1: Prologue: Être psychiatre en milieu pénitentiaire

Chapitre 1


Prologue


Être psychiatre en milieu pénitentiaire



Il s’agira dans ce chapitre non pas d’établir un « guide » de cette sémiologie particulière mais plutôt de souligner les aspects originaux qui font de notre exercice une remise en question prmanente de notre savoir et de nos pratiques.


Être psychiatre en milieu carcéral implique une certaine curiosité pour le crime et surtout ceux qui le commettent. La criminologie, cet objet de fascination, attire juristes, médecins… et politiques. Chacun en comprendra donc son enjeu. Ses théories varient, et même si certaines font actuellement sourire, elles ont chacune contribué aux avancées de cette science bien particulière dont nous voudrions tous comprendre les rouages. Loin des clichés dont les médias se font actuellement le vecteur en repaissant les téléspectateurs de séries à la recherche d’un audimat toujours supérieur, les criminels s’avèrent dans l’immense majorité des cas des sujets en perte de repères sociaux, familiaux, pour lesquels une convergence de facteurs conduit un jour à franchir le seuil donné par l’époque de la Loi. Parmi eux se retrouve un nombre de plus en plus important de malades mentaux.



La fonction de psychiatre


Notre fonction consiste à détecter les troubles psychiatriques chez les entrants, d’ailleurs bien souvent connus de leur secteur, tenter d’évaluer le potentiel suicidaire de ces personnes, qui vivent, quoi qu’elles en disent un traumatisme majeur, soigner les pathologies existantes ou naissantes et enfin assurer la continuité des soins entrepris lors de leur libération. Travailler en prison nécessite de solides repères cliniques… parce qu’ils vont être bousculés. Vouloir appliquer nos connaissances sans tenir compte des multiples interfaces serait un aveuglement que seuls peuvent comprendre ceux qui ont travaillé avec cette population entre les murs.





Maladie mentale préexistante


À un troisième niveau, devons-nous tenir compte de la maladie mentale préexistante ou en voie d’éclosion ? La prison n’est-elle pas ce vase clos où toutes les réactions peuvent se produire, puisque les ingrédients les plus explosifs y sont mélangés. Tous ces niveaux sont intégratifs et réclament une attention soutenue. Aucun n’est indépendant. Nous devons penser à la réalité, à son franchissement, et à l’indicible pour le patient et le soignant.



image Monsieur X. est suivi pour un syndrome dépressif majeur. Il faudra plusieurs semaines au soignant pour comprendre que ce patient est régulièrement violé par son co-détenu et beaucoup de persuasion pour l’amener à changer immédiatement de cellule.


image Trahir son patient ou se mettre hors-la-loi ? La crainte de représailles est constante chez les détenus malades mentaux doublement vulnérables. Combien d’entre eux ne se sont-ils pas faits « corrigés » du fait de troubles du comportement ou d’hallucinations proférées à haute voix ? Devons-nous les isoler, les hospitaliser d’office en espérant que les quelques jours (inférieurs à une semaine) qui leur seront accordés dans certains services seront suffisants. Que ceux qui soignent la psychose en express n’hésitent pas à postuler dans les SMPR…


image Un patient au délire « de guerre » particulièrement floride voit sa pathologie vivement renforcée par les conditions de détention. Il est prisonnier, ce qui renforce ses convictions délirantes, sa fin est proche pense-t-il du fait de tous ces hommes en uniformes détenteurs de clés qui l’entourent. Dans un sursaut de survie, il s’agite de manière désespérée. L’hospitalisation d’office est diligentée, à la vue des surveillants qui vont l’emmener menotté, il s’agenouille et salue « le peloton d’exécution »…


image Monsieur Y. est suivi dans le cadre d’une psychothérapie de soutien. Ses troubles de la personnalité, de type psychopathique, ne font aucun doute. Il faudra là une année pour comprendre que cet homme jeune vit avec sa mère, qui l’a abandonné lorsqu’elle-même était adolescente et qu’ « unis désormais par les liens de l’amour », ils ont ensemble deux jeunes enfants. Il pense que ce n’est pas « bien »… mais cherche confirmation… Une année pour que les yeux du thérapeute se dessillent et que celui-ci puisse comprendre ce qui lui est dit.


image Notre héritage théorique a beau ne pouvoir se passer d’Œdipe, de là à lui serrer la main…


image Monsieur Z., 65 ans, arrive d’un autre établissement. Il mettra une heure à parvenir au service médical, demandant son chemin et obtenant des renseignements qu’il n’intègre pas. Une fois assis, au-delà du syndrome anxieux apparaît une pathologie démentielle évidente. Incarcéré pour uxoricide aux modalités laissant objectivement perplexe, celui-ci a quand même été jugé et avait au total patienté quatre années avant d’obtenir un transfert dans un établissement pour peines. Ne quittant jamais sa cellule, le tableau était passé inaperçu dans l’établissement initial, c’est le changement de repères qui a permis de mettre en lumière les éléments cliniques d’une démence.

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Jun 2, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 1: Prologue: Être psychiatre en milieu pénitentiaire

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