Chapitre 19 Les dyscrasies plasmocytaires constituent une gamme de pathologies hématologiques de sévérité variable ayant en commun la prolifération, au sein de la moelle osseuse, d’un clone de plasmocytes anormaux sécrétant dans la plupart des cas une immunoglobuline monoclonale ou une chaîne légère (10-20 %) quantifiable dans le sang et/ou les urines (pic monoclonal). La gammapathie monoclonale de signification indéterminée (MGUS pour Monoclonal Gammapathy of Undetermined Significance) représente la forme la plus fréquente des dyscrasies plasmocytaires. Elle est 100 fois plus fréquente que le myélome et est décelée chez 3 à 4 % de la population générale après 50 ans. Elle est caractérisée par (HAS) : une population plasmocytaire monoclonale médullaire faible (< 10 %) ; un pic monoclonal peu important (< 30 g/L) ; la conservation des immunoglobulines polyclonales ; son caractère asymptomatique ; un faible risque d’évolution en myélome [106]. Celle-ci est de 1 % par an. Ainsi, à 25 ans de suivi, un quart des patients développent un myélome. Elle nécessite une surveillance clinicoradiologique tous les 12 à 24 mois, à vie. L’IRM du rachis et du bassin apporte des éléments pronostiques intéressants. L’absence d’anomalie de la moelle osseuse s’accompagne en effet d’un risque évolutif très faible alors que la présence de lésions focales ou d’un aspect « poivre et sel » s’accompagne d’un risque plus important d’évolution vers un stade plus grave de dyscrasie plasmocytaire [8, 109]. Cependant, l’incidence élevée de cette gammapathie et le faible risque de transformation maligne rendent peu raisonnable la réalisation systématique d’une IRM chez tous ces patients. Elle pourrait en revanche être intéressante chez les patients présentant un risque évolutif plus élevé que les autres (présence d’une protéinurie de Bence Jones, diminution du taux sérique des autres immunoglobulines, isotype IgA surtout > 20 g/L, élévation significative du dosage des chaînes légères libres sériques [sFLC]). La TEP pourrait également s’avérer intéressante dans cette indication mais son utilisation n’est pas validée à ce jour [30]. Le myélome multiple (MM) ou maladie de Kahler est une hémopathie maligne incurable caractérisée par une prolifération plasmocytaire monoclonale envahissant la moelle osseuse hématopoïétique. Cette prolifération s’accompagne, en général, de la sécrétion d’une immunoglobuline monoclonale complète ou parfois seulement de la chaîne légère, qui peut être décelée dans le sang et/ou les urines. Le myélome est précédé d’une MGUS (99 % des cas) (cf. supra) et/ou parfois d’un plasmocytome, solitaire ou multiple, osseux ou des tissus mous. Son étiologie reste inconnue et aucun facteur de prédisposition n’a pu être identifié (en dehors d’une exposition à de fortes doses de radiations ionisantes ou à des toxiques tels que les pesticides). Des cas familiaux ont été rapportés mais ils sont exceptionnels [40]. Le myélome est la conséquence de plusieurs événements oncogéniques chromosomiques et moléculaires concernant la lignée lymphocytaire B. Les plasmocytes présentent de nombreuses anomalies cytogénétiques dont aucune n’est spécifique. Le progrès le plus important dans la compréhension de la physiopathogénie du myélome est venu de la mise en évidence de l’importance de la moelle osseuse (micro-environnement médullaire) dans le développement des cellules tumorales plasmocytaires, dans les mécanismes de survie et de prolifération mais aussi de résistance aux traitements anticancéreux. À ce titre, l’IL-6 joue un rôle primordial dans la prolifération tumorale. Elle induit la différenciation des cellules B en plasmocytes et inhibe leur mort par apoptose. C’est le facteur de croissance essentiel des cellules myélomateuses [18]. Le diagnostic de myélome est évoqué de plus en plus souvent chez des patients asymptomatiques (près d’un tiers des cas), par exemple lors d’un bilan biologique révélant une anémie normochrome normocytaire arégénérative, une augmentation de la vitesse de sédimentation (liée à l’anémie et/ou au pic monoclonal), une dysglobulinémie monoclonale à l’électrophorèse des protéines sériques, plus rarement une hypercalcémie, une insuffisance rénale, une hypoalbuminémie ou une protéinurie [53, 92]. Elles sont présentes au diagnostic chez 70 % des patients. L’infiltration plasmocytaire s’accompagne d’une résorption ostéoclastique très augmentée mais surtout d’une inhibition profonde de la fonction reconstructrice osseuse des ostéoblastes [91, 95]. Les lésions osseuses sont la cause majeure de morbidité dans le myélome en raison des douleurs et de leurs fréquentes complications (fractures ou fissures pathologiques, compression médullaire, hypercalcémie), parfois à l’origine de douleurs à distance des traitements. Le site de fracture spontanée le plus fréquent est le rachis (55 à 70 % des cas), particulièrement lombaire et thoracique bas [58]. Les tassements vertébraux peuvent être graves, raison pour laquelle ils ne doivent pas être confondus avec les tassements entrant dans le cadre d’une ostéoporose bénigne. Les autres sites fréquents de fracture incluent le fémur, le bassin, les côtes et l’humérus. Un syndrome anémique (asthénie, pâleur, tachycardie, dyspnée d’effort) est un motif de découverte fréquent de la maladie. Le mécanisme de cette anémie de type normocytaire normochrome arégénérative est de cause multifactorielle [66]. Les cytopénies liées à l’insuffisance médullaire sont tardives dans l’évolution de la maladie. Un syndrome hémorragique peut être secondaire à une thrombopénie, une thrombopathie induite par l’hyperprotidémie et des troubles de la coagulation induits par les propriétés de l’immunoglobuline monoclonale. Les compressions médullaires et radiculaires sont essentiellement liées au tassement vertébral et/ou à l’épidurite, plus rarement à l’infiltration leptoméningée ou à un hématome [28]. Des atteintes des nerfs périphériques peuvent également s’observer [111]. Il s’agit le plus souvent d’une polyneuropathie sensitive plus ou moins associée à des douleurs de type neuropathique. Elles peuvent être d’origine iatrogène (traitement par thalidomide ou bortézomib) ou liées à d’autres étiologies, notamment dans le cadre d’une amylose AL. Toute fièvre témoigne a priori d’un état infectieux, dont le traitement est urgent. L’infection est présente au diagnostic chez environ 10 % des patients, les infections récidivantes à pneumocoques restant une circonstance de découverte classique et grave [11, 88]. Elle demeure la première cause de décès (dans 20 à 50 % des cas). Elle est favorisée par le déficit des immunoglobulines polyclonales, la neutropénie induite par la chimiothérapie et l’utilisation des glucocorticoïdes. Les localisations les plus fréquentes sont pulmonaires et urinaires. L’insuffisance rénale est multifactorielle (protéinurie de Bence Jones, hypercalcémie, déshydratation, iatrogénie) et de type tubulaire, à la différence de l’amylose AL où le profil est glomérulaire [11, 24]. Elles intéressent 3 à 10 % des patients et sont multifactorielles mais surtout liées à l’utilisation des IMID (drogues immunomodulatrices) [39]. Le diagnostic de myélome multiple repose sur deux critères : en premier lieu la présence d’une plasmocytose médullaire supérieure à 10 % ; mais aussi la présence d’une immunoglobuline monoclonale dans le sérum et/ou les urines, quelle que soit sa concentration. Les critères de classification du myélome et dyscrasies apparentées ont été définis par l’International Myeloma Working Group (tableau 19.1) [106]. Il se caractérise par un pic monoclonal supérieur à 30 g/L, une plasmocytose médullaire supérieure à 10 % mais aucun signe d’activité selon les critères CRAB (asymptomatique). Le taux de transformation en myélome symptomatique est de 10 % par an les 5 premières années, 3 % par an les 5 années suivantes, puis de 1 à 2 % par an les 10 ans suivants [54]. L’électrophorèse des protéines sériques de ces patients doit être contrôlée très régulièrement, au moins annuellement. Un bilan radiographique et une IRM du rachis et du bassin sont aujourd’hui recommandés pour identifier les myélomes avec lésions osseuses asymptomatiques cliniquement, donc considérées à tort comme indolents. Elles sont indispensables lors du bilan initial [25, 26] mais elles ne permettent d’identifier que les lésions osseuses macroscopiques (30 à 50 % de perte osseuse). Le bilan comprend des radiographies du crâne, du rachis complet, du gril costal, du bassin, des humérus et des fémurs. Une douleur osseuse brutale justifie à tout moment la réalisation d’une nouvelle radiographie du site douloureux. On recherche (encadré 19.1) [117] : de multiples lésions ostéolytiques arrondies ou ovalaires de taille sensiblement identique et de contours nets (« à l’emporte-pièce »), caractéristiques de l’affection (70 % des cas). Elles ne sont pas entourées d’un liseré d’ostéocondensation et ne sont pas associées à une réaction périostée. Elles sont particulièrement bien objectivées à la voûte du crâne (fig. 19.1) et au squelette appendiculaire proximal (fig. 19.2). Elles peuvent entraîner des érosions endostées de la corticale adjacente, ce qui est particulièrement évocateur du diagnostic (encadré 19.2 ; fig. 19.2). Leur taille varie de quelques millimètres à plusieurs centimètres. Lorsqu’elles sont de très petite taille et s’accumulent dans une zone, elles peuvent donner un aspect « vermoulu » à l’os (fig. 19.3) ; Fig. 19.2 Myélome : présence de deux lacunes fémorales infracentrimétriques « à l’emporte-pièce » érodant la face endostée de la corticale. des lésions ostéolytiques expansives dont l’aspect radiologique est similaire à celui du plasmocytome osseux (fig. 19.4 à 19.6) (cf. infra). L’aspect peut cependant être peu spécifique, avec une ostéolyse très agressive. Une masse des parties molles est classiquement visualisée, notamment en regard de lésions vertébrales, costales ou du bassin ; Fig. 19.4 Myélome : lésion ostéolytique de côte modérément expansive, avec amincissement de la corticale. Notez l’extension de l’ostéolyse contrastant avec la relative préservation de la corticale. une ostéopénie diffuse qui prédomine sur les corps vertébraux (10–15 % des patients). Il peut s’agir d’une raréfaction osseuse homogène (difficile à différencier d’une ostéoporose commune, d’où l’intérêt de rechercher un myélome devant tout nouveau diagnostic d’ostéoporose) (fig. 19.7) ou plus évocatrice lorsqu’elle est « microgéodique » (fig. 19.8). Elle témoigne d’une résorption ostéoclastique accrue en raison de la sécrétion, par les cellules tumorales, de facteurs stimulant les ostéoclastes et inhibant les ostéoblastes [17] ; Fig. 19.8 Myélome : aspect microlacunaire de la trame osseuse de plusieurs corps vertébraux et disparition de la corticale du mur antérieur de plusieurs vertèbres (flèches). des fractures et tassement vertébraux secondaires à la raréfaction osseuse diffuse et/ou aux lésions ostéolytiques (fig. 19.7 à fig. 19.9). Les tassements vertébraux peuvent parfois entraîner une importante cyphose thoracique ; Fig. 19.9 Myélome : présence de trois lésions ostéolytiques (flèches) dont deux sont fracturées. des lésions ostéocondensantes, rares en l’absence de traitement (cf. Myélome condensant). Elles peuvent être uniques ou multiples et sont ou non associées à des lésions ostéolytiques. Il peut également s’agir d’une ostéocondensation diffuse. Les radiographies peuvent enfin être normales. En effet, la sensibilité de cette technique est faible avec 30 à 70 % de faux négatifs rapportés dans la littérature [117]. De plus, les lésions ne sont bien détectables que lorsqu’elles affectent la corticale, les lésions trabéculaires isolées étant très difficilement identifiables [117]. Enfin, si les lésions ostéolytiques focales sont relativement spécifiques, les radiographies manquent de spécificité pour différencier la raréfaction osseuse du myélome de celle de l’ostéoporose. Par ailleurs, elles sont sans intérêt pour étudier la réponse au traitement. En effet, si l’apparition ou l’augmentation de taille des lésions ostéolytiques témoigne de la progression de la maladie, leur reminéralisation sous traitement est très rare, y compris chez les patients répondeurs. On signalera l’intérêt potentiel du système EOS, permettant une évaluation plus rapide et moins pénible du squelette, notamment chez les sujets fragiles (fig. 19.10) [14]. Fig. 19.10 Myélome. Il est utilisé pour préciser le degré de destruction osseuse d’une lésion (fig. 19.11), le risque fracturaire et lorsqu’une vertébroplastie est envisagée [69]. Plusieurs publications font également état de l’intérêt du scanner basse dose pour la détection des lésions ostéolytiques du squelette axial, notamment de petite taille, en remplacement potentiel des radiographies [31, 37]. Cette indication mérite d’être davantage étudiée, d’autant que le scanner ne permet pas d’évaluer la réponse au traitement ni de détecter les lésions de la moelle osseuse [9, 10, 37, 117]. Il peut en revanche être utilisé en cas de contre indication à l’IRM [117]. C’est l’imagerie la plus performante pour rechercher une infiltration de la moelle osseuse. Dix à 20 % des patients myélomateux n’ont pas de lésions osseuses en radiographie. Chez ces patients, l’IRM met en évidence des anomalies dans la moitié des cas, définissant un groupe de patients dans le myélome indolent dont la progression se fera plus rapidement vers un stade avancé [73, 105]. On peut objectiver : des lésions focales arrondies, de taille et de nombre variables (d’au moins 5 mm pour limiter les faux positifs) [112], hypointenses en T1, hyperintenses en T2 et se rehaussant après injection de gadolinium (fig. 19.12). Certaines peuvent intéresser l’ensemble du corps vertébral et être expansives. On signalera la possibilité très rare de lésions hypointenses en T1 et T2 en l’absence de calcifications ou de dépôts amyloïdes, notamment dans les myélomes à chaînes légères ; Fig. 19.12 Myélome : multiples nodules hypointenses en T1 (a) et hyperintenses en T2 (b) (flèches). un aspect « poivre et sel » avec anomalies de signal discrètes, punctiformes, secondaires à la présence de multiples petits îlots graisseux au sein d’une moelle osseuse faiblement infiltrée (moins de 20 %). Les séquences en écho de gradient pourraient être utiles pour différencier cet aspect d’une moelle osseuse normale hétérogène ; une infiltration diffuse de la moelle homogène (témoignant d’une infiltration de la moelle osseuse de plus de 50 %) ou hétérogène (infiltration de 20 à 50 %) en hyposignal T1 et hypersignal T2 (fig. 19.13). Des lésions focales peuvent être associées ; Fig. 19.13 Myélome : infiltration diffuse hétérogène de la moelle osseuse avec présence de deux tassements vertébraux s’accompagnant d’une épidurite débutante (coupes sagittales pondérées en T1 (a), T2 (b) et T1 après injection de gadolinium (c)). une moelle osseuse d’aspect normal, ce qui témoigne d’une infiltration médullaire de moins de 20 %. On peut également objectiver : des tassements vertébraux, fréquents (80 % des patients) et potentiellement graves puisque 10 à 15 % d’entre eux se compliquent d’une compression médullaire ou radiculaire. Ils présentent un aspect en IRM le plus souvent de type ostéoporotique (fig. 19.12) [58], même si leur étude anatomopathologique révèle une infiltration myélomateuse et une destruction des travées osseuses. L’IRM médullaire constitue l’examen de choix pour confirmer l’étiologie de la compression médullaire ou radiculaire et servir de base à la décision thérapeutique (radiothérapie ou neurochirurgie). Sa sensibilité est de 70 % dans le myélome ; une infiltration épidurale tumorale, une infiltration leptoméningée (fig. 19.14) ou un hématome ; Fig. 19.14 Myélome : infiltration essentiellement leptoméningée et épidurale postérieure (flèche) (coupes sagittales pondérées en T1 (a) et T1 après injection de gadolinium (b)).
Dyscrasies plasmocytaires
Gammapathie monoclonale de signification indéterminée
Myélome
Signes cliniques
Découverte fortuite
Douleurs osseuses
Signes cliniques liés aux cytopénies touchant les lignées hématopoïétiques
Atteintes neurologiques
Syndrome infectieux
Syndrome d’insuffisance rénale
Complications thromboemboliques
Diagnostic et formes cliniques
Myélome indolent
Imagerie
Radiographies
La troisième, la plus distale, amincit considérablement la corticale et fragilise également le fémur.
Sur le cliché EOS (a), notez les multiples lésions ostéolytiques costales, claviculaires et fémorale gauche ainsi que la masse des tissus mous supraclaviculaire droite (flèches). Sur l’IRM corps entier, notez les lésions costales et lymphonodales en hypersignal T2 (b, c) et les plages de fixation sur la séquence de diffusion (flèches) (d).
Scanner
IRM
Évaluation initiale
Il s’y associe des tassements vertébraux de type « porotique ».
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