’accompagnement socio-éducatif effectué alors par l’établissement pénitentiaire. En milieu ouvert, de multiples associations fonctionnaient déjà et intervenaient dans le champ médico-social en dehors des secteurs de psychiatrie et du champ médical. L’idée était de favoriser une prise en charge psychosociale orientée vers l’accompagnement. L’article 1er du cahier des charges initial des Antennes Toxicomanies établissait des missions de coordination des actions en faveur de l’ensemble des détenus toxicomanes et de préparation à la sortie. Les intervenants de l’Antenne Toxicomanies, travailleurs sociaux, psychologues et infirmiers exerçaient sous la responsabilité du chef du SMPR. Leur mission était d’effectuer un dépistage systématique à l’entrée et d’informer les détenus des dispositifs existant au sein de la détention ainsi que des services spécialisés agissant au-delà des murs.



Intégration des antennes toxicomanies aux CSST


Par décret du 29 juin 1992 [4], les Antennes Toxicomanies vont rejoindre les CSST déjà existants. Pour obtenir la reconnaissance CSST, l’institution doit assurer pour chaque toxicomane une prise en charge médicale, psychologique, sociale et éducative : l’accueil, l’orientation, l’information des toxicomanes et de leurs familles, le sevrage ainsi que l’accompagnement du sevrage lorsqu’il est réalisé en milieu hospitalier et le soutien à l’environnement familial. Plusieurs modes de fonctionnement des CSST se sont développés. Certains ont fonctionné de façon autonome avec des locaux et des intervenants spécifiques. Ils ont répondu au mieux aux missions de soin basé sur l’accompagnement psycho-social. D’autres ont été intégrés au SMPR développant une approche psychiatrique de la toxicomanie et de l’alcoolisme perçues comme les manifestations d’un problème plus général. Enfin, dans des établissements plus petits, les interventions des CSST s’effectuent en réseau sur plusieurs établissements.


L’article 145 de la circulaire du 8 décembre 1994 relatif à la prise en charge sanitaire des détenus et à leur protection sociale [5], rappelle que les conduites addictives entrent dans le champ des missions de santé mentale et, à ce titre, dans le champ d’action des SMPR et des secteurs de psychiatrie intervenant dans les prisons. Il évoque plus particulièrement le cas des CSST en rappelant leurs missions. Si l’établissement n’est pas doté d’un CSST, c’est le SMPR lui-même, ou à défaut le secteur de psychiatrie générale intervenant à l’UCSA de la prison, qui coordonne les missions d’assistance, en étroite collaboration avec les centres ou associations spécialisés extérieurs. La mise en place des UCSA dans tous les établissements a eu pour impact d’impliquer la participation de plus de 167 hôpitaux généraux et 93 secteurs psychiatriques. L’arrivée des traitements de substitution en milieu carcéral a finalement renforcé les liens entre le SMPR et le CSST. Chaque toxicomane substitué sur prescription médicale fait l’objet d’un suivi psychosocial et parfois psychothérapeutique par le CSST. L’introduction des traitements de substitution a pu contribuer à médicaliser ou psychiatriser les CSST, à l’intérieur comme d’ailleurs à l’extérieur des prisons. Toutefois, ceci est à relativiser par le nombre limité de toxicomanes substitués, suivis par le CSST, en comparaison à la population globale de toxicomanes pris en charge.




La mise en place des CSAPA


En 1999, la prise en compte de l’évolution des pratiques de consommation avec l’explosion des polytoxicomanies passées de 10–15 % en 1988 à 80 % en 2000 [2] va contribuer à élargir le champ d’action des CSST aux conduites addictives générales (alcool et tabac) et une réflexion sera menée quant à l’articulation des CSST, SMPR et USCA. Un plan triennal va encourager non seulement les alternatives à l’incarcération des usagers de produits psychoactifs, mais aussi les mesures d’aménagements de peine (libération conditionnelle anticipée, semi-liberté) visant à favoriser la préparation à la sortie. Ceci interpelle les CSST sur leurs liens, disparates suivant les sites, avec la Commission d’Application des Peines (C.A.P) et avec le SPIP. Le plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l’alcool 2004–2008 [6] réorganise le dispositif de prise en charge en addictologie, dans le cadre des Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA). Ce cadre juridique a vocation à fusionner les centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST) et les centres de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA). Le projet de réforme a prévu un noyau commun de missions qui incombent à chaque CSAPA et une possibilité de spécialisation. Le décret du 14 mai 2007 précise les missions des CSAPA. [7]. Les CSAPA assurent, pour les personnes ayant une consommation à risque, un usage nocif ou présentant une dépendance aux substances psychoactives ainsi que pour leur entourage : l’accueil, l’information, l’évaluation médicale, psychologique et sociale et l’orientation de la personne ou de son entourage. Dans ce cadre, ils peuvent mettre en place des consultations de proximité en vue d’assurer le repérage précoce des usages nocifs. Ils assurent également la réduction des risques associés à la consommation de substances psychoactives ainsi que la prise en charge médicale, psychologique, sociale et éducative comprenant le diagnostic, les prestations de soins, l’accès aux droits sociaux et l’aide à l’insertion ou à la réinsertion. Les centres assurent le sevrage et son accompagnement, la prescription et le suivi des traitements médicamenteux, dont les traitements de substitution aux opiacés. Ils peuvent également prendre en charge des personnes présentant des addictions sans substances. Les centres peuvent spécialiser leur activité de prise en charge en direction de personnes consommant des substances psychoactives illicites ou de l’alcool. Ces transformations et réformes ont accentué la disparité des dispositifs spécialisés implantés dans les établissements pénitentiaires. Certains se sont vu garder une autonomie et sont restés de réels CSAPA tout en gardant l’idéologie d’une spécificité due au milieu dans lequel ces institutions résident. Certains ont été encore plus absorbés voire confondu aux SMPR ou aux services d’Addictologie des établissements de santé. D’autres malheureusement ont disparu !



Les addictions en prison


L’évaluation des conduites addictives chez les personnes entrant en milieu pénitentiaire à partir du programme OOPIDUM du réseau des centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (CEIP) permet de définir une population spécifique au regard de l’usage et de la consommation de substances psychoatives avant leur incarcération [8]. Cette étude décrit une population plus jeune, moins bien insérée socialement et moins souvent sous traitement de substitution qui consomme davantage de produits notamment les benzodiazépines, les produits illicites et ce, de manière plus déviante que la population non incarcérée ayant des conduites addictives [10]. Une enquête de la DREES sur l’état de santé des personnes entrant en prison a estimé, en 2003, à environ 30 % la prévalence des abus ou de pharmacodépendance à une ou plusieurs substances psychoactives [9].



Les addictions et la criminalité


Les usagers de drogues représentent une part importante de la population carcérale et la toxicomanie est fortement liée à la criminalité. Au 1er janvier 2010, 14,4 % des condamnés incarcérés en métropole sont détenus pour des infractions à la législation sur les stupéfiants (usage, détention ou trafic) [10]. La loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, réprime sévèrement la conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou de produits stupéfiants. Les usagers de produits psychoactifs sont incarcérés pour des peines correctionnelles et/ou criminelles directement ou indirectement liées à leur consommation, leur besoin d’argent mais aussi aux modifications de leurs comportements sous l’emprise ou le manque des substances psychoactives. Actuellement, les peines sont souvent majorées en cas de consommation de substances psychoactives lors du passage à l’acte. Celui-ci étant reconnu comme dangereux et aggravant. De plus, le statut de « toxicomane » n’est pas un statut enviable dans la micro société que représente le milieu carcéral. En effet, sa place se situe fréquemment juste en dessous de celle du « pointeur » (auteur d’agression sexuelle). Ils sont souvent victimes de racket, de violences, d’insultes et de rejet de la part des autres détenus et discriminés dans la population carcérale. Certains usagers vont préférer taire leur toxicomanie [11].



Les addictions en prison : de l’initiation à l’usage


Selon l’OED, la proportion d’usagers de drogues se situe dans une fourchette allant de 23 % à 43 %, un chiffre moyen de 30 % étant couramment admis [12]. En Europe, on retrouve des chiffres allant de 22 % à 88 % de personnes incarcérées qui consommeraient des substances psychoactives « dont 28 % s’injecteraient les produits [13]. Au delà de cette surreprésentation d’usagers comparativement à la population libre, les conduites addictives connaissent des mutations vers la polyconsommations qui demandent aux services à s’adapter constamment » [12]. Faire usage de drogue en prison reste un sujet tabou. Cependant, on ne possède pas d’estimation fiable de l’abus/dépendance dans la population des personnes incarcérées.


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Jun 2, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 4: Les addictions en milieu carcéral

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