40. Traitement de l’insomnie
Denis Richard
Praticien hospitalier, pharmacien, chef de service pharmacie, Centre hospitalier Henri-Laborit, enseignant universitaire, Poitiers, France
Jean-Louis Senon
Professeur des universités, chef de service, service universitaire de psychiatrie et de psychologie médicale, Centre hospitalier universitaire, Poitiers, France
PLAN DU CHAPITRE
CE QU’IL FAUT RETENIR834
ÉTUDE D’UN CAS CLINIQUE835
Références bibliographiques836
Conseils de lecture836
GÉNÉRALITÉS
L’INSOMNIE
Les troubles du sommeil ne se limitent pas, évidemment, aux seules insomnies objet de ce chapitre. Hypersomnies et troubles du rythme circadien ne doivent pas être méconnus du fait de leur incidence sur la vie quotidienne (accidents de la circulation ou accidents du travail). Ils sont d’ailleurs parfois eux-mêmes induits par un mésusage des tranquillisants et des hypnotiques.
L’insomnie est un symptôme banal qui concerne entre 30 et 50% de la population adulte des pays occidentaux, toutes formes confondues, et 10 à 20% de cette population en ce qui concerne les formes les plus graves. Rarement isolée (insomnie chronique primaire), elle survient volontiers dans le cadre d’une pathologie psychiatrique (dépression) ou somatique (dyspnée nocturne, maladie rhumatismale). Dans la pratique, une insomnie isolée est à ce point rare qu’il faut remettre en question sa réalité face à chaque patient insomniaque qui nie avoir des problèmes psychologiques, relationnels ou existentiels.
La tendance actuelle privilégie une définition de l’insomnie avant tout subjective. Elle caractérise un sommeil perçu par le patient comme difficile à obtenir, insuffisant, insatisfaisant ou non récupérateur. La durée objective du sommeil peut être normale ou peu abrégée et l’endormissement peut être rapide, mais on repère de façon récurrente une fragmentation excessive de la phase de sommeil.
Il est difficile d’établir une nosologie de l’insomnie car les causes comme les mécanismes de cette affection sont toujours méconnus. La classification internationale des troubles du sommeil distingue trois formes d’insomnie intrinsèque (dont la cause a pour origine l’organisme) et douze formes d’insomnie extrinsèque (dont la cause est extérieure à l’organisme), sans même évoquer les insomnies d’origine neurologique, psychiatrique ou somatique. Elle est d’une extraordinaire complexité pour le clinicien. La classification du DSM-IV est plus pratique. Toutefois, nous proposons ici une classification schématique, ayant avant tout une valeur pédagogique (tableau 40.1).
Types d’insomnie | Catégories cliniques | Origines et signes cliniques | Orientations générales du traitement |
---|---|---|---|
Insomnies occasionnelles ou situationnelles | Accumulation d’événements stressants | Prescription d’hypnotiques (ou de tranquillisants) pour une durée limitée (< 4 semaines) | |
Insomnies chroniques | Insomnies psychophysiologiques | État de tension musculaire et psychologique Conditionnement négatif au sommeil | Relaxation Biofeedback Thérapies comportementales |
Insomnies organiques | Insuffisance cardiaque ou respiratoire Douleurs chroniques | Traitement symptomatique | |
Impatience des membres inférieurs | Traitement spécialisé Recours à un centre veille-sommeil | ||
Myoclonies nocturnes | Recours à un centre veille-sommeil | ||
Apnées du sommeil | Traitement spécialisé Recours à un centre veille-sommeil | ||
Insomnies pharmacologiques | Insomnies médicamenteuses | Consommation régulière de tranquillisants ou d’hypnotiques | Sevrage médicamenteux très progressif et médicalisé |
Insomnies «rebond» | Arrêt brutal d’un traitement tranquillisant ou hypnotique | Sevrage très progressif et médicalisé |
MÉDICAMENTS UTILISÉS
Avant tout, il importe de souligner que la prescription d’hypnotiques ne peut constituer en toute situation une réponse adaptée. Le recours à d’autres médicaments peut s’avérer plus pertinent, ainsi que la mise en œuvre d’autres stratégies thérapeutiques que la chimiothérapie (psychothérapie, etc.). Il n’y a pas lieu d’utiliser aujourd’hui des produits dont l’index thérapeutique est aussi faible que les barbituriques ou l’hydrate de choral. Par conséquent, nous avons pris ici le parti de n’évoquer ces médicaments que dans la présentation générale, pour information, sans les développer par ailleurs (le lecteur trouvera toutefois mention des barbituriques dans d’autres chapitres où ils sont toujours d’actualité comme le traitement de l’épilepsie).
Les principaux hypnotiques commercialisés sont présentés dans le tableau 40.2.
Familles | DCI | Spécialités | Présentations |
---|---|---|---|
benzodiazépines | estazolam | Nuctalon | Comprimé sécable 2mg |
flunitrazépam | Rohypnol | Comprimé sécable 1mg | |
loprazolam | Havlane | Comprimé sécable 1mg | |
lormétazépam | Noctamide | Comprimé sécable 1et 2mg | |
nitrazépam | Mogadon | Comprimé sécable 5mg | |
témazépam | Normison | Capsule 10et 20mg | |
imidazopyridines | Zolpidem | Stilnox | Comprimé sécable 10mg |
cyclopyrrolones | zopiclone | Imovane | Comprimé sécable 7,5mg |
antihistaminiques | alimémazine | Théralène | Comprimé 5mg, gouttes et sirop |
doxylamine | Donormyl | Comprimé sécable 15mg effervescent ou non | |
niaprazine | Nopron Enfants | Sirop | |
prométhazine | Phénergan | Comprimé 25mg | |
associations | acéprométazine + méprobamate | Mépronizine | Comprimé sécable |
acéprométazine + acépromazine + clorazépate | Noctran | Comprimé sécable |
Présentation des hypnotiques
► Barbituriques
Ce médicament constitua le chef de file d’une famille de molécules nombreuses dont, notamment, le phénobarbital (Gardénal) indiqué aujourd’hui dans la prévention des crises d’épilepsie, etc.
La prescription médicale de barbituriques n’a désormais plus raison d’être, exception faite en neurologie pour le phénobarbital dans certaines formes d’épilepsie et en anesthésiologie où l’on administre par voie IV des barbituriques d’action ultrarapide pour endormir les patients avant une intervention. Utilisés de façon prolongée en hypnologie, les barbituriques induisent rapidement une toxicomanie et ont un index thérapeutique extrêmement réduit (la dose potentiellement mortelle est seulement deux à trois fois supérieure à la dose thérapeutique). Le médecin doit recourir à des produits respectant l’architecture du sommeil et mieux tolérés comme les benzodiazépines ou leurs analogues.
► Chloral
Synthétisé par le chimiste allemand von Liebig en 1832, le chloral donna lieu au xixe siècle à un usage toxicomaniaque, proche de celui induit par les barbituriques.
Le chloral est actif comme hypnotique à des doses comprises entre 0,5 et 1 gramme chez l’adulte, mais perd rapidement son efficacité. Il a été conseillé pour traiter les insomnies des sujets âgés déments, mais son administration expose à un important rebond d’insomnie dès que le traitement est suspendu. Les interactions médicamenteuses sont nombreuses.
Par ailleurs, l’usage du chloral est fortement irritant pour la muqueuse digestive. Il induit, au plan neurologique, une ébriété accompagnée de migraine, de troubles de la marche, parfois d’une excitation paradoxale, de confusion mentale voire d’hallucinations chez le sujet âgé. L’intoxication aiguë évoque celle réalisée par les barbituriques. Elle s’accompagne de signes hépatiques et digestifs aggravés allant jusqu’à la nécrose gastrique. Des décès par arythmie cardiaque ont été rapportés. De plus, le potentiel cancérigène du chloral sur modèle murin (tumeurs hépatiques) est démontré.
► Analogues pharmacologiques des benzodiazépines
Les cyclopyrrolones sont représentées par la zopiclone (Imovane) et les imidazopyridines par le zolpidem (Stilnox). Ces deux familles sont proches de celle des benzodiazépines, du moins quant à leur mécanisme d’action et leur profil pharmacologique. Ces médicaments plus récents respectent mieux l’architecture physiologique du sommeil, comme l’attestent les études hypnographiques. Elles sont également relativement mieux tolérées: moins d’effets rebond, réveil plus agréable, etc. Pour autant, il convient de toujours demeurer prudent, leur prescription n’étant en rien anodine.
► Divers
D’autres composés sont indiqués dans le traitement des troubles du sommeil, notamment des antihistaminiques H1. On peut citer la niaprazine (Nopron), actuellement indiquée dans le traitement des insomnies occasionnelles de l’enfant (noyau pipérazine), la doxylamine (Donormyl, Méréprine), la prométhazine (Phénergan) ou l’alimémazine (Théralène). Certains sont associés à d’autres produits, tels l’acéprométazine, associée à une phénothiazine neuroleptique (acépromazine) et à une benzodiazépine dans Noctran ou associée à un carbamate anxiolytique (voir chapitre 41«Traitement de l’anxiété», p. 837) dans Mépronizine.
Mécanisme d’action des hypnotiques
Le mécanisme de l’action hypnotique des benzodiazépines comme celui de leurs analogues (et comme celui des barbituriques) s’explique par une action sur la transmission GABAergique, comme évoqué au chapitre 41 sur le traitement de l’anxiété. Les manifestations latérales de somnolence, d’apathie et de ralentissement des réflexes observées chez les usagers d’anxiolytique trouvent leur pleine expression dans l’indication spécifique des insomnies.
Les composés les plus récents (zopiclone, zolpidem) ont toutefois une action plus spécifique sur certains récepteurs aux benzodiazépines (récepteurs de type I), ce qui expliquerait la moindre incidence de leurs effets indésirables et leur meilleure maniabilité.
Pharmacocinétique des hypnotiques
► Analogues des benzodiazépines
Les cyclopyrrolones (zopiclone, Imovane) et les imidazopyridines (zolpidem, Stilnox, Ivadal) s’administrent per os, avec une résorption satisfaisante, non influencée par les aliments. Ces hypnotiques doivent être administrés immédiatement avant le coucher car leur délai d’action n’est que de 10 à 15min. Le pic plasmatique est atteint en environ 1 heure pour la zopiclone et 1,8 heure pour le zolpidem. Les deux groupes de médicaments subissent oxydation, desméthylation et hydroxylation. Leur métabolisation est importante (le zolpidem est totalement résorbé, mais un effet de premier passage hépatique limite sa biodisponibilité à 70% environ). Quatre à cinq pour cent seulement de la dose de zopiclone sont éliminés sous forme inchangée, la molécule mère étant, contrairement au zolpidem, transformée en un catabolite partiellement actif, son N-oxyde.
La zopiclone, comme son métabolite actif, a une demi-vie d’élimination variable, oscillant entre 3 et 6 heures, allant jusqu’à 8 heures chez l’insuffisant hépatique ou le sujet âgé. Le zolpidem a une demi-vie constamment plus brève, de l’ordre de 2,4 heures. Ces deux composés franchissent également la barrière fœto-placentaire et passent dans le lait.
Le tableau 40.3 présente les caractéristiques pharmacocinétiques des principaux hypnotiques.
DCI | Spécialités | Affinités | T max (h) | Demi-vies d’élimination (h) | Principaux métabolites actifs | Demi-vies d’élimination des métabolites actifs (h) |
---|---|---|---|---|---|---|
Benzodiazépines hypnotiques ayant une demi-vie moyenne et prolongée | ||||||
estazolam | Nuctalon | 1 à 1,5 | 10 à 30 | nombreux | ||
flunitrazépam | Rohypnol | ++++ | 1 à 1,5 | 15 à 30 | norflunitrazépam | 20 à 40 |
loprazolam | Havlane | +++ | 1 à 4 | 8 à 10 | 0 | |
lormétazépam | Noctamide | ++++ | 1 à 1,5 | 10 à 12 | 0 | |
nitrazépam | Mogadon | +++ | 1 à 2 | 18 à 30 | 0 | |
témazépam | Normison | ++++ | 0,75 à 4 | 5 à 8 | oxazépam (5%) | 4 à 15 |
Hypnotiques non benzodiazépiniques | ||||||
zolpidem | Stilnox | 0,5 à 3,5 | 2 à 10 | 0 | ||
zopiclone | Imovane | 1 à 3,5 | 5 à 8 | N-oxyde | 4,5 |