14: Troubles minéraux et osseux associés à la maladie rénale chronique

Chapitre 14


Troubles minéraux et osseux associés à la maladie rénale chronique




La maladie rénale chronique (MRC) induit des troubles du métabolisme des minéraux, ce qui conduit à des lésions osseuses et des calcifications vasculaires qui grèvent le pronostic vital et fonctionnel des patients. Depuis la conférence de consensus KDIGO (Kidney Disease Improving Global Outcomes) de 2006, le terme d’ostéodystrophie rénale (ODR) ne caractérise que les troubles histologiques induits par l’insuffisance rénale chronique (IRC). Le nouveau cadre nosologique, intitulé TMO-MRC pour troubles minéraux et osseux associés à la maladie rénale chronique inclut, outre l’ODR, les manifestations cliniques (calcifications extra-squelettiques et fractures) et biologiques de la MRC (fig. 14.1) [64].



Nous traiterons d’abord les TMO-MRC, puis les autres complications musculosquelettiques de la MRC. Ces dernières sont généralement observées après plusieurs années d’insuffisance rénale terminale et de dialyse (amylose à β2-microglobuline, ostéonécrose, ruptures tendineuses, infections, oxalose, goutte).



Troubles minéraux et osseux associés à la maladie rénale chronique


Les TMO-MRC se manifestent par l’un ou plusieurs des éléments suivants :



Les lésions histologiques osseuses (ostéodystrophie rénale) se caractérisent par des troubles du remodelage (turnover élevé (ostéite fibreuse) ou effondré (ostéopathie adynamique), de la minéralisation (ostéomalacie) et une perte osseuse. Elles ne sont pas statiques ni exclusives et peuvent cohabiter les unes avec les autres ou évoluer d’un type de remodelage à un autre.



Rappels sur les anomalies du métabolisme phosphocalcique dans la MRC [48, 58]


Dans l’insuffisance rénale chronique, dès que la filtration glomérulaire est inférieure à 60–80 mL/min, on observe une hypocalcémie, une hyperphosphatémie, un déficit en 1,25(OH)2vitD et, à un moindre degré, une acidose. Ces quatre facteurs, et principalement l’hyperphosphatémie, sont responsables d’une hyperparathyroïdie secondaire par hyperplasie des glandes parathyroïdes. En outre, il existe une diminution de la dégradation rénale de la PTH et une résistance progressive du squelette à l’action de la PTH, ce qui contribue à la pérennisation de l’hyperparathyroïdie (fig. 14.2) [1].




Lésions histologiques osseuses (ODR) (fig. 14.3)



Ostéite fibreuse


C’est classiquement l’atteinte osseuse la plus fréquente. Elle se caractérise par une accélération du turnover osseux se traduisant par un taux de formation osseuse élevé, un important degré de fibrose médullaire et une hyperrésorption ostéoclastique. Elle est secondaire à des taux plasmatiques de PTH continuellement élevés, qui stimulent à la fois les cellules stromales (desquelles sont issus les ostéoblastes) et les précurseurs ostéoclastiques d’origine monocytaire. Les ostéoclastes, nombreux et hyperactifs, sont responsables de l’augmentation de la surface de résorption. Les travées osseuses résorbées sont remplacées par un tissu fibreux (ostéite fibreuse). Parallèlement, on note une recrudescence de l’activité ostéoblastique (augmentation du nombre d’ostéoblastes, de l’épaisseur des liserés ostéoïdes et du volume ostéoïde) [69].




Ostéopathie adynamique (ou aplastique)


Elle s’oppose à l’ostéite fibreuse avec laquelle elle ne peut pas coexister car elle se définit par une diminution du taux de formation osseuse aboutissant à une moindre production de tissu ostéoïde par les ostéoblastes, avec diminution conjointe de la minéralisation secondaire. L’aspect histologique est caractérisé par une raréfaction des travées osseuses et par des surfaces osseuses sans activité ostéoblastique ni ostéoclastique.




Ostéopathie adynamique non aluminique

Des lésions histomorphométriques identiques à celles de l’ostéopathie adynamique aluminique ont été récemment observées en l’absence de dépôts osseux d’aluminium, chez des patients hémodialysés qui n’avaient pas reçu de gels d’alumine et avaient été traités avec une eau appauvrie en aluminium [1]. Ces patients ont un taux normal ou bas d’hormone parathyroïdienne circulante [9]. Cette ostéopathie peut être favorisée par une surcharge osseuse en fer [90], un diabète et un hypogonadisme mais ces étiologies sont très inconstantes. En fait, la majorité de cas seraient dus à un excès de traitement de l’hyperparathyroïdie, aboutissant à un état d’hypoparathyroïdie.




Ostéopathie mixte urémique


Cette ostéopathie fait partie des ostéopathies à remodelage élevé [30]. Elle associe des lésions d’ostéomalacie et d’hyperrésorption osseuse. Elle survient lors d’hyperparathyroïdies biologiques sévères, souvent associées à un déficit en vitamine D [48, 49].




Conséquences cliniques et radiologiques


Certaines dépendent de la variété histologique de l’ostéodystrophie rénale, les autres en sont indépendantes (tableau 14.1).




En fonction de la variété histologique de l’ODR



Ostéite fibreuse

Elle reste longtemps asymptomatique. Les douleurs osseuses ainsi que les fractures, favorisées par l’amincissement des corticales, sont rares et tardives. Dans les formes sévères d’hyperparathyroïdie, les patients peuvent présenter des doigts en « baguette de tambour » (hippocratisme digital) par acro-ostéolyse et des ruptures tendineuses.


La sémiologie radiologique de l’hyperparathyroïdie (HPT) est détaillée dans le chapitre 10 consacré aux endocrinopathies. Certaines particularités s’observent cependant chez l’insuffisant rénal (tableau 14.2) :




image la résorption osseuse (fig. 14.4 à 14.6). La prévalence de la résorption osseuse au cours de l’insuffisance rénale chronique varie de 6 à 66 % en fonction des séries [56, 65]. Tout comme dans l’HPT primitive, elle peut être de topographie sous-périostée, intracorticale, endostée, trabéculaire, sous-chondrale, métaphysaire à proximité du cartilage de croissance, sous-ligamentaire et sous-tendineuse (aux enthèses). Elle permet d’évoquer le diagnostic d’ostéite fibreuse mais aussi d’évaluer la réponse au traitement [38, 52, 79, 84, 85]. Elle intervient probablement en partie dans le développement des arthropathies destructrices (cf. infra). La résorption osseuse métaphysaire à proximité du cartilage de croissance peut favoriser la survenue d’une épiphysiolyse fémorale, plus fréquemment observée sur ce terrain que dans l’HPT primitive (cf. infra) ;





image l’ostéosclérose. Elle est plus fréquente que dans l’HPT primitive. Elle est due à un excès de formation osseuse en réponse à l’hyperrésorption. Elle est présente chez 9 à 34 % des patients insuffisants rénaux chroniques et peut parfois constituer le seul signe radiologique d’ostéite fibreuse [65, 75]. Elle est uniforme ou multifocale, conférant alors à l’os un aspect moucheté. Elle prédomine volontiers au squelette axial où elle se traduit typiquement par des vertèbres en « maillot de rugby », deux bandes d’ostéosclérose soulignant les plateaux vertébraux supérieur et inférieur des corps vertébraux (fig. 14.7), ou plus souvent par une ostéosclérose diffuse (fig. 14.8) [39, 92]. Elle peut également affecter le squelette appendiculaire avec une prédilection pour les métaphyses et les épiphyses (fig. 14.9) [65]. À l’inverse de la résorption osseuse, l’ostéosclérose persiste, malgré des thérapeutiques adaptées [52] ;





image les tumeurs brunes. Classiquement plus rares que dans l’HPT primitive, leur prévalence est de 1,5 à 1,9 % dans l’HPT secondaire [27, 40]. Elles sont principalement localisées au crâne et à la face (mandibule), aux côtes, au bassin et aux fémurs mais elles peuvent également affecter le squelette appendiculaire périphérique. Elles se présentent comme des lésions ostéolytiques uniques ou multiples bien limitées, parfois expansives, plutôt excentrées, voire corticales aux os longs. Initialement uniloculaires, elles peuvent se cloisonner au cours de leur évolution. Elles peuvent devenir kystiques en cas de nécrose surajoutée avec parfois un niveau liquide-liquide pouvant mimer un kyste osseux anévrysmal. Après traitement de l’HPT, l’ostéolyse peut régresser en taille, disparaître ou se condenser ;


image les appositions périostées (néostose périostée). Elles sont présentes chez 8 à 25 % des patients insuffisants rénaux chroniques et s’observent surtout dans les formes évoluées d’ostéodystrophie rénale [56, 62, 71, 77]. Elles seraient dues à l’HPT ou à une intoxication aluminique [7577]. Ce sont des appositions périostées linéaires, symétriques, le plus souvent séparées de l’os cortical adjacent par un espace radiotransparent mais elles peuvent s’incorporer secondairement, conférant alors à l’os un aspect d’hypertrophie corticale [76]. Elles affectent le plus souvent les fémurs, les humérus, les tibias, les métacarpiens, les métatarsiens, les phalanges ainsi que le bassin (branches ilio et ischiopubiennes) [65] ;


image la chondrocalcinose et les arthropathies à microcristaux de pyrophosphate de calcium. Ces complications seraient moins fréquemment observées que dans l’hyperparathyroïdie primitive ;


image les épiphysiolyses. Elles sont volontiers bilatérales et concernent surtout l’extrémité proximale du fémur (fig. 14.10). La résorption de la métaphyse adjacente au cartilage de croissance fragiliserait le col et favoriserait l’apparition d’une coxa vara avec verticalisation du cartilage de croissance [26]. Celui-ci, reposant sur une métaphyse altérée également par le rachitisme, ne pourrait plus résister aux contraintes mécaniques, ce qui entraînerait l’épiphysiolyse. Trois signes radiographiques doivent faire craindre la survenue d’une épiphysiolyse, d’autant qu’elle peut être initialement asymptomatique : une résorption osseuse sous-périostée de la face médiale du col fémoral, un élargissement du cartilage de croissance et une coxa vara bilatérale [26]. Les autres épiphyses peuvent également être affectées, notamment l’épiphyse distale du tibia (âge préscolaire), et les épiphyses distales de l’avant-bras (enfants plus âgés) [26].






Quelle que soit la variété histologique



Raréfaction osseuse et fractures

Les fractures par insuffisance osseuse sont favorisées par l’ostéodystrophie rénale, quelle qu’en soit la cause, et les lésions ostéolytiques focales (tumeurs brunes, amylose, pseudo-fracture de Looser-Milkman). Elles peuvent également s’observer après transplantation rénale. Les fractures de la face médiale du col fémoral sont particulièrement fréquentes. Initialement incomplètes, elles peuvent se compléter si elles ne sont pas diagnostiquées. Ces fractures sont également volontiers observées au gril costal, aux corps vertébraux et aux branches pubiennes. Elles consolident dans des délais normaux (en dehors de l’ostéopathie aluminique).


La résorption osseuse sous-chondrale de l’hyperparathyroïdie favorise également l’apparition d’impactions trabéculaires sous-chondrales, particulièrement aux membres inférieurs (hanche, genou, cheville).



Calcifications des tissus mous

Elles résultent de l’augmentation du produit phosphocalcique extracellulaire en raison de l’HPT secondaire et/ou de l’administration médicamenteuse de calcium et de vitamine D pour le traitement d’une ostéopathie adynamique [15]. Les cinq localisations principales de ces calcifications sont oculaires, artérielles, cartilagineuses, périarticulaires et viscérales.





Calcifications périarticulaires (calcinose pseudo-tumorale)

Elles s’observent chez 0,5 à 7 % des patients dialysés [3, 11]. Le délai moyen de leur apparition après le début de la dialyse est très variable d’un patient à l’autre (de quelques mois à plusieurs années) [8, 28]. Il s’agit de dépôts de cristaux de phosphate de calcium (principalement constitués d’apatite) dans les tissus mous périarticulaires, réalisant de volumineuses masses calcifiées. La calcinose pseudo-tumorale peut également être observée au cours d’autres affections (encadré 14.1) ou de manière « idiopathique » (forme génétique autosomique dominante à pénétrance variable, atteignant des sujets souvent d’origine africaine) [3, 11, 31, 74]. Quelle que soit l’étiologie, le rôle d’une hyperphosphatémie avec augmentation du produit phosphocalcique (> 70 mg/dL) semble déterminant dans la physiopathogénie de ces amas [3, 60]. Le rôle favorisant de microtraumatismes articulaires répétés est également évoqué, en permettant l’initiation du phénomène de cristallisation du phosphate de calcium [361]. Cliniquement, les lésions se traduisent par des masses pseudo-tumorales d’évolution lente, pouvant atteindre 20 à 30 cm de diamètre. Elles touchent le plus souvent les faces d’extension ou de frottement des grosses articulations, en particulier les épaules, puis par fréquence décroissante les hanches, les coudes, les genoux et les mains [8, 33, 61, 80, 91]. Toutes les articulations périphériques peuvent être atteintes et il existe des localisations atypiques comme la paroi thoracique, la scapula, le creux sus-claviculaire et le rachis cervical [16, 44, 57]. Elles peuvent être asymptomatiques et révélées de façon fortuite sur des radiographies [91]. Elles peuvent aussi se manifester par une tuméfaction périarticulaire, une limitation de la mobilité articulaire, une compression nerveuse ou vasculaire, une fistulisation cutanée ou un épisode inflammatoire local favorisé par la dissolution des dépôts et faisant parfois évoquer une arthrite septique, d’autant qu’un syndrome inflammatoire peut être associé [3, 7, 16, 22, 57].


May 5, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 14: Troubles minéraux et osseux associés à la maladie rénale chronique

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