14: Troubles des conduites et intersubjectivité

14


Troubles des conduites et intersubjectivité




Les troubles des conduites, leur place et leur nature


Les troubles des conduites s’inscrivent dans le vaste champ des troubles externalisés ou pathologie de l’agir et en constituent une branche spécifique. Les troubles externalisés se manifestent par des perturbations du comportement ayant en commun leur grande visibilité, leur impact sur l’adaptation scolaire et les turbulences qu’ils introduisent dans le champ relationnel de l’enfant et de l’adolescent. Ils sont répertoriés de manière variable selon la classification nosographique choisie, traités à part comme dans la Classification internationale des maladies de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ou bien rapprochés d’autres entités :



Au sein de ces ensembles cliniques assez disparates, les troubles des conduites, ou plus spécifiquement le trouble des conduites, pour indiquer par ce singulier, non pas des symptômes polysémiques, mais une entité nosographique, constituent un sous-groupe particulier. La traduction littérale francophone de la catégorie diagnostique américaine du DSM-IV-TR Conduct Disorder par la formulation française « trouble(s) des conduites » a l’avantage d’éviter une traduction par le label symptomatique beaucoup trop imprécis et large de « troubles du comportement ». Cette entité nosographique se présente comme une liste de conduites antisociales (CAS) assortie d’un seuil qui détermine l’entrée dans la catégorie diagnostique : conduites d’intensité diverse (du mensonge et de l’école buissonnière aux fugues, fraudes, agressions contre les animaux, les personnes et les biens) tous marqués par l’irrespect d’autrui et la violation des règles de vie en société. Une telle conception, purement descriptive sans hiérarchisation des symptômes, garantit mal l’homogénéité du syndrome clinique. C’est pourquoi nous emprunterons aussi les caractérisations cliniques mises en lumière par les travaux français et anglo-saxons sur la psychopathie.


Parmi les auteurs français, la référence chez l’adolescent demeure la description clinique de Flavigny (1977). Il met l’accent sur le vide, l’ennui, l’attente passive de satisfaction immédiate ainsi que sur le sentiment d’insécurité camouflé derrière une présentation de soi agressive, toute-puissante et provocatrice. Il note aussi une « frustration affective permanente » liée à des carences relationnelles. La discontinuité de la qualité des interactions précoces à laquelle l’enfant est soumis crée une empreinte psychopathique. Le sujet se construit alors dans une grande fragilité de ses assises narcissiques, en écho à la rumeur du monde extérieur (Jeammet, 2007 ; Mazet et al., 2002). Le syndrome clinique de psychopathie a ensuite été démembré, la notion de « psychopathie » étant utilisée comme adjectif descriptif de comportement ou de personnalité, puis comme organisation intermédiaire à expression psychopathique (Jeammet, 2007). Il s’agit d’un aménagement du fonctionnement psychique particulièrement présent chez les adolescents développant des conduites antisociales. Son expression symptomatique est plastique, variable et dépendante de la réponse environnementale. Sur le plan psychopathologique, cette organisation est distincte de la perversion et attenante aux états limites. Plusieurs auteurs, dont Kernberg (1992), situent en effet la psychopathie comme une forme sévère d’état limite présentant notamment de graves perturbations narcissiques. Compte tenu de son hétérogénéité clinique, il est raisonnable de faire l’hypothèse que le trouble des conduites (TC) relève de deux pôles psychopathologiques :



Mais, au-delà des organisations diverses auxquelles les troubles des conduites peuvent être associés quand ils sont entendus comme symptômes, le trouble des conduites renvoie non seulement à la conflictualité psychique mais tout autant et peut-être surtout à une pathologie du lien (Jeammet, 2007). Nous tenterons dans la dernière section d’éclairer ces questions avec les apports des neurosciences et des travaux psychanalytiques contemporains.


Chez les auteurs anglo-saxons, une convergence s’opère pour identifier un sous-groupe psychopathique au sein des troubles des conduites (Frick et Moffitt, 2010). Dans le cadre d’études empiriques conduites chez l’adulte en s’appuyant sur le travail de Hare, Blair (Blair et al., 2001) a soutenu la pertinence de mieux caractériser sur le plan sémiologique les sous-groupes de sujets antisociaux en délimitant parmi eux le syndrome psychopathique. Ce syndrome associe l’insensibilité affective ou absence d’empathie (callous-unemotional traits) et l’hétéroagressivité non réactionnelle ou proactive. À la différence des conduites réactives observées dans plusieurs troubles externalisés, les conduites agressives proactives sont des conduites délibérées, dirigées vers un but et planifiées. Elles sont plus spécifiquement associées aux troubles des conduites et à la psychopathie. Quant à l’insensibilité affective, elle est en fait la traduction clinique de la faiblesse des processus empathiques du sujet (Blair et al., 2001). Des trajectoires différentes sont repérées chez les filles et les garçons (Dadds et al., 2009). Confirmant les travaux épidémiologiques internationaux (cf. pour une revue : Guilé, 2007), une analyse secondaire de la cohorte de jumeaux britanniques a récemment montré l’existence d’un sous-groupe de garçons chez lesquels on observe une stabilité de l’insensibilité affective (callous-unemotional traits) associée à une forte héritabilité (Fontaine et al., 2010). La stabilité de ces mêmes traits chez les filles serait dépendante de facteurs environnementaux. L’étude de l’impact de ces facteurs d’adversité environnementale sur la physiologie de l’individu, comme la réactivité au stress de l’axe corticotrope, est une piste actuellement prometteuse, en lien avec les travaux chez l’animal (Weaver et al., 2004), mais encore largement hypothétique (Hawes et al., 2009).


Dans un modèle développemental non déterministe prenant en compte les articulations complexes entre polymorphisme génétique et environnement, il est intéressant de se questionner sur les facteurs aggravants (Johnson et al., 2002) ou compensateurs qui peuvent se mettre en place au cours des périodes sensibles du développement de l’enfant (Cohen, 2010). À ce titre, la reconstruction de liens d’attachement confiant exercerait un effet protecteur contre les effets à long terme de la dépression maternelle sur les conduites antisociales (Hill et al., 2002). Les études empiriques ont en effet montré l’association entre des facteurs environnementaux comme la dépression maternelle post-gravidique et les CAS de l’enfant (Kim-Cohen et al., 2005). Un grand nombre de travaux, tant cliniques qu’expérimentaux et empiriques, portent sur les interactions précoces mère/enfant. Ceci tend à biaiser la discussion en laissant dans l’ombre le rôle des relations paternelles. En effet, la dépression paternelle pourrait être également un facteur prédictif indépendant des CAS de l’enfant, du moins chez le garçon. L’impact de la dépression paternelle au 1er trimestre du post-partum a été étudié dans une large cohorte britannique en population générale (n = 7 171) (Ramchandan et al., 2008). Les garçons dont le père a présenté une dépression post-partum avaient un risque doublé de présenter des conduites d’opposition sévères à 3 ans. Cet effet demeurait si l’on contrôlait pour la dépression prénatale et la dépression maternelle post-partum. Quels processus médiatisent ces relations ? Dans la mesure où l’on observe que l’association entre dépression et CAS se construit dans les tout premiers échanges entre le bébé et sa mère (Bagner et al., 2010), nous proposons de centrer notre réflexion sur l’intersubjectivité, et plus précisément sur les développements précoces de l’empathie. Le manque d’égard et de sensibilité à autrui retrouvé dans l’ensemble des descriptions cliniques et des conceptions psychopathologiques souligne bien que l’empathie opère comme concept carrefour dans le trouble des conduites (Guilé, 2007 ; Guilé et Cohen, 2010). C’est pourquoi il est pertinent d’en étudier le développement et les vicissitudes chez l’enfant et l’adolescent. Et ceci d’autant que l’empathie peut être abordée par la neuro-imagerie, les sciences cognitives et la psychanalyse (Rabain, 2004 ; Widlöcher, 1996).


Notre définition de travail du trouble des conduites utilisera deux entrées : celle du symptôme avec les conduites antisociales, et celle des traits psychopathiques, callous-unemotional traits au sens des Anglo-Saxons (Frick et Moffitt, 2010). Le trouble des conduites présente ainsi deux composantes, l’une touchant l’agir dans ses aspects cognitivo-moteurs et psychiques. Cette pathologie de l’agir s’exprime par des conduites antisociales délibérées distinctes des conduites disruptives ou oppositionnelles associées à l’impulsivité et aux troubles de l’attention. L’autre composante est émotionnelle et concerne la reconnaissance, l’expression et le partage des émotions avec autrui. Nous les examinerons sous l’angle de l’intersubjectivité et de l’empathie.



Intersubjectivité et empathie : les trois plans


L’intersubjectivité s’exprime sur plusieurs plans comme Trevarthen et Aitken (2001) le formulent dans leur schéma d’intersubjectivité. Ce schéma illustre une double communication, entre le bébé et sa mère comme sujets engagés dans une interrelation d’une part, mais aussi de manière non consciente entre deux cerveaux d’autre part. À la suite du travail de Brusset (1996), nous proposons un modèle à trois plans, neuronal, cognitif et psychique, permettant d’ordonner les observations cliniques et les résultats expérimentaux. La combinaison des perturbations présentes sur les trois plans détermine le tableau clinique (Guilé, 2008). Les trois approches, neurobiologie, psychologie cognitive et psychanalyse dont les résultats s’expriment sur les trois plans, neuronal, cognitif et psychique respectivement, regardent les faits mentaux comme des phénomènes dynamiques s’inscrivant dans le temps et l’espace. Cependant chacune de ces approches repose sur un cadre méthodologique différent. La neuro-imagerie et les études neurophysiologiques donnent un aperçu anatomo-fonctionnel des phénomènes mentaux décrits comme non conscients et dépendants du temps d’activation et de l’organisation tridimensionnelle des circuits neuronaux. Les études de psychologie expérimentale sur la cognition mettent en lumière des phénomènes temporellement mais non spatialement déterminés. Il s’agit des étapes par lesquelles les informations perçues par le sujet sont traitées mentalement. Dans ces deux approches, l’individu est extérieur à l’observation des phénomènes. Au contraire, en psychanalyse, le sujet est partie prenante des phénomènes étudiés et le moi d’observation est utilisé comme un prisme à travers lequel analyser les phénomènes intrapsychiques et intersubjectifs. Distinguer les deux plans est nécessaire car les opérations cognitives et psychiques ne sont pas toujours correctement discriminées dans les études disponibles.


Chaque niveau a sa logique interne distincte de celle des deux autres plans. Le premier niveau cible les réseaux neuronaux constitués d’une organisation de connexions neuronales déterminée dans le temps et l’espace, tant au niveau moléculaire qu’anatomique. Le deuxième niveau aborde les processus cognitifs de traitement de l’information perçue. Ils sont déterminés dans le temps mais pas dans l’espace. Le troisième niveau comprend toutes les opérations intrapsychiques à la fois conscientes et inconscientes. Elles présentent les caractéristiques spatio-temporelles de la vie psychique fantasmatique. Le modèle à trois niveaux introduit une discrimination radicale entre les processus de traitement des perceptions (information processing) tels que révélés par les études en psychologie cognitive d’une part, et les mécanismes intrapsychiques tels que dévoilés par les travaux psychanalytiques d’autre part. Les premiers sont des processus indépendants du contenu tandis que les seconds ont un contenu principalement autobiographique. Il n’existe pas de correspondance terme à terme entre les composants de chaque niveau. La plasticité neuronale explique la diversité des traductions, sur le plan cognitif, d’une anomalie repérable sur le plan neuronal. Les expériences de vie du sujet contribuent, quant à elles, à la disparité des répercussions sur le plan psychique, des perturbations des processus cognitifs. Aussi bien les mécanismes en jeu dans la plasticité que les facteurs environnementaux viennent moduler ou au contraire pérenniser un mode de fonctionnement constitué sur les plans cognitifs et psychiques. Cette modélisation articulant trois plans s’insère dans un modèle plus large intégrant les plans génétiques et environnementaux dans une compréhension développementale des interactions complexes, aléatoires et bidirectionnelles, à l’œuvre dans la genèse des troubles externalisés (Cohen, 2010). Dans notre modèle, chaque plan est un plan interactif. Hors pathologie, le bébé est ouvert d’emblée vers l’autre et dispose d’un équipement neuronal fonctionnant en miroir. Ces réseaux primitifs, responsables à la naissance des syncinésies précoces d’imitation (mimicry), vont se complexifier pour intégrer des apprentissages de procédures par imitation mais également par apprentissage probabiliste (Cohen, 2010). Sur le plan cognitif, alors même que ses réseaux neuronaux sont immatures, le bébé est soumis dès la vie utérine à la nécessité de traiter des informations sensorielles qui auront une composante à la fois cognitive au sens strict (quantum informatif) et une valence émotionnelle (charge affective avec laquelle l’information est transmise et reçue). Enfin, sur le plan psychique au sens où nous l’entendons, s’instaure un dialogue interpsychique entre l’enfant et les adultes autour de lui, entre les deux appareils psychiques, entre l’inconscient de l’adulte et l’appareil psychique en formation du bébé. Dans le champ des relations interpersonnelles, l’intersubjectivité apparaît à la fois comme un terme générique et comme une notion se référant plus spécifiquement au plan psychique en tant que lieu de dialogue entre sujets. Les études en imagerie et en cognition ciblent plus souvent la variable empathie. L’empathie dénote un partage émotionnel et présuppose la capacité cognitive de reconnaître l’autre en tant qu’être intentionnel et la capacité de discriminer l’expérience de soi de celle des autres.


Nous utiliserons le concept d’empathie développé en sciences cognitives. L’empathie est définie, notamment chez les auteurs nord-américains, comme l’une des modalités de la cognition sociale (social cognition), c’est-à-dire l’ensemble des processus de connaissance de l’autre et de l’environnement social. Au sein de ce vaste domaine, l’empathie dénote un construit plus restreint comprenant non seulement une part idéique ou représentationnelle (perspective taking), mais aussi un nécessaire partage émotionnel (sharing of feelings) (Decety et Lamm, 2006). Du point de vue cognitif, l’empathie peut être définie comme un processus de traitement de l’information émotionnelle.


En croisant les travaux psychanalytiques et cognitifs, on peut, à l’instar des modélisations de la mémoire (Siegel, 2001), distinguer trois types d’empathie : procédurale, sémantique et biographique. Si les deux dernières formes impliquent l’évocation respectivement de significations partagées et de souvenirs biographiques, l’empathie procédurale concernerait quant à elle la mise en jeu automatique et non consciente de ressentis émotionnels partagés. Cette forme d’empathie apparaîtrait très précocement au cours du développement du bébé et serait intimement liée aux premiers échanges non verbaux. Certains travaux sur les conduites de maternage des rongeurs ont montré que l’investissement empathique de ces conduites était déterminé chez les femelles jeunes mères par leurs expériences précoces (Denenberg et Rosenberg, 1967). L’empathie procédurale soutiendrait les échanges transmodaux parents/enfant tels qu’ils ont été élaborés dans la clinique psychanalytique par Stern (1985), interaffectivité et accordage affectif. L’interaffectivité dénote la situation intersubjective de base : par exemple, placé dans une situation inconnue, l’enfant se tourne vers sa mère et regarde son visage puis imite son expression faciale. L’accordage affectif décrit une situation de plus grande empathie. Il repose sur l’imitation mais pas seulement, car il implique le décodage par l’adulte de l’état émotionnel de l’enfant, et ceci à partir de son expression faciale et gestuelle. L’accordage inclut de plus une réponse transmodale de l’adulte. On pourrait alors dire que le parent symbolise l’état émotif du bébé à partir d’un registre de réponses transmodales. Les travaux neurophysiologiques de Danziger chez les adultes congénitalement dépourvus du sens de la douleur pourraient apporter une confirmation de cette distinction entre empathie procédurale, sémantique et biographique. Ces travaux semblent montrer une dissociation entre le traitement automatique des stimuli de la douleur et leur traitement sémantique et biographique (Danziger et al., 2006). Cette distinction a récemment été confirmée dans une large étude longitudinale (Dadds, et al., 2009) auprès de parents d’enfants présentant des traits psychopathiques (n = 2730). Chez les garçons, le déficit d’empathie sémantique s’estompait à l’adolescence tandis que le déficit procédural persistait.



Empathie procédurale et régulation émotionnelle : existe-t-il des patrons d’activation neuronale particuliers ?


Les études portent sur les mécanismes premiers de l’empathie, avec deux paradigmes principaux, sensibilité à la douleur d’autrui et identification d’émotions faciales. Comme le souligne Gallese (2005), l’empathie est fondamentalement enracinée dans le corps (embodied). Les processus empathiques prennent leur source dans le mécanisme de simulation motrice décrit par Jeannerod (2001) selon lequel les mêmes réseaux neuronaux sont activés lorsque l’on accomplit une action et qu’on l’observe chez l’autre. Beaucoup de données nous viennent des études en neuro-imagerie de la douleur effectuées au cours de la dernière décennie. Elles montrent l’activation d’un circuit de la douleur incluant dans toutes les études, l’insula antérieure et le cortex cingulaire antérieur. Au contraire, la participation des régions sensorimotrices primaires n’est pas encore claire. Des études récentes ont toutefois montré l’activation des cortex sensoriel (Avenanti et al., 2005) et moteur (Minio-Paluello et al., 2009) dans la perception de la douleur des autres. Ces résultats apportent un soutien à l’existence d’un réseau « pré-empathique » responsable de la résonance sensorimotrice (motor contagion). Enfin, un autre aspect de l’enracinement corporel est le phénomène d’intégration multisensorielle recrutant réseaux centraux et périphériques de façon interactive dans l’analyse des signaux multimodaux synchrones (Lugo et al., 2008). Ceci contribue sans doute, sur le plan neuronal, à l’élaboration des réponses transmodales observées sur les plans cognitifs et psychiques dans les échanges parent/enfant.


La lecture des émotions faciales requiert l’activation de plusieurs réseaux. Il faut tout d’abord noter un patron d’activation neuronale distinct selon que le regard du visage montré au sujet est direct ou dévié. Le regard direct conduit non seulement à l’activation des aires impliquées dans la perception des visages, comme l’aire fusiforme, mais également à un recrutement précoce des structures amygdaliennes (Conty et al., 2007). L’importance de l’activation amygdalienne peut trouver une autre confirmation dans des études établissant l’existence d’une détection sous-corticale des émotions faciales, c’est-à-dire ne recrutant pas le cortex visuel (Pasley et al., 2004). Il faut ajouter l’implication des réseaux préfrontaux dans la régulation de la réponse aux stimuli (Decety et Lamm, 2006), implication modulée au cours de la croissance puisque le recrutement préfrontal tendrait à diminuer avec l’âge (Deeley et Daly, 2008).


Au total, les réseaux recrutés pour l’empathie comprennent des structures sous-corticales et corticales limbiques comme l’amygdale et le gyrus cingulaire antérieur, des réseaux préfrontaux et des réseaux associatifs tels que l’insula et la jonction temporopariétale (JTP). Cette dernière serait impliquée dans la distinction entre soi et non-soi. Le recrutement de la JTP serait associé à l’acquisition du sentiment d’agentivité (Decety et Lamm, 2006).


Dans le champ du trouble des conduites, la sensiblité à la douleur d’autrui a été explorée dans une étude de neuro-imagerie menée chez 8 grands adolescents avec TC chez les lesquels l’empathie mesurée était faible, et 8 adolescents normaux (Decety et al., 2009). Les participants étaient exposés à des vidéos mettant en scène des situations douloureuses accidentelles et intentionnelles. L’activation des réseaux neuronaux de la douleur, incluant les régions somato-sensorielles et limbiques, était observable chez tous les participants dans toutes les conditions expérimentales. L’activation amygdalienne et sous-corticale était plus importante, conduisant à formuler une hypothèse de surréactivité émotionnelle couplée ou non avec une hypersensibilité neurovégétative ou avec un processus d’autostimulation et de renforcement. Dans la condition intentionnelle, les témoins présentaient une nette activation préfrontale tandis que les participants avec TC manifestaient un faible couplage préfrontal-amygdalien. L’étude tendait à conclure que l’empathie procédurale est préservée dans le TC, avec en particulier des capacités de résonance sensorimotrice intactes. En revanche, la régulation préfrontale de l’activation limbique des émotions positives et négatives était défaillante. Ce résultat demande à être confirmé puisqu’une équipe anglo-australienne avait objectivé un déficit pérenne de l’empathie procédurale (Dadds et al., 2009) et une sous-activation amygdalienne associée au faible couplage préfrontal-amygdalien (Marsh et al., 2008). Il est possible que l’échantillon ne soit pas superposable et que cette distinction puisse expliquer la discordance des résultats des deux équipes. En effet, l’équipe de Decety a etudié des adolescents avec TC et non le sous-groupe avec insensibilité affective (callous-unemotional traits). Ceci renforce l’idée de mieux identifier ce sous-groupe en neurophysiologie, neuro-imagerie et neuroendocrinologie. Chez l’adulte, une hyporéactivité électrodermale a été observée dans la psychopathie contrastant avec l’hyperréactivité observée dans le trouble de personnalité (Herpertz, et al., 2001). Une hyporéactivité amygdalienne a été constatée par une équipe indépendante chez des enfants présentant à la fois un trouble des conduites et une insensibilité affective (callous-unemotional traits) (Jones et al., 2009). Ceci conduit à souligner l’importance d’étudier les sujets présentant à la fois un déficit empathique sévère et une hyporéactivité corticotrope (Hawes et al., 2009).


Dans le domaine non plus des caractéristiques individuelles des sujets avec TC, mais dans celui des interactions précoces, les études en potentiels évoqués permettent d’ouvrir une fenêtre sur le plan neuronal. Le lien entre dépression post-gravidique et conduites antisociales de l’enfant peut-il être rapproché de l’asymétrie EEG (électroencéphalographique) observée chez les bébés de mères déprimées (Jones et al., 2000) et ceci d’autant que les études ultérieures ont précisé que cette asymétrie était corrélée avec les émotions faciales exprimées par les mères affectées par la dépression (Field et Diego, 2008) ? Pour l’instant, l’état des connaissances suggère de se cantonner à formuler des hypothèses et des questions, y compris dans le domaine de l’intersubjectivité.

Only gold members can continue reading. Log In or Register to continue

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 14: Troubles des conduites et intersubjectivité

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access