Chapitre 35 Problèmes cardiovasculaires, respiratoires et grossesse
Cardiopathies
La grossesse chez une femme ayant une cardiopathie est relativement rare (environ 1 % des cas), mais représente une cause importante de morbidité, voire de mortalité, les anomalies cardiaques restant la première cause de décès chez la femme enceinte parmi les pathologies maternelles préexistantes. De plus, le développement du fœtus peut être considérablement perturbé par la cardiopathie.
Cardiopathies congénitales
Différentes cardiopathies
Cardiopathies à haut risque
Syndrome d’Eisenmenger
L’hypertension artérielle pulmonaire fixée secondaire à un shunt, ou syndrome d’Eisenmenger, est une contre-indication formelle à la grossesse. Celle-ci aggrave en effet de façon constante l’état maternel avec augmentation de la dyspnée et de la cyanose. Surtout elle conduit à la mort de la patiente dans 30 à 40 % des cas. Les mécanismes invoqués sont la baisse des résistances systémiques (notamment lors de la délivrance) alors qu’il y a au cours de la grossesse une augmentation des résistances pulmonaires du fait de l’hypercoagulabilité et de phénomènes thromboemboliques. Le pronostic s’est peu amélioré au fil des années. Les décès surviennent le plus souvent dans le post-partum immédiat et fréquemment chez des femmes qui étaient pauci ou asymptomatiques.
Cardiopathies à risque intermédiaire
Sténose aortique (valvulaire, sous ou supravalvulaire)
Il apparaît en pratique que si la sténose aortique est serrée (surface aortique inférieure à 1 cm2), le risque de mauvaise tolérance au cours de la grossesse est important et il faut intervenir avant celle-ci ou, si elle est commencée, envisager un geste thérapeutique, de préférence une valvuloplastie percutanée. Avant la grossesse, un test d’effort peut être envisagé permettant d’autoriser la grossesse en cas de normalité.
Transposition des gros vaisseaux après réparation intra-atriale (intervention de Mustard ou Senning)
Cardiopathies à risque faible [3]
Canal artériel
Les canaux artériels de petit calibre tolèrent très bien la grossesse mais une insuffisance cardiaque peut être observée en cas de shunt important. Dans ce cas, l’occlusion du canal artériel par cathétérisme interventionnel peut être effectuée au cours de la grossesse.
Valvulopathies rhumatismales [1,2]
Prothèses valvulaires
La tolérance hémodynamique de la grossesse est en général bonne chez les patientes ayant une prothèse fonctionnant normalement. En ce qui concerne les bioprothèses, leur détérioration a été évoquée pendant la grossesse mais non confirmée par les études récentes. Les prothèses mécaniques posent le problème majeur du traitement anticoagulant.
Cardiopathies ischémiques
Elles sont très rares à l’âge de la procréation.
Troubles du rythme
Tachycardies
Étage atrial
Tachycardies jonctionnelles paroxystiques
En cas d’échec, on recourra à la stimulation auriculaire transœsophagienne. Le traitement préventif de ces tachycardies réciproques chez la femme enceinte dépend de la fréquence et de la tolérance des accès. Les bêtabloquants et les quinidiniques peuvent être utilisés. Chez les patientes très symptomatiques malgré le traitement médical, une radiofréquence du circuit de réentrée peut être réalisée. Les tocolytiques bêtamimétiques doivent être évités chez ces femmes.
Cardiomyopathies
Dissection aortique
La grossesse semble favoriser la dissection aortique du fait des modifications de la structure de la paroi des vaisseaux mais reste très rare en dehors du syndrome de Marfan. La dissection survient le plus souvent au cours du 3e trimestre ou dans la période du post-partum. Le tableau clinique n’a pas de caractère particulier et le diagnostic est affirmé par l’échographie transœsophagienne. Il est conseillé d’effectuer une césarienne pour éviter la montée tensionnelle et d’intervenir chirurgicalement sur l’aorte aussitôt après l’accouchement. Le risque opératoire reste très important.
Conclusion
La population des femmes cardiaques enceintes s’est modifiée récemment avec une augmentation du nombre des cardiopathies congénitales. Dans la plupart des cas, la grossesse a une évolution favorable. Cependant, le nombre des femmes ayant une cardiopathie complexe et arrivant à l’âge de la procréation augmente, générant des problèmes nouveaux. Il importe avant la grossesse d’évaluer précisément la classe fonctionnelle, la fonction ventriculaire et le type de la cardiopathie. Cette évaluation préconceptionnelle permet de donner un pronostic et d’envisager une prise en charge adaptée avant la grossesse [5].
[1] Elkayam U., Bitar F. Valvular heart disease and pregnancy. Part I : Natives valves. J Am Coll Cardiol. 2005;46:223. 30
[2] Hameed A., Karaalp I.S., Tummala P.P., et al. The effect of valvular heart disease on maternal and fetal outcome of pregnancy. J Am Coll Cardiol. 2001;37:893. 9
[3] Oakley C., Child A., Jung B., et al. Expert consensus document on management of cardiovascular diseases during pregnancy. Eur Heart J. 2003;24:761. 81
[4] Weiss B.M., Hess O.M. Pulmonary vascular disease and pregnancy current controversies, management, strategies and perspectives. Eur Heart J. 2000;21:104. 15
[5] Siu S.C., Sermer M., Colman J.M., et al. Prospective multicenter study of pregnancy outcomes in women with heart disease. Circulation. 2001;104:515. 21
Thromboses
Épidémiologie [1]
Les épisodes thrombotiques pouvant survenir au cours de la grossesse sont les thromboses veineuses profondes (TVP) des membres inférieurs associées ou non à une embolie pulmonaire (EP), les thromboses veineuses superficielles (TVS) et le cas très particulier des thromboses des veines ovariennes pouvant également se compliquer d’embolie pulmonaire. La survenue d’une TVP est un accident rare au cours de la grossesse, son incidence de 1 pour 1 000 grossesses ne justifie pas sa prophylaxie systématique. Si ces accidents sont peu fréquents et si la grossesse est une situation clinique à risque thrombotique faible, l’embolie pulmonaire est néanmoins une des premières causes de mortalité maternelle en Europe occidentale.
Pathogénie de la maladie thromboembolique de la grossesse
II y a 20 ans, la seule thrombophilie héréditaire décrite était le déficit en antithrombine (AT) qui, bien qu’il soit associé à un risque thrombotique majeur, est très rarement retrouvé. Depuis, d’autres déficits en inhibiteurs physiologiques de la coagulation ont été décrits : protéine C et protéine S. C’est en 1993 que les thrombophilies héréditaires connaissent une explosion suite à la découverte par Dahlbäck d’un facteur héréditaire fréquent : la résistance à la protéine C activée bientôt rapportée à une mutation unique, le facteur V Leiden. Enfin en 1996, Poort et al. décrivent une mutation (G 20210 A) dans une région non codante du gène de la prothrombine également associée à un risque de thrombose veineuse. Le tableau 35.1 rapporte la prévalence et le risque relatif de MTEV de ces différents facteurs génétiques. Les patientes présentant une MTEV uniquement associée à des facteurs de risque biologiques acquis (anticorps antiphospholipides) et sans antécédents familiaux sont définies comme ayant une MTEV acquise. Les patientes présentant une MTEV récidivante sans facteurs de risque génétiques identifiés mais avec une histoire familiale (au premier degré) documentée de TVP seront définies comme ayant une MTEV familiale idiopathique.