Chapitre 28 Anomalies de la placentation
Placenta praevia
Un placenta est dit praevia lorsqu’il s’insère en totalité ou en partie sur le segment inférieur. Lorsque les villosités s’attachent sur la muqueuse de l’isthme utérin ou recouvrent l’orifice interne du canal cervical, le processus de l’effacement et de la dilatation du col, induit par les contractions utérines, provoque un décollement partiel du pôle inférieur du placenta qui se manifeste par des hémorragies [1].
La fréquence du placenta praevia est de l’ordre de 0,3 à 0,5 % des grossesses.
Étiologie [1]
On peut considérer qu’il existe soit des insertions basses primitives sur des zones fragilisées de l’endomètre (cicatrices opératoires, séquelles d’endométrite, multiparité), soit des envahissements secondaires par étalement du placenta qui vient déborder sur le segment inférieur à cause d’une grossesse multiple, ou pour augmenter la surface des échanges maternofœtaux (âge maternel avancé, tabagisme, cocaïne). Les récidives sont fréquentes (tableau 28.1).
Tableau 28.1 Étiologies du placenta praevia.
Facteurs favorisants | Risque relatif de placenta praevia |
---|---|
Âge > 35 ans | 2-4,7 |
Multiparité > 3 à 4 | 3,6-4,2 |
Antécédents d’avortement | 1,5-2 |
Antécédents de césarienne | 1,5-1,9 |
Antécédents de placenta praevia | 5-6 |
Grossesses multiples | 2 |
DES syndrome | 4,4 |
Tabagisme | 1,7-2,6 |
Cocaïne | 1,4 |
Anatomie pathologique
Au cours de la grossesse, les placentas praevia sont classés en quatre stades (figure 28.1) :

Figure 28.1 Localisation du placenta praevia par sonde endovaginale.
A : placenta recouvrant total; B : placenta marginal; C : placenta latéral.
Au-delà de 5 cm de distance, la signification pathologique de l’insertion basse est controversée.
Physiopathologie
Les villosités les plus basses, arrachées lors du décollement provoqué par les contractions utérines, sont le siège d’une hémorragie provenant des vaisseaux de la caduque, mais aussi des capillaires sinusoïdes fœtaux. La contribution fœtale de l’hémorragie est estimée à 4 %, d’où un risque d’anémie fœtale, voire de choc hémodynamique fœtal pouvant être à l’origine d’une leucomalacie périventriculaire dans les formes graves. Le passage d’hématies fœtales dans la circulation maternelle est également favorisé à travers les veines béantes de la caduque. Les hémorragies déclenchées par l’activité utérine de fin de grossesse provoquent à leur tour des contractions utérines, d’où un cercle vicieux qui peut être à l’origine d’une rupture prématurée des membranes et d’un accouchement prématuré. Du fait de la proximité du col utérin par rapport à l’origine du saignement, l’essentiel de l’hémorragie est extériorisé.
Diagnostic
Le principal motif de la consultation en urgence est l’hémorragie du 3e trimestre. Cette hémorragie survient en moyenne vers 30 SA : elle est faite de sang rouge qui coagule. Elle est souvent récidivante, après plusieurs épisodes au 1er ou au 2e trimestre de la grossesse. Elle est indolore, en dehors des contractions utérines.
L’existence de douleurs intenses doit faire évoquer soit un début de travail, soit un hématome rétroplacentaire associé.
L’état général, évalué par la pâleur des téguments et des muqueuses, la prise du pouls et de la pression artérielle, est altéré en fonction de l’hémorragie extériorisée.
À la palpation, l’utérus est souple en dehors des contractions utérines. Il existe dans près de 22 % des cas une présentation pathologique (siège ou transversale), car la bascule physiologique de la tête fœtale est gênée par l’insertion basse du placenta. La fréquence du placenta praevia est 50 fois plus élevée chez une femme à terme avec un fœtus en présentation transversale qu’en cas de présentation céphalique.
L’examen au spéculum vérifie que l’hémorragie est d’origine endo-utérine et élimine ainsi une lésion de la muqueuse vaginale ou du col (polype, cervicite, ectropion, cancer). Si l’hémorragie est importante, il est possible de recueillir du sang pour faire une recherche d’hématies fœtales par le test de Kleihauer ou par le test d’Apt (addition d’hydroxyde de sodium : la coloration rose est en faveur d’une hémoglobine fœtale, la coloration jaune-brun est le témoin de l’hémoglobine adulte).
Conduite à tenir
Lorsque l’hémorragie est modérée ou abondante, deux abords veineux avec des aiguilles de 14 à 16 G sont immédiatement mis en place par la sage-femme :
Le toucher vaginal intracervical à la recherche du matelas placentaire, interposé entre la présentation fœtale et les doigts vaginaux, est unanimement condamné à cause du risque d’hémorragie cataclysmique lié au complément de décollement du placenta. Il ne peut être réalisé qu’après exclusion d’une insertion basse du placenta par l’échographie.
L’échographie par voie vaginale est le procédé de choix pour le diagnostic du placenta praevia. Elle montre avec une grande précision la distance qui sépare le bord inférieur du placenta et l’orifice interne du col et permet de déterminer la forme anatomique de l’insertion praevia.
De nombreuses études ont montré que la majorité des placentas bas insérés au 2e trimestre ne sont plus praevia à terme. Ce phénomène appelé « migration placentaire » survient avec une ampleur de 5 à 9 cm. L’apparente ascension du placenta est liée à une croissance préférentielle de l’organe vers le fond utérin mieux vascularisé et à une atrophie des villosités les plus basses. Cette atrophie peut cependant laisser à nu les vaisseaux courant sur les membranes, d’où un risque de vaisseaux fœtaux praevia dans le cadre d’une insertion vélamenteuse du cordon. La « migration » du placenta est aussi due au développement du segment inférieur qui atteint près de 10 cm à terme alors qu’il s’agit d’une zone virtuelle en dehors de la grossesse.
Ne restent véritablement praevia que les placentas qui sont symétriques par rapport au col et qui recouvrent l’orifice interne du col d’au moins 1 cm à 22 SA. Ce phénomène de « migration »> implique qu’aucune décision sur le mode d’accouchement ne soit prise avant une dernière échographie faite vers 36 SA.
Évolution
Lors d’une prise en charge active par un traitement conservateur, la grossesse est surtout exposée à des récidives hémorragiques (55 à 65 %) qui aggravent le pronostic fœtal, à une rupture prématurée des membranes (11 à 18 % des cas), et à un accouchement prématuré dans la moitié des cas. Une grande partie de cette prématurité est induite à la suite d’une prise en charge active par césarienne programmée dès la maturité fœtale acquise.
Au cours du travail, autorisé dans les formes latérales, les récidives hémorragiques sont fréquentes et nécessitent une rupture artificielle des membranes permettant d’assurer une hémostase par compression du lit placentaire. La délivrance, qui s’effectue le plus souvent en mode Duncan par glissement, est une période à haut risque car elle expose à des hémorragies graves liées à une rétention de cotylédons accessoires, à une mauvaise rétraction du segment inférieur pauvre en fibres musculaires, à une absence de décollement d’un placenta accreta partiel ou total ou à des troubles de la crase sanguine par association à un hématome rétroplacentaire ou à la suite de perfusions de solutés cristalloïdes et de transfusions multiples en cas de choc hémorragique.
Formes cliniques
Formes asymptomatiques
Depuis la pratique en routine de 3 échographies pendant la grossesse, les placentas praevia méconnus sont devenus rares. Autrefois, il était possible de découvrir un placenta praevia à l’occasion d’une présentation transversale à terme, lors d’une hémorragie brutale au cours d’une amnioscopie, lors de l’incision utérine d’une césarienne ou à la suite d’une délivrance artificielle laborieuse et lors de l’examen systématique du produit du délivre grâce au petit côté des membranes, inférieur à 10 cm.
Formes anatomiques
Le placenta praevia central représente un tiers des insertions praevia. Il peut rester asymptomatique jusqu’en début de travail. Il est associé à des défauts d’accommodation de la présentation fœtale. Son risque hémorragique est plus important que celui des autres variétés.
Le placenta marginal antérieur expose à une incision transplacentaire lors de la césarienne, avec un risque d’anémie fœtale grave. L’hémostase est souvent laborieuse du fait de larges varicosités rétrovésicales.
Le placenta marginal postérieur est une variété particulièrement dangereuse, car il empêche la tête fœtale de s’engager et il favorise les procidences du cordon.
Formes compliquées
La procidence du cordon est 4 fois plus fréquente que dans les accouchements normaux. Son pronostic est très grave car la libération de la compression funiculaire entre le placenta et la présentation est difficile.
Le placenta accreta est traité plus loin [2].
La morbidité maternelle est dominée par le risque d’anémie nécessitant des transfusions dans les suites de couches (× 10), par le risque infectieux notamment des endométrites (× 5,5) et par le risque thromboembolique (× 4,8).
La mortalité maternelle a notablement diminué depuis le traitement des formes graves par les transfusions et par l’extraction par césarienne. Quelques rares décès maternels sont encore possibles à la suite d’une hémorragie grave de la délivrance, principalement dans les insertions accreta et lors des défibrinations massives.
Diagnostic
Diagnostic positif
Le diagnostic positif du placenta praevia repose sur les antécédents de la gestante et sur les circonstances de la grossesse, sur les caractères de l’hémorragie (spontanée, indolore, récidivante, de sang rouge coagulable), mais surtout sur la triade de Macafee : hémorragie modérée avec utérus souple, vitalité fœtale présente et présentation haute et mobile. On accordera toute sa valeur à la recherche de signes négatifs : absence de contracture utérine, absence de signe d’hypertension artérielle gravidique et normalité de la coagulation.

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