Chapitre 24
Myopathies
Histologie et physiologie du muscle strié
L’unité motrice
L’unité motrice (unité élémentaire de contraction d’un muscle) est composée d’un motoneurone et des fibres musculaires qu’il innerve (3 à plusieurs milliers en fonction des groupes musculaires) (fig. 24.1). La force développée par le muscle dépend du nombre d’unités motrices qui se contractent [33].
Histologie du tissu musculaire
Le muscle est constitué de cellules appelées myocytes ou fibres musculaires. Elles sont typiquement très allongées (jusqu’à 30 cm pour un diamètre de 10 à 100 μm). Elles sont dépourvues de ramifications et sont solidarisées les unes aux autres par un fin tissu de soutien appelé endomysium. Leur alignement régulier rend possible la production d’une force dans une direction donnée. Ces cellules sont regroupées par faisceaux, de 10 à 100, chaque faisceau étant entouré d’un tissu de soutien, le périmysium, qui contient des vaisseaux sanguins, des nerfs et des lymphatiques. Le muscle est composé de multiples faisceaux musculaires entourés d’un troisième tissu de soutien périphérique, l’épimysium. Le tissu de soutien dans ses trois composantes correspond au tissu conjonctif du muscle et est appelé matrice extracellulaire (fig. 24.2) [33].
Les myocytes peuvent être de type I (métabolisme essentiellement oxydatif, aérobie), de type II (métabolisme essentiellement glycolytique, anaérobie) ou intermédiaire. Les structures contractiles sont les myofibrilles qui s’étendent d’une extrémité à l’autre de la fibre musculaire. Elles sont constituées de filaments d’actine et de myosine.
L’étude microscopique des myofibrilles, regroupées en faisceaux, permet de distinguer des bandes et des stries. L’espace entre deux stries Z est appelé sarcomère et constitue l’unité contractile de la fibre musculaire (fig. 24.2 et 24.3).
Biologie cellulaire et protéines impliquées dans les maladies neuromusculaires
Les myofibrilles, constituées de filaments d’actine et de myosine, sont associées à des filaments de titine, de myotiline et de téléthonine (fig. 24.3). Les systèmes d’ancrage liant les myofibrilles entre elles font appel à des molécules de plectine.
La membrane cellulaire (ou sarcolemme) et le tissu de soutien adjacent dépendent d’un complexe (le costamère) constitué de trois groupes protéiques : l’un est le complexe dystrophine-glycoprotéine, un autre est centré sur une molécule d’intégrine et le dernier est centré sur un canal sodique (fig. 24.4). Ces trois groupes membranaires sont attachés aux stries Z par l’intermédiaire de filaments de desmine, des chaînes d’actine et des chaînes d’actinine. Ces groupes d’ancrage sont reliés et stabilisés entre eux par des filaments de spectrine.
Fig. 24.4 Schéma des ensembles protéiques impliqués dans les dystrophies musculaires et les myopathies congénitales.
Les trois groupes moléculaires membranaires constituant le costamère sont encadrés : en orange, le groupe centré sur l’intégrine ; en rose, le complexe dystrophine-glycoprotéine ; en vert, le groupe centré sur un canal sodique.
IRM du muscle strié normal
Le plan axial est particulièrement utile pour déterminer la topographie des lésions et comparer les groupes musculaires (atrophie ou hypertrophie). Le protocole de base en IRM inclut des séquences en pondération T1 et T2 avec suppression de la graisse dans le plan axial sur les régions d’intérêt. À l’état normal, les muscles sont homogènes, de signal intermédiaire en pondération T1 et T2 [46]. Ils ne présentent pas d’infiltration graisseuse, à l’exception de deux muscles de la ceinture pelvienne, les muscles tenseur du fascia lata et grand glutéal qui présentent, en coupe transversale, un aspect respectivement ponctué et fasciculé (fig. 24.5).
Fig. 24.5 Aspect IRM normal de la ceinture pelvienne.
Notez l’infiltration graisseuse physiologique des muscles fascia lata (têtes de flèches) et grand glutéal (flèches) qui présentent un aspect respectivement ponctué et fasciculé.
Maladies neuromusculaires
Définitions et classification
Les maladies neuromusculaires regroupent l’ensemble des maladies qui affectent le fonctionnement musculaire par atteinte de l’un des constituants de l’unité motrice composée de la fibre musculaire, de la jonction neuromusculaire, du nerf périphérique et du motoneurone spinal dans la corne antérieure de la moelle épinière (tableau 24.1) [1]. Elles se divisent en deux grands groupes : les maladies neuromusculaires primitives et les maladies neuromusculaires secondaires. Les maladies neuromusculaires primitives sont d’origine génétique ou inflammatoire (dermatomyosite, polymyosite et myosite à inclusion). Les maladies neuromusculaires secondaires comprennent les myopathies endocriniennes, de surcharges, toxiques et iatrogènes, et les syndromes myasthéniques secondaires (atteinte de la jonction neuromusculaire) (tableau 24.1).
Les myopathies désignent les maladies neuromusculaires qui affectent de la fibre musculaire, qu’elles soient primitives ou secondaires.
Les dystrophies musculaires sont un ensemble d’affections génétiques liées à une dégénérescence primitive du tissu musculaire. Elles affectent les muscles qui ont atteint leur maturité structurelle et qui sont le siège d’une nécrose aboutissant à la destruction de la fibre musculaire, avec mise en place de mécanismes de régénération musculaire non efficients (régénération sur un mode génétique altéré).
L’atrophie musculaire est probablement le résultat d’une combinaison de plusieurs mécanismes : une dégradation massive des protéines constituant le muscle et une diminution de la synthèse protéique, réduisant de façon drastique la quantité totale de protéines. De plus, les processus de nécrose et d’apoptose pourraient être à l’origine de l’élimination de fibres musculaires [24].
Ne seront traitées dans ce chapitre que les myopathies primitives d’origine génétique. Les myopathies inflammatoires sont traitées dans le chapitre 7.
Diagnostic des maladies neuromusculaires
Biologie
Le taux sérique de créatine-kinase reflète la nécrose de fibres musculaires. C’est l’enzyme la plus sensible et la plus spécifique en matière de pathologie musculaire [11]. Les autres enzymes (LDH, aldolases) présentent moins d’intérêt. Cependant, les CPK peuvent être normales au cours d’une pathologie musculaire (par exemple, elles sont toujours normales dans les myopathies congénitales) ; de plus, elles peuvent s’élever de manière physiologique en dehors de toute atteinte musculaire (âge, activité physique, affections neuropsychiatriques). Cependant, la valeur d’une élévation des CPK dans le diagnostic d’organicité est bonne puisqu’elle est spécifique (91 %) et possède une bonne valeur prédictive positive (94 %).
Électromyogramme
Les vitesses de conduction nerveuse sont normales dans les myopathies. Un tracé myogène ou de type myotonique sera en revanche évocateur mais un EMG normal n’élimine pas une myopathie. La diminution de la durée des potentiels d’unité motrice possède le meilleur rapport sensibilité/spécificité pour les myopathies en EMG conventionnel [38]. Les fibrillations et ondes positives, les potentiels polyphasiques et les décharges myotoniques ou répétitives complexes ne sont pas spécifiques de l’atteinte musculaire et peuvent être observées au cours des neuropathies.
Biopsie musculaire
L’IRM permet de guider le site de réalisation des biopsies musculaires [9]. Elle présente de meilleures sensibilité et spécificité (92 et 89 %, respectivement) pour prédire la positivité de la biopsie que l’EMG (74 et 67 %, respectivement) ou une élévation des CPK (66 et 77 %, respectivement) [11]. Les lésions retrouvées sur les biopsies sont plus importantes lorsque ces dernières sont réalisées dans les muscles présentant un hypersignal T2 en IRM.
Association électromyogramme, CPK et biopsies musculaires
Les sensibilités et spécificités de l’EMG, de la CPK et de la biopsie musculaire pour le diagnostic d’organicité sont respectivement de 82, 47 et 29 % et de 46, 91 et 100 % [11]. La biopsie musculaire permet de poser un diagnostic dans un tiers des cas lorsque les CPK et l’EMG sont divergents. Elle peut garder des indications lorsque l’EMG est myogène ou normal et les CPK normales.
IRM
À l’heure actuelle, le protocole de base comporte des séquences axiales :
en pondération T2 avec suppression du signal de la graisse sur les régions d’intérêt à la recherche d’un œdème musculaire ;
en pondération T1 afin d’évaluer la trophicité et l’involution graisseuse musculaire. Une échelle d’évaluation visuelle de l’involution graisseuse du tissu musculaire a été publiée (tableau 24.2) [23].
Tableau 24.2
Évaluation de l’involution graisseuse des muscles en IRM.
Stade | Muscles en pondération T1 |
Stade 0 | Apparence normale |
Stade 1 : atteinte débutante | Trace de graisse |
Stade 2 : atteinte modérée | Involution graisseuse < 50 % |
Stade 3 : atteinte sévère | Involution graisseuse > 50 % |
Stade 4 : stade terminal | Involution graisseuse totale |
L’injection de gadolinium, même si elle semble augmenter la sensibilité de la recherche de lésions dans les maladies du muscle dystrophique, ne présente pas de supériorité nette par rapport aux séquences classiques [54, 62].
Si l’IRM 3 T [27] augmente le rapport signal/bruit d’un facteur 2, cet avantage est contrebalancé par une majoration des artefacts de déplacement chimique et de susceptibilité magnétique. Ceux-ci peuvent être compensés respectivement par la suppression du signal de la graisse, l’augmentation de la bande passante et par l’acquisition parallèle et la diminution du TE. De plus, le TR de la séquence pondérée en T1 doit être augmenté pour conserver le même contraste qu’en 1,5 T. L’augmentation du temps d’acquisition qui en résulte peut être diminuée par une acquisition parallèle.
L’IRM corps entier apporte plus d’informations qu’une étude séquentielle et partielle [10] et pourrait contribuer à réduire les faux négatifs des biopsies musculaires en fournissant une étude corps entier non invasive [55]. Elle constitue un outil idéal de suivi, d’évaluation pronostique et thérapeutique.
La spectroscopie au phosphore 31 [6] constitue l’avancée IRM la plus intéressante dans l’étude des myopathies métaboliques et fait partie du bilan de référence de ces dernières de par son caractère non invasif. Elle présente plusieurs intérêts : diagnostique, suivi évolutif, thérapeutique et dépistage familial. Elle permet l’enregistrement du pH ainsi qu’une observation directe des métabolites phosphorylés mobiles présents dans la cellule musculaire. Cette étude est qualitative (identification des métabolites) et quantitative (mesure de concentration). Elle est réalisée au repos, pendant et au décours d’une activité musculaire (fig. 24.6).
Fig. 24.6 Exemple de spectre IRM du phosphore 31.
Ref = composé de référence ; PME = phosphomonoester ; Pi = Phosphates inorganiques ; PCr = phosphocréatine ; γ α β = Groupements phosphates de l’ATP.
Dans les glycogénoses, les anomalies du spectre sont caractéristiques : diminution excessive de la PCr, élévation des Pi et légère alcalose au cours de l’exercice. Dans les myopathies mitochondriales, les anomalies consistent en une acidose modérée et un ralentissement des cinétiques de récupération à l’effort. L’augmentation de l’ATP libre au repos traduit une forme sévère. Un profil métabolique anormal doit systématiquement être suivi d’une batterie d’examens complémentaires pour poser le diagnostic de certitude [5].
Dans les dystrophies musculaires, le rapport eau/graisse est inversé. On observe une augmentation du pH au repos dans les dystrophies musculaires de Duchenne et de Becker. La spectroscopie est utilisée à l’heure actuelle dans plusieurs essais thérapeutiques afin d’évaluer la réponse au traitement [22].
Le tenseur de diffusion étudie le déplacement anisotropique des molécules d’eau au sein de la fibre musculaire. Le coefficient moyen d’atténuation et la fraction d’anisotropie ne varient pas de façon significative en fonction de l’âge et du sexe du sujet au niveau des muscles de la cuisse, à l’exception des muscles droit fémoral et ischio-jambiers, pour lesquels les différences de valeurs s’expliqueraient par une hydratation et une architecture musculaire différentes [32]. Les paramètres de diffusion présentent une variation significative entre le repos et l’activité physique [15]. En reconstructions tridimensionnelles, les modifications de longueur et de direction des fibres sont corrélées à l’état de contraction des muscles. Le tenseur de diffusion pourrait être utile dans l’étude des dénervations musculaires [28]. En ce qui concerne les patients atteints de maladies neuromusculaires primitives, des études nécessitent d’être réalisées.
La perfusion musculaire par ASL (Arterial Spin Labeling) est en cours d’évaluation chez les sujets sains ; elle ne présente pas à l’heure actuelle d’intérêt en routine dans l’étude des myopathies [64].
Myopathies
Dystrophies musculaires progressives
Dystrophies musculaires d’Emery-Dreifuss
La forme récessive liée au chromosome X est due à une mutation du gène de l’émerine. La forme autosomique dominante (et plus exceptionnellement la forme récessive) est due à une mutation du gène de la lamine A/C [1, 18].
Ces dystrophies se manifestent par une triade :
rétractions précoces (tendons calcanéens, bicipitaux, muscles pararachidiens) ;
atrophie musculaire humérofibulaire ;
Dystrophies musculaires des ceintures
Les dystrophies musculaires des ceintures s’expriment dans l’enfance, voire à l’âge adulte. Elles présentent une importante hétérogénéité d’expression clinique et génétique. La nomenclature LGMD (Limb Girdle Muscular Dystrophy) « 1 » ou LGMD « 2 » désigne respectivement les formes autosomiques dominantes et récessives de l’affection [59, 62]. La lettre rajoutée à cette nomenclature correspond à la chronologie de la découverte, de nouveaux types étant régulièrement identifiés. Les LGMD1 sont plus rares mais généralement moins sévères que les LGMD2 [19].
la LGMD2A (mutation du gène codant pour la calpaïne). Elle est surtout responsable d’une atteinte de la loge postérieure de la cuisse, puis des muscles grand adducteur et vaste intermédiaire. L’atteinte de la jambe prédomine sur les muscles gastrocnémiens médial et soléaires (fig. 24.7) ;
Fig. 24.7 Déficit en calpaïne : coupes TDM transversales du bassin (a) et des cuisses (b).
Notez la dégénérescence graisseuse sélective des muscles petit et moyen glutéaux et ischiojambiers tandis que les muscles graciles sont hypertrophiés. PG : muscle petit glutéal ; MG : muscle moyen glutéal ; GG : muscle grand glutéal ; BF : chef long du muscle biceps fémoral ; ST : muscle semi-tendineux ; SM : muscle semi-membraneux ; G : muscle gracile.
la LGMD2I (mutation du gène FKRP : Fukutin Related Protein). La topographie musculaire est caractéristique avec une atteinte précoce et sévère du grand glutéal, avant celles du moyen glutéal et du grand adducteur. À la cuisse, le biceps fémoral est précocement affecté, puis les ischio-jambiers. Les muscles droit fémoral et vaste médial sont touchés dans les formes évoluées (vaste intermédiaire et latéral à un moindre degré). Les muscles gracile et sartorius sont relativement épargnés. À la jambe, il existe une atteinte diffuse et précoce du gastrocnémien médial et du muscle soléaire. L’atteinte de la loge antérieure est tardive et épargne le muscle tibial antérieur, qui est souvent hypertrophié. D’autres mutations du même gène sont en cause dans une myopathie d’expression phénotypique plus sévère : dystrophie musculaire congénitale avec atteinte centrale ;
la LGMD2B. C’est une dysferlinopathie liée à une mutation du gène codant pour la dysferline. Elle se traduit par l’atteinte sévère des loges antérieure et postérieure des cuisses mais le muscle sartorius est épargné. L’atteinte de la jambe prédomine sur la loge postérieure et épargne le muscle gastrocnémien médial ;
les LGMD2C, D E F. Ce sont des sarcoglycanopathies, responsables d’une atteinte de la loge antérieure de la cuisse (essentiellement le vaste intermédiaire). L’atteinte de la jambe prédomine sur les muscles fibulaires et soléaire. On peut observer une hypertrophie des muscles gracile et sartorius. La plus fréquente, la LGMD2D, donne une scapula alata précoce.