Chapitre 22 Métrorragies du premier trimestre
Les saignements d’origine génitale au 1er trimestre de la grossesse, présents dans plus de 10 % des grossesses, sont un motif de consultation très fréquent. Leur survenue est source d’inquiétude pour la patiente qui craint un arrêt de la grossesse, et pour l’équipe médicale qui redoute surtout la grossesse extra-utérine (GEU). La prise en charge de ce symptôme nécessite donc une stratégie précise, basée sur la sécurité (certitude du diagnostic), l’économie (choix judicieux des examens complémentaires et des traitements), le soutien psychologique (situation angoissante et parfois incertitude pendant plusieurs jours) et la prévention des complications (hémorragie par rupture de GEU, allo-immunisation Rhésus).
Étiologies
Les métrorragies sont par définition des saignements d’origine endo-utérine, ce qui exclut les plaies vaginales et les saignements d’origine cervicale.
Les étiologies des métrorragies du 1er trimestre de la grossesse sont par ordre de fréquence décroissante les fausses couches précoces (FCP), les métrorragies sur grossesse intra-utérine (GIU) normalement évolutive (avec ou sans grossesse multiple et involution d’un des sacs), les GEU et les grossesses molaires.
Fausses couches précoces
Les FCP correspondent à un arrêt spontané de la grossesse avant la fin du 1er trimestre (avant 12 SA, date de la première échographie morphologique, pour certains auteurs). Leur fréquence varie entre 15 et 20 % des grossesses selon la population étudiée et le terme du diagnostic. En effet, on estime que près de 50 % des fécondations n’aboutissent pas à un enfant vivant, mais que la majorité des arrêts de gestation sont très précoces, survenant au cours des 2 premières semaines de grossesse, avant même le retard de règles. Chez des patientes très inquiètes, parfois à cause de FCP antérieures ou d’une stérilité, il n’est pas rare qu’un test de grossesse soit réalisé dès le premier jour de retard de règles, voire avant, ce qui augmente considérablement le taux de FCP diagnostiquées. Il faudra donc savoir expliquer aux patientes le caractère physiologique de cet accident, sans le banaliser car l’investissement de la grossesse peut être important, même à un terme très précoce. Les métrorragies peuvent survenir plusieurs semaines après l’arrêt de l’évolution de la grossesse, et c’est parfois une échographie systématique qui fera le diagnostic. La cause des FCP n’est le plus souvent pas connue, mais les études cytogénétiques retrouvent un taux élevé d’anomalies chromosomiques (50 à 70 %).
Les FCP répétées (FCPR), définies par 3 accidents successifs, surviennent chez 1 à 2 % des couples. Les facteurs de risque identifiés sont les translocations chromosomiques parentales, les malformations utérines et certaines pathologies maternelles (syndrome des anti-phospholipides, thrombophilie, diabète mal équilibré, maladies auto-immunes comme le lupus, etc.).
Métrorragies sur grossesse intra-utérine évolutive
Elles sont également très fréquentes, survenant au cours de 5 à 10 % des grossesses, mais font l’objet de peu de données précises dans la littérature. Elles peuvent être associées à des images échographiques qui orientent vers une étiologie :
Elles peuvent également être inexpliquées, avec un aspect échographique restant strictement normal. Il est important de savoir que ces métrorragies du 1er trimestre peuvent donner un aspect d’intestin hyperéchogène fœtal lors des échographies ultérieures, car le fœtus peut avoir dégluti du liquide amniotique sanglant.
Grossesse extra-utérine
La fréquence des GEU est actuellement d’environ 2 pour 100 naissances. Elles sont 3 fois sur 4 situées dans la portion médiane de la trompe (grossesses ampullaires). Les autres localisations, moins fréquentes, sont la corne utérine (grossesses cornuales), la portion de la trompe qui traverse le myomètre (grossesses interstitielles), le col utérin (grossesses cervicales), l’ovaire ou la cavité abdominale. Il existe des formes historiques de grossesse abdominale où le placenta se greffe sur le foie, l’intestin ou la vessie avec un développement intra-abdominal du fœtus dans sa cavité amniotique, parfois jusqu’au terme.
Les métrorragies sont inconstantes lors des GEU, et sont dues à la décidualisation de la muqueuse utérine. Le risque majeur est l’hémorragie interne par rupture de la trompe, mais actuellement le risque de mortalité est très faible en France, avec en moyenne un cas annuel déclaré.
Les facteurs de risque de GEU sont listés dans l’encadré 22.1.
Grossesse molaire
On appelle grossesse molaire (ou môle complète ou hydatiforme en raison de son aspect évoquant des kystes hydatiques) une dégénérescence kystique des villosités du trophoblaste qui prolifèrent sous forme de grappes de vésicules translucides dans la cavité utérine. Il peut exister initialement une structure embryonnaire, mais son évolution s’interrompt précocement dans la majorité des cas. La fréquence des môles hydatiformes est faible en France (0,3 à 0,5 pour 1 000 accouchements), plus élevée dans certains pays, notamment en Asie du Sud-Est. Les métrorragies sont très fréquentes et parfois abondantes. Sa principale complication est la pénétration du trophoblaste dans le myomètre (môle invasive), parfois retardée de plusieurs mois avec un risque de métastases, notamment pulmonaires et hépatiques. Ailleurs l’analyse anatomopathologique du produit d’aspiration fera porter le diagnostic de choriocarcinome ou carcinome tropho-blastique gestationnel.
Stratégie diagnostique
Elle est décrite dans l’encadré 22.2.
Encadré 22.2 Stratégie diagnostique devant des métrorragies du 1er trimestre
Devant des métrorragies du 1er trimestre, il faut répondre à deux questions :
Tant que la réponse à la première question n’est pas donnée, il existe, au moins théoriquement, un risque vital pour la patiente qui nécessite une prise en charge rigoureuse. Ce risque doit lui être bien expliqué, surtout en cas de surveillance ambulatoire. Au moindre doute sur une GEU avec risque de rupture tubaire, il faut recourir à une hospitalisation pour surveillance rapprochée et intervention possible en urgence.
Moyens diagnostiques
Devant des saignements en début de grossesse, souvent dans un contexte de consultation d’urgence, il faut recueillir des éléments anamnestiques, examiner cliniquement les patientes puis utiliser au mieux les examens biologiques et échographiques. Commencer par faire patienter la femme plus d’une heure pour obtenir le résultat d’un dosage de β-hCG n’a pas de sens si le saignement est d’origine cervicale ou si le sac gestationnel est en cours d’expulsion, visible à l’examen au spéculum !
Interrogatoire
Il recherchera des facteurs de risque de GEU (cf. encadré 22.1), la date de survenue des saignements, leur aspect et leur abondance. La date des dernières règles normales doit être précisée, ainsi que la régularité des cycles menstruels antérieurs. Il faut savoir demander (avec tact) si la grossesse est désirée ou non, car la conduite à tenir pourra en être modifiée, demander également si la patiente a suivi un traitement dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation, car dans ce cas le risque de grossesse multiple est accru, avec exceptionnellement des associations entre GIU et GEU (grossesses hétérotopiques).
Enfin, le groupe sanguin de la patiente doit être renseigné et vérifié le cas échéant par la lecture d’une carte avec deux déterminations.
Examen clinique
Il est indispensable pour avoir d’emblée une idée de la gravité du tableau, et pour orienter la prescription éventuelle d’examens complémentaires.
Les signes de choc hypovolémique doivent être recherchés :
Les douleurs abdominales sont typiquement :
Les métrorragies sont classiquement :
L’examen au spéculum permet d’éliminer un saignement d’origine cervicale (ectropion) ou vaginale (plaie). On visualise parfois des débris trophoblastiques (aspect spongieux, rouge violacé), voire un sac gestationnel complet en voie d’expulsion par le col utérin. Il permet également de rechercher des fils de stérilet chez une femme ayant des difficultés de communication (malaise, problème linguistique).
Le toucher vaginal cherche à apprécier :
Examens biologiques
Le principal examen biologique utile (mais pas toujours indispensable) au diagnostic étiologique des métrorragies du 1er trimestre est la quantification du taux plasmatique de la sous-unité bêta de l’hormone choriogonadotrophique humaine (β-hCG, appelée dans ce texte pour plus de facilité hCG). Cette hormone, sécrétée uniquement par le trophoblaste dès les premiers jours de grossesse, est très proche de l’hormone lutéale sécrétée par l’ovaire dont elle diffère par sa sous-unité β.
La figure 22.1 représente l’évolution « classique » du taux d’hCG selon le type de grossesse.

Figure 22.1 Stratégie du diagnostic étiologique devant des métrorragies du 1er trimestre de la grossesse.
Pour interpréter de dosage, il faut savoir que :

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Full access? Get Clinical Tree

