4: Attachement et intersubjectivité

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Attachement et intersubjectivité1




Attachement et intersubjectivité


Les relations affectives imprègnent la vie des individus et constituent la base sur laquelle se construit la personnalité. Dès la naissance, l’enfant est prédisposé à rentrer en relation avec les figures qui s’occupent de lui. Cette prédisposition a été décrite par Bowlby (1969/1982) comme une composante fondamentale de la nature humaine revêtant d’importantes fonctions biologiques, destinées essentiellement à protéger le nouveau-né d’une multitude de dangers et donc de cette manière à assurer la survie et le succès reproductif de l’individu et de ses gènes. Le système comportemental de l’attachement est organisé de manière à maintenir une proximité physique avec la figure du caregiver. Il implique une série de manifestations extérieures et une organisation interne, permettant à l’enfant de maintenir une organisation stable au sein du système comportemental de l’attachement, même si les comportements de cette organisation varient dans le temps (Sroufe et Waters, 1977). La sécurité est établie initialement par la proximité et le contact physique d’où le « comportement d’attachement » observé durant l’enfance et par exemple à l’occasion de la situation expérimentale de la Strange Situation (Ainsworth et al., 1978). Par la suite, les capacités symboliques et représentationnelles permettront à l’enfant de faire référence à son propre monde représentationnel interne pour organiser son sentiment de sécurité. L’attachement se constitue donc comme une organisation psychologique intrapsychique impliquant sentiments, souvenirs, désirs, attentes et intentions et qui permet l’établissement et le maintien d’un lien profond. Ce type d’organisation interne constituera la base pour la construction de nouveaux rapports interpersonnels.


Sroufe et al. (2005) ont mis en évidence que les modèles individuels d’attachement influencent l’organisation du comportement : par exemple, les enfants évitants avec les figures d’attachement se comportent avec les autres adultes et les pairs de manière hostile et agressive ; ils ont tendance à s’isoler et à se montrer détachés émotionnellement. Les enfants résistants, quant à eux, sont anxieux et tendus avec les autres ; ils se montrent dépendants, passifs et facilement frustrés. Enfin les enfants sécures apparaissent plus compétents et capables de collaborer dans les rapports individuels et en groupe, de tenir compte du point de vue des autres.


Ces observations réalisées dans le domaine de l’enfance montrent que les différents modèles d’attachement influencent les capacités de relation interpersonnelle et intersubjective parce que les modèles mentaux de l’attachement ont tendance à récréer des relations sociales congruentes (Zeanah et Anders, 1987).


La théorie de l’attachement a eu tendance initialement à souligner la motivation d’une recherche de protection face aux dangers et d’une régulation de sa propre sécurité. Le développement de la recherche dans les champs psychologiques et biologiques a élargi l’approche en tenant compte d’autres domaines du fonctionnement personnel. Ainsi l’attachement ne répond pas à la seule finalité de la survie, mais aussi, comme proposé par Fonagy (2003), il joue « un rôle évolutionniste pour assurer que les structures cérébrales qui soutiennent la cognition sociale soient organisées de manière appropriée et qu’elles permettent à l’individu une vie de collaboration avec les individus de son espèce ». Les observations de jumeaux confirment que l’attachement est faiblement influencé par les facteurs héréditaires (O’Connor et Croft, 2001). Les échanges sociaux sont en revanche fondamentaux pour favoriser la meilleure adaptation sociale de l’enfant. De ce point de vue il est fondamental, pour l’enfant d’abord et pour l’adulte ensuite, d’acquérir la capacité à instaurer des relations sociales, de manière à partager les émotions et les états d’âme et de collaborer avec les autres pour aboutir à des objectifs communs.


Dans l’établissement des relations sociales, l’acquisition de la mentalisation, la disposition mentale « à travers laquelle on arrive à savoir ce qu’ont les autres dans leur tête pour pouvoir s’y adapter en conséquence » (Bruner, 1996) est centrale. Ce domaine de l’intersubjectivité, essentiel autant dans le domaine de la recherche que dans celui de la clinique, désigne spécifiquement la capacité à partager, comprendre et à prévoir le comportement des autres personnes, en premier lieu les figures d’attachement, jouant un rôle décisif dans la protection et dans la régulation de sa propre sécurité personnelle.


En effet il est évident qu’un enfant est en mesure de réguler sa propre sécurité interne non seulement en maintenant la proximité physique avec les figures d’attachement, mais aussi en arrivant à en comprendre le comportement, les états mentaux, les motivations et les objectifs d’autrui, pouvant en évaluer la disponibilité affective et réelle et donc prévoir la possibilité pour lui de les atteindre.


Dans ce chapitre nous essayerons de mettre en évidence comment les capacités de mentalisation, mais aussi les capacités sociocognitives, se développent dans le contexte des interactions avec les figures d’attachement. Il ne s’agit pas d’une capacité qui est acquise par l’enfant sur la base de sa dotation biologique. Si les prédispositions biologiques du nouveau-né lui permettent d’inscrire son expérience naissante du monde dans une matrice relationnelle, elles se coordonnent, dès le début, avec une prédisposition maternelle à comprendre de manière empathique et à réfléchir l’expérience émotionnelle de l’enfant (mirroring), avec un effet déterminant pour le développement du sentiment de soi et des capacités intersubjectives. À l’intérieur des relations d’attachement l’enfant apprend des styles spécifiques de régulation de sa propre tension émotionnelle, en faisant référence à la disponibilité émotionnelle et aux capacités de régulation de ses figures d’attachement (Cassidy, 1994 ; Sroufe, 1995).



Parentalité et mentalisation


Dès la période de grossesse, la relation qui existe entre attachement et mentalisation a été révélée dans un article désormais historique de Fonagy et al. (1991). Leur recherche, menée auprès de femmes durant la grossesse, a démontré que non seulement le modèle d’attachement maternel est un facteur prédictif significatif de l’attachement de l’enfant à un an, mais aussi que la dimension maternelle la plus influente sur l’attachement de l’enfant est la capacité de la mère à réfléchir sur ses propres états émotionnels et sur ceux des autres personnes. Cette fonction est désignée sous le terme de fonction réflexive pour rendre compte spécifiquement de la capacité de mentalisation dans le contexte de l’attachement. Le terme de mentalisation rend compte de cette capacité dans un contexte plus large englobant toutes les relations interpersonnelles.


Après la naissance de l’enfant, le parent qui dispose de bonnes capacités de mentalisation est particulièrement efficace pour promouvoir chez l’enfant un attachement sécure, parce qu’il est à même de lire ses états émotionnels jouant une fonction de miroir mental et pouvant ainsi répondre à ses besoins. À son tour l’enfant, en s’identifiant avec le parent qui le comprend, est en mesure d’intérioriser une modalité de régulation de ses propres états affectifs.


Le miroir que la mère peut mettre en place quand elle se confronte, par exemple, aux états affectifs négatifs de l’enfant, présuppose autant la capacité de saisir, à travers la syntonisation, ces affects, que sa capacité à les transformer. Le miroir donc n’est pas seulement une imitation fidèle de l’état de l’enfant, mais aussi une transformation de cet état qui restitue à l’enfant un sentiment d’intentionnalité et de connexion avec ses propres affects déterminants pour le développement du sentiment de soi. Il est intéressant de voir que ce modèle évolutionniste du miroir et de la fonction réflexive qui émerge de la recherche dans le domaine de l’attachement possède plusieurs points en commun avec les conceptions cliniques psychanalytiques du contenant proposées par Bion (1962) ou de holding de Winnicott (1960).


Les observations de Fonagy et al. (1991) se situent à l’intérieur du cadre théorique de l’attachement, en raison du fait que pour explorer l’état mental maternel a été utilisé l’Adult Attachment Interview. Toutefois, les recherches de Slade et al. (2005) leur ont apporté une confirmation indépendante, en observant que la capacité de mentalisation maternelle pour son enfant, évalué avec un autre instrument, le Parent Development Interview (PDI), est corrélée d’une part avec l’attachement maternel et d’autre part avec l’attachement de l’enfant. Sur cette base, la relation entre l’attachement maternel et celui de l’enfant serait médiatisée par le fonctionnement réflexif maternel. La capacité maternelle à comprendre l’état mental de l’enfant, à l’intérieur de l’organisation de l’attachement maternel joue donc un rôle essentiel dans le développement chez l’enfant du sentiment de soi et de ses capacités relationnelles.


Les mères qui arrivent le mieux à considérer leurs enfants comme des êtres dotés d’une intentionnalité propre démontrent aussi une meilleure sécurité d’attachement au niveau de leur propre histoire infantile.


La narration maternelle représente un indice sensible pour reconnaître son niveau de mentalisation, les narrations qui se développent au sein des interactions entre mère et enfant en sont une confirmation, par exemple dans la manière dont les parents parlent des émotions (Denham et al., 1994) ou du niveau de profondeur des discours parentaux par rapport aux affects (Dunn et al., 1991).


Quand la mère reflète l’état d’âme de l’enfant, par exemple, ses états de tension ou d’anxiété, cela aide l’enfant à organiser sa propre expérience, à lui donner un sens, et à réguler son propre état émotionnel. Il est évident que la représentation parentale est introjectée par l’enfant et devient partie intégrante du soi. Cependant il existe toujours un certain décalage entre la représentation maternelle et celle de l’enfant, du moment où celle de la mère doit assurer un niveau représentationnel plus élevé. Si la représentation maternelle est trop proche, trop distante ou si elle est grevée des inquiétudes maternelles, cela peut interférer avec le développement du soi infantile et de ses capacités de mentalisation.

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 4: Attachement et intersubjectivité

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