Chapitre 40 Pathologies dermatologiques et grossesse

A. Dompmartin, J.-P. Blanchère

Pendant la grossesse, les profonds changements immunologiques endocrines et vasculaires entraînent des modifications de la peau et des annexes qui peuvent être physiologiques ou pathologiques. Il est essentiel de bien connaître les modifications physiologiques pour pouvoir rassurer les femmes enceintes mais aussi de reconnaître parmi les pathologies celles qui peuvent avoir des conséquences néfastes pour la mère ou son fœtus. Les dermatoses de la grossesse représentent un groupe de désordres cutanés prurigineux spécifiques ou aggravés par la grossesse. La classification de ces dermatoses a été simplifiée pour mieux les comprendre et les différencier.

Modifications physiologiques au cours de la grossesse

Troubles pigmentaires

Ce sont les plus fréquents (80-90 %). Ils sont dus à une hypersécrétion d’ACTH et de Mélatonine Stimulating Hormone (MSH) liée à l’hyperfonctionnement hypophysaire. On observe une hyperpigmentation qui débute pendant le 1^er trimestre de la grossesse et régresse de façon inégale selon les patientes. Elle est plus marquée chez les femmes brunes. Elle est soit linéaire sur la ligne blanche abdominale « linea nigra », soit en plaque sur le visage réalisant un mélasma ou chloasma ou «masque de la grossesse ». Les nœvi et les éphélides foncent et peuvent se modifier en prenant un aspect clinique ou histologique inquiétant. Les cicatrices et la région périaréolaire mammaire sont également souvent plus pigmentées. Ces modifications ne doivent être traitées qu’après l’accouchement si elles ne régressent pas en plusieurs mois. Les nombreuses crèmes dépigmentantes sont partiellement efficaces mais le plus souvent contre-indiquées pendant la grossesse. Seule une photoprotection stricte des femmes enceintes permet éventuellement de retarder ou d’atténuer la survenue de ces pigmentations.

Vergetures [1]

Elles correspondent à des aires de fracture du tissu collagène de soutien. Elles sont fusiformes et linéaires, disposées de façon parallèle aux lignes de tension de la peau. Elles sont initialement roses ou violettes, et deviennent secondairement blanc nacré. Elles sont plus rares chez les femmes asiatiques et africaines. Elles siègent avec prédilection sur l’abdomen, les cuisses, les seins et les creux inguinaux. Il semble exister une prédisposition familiale. Il n’y a pas de traitement préventif ou curatif. La seule crème préventive efficace contient de la trétinoïne à 0,05 % qui est contre-indiquée pendant la grossesse. Certains proposent des crèmes contenant de l’acide ascorbique utilisable pendant la grossesse.

Modifications vasculaires

Elles sont secondaires à la prolifération et à la distension vasculaire et régressent en post-partum.

Les angiomes stellaires sont des lésions de petite taille centrées par un point rouge d’où part une arborisation de petits vaisseaux. Ils se multiplient pendant la grossesse et siègent sur le tronc, les membres et le visage. La majorité régresse et pour ceux qui persistent quelques mois après l’accouchement, le laser vasculaire KTP (kalium titanyl phosphate) ou colorant pulsé permet de les faire disparaître.

L’éry thème palmaire apparaît dès le 1^er trimestre. Il est soit localisé aux éminences thénar, hypothénar et pulpes, soit disséminé et plus cyanique sur l’ensemble des paumes. La prise de salbutamol peut induire l’apparition d’érythème palmaire atteignant non seulement les paumes, mais aussi la face dorsale des dernières phalanges. Il disparaît à l’arrêt du traitement.

Une hyperhémie des gencives avec parfois une gingivite hyperplasique et/ou un saignement gingival associé peuvent apparaître au cours du 3^e trimestre de la grossesse.

Les varices des membres inférieurs, des régions génitale et périnéale apparaissent dès le 2^e mois. Leur origine est multifactorielle : hérédité, augmentation de la pression veineuse, fragilisation du tissu élastique et parfoisstation debout prolongée. Elles peuvent se compliquer de phlébite. La fréquence de ces varices, environ 40 % des femmes, la gêne fonctionnelle liée à la stase veineuse, et les risques évolutifs justifient la prescription fréquente voire systématique de compression élastique chez les femmes enceintes.

Un œdème rosé du visage, des paupières et parfois des extrémités peut être observé en fin de grossesse. Il est plus important le matin et disparaît dans la journée. Il doit être différencié des autres causes d’œdème comme la pré-éclampsie.

Une instabilité vasomotrice avec des épisodes de pâleur et érythème du visage, bouffées de chaleur et impression de froid peut s’observer.

Un érythème réticulé des membres inférieurs, «cutis marmorata », ou un purpura déclive par fragilité capillaire peuvent survenir.

Modifications glandulaires

L’activité sudorale eccrine augmente sur le corps mais pas sur les paumes avec une augmentation de la sudation jusqu’à la fin de la grossesse. Cela explique la fréquence des miliaires sudorales et de l’hyperhidrose. L’activité des glandes sébacées est variable au cours du dernier trimestre. La grossesse a donc des effets imprévisibles sur une acné préexistante. La plupart des traitements antiacnéiques sont contre-indiqués pendant la grossesse.

Modifications des phanères

Les ongles poussent plus rapidement et sont plus brillants et cassants. Un décollement distal (onycholyse) ou une hyperkératose sous-unguéale peuvent aussi apparaître.

Le cycle pilaire se modifie sous l’action hormonale. Le cycle est bloqué dans sa phase initiale anagène et les cheveux tombent moins. Après l’accouchement, une chute physiologique ou effluvum télogène des cheveux survient car le cycle normal des cheveux reprend. Il apparaît 4 à 12 semaines après la grossesse et dure 3 à 4 mois. La repousse spontanée a lieu en 6 à 15 mois. Une carence martiale doit systématiquement être recherchée. Une hypertrichose modérée du visage, des bras, du dos et des jambes peut apparaître. Si un hirsutisme survient, une tumeur ovarienne ou surrénalienne doit être recherchée.

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