13. Troubles visuels anorganiques

Chapitre 13. Troubles visuels anorganiques


Les plaintes visuelles sans support physiologique ou organique sont appelées anorganiques (ou non organiques). On peut les classer en quatre catégories qui sont les anomalies :




• de la voie visuelle afférente (acuité, champ visuel);


• de la motilité et de l’alignement oculaire;


• des pupilles et de l’accommodation;


• de la position et de la fonction des paupières.

Les patients qui ont des problèmes ophtalmologiques sans cause organique discernable posent un problème diagnostique important. La simulationSimulation est l’invention ou la majoration de symptômes dans le but d’obtenir une compensation monétaire ou la reconnaissance d’un handicap. Un bénéfice secondaire d’ordre psychologique est souvent la base principale du syndrome de MunchausenMunchausen, syndrome de, dans lequel les patients s’infligent intentionnellement un dommage physique. L’hystérieHystérie est l’expression inconsciente de signes ou de symptômes non organiques; les patients hystériques sont souvent indifférents à leurs symptômes («la belle indifférence»). La simulation ne peut pas toujours être différenciée clairement de l’hystérie, et les termes fonctionnels, non physiologiques et anorganiques sont utilisés pour faire référence à l’ensemble de ces affections. Tous les types de patients sont évalués avec les mêmes techniques, destinées à valider la réalité des symptômes. Il est essentiel de se souvenir que beaucoup de patients avec des anomalies organiques peuvent aussi superposer un comportement non organique ou peuvent exagérer les anomalies visuelles organiques (majoration anorganique). La mise en évidence d’une majoration à partir d’une pathologie organique est une tâche longue et difficile pour le clinicien. Ce chapitre aborde les moyens les plus souvent utilisés en clinique pour évaluer et identifier les baisses visuelles anorganiques.

Dans l’identification d’un désordre anorganique, la première nécessité pour l’examinateur est d’être suspicieux. Lors de l’interrogatoire, l’attention du clinicien est souvent attirée par la description de l’atteinte visuelle, qui ne recouvre pas la séquence habituelle d’un désordre connu, et le bénéfice potentiel secondaire peut alors devenir évident. Par exemple, une contusion oculaire banale ne doit pas causer une baisse visuelle importante et durable. Certains patients peuvent être davantage concentrés sur le litige ou la détermination d’une incapacité que sur le diagnostic ou le traitement de leur plainte. D’autres, qui sont naïfs, inquiets et désireux de convaincre de leur problème visuel, tendent à faire une revue exhaustive de leurs symptômes et sont influençables au cours de l’interrogatoire.

«Prendre en compte chaque élément» doit être le fil conducteur. Chaque élément d’information concernant le patient, depuis le moment où il prend son rendez-vous jusqu’à la fin de la visite, peut aider l’examen. Par exemple, dans un centre de neuro-ophtalmologie tertiaire, il a été montré que les patients qui portent des lunettes de soleil lors de leur rendez-vous présentaient plus souvent une baisse visuelle anorganique. Pendant toute l’entrevue, l’examinateur doit en permanence observer le comportement général du patient et ses capacités visuelles. Peut-il correctement déambuler dans la pièce et s’asseoir sur une chaise? Peut-il trouver et serrer la main que l’examinateurlui présente silencieusement lors de son arrivée? A-t-il un problème pour réaliser une tâche non visuelle comme une signature? Les meilleurs résultats sont toujours obtenus en évitant la confrontation. L’histoire doit être écoutée et notée avec une attitude empathique.

La suspicion augmente au fur et à mesure que l’examen ophtalmologique progresse et ne découvre aucune anomalie objective pour corroborer les symptômes visuels subjectifs. L’élément clé est la discordance entre les éléments objectifs et subjectifs de l’examen. L’examinateur doit être patient, constant et réaliser habilement les tests afin que le patient ne soit pas conscient de son but : démontrer que la fonction est meilleure (en termes d’acuité, de champ visuel et de motilité oculaire) que ce qu’il déclare. La notion de mauvaise orientation est importante. En d’autres termes, certaines techniques d’examen reposent sur le fait que le patient croit que l’on est en train de tester de façon standard sa fonction visuelle, alors qu’en réalité l’examinateur est en train de confirmer l’existence d’un trouble anorganique en mettant en évidence une réponse non physiologique, une acuité ou une fonction visuelle qui s’est améliorée.

Le diagnostic de problème anorganique peut être affirmé lorsque le patient effectue un test qui ne devrait pas être possible au regard des symptômes qu’il indique. D’autres tests peuvent suggérer que le patient ne coopère pas, mais ne prouvent pas un désordre anorganique. L’examen doit être orienté en fonction des plaintes. Ses résultats (en particulier les réponses du patient à des stimulations variées) devraient être enregistrés.

La portée et l’impact économique des atteintes ophtalmologiques anorganiques sont tous deux difficiles à mesurer. Les manifestations somatiques d’origine psychogène existent dans tous les champs de la médecine. Une étude a conclu qu’elles représentaient au moins 10 % des consultations chez les médecins de famille. Actuellement, aucune donnée de ce type n’est disponible pour les plaintes visuelles. Au milieu des années 1980, Keltner et al. ont estimé que les incapacités frauduleuses coûtaient au total 1 milliard de dollars par an pour le seul État de Californie, et ce sans inclure le coût des honoraires et des examens médicaux. Clairement, en extrapolant ces données, le coût pour la société des perturbations ophtalmologiques anorganiques est énorme.

Arnold AC. Nonorganic visual disorders. In : Albert DM, Jakobiec FA, eds. Principles and Practice of Ophthalmology. 2nd ed. Philadelphia : Saunders; 2000 : 4317–4324.

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Keltner JL, May WN, Johnson CA, et al. The California syndrome. Functional visual complaints with potential economic impact. Ophthalmology. 1985; 92 : 427–435.

Kline LB. Techniques for diagnosing functional visual loss. In : Parrish RK II, ed. The University of Miami Bascom Palmer Eye Institute Atlas of Ophthalmology. Philadelphia : Current Medicine; 2000 : 493–501.

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Techniques d’examen


Trouble visuelanorganiqueexamenDe nombreuses techniques différentes sont utilisées pour examiner les patients avec des désordres anorganiques. Ces techniques sont réparties en quatre groupes, en fonction de la nature du désordre : touchant la voie visuelle afférente, la motilité et l’alignement oculaire, les pupilles et l’accommodation, ou la position et la fonction des paupières.


Atteinte de la voie visuelle afférente


Trouble visuelanorganiquesatteinte de la voie visuelle afférenteLorsque la voie visuelle afférente est atteinte, les techniques d’examen dépendent de la nature du trouble : baisse d’acuité visuelle (complète ou partielle, bilatérale ou monoculaire) ou trouble du champ visuel.


Absence de perception lumineuse bilatérale


Perception lumineuse, absence de, troubles visuels anorganiques etbilatéraleDifférents tests, visuels et non visuels, sont utilisés lorsque le patient se plaint d’une cécité complète bilatérale (absence de perception lumineuse).


Tâches non visuelles


Tâches non visuelles, troubles visuels anorganiques etLa mise en évidence indirecte d’une composante anorganique à une plainte de cécité totale peut être obtenue lorsque le patient est incapable de pratiquer des taches ne faisant pas appel à la vision. Parmi celles-ci figurent l’écriture et le fait de réunir ses doigts avec les bras en extension, cette dernière tâche étant proprioceptive. L’incapacité de les réaliser de façon adéquate ne prouve pas que le patient soit totalement «anorganique», mais doit alerter sur un problème de coopération, consciente ou inconsciente.


Réaction pupillaire à la lumière


Pupille(s)réaction à la lumière, troubles visuels anorganiques etL’existence de réactions pupillaires normales suggère que les voies visuelles antérieures sont intactes. Cependant, elle ne prouve pas que la perte visuelle est anorganique; il pourrait en effet s’agir d’une atteinte bilatérale des voies visuelles antérieures ou des voies postgéniculées. Une réaction à la lumière chez un patient qui dit ne rien voir établit qu’il existe au moins un certain niveau d’influx afférent.


Nystagmus optocinétique


Nystagmusoptocinétiquetroubles visuels anorganiques etTraditionnellement, le test le plus facile à pratiquer chez un patient qui dit être totalement aveugle est de faire tourner un tambour de nystagmus optocinétique devant lui. Lorsqu’il fait cela, l’examinateur doit demander au patient ce qu’il voit. Si le patient dit qu’il ne voit rien alors que les yeux bougent avec le tambour, une composante non organique est prouvée. Il est cependant possible pour les simulateurs de diminuer au maximum voire d’abolir la réponse en regardant autour du tambour ou en focalisant en arrière.


Test du miroir


Miroir, test du, troubles visuels anorganiques etBien qu’utilisé moins fréquemment (probablement parce qu’un grand miroir n’est pas disponible), le test du miroir est moins souvent négatif que le test utilisant un tambour de nystagmus optocinétique. Un grand miroir est bougé lentement d’un côté à l’autre devant le patient pendant que l’examinateur observe la position des yeux. Si le patient déclare qu’il ne voit rien alors que les yeux bougent avec le miroir, une discordance subjective versus objective est mise en évidence (fig. 13-1).



Simulation d’un choc


Choc, simulation d’un, troubles visuels anorganiques etBien que principalement d’intérêt historique (et retrouvé dans les manuels militaires pour détecter la simulation), ce test est conÇu pour obtenir une réaction de surprise. La chute de quelque chose ou un comportement inattendu peut mettre en évidence l’existence d’une fonction visuelle.


Tests électrophysiologiques


Électrophysiologiques, examens, de la rétinetroubles visuels anorganiques etLes potentiels évoqués visuels (PEV) jouent un rôle limité dans l’évaluation d’un possible désordre anorganique. Il existe des possibilités de faux positifs et de faux négatifs avec les PEV. Leurs résultats sont plutôt utilisés comme confirmation. Une augmentation des latences peut suggérer une composante organique à la plainte du patient. Des PEV normaux chez un patient qui se présente avec une baisse visuelle sévère, monoculaire ou binoculaire et un examen clinique normal sont compatibles avec le diagnostic d’un trouble visuel anorganique. Des PEV anormaux chez un patient avec un examen neuro-ophtalmologique normal nedevraient pas en eux-mêmes conduire au diagnostic de désordre organique. En effet, le patient peut volontairement supprimer la réponse aux PEV par de nombreuses techniques (inattention, manque de concentration, méditation). Voir également «Potentiels évoqués visuels» dans le chapitre 3 de ce livre.

Morgan RK, Nugent B, Harrison JM, et al. Voluntary alteration of pattern visual evoked responses. Ophthalmology. 1985; 92 : 1356–1363.


Absence de perception lumineuse monoculaire


Perception lumineuse, absence de, troubles visuels anorganiques etmonoculaireTous les tests décrits pour explorer une absence de perception lumineuse binoculaire peuvent être utilisés de manière unilatérale. D’autres approches sont possibles; elles sont fondées sur la confusion oculaire et les tests qui demandent une binocularité.


Déficit pupillaire afférent relatif


Déficit pupillaire afférent relatiftroubles visuels anorganiques et examen duDans le cas où la plainte est celle d’une perte visuelle complète sur un seul œil, d’autres éléments devraient être présents pour prouver un dysfonctionnement du nerf optique et, parmi eux, l’existence d’un déficit pupillaire afférent relatif. L’absence de celui-ci n’affirme pas l’anorganicité, mais augmente de façon substantielle la suspicion si l’examen clinique est normal (voir chapitre 3).


Test utilisant un prisme avec une base temporale


Prisme avec une base temporale, test utilisant un, troubles visuels anorganiques etLa mise en place d’un prisme de 4 à 6 dioptries base temporale devant un œil alors que les deux yeux sont ouverts doit normalementprovoquer un mouvement de déplacement en dedans de cet œil (il peut s’agir d’une saccade conjuguée suivie d’un mouvement en convergence de l’œil opposé ou d’un mouvement de convergence de l’œil seul). La survenue de ce mouvement lorsque le prisme est posé sur le «mauvais» œil indique que cet œil est voyant.

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May 12, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 13. Troubles visuels anorganiques

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