12: Prise en charge des auteurs de violence sexuelle en prison

Chapitre 12


Prise en charge des auteurs de violence sexuelle en prison



Le nombre de condamnations pour infraction à caractère sexuel est en constante augmentation depuis les années 1980, les auteurs de violence sexuelle (AVS) représentant en 2009 environ 20 % de la population carcérale française [1]. Les recommandations actuelles du Sénat incitent d’ailleurs à leur regroupement au sein d’établissements pénitentiaires spécifiques (un établissement ciblé par région) afin de permettre des soins appropriés et de faciliter la sécurité de ces détenus souvent victimes de violences [2]. Comme il s’agit d’autre part de sujets parfois déjà en rupture familiale, il est donc « possible » d’envisager un éloignement vers des centres spécialisés. Certains établissements ayant vocation à accueillir ce type de détenus ne disposant actuellement pas de moyens sanitaires suffisants, l’affectation en établissement pour peines devrait à terme mieux tenir compte de l’offre de soins disponible.



Cadre déontologique et légal


Le temps du jugement et de l’incarcération permet, pour le sujet détenu, la prise de conscience des conséquences de l’acte délictueux d’une part sur le sujet et sur la victime, mais aussi au niveau pénal et judiciaire : la prison est alors l’espace contenant de Balier [3].


Il est donc important d’initier le soin dès le début du temps carcéral. Mais lorsqu’ils sont sous main de justice en milieu fermé, seule l’incitation aux soins est légalement possible. Or, nous savons que le comportement du détenu, et notamment son adhésion aux soins proposés, conditionne l’obtention de remises de peines supplémentaires (RPS). Cette donnée fausse donc parfois la demande de soins spontanée de la part du sujet. Dans un premier temps, il s’agit de faire émerger le désir de soins et de construire le cadre thérapeutique, afin de permettre une bonne alliance et une observance correcte du soin. L’incitation aux soins semble toutefois améliorer l’adhésion thérapeutique et l’accès aux consultations pour des patients traditionnellement peu demandeurs.


Les recommandations de l’Haute Autorité de Santé (HAS) en 2010 insistent sur le respect du cadre déontologique inhérent à cette incitation aux soins [4]. Le patient détenu conserve les mêmes droits hormis la liberté d’aller et venir, et il est important d’être attentif à ne pas réduire la personne à ses actes ou ses symptômes. Aucun traitement ne doit être instauré sans indication médicale ni consentement du sujet. Le secret médical doit être respecté même en milieu carcéral, et le patient conserve le libre choix de son thérapeute.


Pour débuter le traitement à proprement parler, il est nécessaire que le sujet reconnaisse même partiellement les faits, surtout lors de la détention préventive où le principe de présomption d’innocence s’applique. Le travail psychothérapeutique n’est possible que si le sujet reconnaît en partie au moins ses actes et donc en accepte la prise en charge. La phase de déni doit être respectée en tant que mécanisme de défense et n’empêche pas d’initier la rencontre, mais il est important de différencier les mécanismes de défense du Moi et les stratégies de défense judiciaire [5].


Le travail psychothérapeutique carcéral se heurte néanmoins à plusieurs difficultés : la durée de la peine joue un rôle important, et lors des longues peines, le travail est rendu difficile par l’impossible confrontation à la réalité. Finalement, c’est en centre de détention (CD) que le travail est le plus effectif, l’absence de prévisibilité à moyen terme en maison d’arrêt (MA) empêchant souvent sa mise en place. De même, la continuité des soins est difficile à assurer lors des transferts des détenus, et l’idée reçue de la non-évolutivité des troubles empêche parfois le soignant de prendre en compte la prise en charge antérieure.



Prise en charge durant l’incarcération


La prison est « le lieu du punir et du soigner », selon Jean-Louis Senon [6], et il est important de distinguer le parcours de soins du parcours d’exécution de la peine, même si les deux dimensions devraient pouvoir être articulées, ce qui est parfois déjà le cas. Vingt-deux établissements ont été identifiés par la DHOS comme spécialisés dans la prise en charge de ce type de détenus [7]. Pour l’administration pénitentiaire, ils permettent d’assurer la protection de ces détenus souvent victimes de violences, d’adapter le régime de détention et de mettre en place des programmes de prévention de la récidive (PPR) gérés par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Mais ce type d’établissement soulève également diverses interrogations, comme la nécessité d’une prise en charge sanitaire spécialisée alors même que le suivi socio-judiciaire n’est parfois pas encore prononcé. Ces centres pénitentiaires entraînent, d’autre part, souvent un éloignement géographique important entre le détenu et sa famille ; par ailleurs, l’usure des soignants face à un manque de personnels spécialisés et à la confrontation à une clinique difficile est un risque prévisible.



Évaluation initiale


Devant le risque de contre-transfert négatif que peut inspirer ce type de patient, il semble important de pouvoir proposer des évaluations pluridisciplinaires afin de varier les regards des soignants et permettre que cette première étape du soin soit la plus juste et la plus précise possible.


Le premier temps de cette évaluation, somatique, vise à éliminer une organicité, en particulier une lésion frontale (trouble neuro-dégénératif, processus tumoral). L’évaluation psychiatrique du sujet cherche à identifier les facteurs de vulnérabilité, les ressources du patient, les facteurs de développement du trouble [8]. Lors des entretiens, l’accent sera mis sur le recueil des données sociodémographiques, la clinique, et la recherche d’un trouble psychiatrique sous-jacent si possible à l’aide d’outils standardisés, qui doit être pris en charge en priorité. Différents outils d’évaluation psychologique peuvent être utilisés, comme le QICPASS, des échelles de fonctionnement psychodynamique ou des tests projectifs [9]. Une évaluation globale de l’activité sexuelle recherche l’existence et la fréquence d’une activité sexuelle « appropriée » ou non (fantasmes, activité masturbatoire, exclusivité de l’objet sexuel, caractère compulsif). Cette évaluation initiale est importante pour poser l’indication du soin car tous les AVS ne relèvent pas du soin psychiatrique et certains soins peuvent alors apparaître inopérants. L’objectif n’est pas la prévention de la récidive (même si celui-ci peut être un bénéfice secondaire de la prise en charge) mais reste le soin.


On perçoit donc l’intérêt d’un repérage et d’un signalement particulier dès le début de l’incarcération, même si certains soignants restent attachés à la non spécificité des patients, car les AVS sont plus susceptibles « d’échapper » à la prise en charge sanitaire. Il serait intéressant de réfléchir à la mise en place d’une procédure spécifique d’évaluation des AVS en prison : le repérage lors de la première consultation destinée aux arrivants pourrait donner lieu à une consultation spécifique centrée sur l’infraction, puis à une évaluation multidisciplinaire débouchant sur un compte rendu au détenu et une proposition de soins. Un refus initial de prise en charge doit inciter à réitérer deux fois par an la proposition de soins.



Caractéristiques psychopathologiques et criminologiques des auteurs de violence sexuelle


Les AVS représentent une grande hétérogénéité sur le plan psychopathologique puisqu’il s’agit, avant toute notion de délit ou crime sexuel, d’un acte de violence. En effet, le diagnostic de paraphilie n’est posé que dans 50 % des cas [10].


Au sein de la prison, il s’agit d’hommes plutôt âgés [11]. Ils forment souvent une population plutôt tranquille et peu demandeuse de soins. Or, le risque de suicide chez les AVS sur mineur est quatre fois plus important que chez les auteurs de délits contre les biens commis sans violence [12].


Le sujet agresseur sexuel souffre plus fréquemment de troubles psychiatriques de l’axe I du DSM IV que les auteurs d’autres délits [13], avec un risque accru d’épisode dépressif majeur et d’addiction (56 %), essentiellement à l’alcool dont on sait qu’il favorise le passage à l’acte. Viennent ensuite les troubles anxieux (47 %) avec une prédominance de la phobie sociale, de l’état de stress post-traumatique (ESPT), et du trouble anxiété généralisée (TAG). Sur le plan des troubles de personnalité, la majorité des études retrouve une proportion significativement élevée de troubles du cluster B (personnalité antisociale, personnalité état limite, personnalité narcissique) [10]. Finalement, la structure stable de la personnalité de type perverse reste rare, même si on constate de fréquents aménagements pervers chez des personnalités de type état limite, antisociale ou paranoïaque [14], voire chez des sujets « sains » au sens nosographique du terme.


Plusieurs études d’ordre psycho-criminologique ont examiné les rapports entre les troubles de la personnalité et le modus operandi et distinguent différents profils d’AVS [8]. Chez les agresseurs de femme adulte, on distingue schématiquement trois profils de personnalité.



– L’agresseur sadique présente des traits de personnalité dépendante, évitante, et schizoïde. Il se pense inférieur, rejeté, humilié, ce qui engendre chez lui sentiment de solitude, de dépression, de rage et un retrait relationnel. Souvent les actes sont prémédités et organisés avec un niveau de violence élevé.


– L’agresseur colérique a un profil de personnalité de type état limite qui explique une grande instabilité émotive, qu’il gère souvent à l’aide d’alcool. Ses actes sont souvent violents, non prémédités, comportant moins d’éléments sexuels et visant souvent à l’expression d’une colère intense.


– L’agresseur opportuniste a des traits de personnalité narcissique, paranoïaque et dépendante. Il se considère supérieur à autrui et pense que sa victime doit répondre à un besoin immédiat. Ses actes sont non prémédités, peu organisés et la violence n’a pour but que de contraindre sa victime.

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Jun 2, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 12: Prise en charge des auteurs de violence sexuelle en prison

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