2: Santé en Prison

Chapitre 2


Santé en Prison



Plus de 10 millions de personnes sont incarcérées dans le monde, ce nombre a augmenté d’environ un million durant les dix dernières années. Il existe d’importantes variations entre les pays. Les États-Unis ont le plus grand nombre de détenus par habitant [1] (756/100 000 pour une moyenne de 145/100 000 dans le monde entier). Les études réalisées exclusivement dans des pays dont le statut socio-économique est bon ou moyen indiquent que la santé des personnes incarcérées est plus altérée que celle de la population générale [1].



Santé mentale



Données épidémiologiques


La première étude à souligner le grand nombre de troubles mentaux en détention portait sur les admissions à Sing Sing (New York) en 1918 [2]. Depuis, de nombreux travaux ont confirmé les taux élevés de morbidité psychiatrique. Il ressort d’une méta analyse de 62 études portant sur 23 000 détenus [3] qu’un détenu sur sept souffre d’une maladie mentale. La prévalence globale de la psychose était d’environ 4 %, la dépression majeure 10–12 %, les troubles de la personnalité 40–70 % et le PTSD 20 %, chiffre beaucoup plus important que dans une population comparable non incarcérée [4]. Les antécédents de traumatisme grave et d’abus sont plus fréquents qu’en population générale [5]. Une revue récente menée sur la morbidité addictive lors de l’incarcération montre que l’abus ou la dépendance à l’alcool concerne jusqu’à 30 % des hommes et 24 % des femmes et l’usage pathologique des drogues illicites 48 % des hommes et 60 % des femmes [6]. Les conduites d’automutilation dans l’année précèdant l’incarcération concerneraient jusqu’à 15 % des hommes et 27 % des femmes [7]. La prévalence du handicap mental en prison est estimée à 1,5 % [8]. L’ensemble des études souligne la vulnérabilité psychique et physique des femmes, des mineurs et des sujets âgés incarcérés. Les études réalisées en France [9, 10,11] font état de divergences liées à des abords méthodologiques différents. En 2002, l’équipe de Coldefy [9] a évalué les troubles psychiatriques de 2 300 patients à partir d’entretiens cliniques non standardisés. Plus de la moitié de l’échantillon (55 %) présentait au moins un trouble psychiatrique (trouble anxieux 12 %, troubles de l’humeur 7 %, trouble psychotique 8 %, troubles de la personnalité 34 %, addictions 25 %). En 2004, Falissard et Rouillon [10] ont étudié la prévalence des troubles psychiatriques chez 998 détenus incarcérés depuis au moins 15 mois à l’aide du Mini-International Neuropsychiatric Interview (MINI). Cette évaluation était complétée d’un entretien avec un psychiatre et un psychologue afin d’affiner le diagnostic. Entre 70 et 80 % des sujets présentaient au moins un trouble psychiatrique (trouble anxieux 56 %, troubles de l’humeur 47 %, trouble psychotique 17 %, troubles de la personnalité antisociale 28 %, addictions ; 38 %pour les drogues illicites et 30 % pour l’alcool). Ces deux études recouvrent des aspects différents de la détention. La première étude analyse une population arrivante alors que la seconde étudie une population incarcérée depuis plusieurs mois. L’offre de soin en prison semble ne pas correspondre aux besoins qui ressortent de ces études. En effet, Mouquet [11] a étudié la santé générale de 80 621 personnes arrivant en prison sur la base d’un examen médical effectué par les médecins généralistes. Près de 80 % de la population semblait en très bon état général et seulement 1,7 % en très mauvais état de santé. Parmi les entrants, 10 % se voyaient proposer à leur arrivée un suivi psychiatrique et 20 % un suivi en addictologie.


Le retentissement des troubles sur le plan pénal est à prendre en considération. En effet, les détenus souffrant de troubles psychiatriques majeurs (trouble dépressif majeur, trouble bipolaire, schizophrénie et autres troubles psychotiques) présentent un risque accru d’incarcérations multiples. Ce risque qui perdure pendant plusieurs années est plus important chez les patients souffrant de trouble bipolaire [12].




Plus de patients souffrant de troubles psychiatriques en prison depuis 1990 ?


Depuis les années 1990, l’ensemble des pays européens a connu une augmentation inédite de la prévalence des troubles mentaux en institution pénitentiaire. Les pays disposant d’un système d’hospitalisations médico-légales – « forensic » (la majorité des pays européen) ont vu une augmentation substantielle des hospitalisationssur décision judiciaire. Il est difficile de déterminer la part respective des politiques de santé, des politiques pénales et des contextes sociaux dans cette évolution [14]


Une étude autrichienne réalisée entre 1970 et 2008 décrit l’évolution du phénomène [15]. Pendant la première décennie (1970–1980) alors que les réformes en santé mentale se mettaient en œuvre avec notamment une réduction de 50 % des lits de psychiatrie, la prévalence des troubles psychiatriques n’a pas varié en prison. L’augmentation des admissions dans les établissements médico-légaux a débuté simultanément à la mise en place dans les années 1990, des services communautaires de santé mentale. Ces hospitalisations concernaient essentiellement des patients souffrant de troubles psychiatriques qui avaient commis des infractions de faible gravité. Parallèlement, l’incidence des délinquants ayant commis un crime grave et jugés non responsable est resté inchangée. Cette évolution commune à l’ensemble des pays d’Europe n’est pas le simple fait de la réduction des effectifs des hôpitaux psychiatriques, ni de l’évolution des politiques pénales.


Pour plusieurs auteurs [14, 15, 16], il s’agit plutôt d’une carence de plus en plus marquée de l’offre de soins destinés à une catégorie de patients dits « difficiles ». Le qualificatif difficile concerne la prise en charge du patient. Il s’agit en majorité de patients souffrant de psychose vivant dans la communauté. Si la diminution du nombre de lits et de la durée moyenne des séjours en psychiatrie a ouvert des perspectives d’intégration pour de nombreux patients, les prises en charge restent insuffisantes pour ceux qui ont des problèmes de comorbidité addictive, de logement, de précarité et de soutien psycho-social. En 1939, Lionel Penrose avait publié une étude transversale sur 18 pays européens, dans laquelle il a montré une relation inverse entre le nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques et le nombre de détenus dans les prisons. Il postulait qu’en augmentant le nombre de lits en établissement psychiatrique, une société pourrait réduire les crimes graves et le nombre d’incarcération [16]. Récemment, plusieurs études européennes ont testé l’hypothèse de Penrose en mesurant parallèlement l’évolution des capacités d’accueil des institutions psychiatriques et les taux d’incarcération. Kramp et Gabrielsen [17] ont démontré que la diminution du nombre de lits au Danemark était corrélée à la croissance des hospitalisations médico-légales pour des actes de délinquance de tout ordre ainsi que pour les homicides et incendies criminels. Une étude norvégienne a exploité les statistiques sanitaires, pénales et pénitentiaires du pays de 1930 à 2004. De1930 à 1959, il y a eu une augmentation de 2 % de la population dans les établissements psychiatriques parallèlement à une diminution de 30 % de la population carcérale. De 1960 à 2004, il y a eu une diminution de 74 % des lits en établissement psychiatrique et une augmentation de 52 % de la population carcérale. Pendant cette même période, la criminalité globale a augmenté de 500 % avec une augmentation de 900 % des crimes avec violence. Les effectifs de la police ont augmenté de 94 %. Au vu de ces données, les auteurs considéraient que la loi de Penrose se révélerait remarquablement robuste. Cependant, contrairement à Penrose, ils estiment que la hausse de la criminalité correspond à une évolution sociétale globale ne pouvant être attribuée que dans une mesure très limitée à la désinstitutionalisation. Plusieurs hypothèses non exclusives ont été mises en avant pour expliquer cette évolution. Plus de crimes violents chez les patients psychiatriques [18], la pénurie croissante de psychiatres avec une répartition des budgets nationaux au profit de la justice et au détriment de la santé [19] ou encore l’existence de liens étroits entre troubles psychiatriques et précarité dont l’incidence a considérablement augmenté depuis 20 ans [20], et enfin les difficultés d’identification des troubles et d’accès aux soins [21]. En effet, l’évolution des institutions a eu pour corollaire de mettre en difficulté les professionnels du soin et de l’accompagnement à intégrer les comportements agressifs dans leur approche des troubles psychiatriques notamment de la psychose. Hodgins et al. ont enquêté sur les prises en charges des patients atteints de troubles psychiatriques sévères. Ils ont montré que les services de psychiatrie générale limitaient leurs soins à la réduction des symptômes sans prendre en considération les comportements antisociaux et les comorbidités addictives [14]. Toujours est-il que dans presque tous les pays européens, en dépit des campagnes de lutte contre la stigmatisation, ces patients dits « difficiles » se retrouvent de plus en plus en prison ou dans les établissements de psychiatrie légale pour des actes de délinquance [1].

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Jun 2, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 2: Santé en Prison

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