39: Troubles psychiques de la grossesse et du post-partum

Chapitre 39 Troubles psychiques de la grossesse et du post-partum



Avec Esquirol dès 1838, approfondi ensuite par son élève Marcé, se constitue un corpus cohérent de connaissances concernant les troubles mentaux puerpéraux. Après la fin de la seconde guerre mondiale, les recherches connaissent un nouvel essor mais aussi une nouvelle direction prenant en compte les interactions entre la mère et son nourrisson. En 1950, le psychiatre britannique John Bowlby soutient l’hypothèse d’un besoin primaire d’attachement chez le nouveau-né. En 1952, Moloney décrit le blues du post-partum. En 1948, au Royaume-Uni, un psychiatre, Main, hospitalise pour la première fois une mère déprimée avec son enfant, et en 1959 Baker crée la première unité psychiatrique permettant d’accueillir simultanément mères et nourrissons. En 1968, Pitt décrit la « dépression atypique postnatale » et en établit l’incidence. En 1970, les pédiatres américains Klaus et Kennel exposent les défaillances de l’attachement maternel (bonding) résultant des séparations systématiques ou de facilité instituées après la naissance. L’accumulation de ces développements va contribuer à la naissance d’un champ particulier d’études nommé, par Kumar et Brockington psychiatrie périnatale [1].



Des sujets plus particuliers, comme l’infanticide, le suicide (première cause de mortalité maternelle postnatale) et le déni de grossesse sont approfondis ; les conséquences des troubles psychiques maternels sur le nouveau-né font l’objet de recherches systématiques et l’ensemble des propositions thérapeutiques sont affinées et adaptées au contexte périnatal.



Manifestations psychiques de la grossesse et de l’accouchement


Sous ce terme, nous regrouperons essentiellement les troubles anxieux et dépressifs et les « psychoses ». Nous y adjoindrons l’étude d’un syndrome original, le déni de grossesse.



Dépression anténatale


Sa prévalence est estimée à environ 4 % pour les seules dépressions majeures et environ 8 % pour les formes mineures. Son diagnostic peut être délicat, surtout aux 1er et 3e trimestres de grossesse lorsque les préoccupations ou les modifications corporelles inhérentes à cet état, a fortiori celles résultant de complications obstétricales, peuvent se confondre avec des manifestations dépressives. Pour ajouter à la difficulté, les plaintes somatiques peuvent elles-mêmes traduire un état dépressif. Le sujet dépressif associe diversement tristesse, anhédonie, anticipation péjorative de l’avenir, réduction du désir en général et de la libido en particulier, restriction des investissements, mésestime de soi, irritabilité, rarement idées suicidaires. À ces manifestations subjectives s’ajoute un cortège de signes fonctionnels (réduction de l’appétit, troubles du sommeil, réduction de la libido, ralentissement psychomoteur dans les formes sévères). La plupart des troubles cesse spontanément avant la naissance mais entre 10 et 40 % se prolongent ou récidivent durant le post-partum. Il a été récemment établi qu’un traitement par psychotropes pour dépression majeure débutée avant la grossesse et interrompu à l’occasion de celle-ci expose à un taux très élevé de rechutes (50 à 75 %) avant même la naissance. Les facteurs de risque sont semblables à ceux de la dépression postnatale (détaillés plus loin). On soulignera les corrélations plus spécifiquement retrouvées avec la primiparité, les antécédents d’accidents obstétricaux ou d’avortement, les antécédents personnels de dépression, les sentiments négatifs ou l’ambivalence par rapport à la grossesse et les menaces portant sur la grossesse actuelle. Des corrélations significatives entre dépression prénatale et comportements maternels à risque, tels le tabagisme, l’usage d’alcool ou de drogues et un moindre suivi médical de la grossesse, ont été démontrées. Enfin plusieurs études ont retrouvé une association significative entre un score élevé de dépression (et non d’anxiété) durant la grossesse et un risque accru d’accouchement prématuré.



Inquiétudes ordinaires et troubles anxieux


Les inquiétudes par rapport à la grossesse, l’accouchement et la santé du nouveau-né sont assez fréquentes, souvent passagères et ne ressortent pas de la pathologie. La vulnérabilité anxieuse peut être un trait de caractère mais peut aussi s’associer à l’issue défavorable d’une grossesse antérieure, à l’interférence d’un stress, notamment un deuil, ou à la connaissance d’un risque actuel. Si le dépistage de la trisomie par dosages sériques ou échographie reste généralement d’un impact mesuré, voire négligeable sur l’anxiété, un faux positif est susceptible d’entraîner anxiété durable [2] et rejet de la grossesse ainsi que des conséquences dommageables à long terme dans les relations à l’enfant. Les antécédents d’abus sexuels de l’enfance accroissent significativement la crainte de l’accouchement. Toutefois la grossesse est aussi une période propice à l’apparition de troubles anxieux caractérisés (notamment trouble panique et troubles obsessionnels compulsifs : TOC) chez des sujets indemnes jusqu’alors. En cas de troubles préexistants, une amélioration symptomatique passagère est assez souvent observée durant la grossesse, surtout pour les troubles modérés. Les manifestations anxieuses de la grossesse peuvent aussi être l’augure d’un trouble dépressif postnatal. Teintées de bizarrerie ou accompagnés d’importants troubles du sommeil, surtout en fin de grossesse, elles doivent faire craindre un épisode « psychotique puerpéral » chez les sujets présentant un trouble bipolaire ou des antécédents de psychose puerpérale.





Déni de grossesse


Le déni de grossesse, sous la dénomination de « grossesse inconsciente », fut reconnu dès la fin du xixe siècle. La fréquence des dénis prolongés jusqu’au début des contractions est mal établie ; elle varierait entre 0,5 et 3 ‰. La description en est stéréotypée : l’aménorrhée est souvent masquée par des métrorragies, le gain de poids est minime, les autres signes de grossesse sont absents ou réduits. Étrangement, l’entourage familial, comme près d’une fois sur deux le médecin consulté, n’évoque pas spontanément la grossesse, participant à la « collusion du déni ». La distension abdominale en fin de grossesse est fréquemment imputée à une prise de poids, les premières contractions à des douleurs digestives, l’accouchement, quand il révèle la grossesse, est souvent brutal et hémorragique.


La mort du nouveau-né soulève un classique et difficile problème médicolégal, notamment quand, après des contractions confondues avec des épreintes, l’enfant est retrouvé noyé dans les toilettes. Si le déni de grossesse semble représenter une circonstance favorisante de l’infanticide, le risque n’a pu être quantifié valablement, mais semble inférieur à 5 %, et est probablement bien moindre.


Plus généralement, l’évolution de l’enfant est mal connue ; néanmoins les études de cas et les rares enquêtes systématiques laissent supposer qu’après une période initiale troublée, avec des défaillances de l’attachement maternel et parfois une profonde ambivalence, le développement ultérieur ne présente généralement pas de particularité observable. Il existe de très nombreux cas publiés mais peu d’études systématiques sur le déni. L’étude de Bretzinka et al., l’une des plus complètes et des mieux conduites, ne porte que sur 27 cas. Elle a permis une première estimation de la prévalence des manifestations relevées lors d’études anecdotiques. La grossesse est découverte lors du travail, généralement à terme (40 %), avec un enfant en bonne santé, soit plus tôt dans la grossesse, entre 26 et 36 semaines, suite aux remarques d’un tiers (30 %), soit enfin entre 21 et 26 semaines de gestation, souvent à l’occasion d’un incident ou d’un accident obstétrical. Cette découverte, surtout à la naissance, entraîne chez de nombreuses patientes un état de sidération et parfois un véritable état de stress aigu. Dans l’étude précitée, deux parturientes psychotiques manifesteront un état délirant aigu.


Les publications signalent en général peu de troubles psychiatriques chez les femmes déniant leur grossesse alors qu’ils sont présents chez 50 % des sujets dans l’étude précédemment citée (dépression majeure, troubles de la personnalité, retard mental, psychose). Il est fréquent que les mères aient expérimenté un stress sévère peu avant la grossesse ou bien que la grossesse elle-même menace leur situation sociale ou affective, notamment la relation avec le conjoint ou les parents.


L’interprétation psychopathologique du déni de grossesse donne lieu à discussion. Dans la plupart des cas, il semble qu’il s’agisse d’un mécanisme d’adaptation à une situation dépassant les capacités de la parturiente d’y faire face en toute conscience, le mécanisme de défense mis en jeu (le refoulement) n’interviendrait qu’après une brève prise de conscience rapidement réprimée de la grossesse. Le trouble peut aussi être décrit comme une forme d’état dissociatif. Il doit être distingué de la dissimulation ou du mensonge qui sont une « négation pour autrui » de la grossesse. Enfin la « méconnaissance » de la grossesse se retrouve plus fréquemment chez les jeunes adolescentes, les femmes en fin de cycle reproductif ou celles présentant une importante surcharge pondérale.



Troubles psychiques du post-partum


Le blues, la « psychose puerpérale » et les troubles anxieux sont typiquement à manifestation précoce, tandis que l’incidence maximale de la dépression du post-partum (DPP) se situe entre 6 et 8 semaines. Si les classifications internationales ne retiennent la spécificité postnatale que pour les troubles débutant avant 4 (DSM-IV : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4e éd.) ou 6 semaines (CIM-10 : Classification internationale des maladies, 10e éd.), la Société Marcé, principale association internationale de psychiatrie périnatale, recommande d’étendre cette dénomination à l’ensemble de la première année.



Post-partum blues


Ce trouble émotionnel fugace, dysphorie transitoire, survient chez près d’une femme sur deux, typiquement entre le 3e et le 10e jour suivant la naissance. La dispersion des taux de prévalence, entre 5 et 80 %, est liée à la nature et au nombre des critères diagnostiques utilisés, le taux de 50 % est généralement retenu si l’on associe pleurs et labilité de l’humeur.


Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Sep 24, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 39: Troubles psychiques de la grossesse et du post-partum

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access