5: Arthrites juvéniles idiopathiques

Chapitre 5


Arthrites juvéniles idiopathiques




Les arthrites juvéniles idiopathiques (AJI) constituent un groupe hétérogène d’affections. Elles se définissent par une arthrite ayant débuté avant l’âge de 16 ans, d’une durée d’au moins 6 semaines et sans cause identifiable (c’est-à-dire non septique et non associée à un lupus érythémateux systémique, un rhumatisme articulaire aigu, une déficience immunitaire, etc.) (encadré 5.1) [82]. Leur prévalence est d’environ 1/1 000 enfants, avec une probable variation de la fréquence des différents types d’arthrites selon les pays [75].



Les AJI sont classées en 7 entités selon des critères cliniques et biologiques (encadré 5.1) [78]. Certaines d’entre elles correspondent à des entités bien définies (arthrite systémique, polyarthrite à facteur rhumatoïde positif, oligoarthrite, arthrite associée à une enthésite), d’autres regroupent des affections hétérogènes [82]. Une réflexion sur une nouvelle classification est en cours car avec les critères actuels, des patients ayant des éléments cliniques similaires (début précoce, présence d’anticorps antinucléaires, risque élevé d’uvéite antérieure) sont classés dans trois catégories différentes (oligoarthrite, polyarthrite à facteur rhumatoïde négatif et arthrite psoriasique). De plus, l’oligoarthrite et la polyarthrite sont différenciées suivant le nombre d’arthrites cliniques alors que l’échographie peut démontrer l’existence d’arthrites infracliniques plus nombreuses.



Physiopathogénie


Les AJI peuvent être séparées en deux groupes en raison d’une pathogénie complètement différente [26, 53] :



La stratégie thérapeutique en sera, par conséquent, différente.



AJI systémique


L’AJI systémique est une maladie auto-inflammatoire polygénique [26, 65]. Chez des sujets génétiquement prédisposés, certains facteurs environnementaux activent préférentiellement les cellules clés du système immunitaire inné, c’est-à-dire les phagocytes (monocytes, macrophages et neutrophiles) [1, 11, 53, 91, 102]. La perte du contrôle de leur voie sécrétoire alternative aboutit à la sécrétion en quantité importante de cytokines (IL-1, IL-6, IL-18) et de protéines pro-inflammatoires (S100), ce qui contribue à l’inflammation multisystémique observée dans ce rhumatisme [24]. Le rôle pathogène majeur de l’interleukine-6 dans cette affection a été conforté par l’efficacité thérapeutique du tocilizumab (inhibiteur de l’interleukine-6) [110]. À la différence des autres AJI, il n’y a pas d’association avec les antigènes leucocytaires humains (HLA) et il n’y a pas d’autoanticorps [7, 26]. Certains polymorphismes géniques ont été rapportés, notamment en ce qui concerne l’IL-6 [53]. Des facteurs déclenchants viraux (infection au parvovirus B19, vaccination contre la rubéole) ont également été incriminés [53]. On signalera d’ailleurs qu’il existe une variation saisonnière de la survenue de l’AJI systémique.



Autres AJI


Il s’agit de maladies auto-immunes avec anomalie du système immunitaire adaptatif [53]. Les autoantigènes issus du cartilage et des autres tissus articulaires activent les cellules pro-inflammatoires Th1/Th17 (qui produisent des cytokines pro-inflammatoires IFN-γ [interféron γ] et IL-17 et induisent l’inflammation synoviale). Il s’y associe une inhibition des cellules Treg anti-inflammatoires (qui produisent la cytokine anti-inflammatoire IL-10), ce qui entraîne la perte de la tolérance immune [25, 53].


Il existe une prédisposition génétique qui varie selon le type d’AJI [53, 80, 101] :



Les facteurs environnementaux sont encore imparfaitement connus. Des infections à divers agents ont été incriminées dans le développement ou l’exacerbation des AJI oligo et polyarticulaires mais leur pathogénicité n’est pas formellement démontrée (infection virale à influenza A ou parvovirus B19, infection bactérienne à Mycoplasma pneumoniae et à streptocoque du groupe A) [6, 41, 53]. D’autres facteurs environnementaux pourraient également intervenir (stress, facteurs psychologiques, tabagisme maternel durant la vie fœtale, modifications brutales de la température) [53]. On signalera que les maladies auto-immunes sont plus fréquentes chez ces enfants [81] mais également dans leur famille [79, 100].


Une dysrégulation des récepteurs Toll-like (probablement en réponse à une stimulation microbienne) a également été incriminée dans la pathogénie des AJI, notamment celles liées aux enthèses [69, 70]. Il s’ensuit une inflammation non contrôlée (production excessive de cytokines et activations cellulaires) avec atteinte tissulaire.



Arthrite juvénile idiopathique systémique (10 à 15 % des cas)


L’AJI systémique, anciennement dénommée maladie de Still, survient essentiellement entre 0 et 5 ans, avec un pic de fréquence à 2 ans [8]. À la différence de la plupart des autres AJI, il n’existe pas de prédominance féminine (sex ratio de 1).


Le début est aigu avec [78] :



image des signes extra-articulaires (90 %) :



image des signes articulaires (88 % des cas) [8], présents dès le début de l’affection ou de survenue plus tardive (10 % des cas), quelques mois (exceptionnellement quelques années) après le début de la symptomatologie clinique [35]. Leur présence est indispensable pour retenir le diagnostic d’AJI systémique [8]. Il s’agit le plus souvent d’une oligoarthrite symétrique des poignets, genoux et chevilles mais une polyarthrite, une monoarthrite, des arthralgies et une atteinte rachidienne ou temporomandibulaire (le plus souvent asymptomatique) peuvent s’observer [8, 35, 107]. Des kystes synoviaux peuvent se développer, notamment au membre supérieur [27, 92]. Ils sont habituellement spontanément résolutifs mais se rompent parfois, mimant une thrombophlébite [35]. Un lymphœdème, probablement réactionnel à l’inflammation des lymphatiques, peut également être présent [35] ;


image un important syndrome inflammatoire biologique. Le facteur rhumatoïde et les anticorps antinucléaires sont négatifs. Une protéine secrétée par les neutrophiles (Myeloid Reactive Protein : MRP) est présente à un taux sérique très important, ce qui pourrait aider au diagnostic différentiel entre l’AJI systémique et les autres affections fébriles [19, 108].


L’évolution est extrêmement variable. Il peut n’y avoir qu’une seule poussée (30 % des cas) ou plusieurs entrecoupées de rémissions (20 %), avec résolution habituellement sans séquelles significatives [35]. Mais l’évolution peut également se faire vers la persistance des manifestations systémiques et/ou articulaires, avec développement d’une polyarthrite chronique destructrice qui persistera à l’âge adulte. Celle-ci affecte les hanches, genoux, mains, le rachis cervical avec ankylose zygapophysaire, les articulations temporomandibulaires dont l’atteinte, souvent latente, peut entraîner des troubles de l’articulé dentaire et une micrognatie [7, 43]. Dans les éléments pronostiques péjoratifs, on citera les signes systémiques persistant plus de 6 mois, une thrombocytose, une lymphadénopathie généralisée et l’atteinte des hanches, du rachis cervical et des articulations des doigts [35, 94].


Ces arthrites juvéniles systémiques regroupent probablement des entités hétérogènes, comme en témoignent l’évolution clinique variable et l’effet thérapeutique différent de l’interleukine-1 selon les patients [32, 82].



Oligoarthrite (50–60 % des cas)


Elle affecte surtout la fille (80 % des cas) et débute le plus souvent entre 2 et 4 ans [82]. Cette oligoarthrite asymétrique se définit par l’atteinte d’une à quatre articulations durant les 6 premiers mois d’évolution, notamment le genou (70 %), la cheville (40 %) et le poignet (20 %). Après 6 mois, on différencie [84] :



Les facteurs de mauvais pronostic sont l’importance de l’accélération de la vitesse de sédimentation, l’atteinte du membre supérieur et l’atteinte initiale de plus d’une articulation. Les formes avec anticorps antinucléaires s’accompagnent d’un risque majeur d’uvéite antérieure qui doit être recherchée tous les 3 mois car elle est le plus souvent asymptomatique [4]. Les formes sans anticorps ne sont cependant pas épargnées [4, 18].



Polyarthrite à facteur rhumatoïde négatif (25–30 % des cas)


Au moins cinq articulations sont affectées durant les 6 premiers mois de l’évolution. L’âge de début est variable et il existe une prédominance féminine. Il s’agit probablement d’un groupe hétérogène d’affections [63, 82]. Dans la forme classique, l’atteinte articulaire est symétrique et à prédominance distale ; la fièvre est absente ou modérée. Dans certains cas, l’atteinte articulaire débute de façon insidieuse et se manifeste par un épaississement synovial important. Il existe également des formes « sèches » avec peu ou pas de synovite mais une raideur d’installation progressive [37]. La présence d’anticorps antinucléaires est fréquente et associée à un risque élevé de survenue d’uvéite [4, 37].



Polyarthrite à facteur rhumatoïde positif (< 5 % des cas)


Elle est similaire à la polyarthrite rhumatoïde de l’adulte et est également appelée polyarthrite rhumatoïde juvénile. Elle affecte essentiellement les filles et débute entre 4 et 16 ans avec un pic de fréquence vers 10–12 ans. Elle peut évoluer rapidement vers la destruction articulaire. Les nodules rhumatoïdes sont fréquents [75]. Il s’agit de la seule forme d’AJI associée à des anticorps dirigés contre les peptides citrullinés (Acpa), dont le taux élevé est un facteur de mauvais pronostic (sévérité de la maladie avec évolution radiographique) [54, 72, 82, 104]. La présence d’anticorps antinucléaires est fréquente [37].



Arthrite psoriasique (5–10 % des cas)


Il s’agit d’une entité hétérogène qui se définit par l’association :



On en distingue deux formes [63, 82] :




Arthrite associée à une enthésite (5–10 % des cas)


Elle s’observe essentiellement chez le garçon après l’âge de 6 ans [64, 75]. Elle se caractérise initialement par une arthrite du membre inférieur (monoarthrite du genou ou du pied, oligoarthrite, voire polyarthrite asymétrique), souvent associée à une enthésite (douleur à l’insertion d’un tendon, d’un ligament, d’un fascia ou d’une capsule articulaire). Les enthèses le plus souvent affectées sont le fascia plantaire (insertions sur le calcanéus, la base du 5e métatarsien, les têtes métatarsiennes) et les tendons patellaires et calcanéens [75]. À la différence des spondyloarthrites de l’adulte, les rachialgies inflammatoires sont rarement présentes initialement, même si une atteinte rachidienne et sacro-iliaque s’observe jusque chez deux tiers des patients après 10 ans d’évolution [76]. Dans une série récente, une sacro-iliite clinique et IRM était rapportée chez 30 % des patients à un an d’évolution [76]. Ce risque était d’autant plus élevé que le nombre d’arthrites et d’enthésites initiales était important [76].


L’évolution se fait par poussées successives entrecoupées de rémissions mais le pronostic fonctionnel est habituellement bon. Une talalgie rebelle au traitement et une coxite destructrice (20 %) peuvent cependant s’observer. Une uvéite volontiers symptomatique peut être associée. Certains patients se plaignent également d’une urétrite [75, 76].


Des antécédents familiaux sont volontiers retrouvés. L’antigène HLA-B27 est observé dans 50–80 % des cas ; il n’y a habituellement pas d’anticorps antinucléaires.




Complications des AJI



Syndrome d’activation macrophagique


C’est une complication de l’AJI systémique. Elle résulte de l’activation incontrôlée des macrophages qui sécrètent des quantités très importantes de cytokines. Il s’agit d’une véritable urgence vitale se traduisant par des troubles de la vigilance, une fièvre, une hépatosplénomégalie, une insuffisance hépatique, une coagulopathie avec troubles hémorragiques et diverses anomalies biologiques (chute des leucocytes, des plaquettes et du fibrinogène, élévation des transaminases, des triglycérides et de la ferritinémie) [10, 23, 26, 35, 64, 82]. Ce syndrome est secondaire à la maladie, à son traitement ou à des infections virales intercurrentes. Son incidence serait de 6,7–13 % [8, 35, 90] et la mortalité de 8–22 % [35, 90, 95]. Ce syndrome serait cependant présent à un stade infraclinique chez la moitié des patients souffrant d’AJI systémique [9]. Son traitement, basé notamment sur la ciclosporine et les corticoïdes, s’effectue en milieu de réanimation.




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May 5, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 5: Arthrites juvéniles idiopathiques

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