Traitement de l’endocardite bactérienne

53. Traitement de l’endocardite bactérienne

Chapitre révisé pour cette édition par:


Daniel J.G. Thirion


M. Sc., Pharm.D., BCPS, pharmacien, hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, professeur adjoint de clinique, faculté de pharmacie, université de Montréal, Montréal, Canada

David Williamson


B. Pharm., M.Sc., BCPS pharmacien hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, professeur adjoint de clinique, faculté de pharmacie, université de Montréal, Montréal, Canada

Natacha Chaumard


Interne, département pharmaceutique, CHU de Besançon, France

Chapitre initialement rédigé par:


Pierre Martineau


M. Sc., Pharm.D., BCPS, gestionnaire scientifique, division médicale, recherche et développement, Pfizer Canada Inc., Montréal, Canada.

Murray P. Ducharme


Pharm. D., FCCP, FCP, vice-président, PK et PD, Pharma MDS, professeur associé, faculté de pharmacie, université de Montréal, Montréal, Canada


PLAN DU CHAPITRE



Généralités1042




Physiopathologie1042




Symptômes1042


Micro-organismes1042


Diagnostic1044


Pronostic1044


Cas particuliers1045


Critères de choix thérapeutique1045




Traitement de l’adulte1046




Traitement empirique1046


Traitement spécifique1046


Place de la chirurgie1049


Traitement de l’endocardite sur bioprothèse ou sur valve mécanique1049


Traitement du patient toxicomane intraveineux1050


Prophylaxie1050




Indications de l’antibioprophylaxie1051


Schémas d’antibioprophylaxie1051


Situations particulières1052


Prévention de l’endocardite sur prothèse valvulaire1053


Optimisation thérapeutique1053




Optimisation posologique1053


Optimisation de l’administration et plan de suivi1053


Prévention de l’iatropathologie1054


Conseils au patient1054




Contrôle des facteurs déclenchants1054


Savoir identifier les signes de détérioration1054


Informer sur la thérapeutique et son administration1054


CE QU’IL FAUT RETENIR1055


ÉTUDE D’UN CAS CLINIQUE1056


Références bibliographiques1057



GÉNÉRALITÉS



PHYSIOPATHOLOGIE






– une lésion valvulaire ou une malformation congénitale cardiaque, clinique ou subclinique, provoquant des turbulences dans le flot sanguin et conduisant à une lésion endothéliale, ce qui mènera éventuellement à la formation d’un thrombus stérile;


– une bactériémie transitoire suite à la lésion d’un tissu ou d’une muqueuse colonisés par des bactéries (figure 53.1). Les bactéries entrant ainsi dans la circulation systémique vont adhérer et coloniser l’endocarde, au site de la lésion, et conduire au développement d’une végétation; celle-ci consiste en une agrégation de plaquettes, de fibrine, de leucocytes et de bactéries. La végétation protège les bactéries contre les défenses humorales et cellulaires de l’hôte. Elles peuvent ainsi s’y multiplier à l’abri des antibiotiques (Moreillon, 2004).








B9782294062346500533/f53-01-9782294062346.jpg is missing
Figure 53.1
Physiopathologie de l’endocardite bactérienne.



Symptômes


La plupart des signes et symptômes apparaissant chez le patient peuvent s’expliquer par quatre mécanismes:




– la destruction des tissus valvulaires et périvalvulaires entraîne une insuffisance ou une perforation valvulaire (nouveau souffle cardiaque, dyspnée et autres signes d’insuffisance cardiaque), un abcès de l’anneau valvulaire accompagné ou non de bloc de la conduction auriculo-ventriculaire ou une péricardite;


– l’embolisation systémique ou pulmonaire de particules qui se sont détachées des végétations conduit ainsi à des lésions cutanées, à un infarctus septique ou à une embolie cérébrale;


– la formation de dépôts de complexes immuns circulants et l’activation de la cascade du complément au niveau des tissus peuvent causer des complications inflammatoires telles que la glomérulonéphrite, la vascularite, et la splénomégalie;


– la végétation libère constamment des bactéries dans la circulation générale, créant ainsi une bactériémie persistante qui explique les symptômes non spécifiques fréquemment observés, tels que la fièvre, la perte de poids et d’appétit, la fatigue, la sudation nocturne, l’anémie, la splénomégalie et les infections métastatiques distales.

Certaines manifestations cutanées sont observées lors d’endocardite bactérienne. Toutefois, aucune de ces lésions cutanées n’est pathognomonique de l’endocardite bactérienne:




pétéchies: ce sont de petites lésions hémorragiques et érythémateuses, indolores qui peuvent apparaître à tes sur les extrémités, les conjonctives, la bouche et le palais et ne s’effacent pas sous la pression.


nodules d’Osler: ce sont des papules ou nodules souscutanés douloureux, violacés ou érythémateux qui apparaissent sur le bout des doigts et des orteils.


lésions de Janeway: ces plaques hémorragiques indolores, rarement rencontrées, se développent sur la paume des mains ou la plante des pieds, particulièrement lorsque l’endocardite est causée par Staphylococcus aureus.


hémorragies en écharde (splinter hemorrhage): ce sont de minces hémorragies linéaires qui apparaissent sous les ongles.


hippocratisme digital (clubbing): ce sont des changements prolifératifs des tissus mous du bout des phalanges qui s’élargissent avec incurvation des ongles vers la face palmaire. Cette manifestation est rarement observée, lors d’endocardite chronique.


taches de Roth: ce sont des infarctus ovales de la rétine, situés près du disque optique qui présentent un centre pâle et entouré d’une zone hémorragique.

Les hémorragies en écharde et les pétéchies sont le résultat d’une augmentation de la perméabilité capillaire provoquée par une vascularite locale ou des microembolies, alors que les nodules d’Osler sont probablement causés par une vascularite. Les lésions de Janeway sont la manifestation d’une embolie septique.


Micro-organismes


Les bactéries généralement responsables de l’endocardite colonisent déjà la peau ou les muqueuses avant d’avoir accès à la circulation sanguine par la voie d’une lésion. Les bactéries les plus fréquemment rencontrées sont, en ordre décroissant de fréquence: Staphylococcus aureus, Streptococcus sp., Enterococcus sp. et les bactéries à Gram négatif.


► Staphylocoques


L’incidence du staphylocoque comme pathogène dans l’endocardite bactérienne surpasse maintenant celle du streptocoque du groupe viridans (Cabell, 2002; Hoen, 2002; Fowler, 2005). Ce premier colonise normalement la peau (ex.: staphylocoque coagulase négatif tel le Staphylococcus epidermidis) et certaines muqueuses humaines (ex.: Staphylococcus aureus dans les sinus). Ainsi, une bactériémie à staphylocoque peut se produire lorsque la barrière naturelle que constitue la peau est rompue et que la bactérie peut pénétrer dans la circulation sanguine. Le Staphylococcus aureus (staphylocoque coagulase positif) et le Staphylococcus epidermidis (coagulase négatif) sont le plus souvent isolés lors d’une endocardite staphylococcique. Le staphylocoque coagulase négatif est surtout retrouvé lors d’endocardite sur prothèse valvulaire. Cependant, il est à noter qu’il existe une différence très importante au niveau de la pathogénicité entre Staphylococcus aureus et le staphylocoque coagulase négatif. Le Staphylococcus aureus est très virulent en ce sens qu’il possède une forte capacité à induire des infections graves, tandis que les staphylocoques coagulase négatifs (ex.: Staphylococcus epidermidis, Staphylococcus capitis, Staphylococcus hominis, etc.) sont très peu virulents et ne sont souvent que des contaminants au niveau des cultures, sans nécessairement être responsables de l’infection.

Les épisodes de bactériémie à staphylocoques sont de plus en plus fréquents du fait de la fréquence d’utilisation de cathéters IV périphériques et centraux, de l’utilisation de drogues illicites par voie IV (toxicomanie IV) et de chirurgies cardiaques. Certaines protéines de surface du staphylocoque fonctionnent comme des adhésines, ce qui expliquerait la grande capacité du staphylocoque à coloniser les tissus humains, y compris les valves cardiaques saines (Lowy, 1998). De plus, la plupart des staphylocoques produisent des β-lactamases, et des mutations des protéines liant les pénicillines qui confèrent une résistance à l’ensemble des β-lactames sont de plus en plus prévalents. Ces phénomènes justifient l’emploi de pénicillines résistantes aux β-lactamases pour toute infection à staphylocoques et le recours aux glycopeptides lors de résistances multiples (Lowy, 1998; Fowler, 2005; Baddour, 2005). L’invasion des cellules voisines et la libération des bactéries dans la circulation sanguine sont facilitées par la sécrétion d’enzymes protéolytiques par les staphylocoques (Lowy, 1998). Le staphylocoque peut aussi entraîner des abcès myocardiques menant à des troubles de conduction, une péricardite purulente et des abcès de l’anneau valvulaire entravant le bon fonctionnement de la valve cardiaque affectée.

L’endocardite à Staphylococcus aureus est caractérisée par l’apparition subite de symptômes, dont la fièvre, et implique souvent des valves cardiaques normales (Lowy, 1998). En l’absence de toxicomanie IV, l’endocardite à staphylocoque est souvent localisée au cœur gauche, atteint plus fréquemment les personnes âgées et les patients porteurs de maladies valvulaires sous-jacentes. Elle est responsable d’un taux élevé de mortalité, soit de 20 à 44% (Lowy, 1998).


► Streptocoques


Les streptocoques, en particulier ceux faisant partie de la famille viridans, sont souvent responsables d’endocardite sur une valve cardiaque naturelle de patients n’utilisant pas de drogues illicites par voie intraveineuse ou sur des malformations cardiaques congénitales. Les streptocoques faisant partie de la famille viridans (ex.: S. mutans, S. sanguis, S. salivarius, S. mitis, et le groupe S. anginosus) sont normalement présents au niveau de la région oro-pharyngée. Ces micro-organismes sont généralement très sensibles à la pénicilline (Baddour, 2005). S. anginosus nécessite généralement un traitement plus long puisqu’il a tendance à causer plus d’infections disséminées. Streptococcus bovis est une autre espèce de streptocoque pouvant entraîner une endocardite. Peut-être parce que cette bactérie se retrouve normalement au niveau du tractus gastro-intestinal, l’endocardite à S. bovis a été associée à des atteintes du tube digestif telles que le cancer du côlon (Klein, 1979). L’endocardite à S. bovis est traitée comme l’endocardite à streptocoques viridans, étant donné la sensibilité du micro-organisme à la pénicilline. Abiotrophia defectiva, Granulicatella sp, et Gemella sp sont plus difficiles à traiter que les autres streptocoques. Ils nécessitent une thérapie semblable à celle proposée pour les entérocoques.



► Autres bactéries


D’autres bactéries comme celles à Gram négatif ou celles de la famille HACEK (Haemophilus sp., Actinobacillus actinomycetemcomitans, Cardiobacterium hominis, Eikenella corrodens et Kingella kingae) ainsi que certains pathogènes fongiques (Candida sp.) (Steinbach, 2005) peuvent occasionnellement provoquer une endocardite. Toutefois, ce chapitre insistera sur les pathogènes les plus fréquemment rencontrés, c’est-à-dire les streptocoques, les staphylocoques et les entérocoques.


Diagnostic


Le diagnostic d’endocardite bactérienne est basé sur:




– l’historique du patient et la mise en évidence de facteurs prédisposants;


– les examens cliniques et diagnostiques ainsi que la présence de signes et symptômes compatibles;


– plus de deux hémocultures présentant le même microorganisme, en l’absence d’autres sites d’infection.

Le diagnostic d’endocardite doit être suspecté lors de fièvre inexpliquée, d’atteinte multisystémique ou lorsqu’un souffle cardiaque apparaît ou qu’il survient des changements à un souffle déjà documenté. L’échocardiographie permet le diagnostic et l’identification de végétations, d’abcès périvalvulaire, d’anévrisme mycotique, de déhiscence nouvelle d’une prothèse ou d’insuffisance valvulaire d’apparition récente. L’échocardiographie transthoracique est généralement employée pour investiguer la présence de végétations, mais présente le risque d’un résultat faussement négatif. L’échocardiographie transœsophagienne présente une meilleure sensibilité. Lorsqu’une endocardite est suspectée cliniquement ou qu’il s’agit d’un patient à risque, l’échocardiographie transœsophagienne devrait toujours être employée afin de confirmer un résultat négatif obtenu avec le mode transthoracique (Baddour, 2005). Puisque la présentation clinique de l’endocardite est variable, une stratégie diagnostique, «the Duke criteria», a été développée afin d’améliorer la sensibilité et la spécificité du diagnostic (Durack, 1994; Li, 2000). Dans les résultats de biologie, les anomalies non spécifiques suivantes peuvent être observées: anémie normocytaire, leucocytose, ainsi qu’une augmentation de la vitesse de sédimentation des érythrocytes et du facteur rhumatoïde. Les valeurs sanguines de créatinine et d’urée peuvent également être élevées et l’analyse d’urine peut révéler une protéinurie et une hématurie.

Occasionnellement, le pathogène ne peut être identifié malgré la réalisation de plusieurs hémocultures. La cause la plus courante de ces endocardites à hémocultures négatives demeure l’utilisation récente d’antibiotiques (Beynon, 2006). L’emploi de milieux de culture standards peut aussi être à l’origine d’un faux négatif lorsque le pathogène impliqué présente une croissance lente ou nécessite un milieu de croissance particulier (Legionella, bactéries du type HACEK ou anaérobies, Aspergillus) (Beynon, 2006). Dans ces cas, la présence d’hémocultures négatives retarde l’initiation d’une thérapeutique efficace et le risque de complications s’en trouve accru (Beynon, 2006).


Pronostic


Les complications redoutées de l’endocardite bactérienne sont l’insuffisance cardiaque, le choc cardiogénique, l’accident vasculaire cérébral, les embolies septiques et les infections métastatiques pouvant conduire au décès du patient. Le tableau 53.1 illustre les facteurs de risque d’un mauvais pronostic. En l’absence de traitement, l’endocardite bactérienne présente un taux de mortalité de 100%.






Tableau 53.1 Facteurs de risque de mortalité (Hasbun, 2003; Habib, 2006).



Comorbidités


Insuffisance cardiaque sévère à modérée État mental altéré à la présentation Traitement médical


Infections à staphylocoques


Végétations importantes (> 15 mm)


Présence d’une prothèse valvulaire


Cas particuliers



►Endocardite sur bioprothèse ou sur valve mécanique


L’endocardite sur prothèse valvulaire présente une incidence annuelle de 0,1 à 2,3% (Piper, 2001) et concerne 10 à 30% des endocardites (Bashore, 2006). La microbiologie de l’endocardite sur une bioprothèse ou une valve mécanique est très différente de celle de l’endocardite sur valve native (Piper, 2001). Il existe une controverse à savoir si les porteurs de valves mécaniques ou de bioprothèses sont plus à risque de développer une endocardite (Moreillon, 2004). Par contre, lorsqu’elle survient la présence de matériel exogène accroît le risque d’infection à staphylocoques; ceci est dû à l’altération de la phagocytose et à la grande capacité d’adhésion du staphylocoque sur les surfaces exogènes telles les cathéters (Piper, 2001; Lowy, 1998). Staphylococcus aureus et Staphylococcus epidermidis sont les plus fréquemment en cause et leur introduction dans la circulation est souvent due à l’emploi de cathéters intraveineux ou à l’infection de la plaie opératoire (Baddour, 2005). Lors de la période postopératoire précoce (moins de 60 jours suivant la chirurgie), l’endocardite à Staphylococcus aureus est dévastatrice et souvent mortelle. Dans ces cas, on peut observer la formation d’abcès annulaire, une déhiscence valvulaire et une insuffisance valvulaire aiguë (destruction des feuillets) avec instabilité hémodynamique. Lorsque l’endocardite se développe précocement après une chirurgie valvulaire de remplacement, la mortalité hospitalière est plus importante que pour une endocardite d’apparition tardive (31% versus 9%, respectivement; Castillo, 2004). De plus, les pathogènes rencontrés dans l’endocardite tardive ressemblent à ceux rencontrés dans les endocardites sur valve native (Bashore, 2006). La survie est meilleure par l’approche chirurgicale que médicale, grâce au retrait du matériel contaminé (Yu, 1994). Au cours des dernières années, l’incidence d’endocardite précoce sur prothèse valvulaire a diminué alors que celle d’endocardite tardive s’est légèrement accrue (Piper, 2001). Ce fait pourrait s’expliquer par des bactériémies plus fréquentes liées à des procédures diagnostiques ou thérapeutiques invasives.

Les endocardites sur valve prothétique sont classées comme précoces ou tardives, selon que l’infection survient durant les 60 premiers jours ou plus de 60 jours suivant la chirurgie, respectivement (Mylonakis, 2001). La prédominance du staphylocoque coagulase négatif, souvent résistant à la méthicilline, est significative dans les premiers 60 jours après l’opération. Des bactéries à Gram négatif (HACEK) et des fongi sont également retrouvés. Au-delà d’un an suivant la chirurgie, le profil des bactéries impliquées s’apparente à celui de l’endocardite sur valve naturelle, soit staphylocoques, streptocoques viridans, et entérocoques (Piper, 2001). Pour ce qui est de la période entre 2 mois et un an suivant la chirurgie, les cas d’endocardite sont un mélange d’endocardites acquises à l’hôpital et d’endocardites acquises en communauté (Mylonakis, 2001).

Les facteurs de risque d’endocardite sur prothèse valvulaire sont les suivants:




– remplacement de plus d’une valve cardiaque;


– implantation d’une prothèse mécanique;


– tempsécoulé depuis l’implantation;


– épisode précédent d’endocardite, particulièrement si le remplacement valvulaire se fait sur une valve infectée (voire lors d’un épisode d’endocardite aiguë).

Le risque diminue avec le temps et le pic d’incidence se produit à 5 semaines post-implantation (Agnihotri, 1995). Le risque d’endocardite sur une maladie cardiaque congénitale devient très faible après une réparation chirurgicale réussie, sans séquelle hémodynamique (De Gevigney, 1995). Les infections de prothèses valvulaires sont souvent compliquées par des abcès myocardiques ou de la zone périvalvulaire, de même que par une dysfonction de cette même valve.


► Endocardite chez le toxicomane


En présence de toxicomanie IV, l’endocardite se situe plus fréquemment au niveau de la valve tricuspide (50% des cas) que de la valve aortique (25%) ou mitrale (20%) (Moreillon, 2004). De plus, dans cette population, elle se produit souvent chez des patients sans antécédent de maladies valvulaires. Le pathogène responsable est fréquemment le staphylocoque provenant de la peau (Mylonakis, 2001). L’administration prolongée de drogues illicites par voie IV endommage probablement l’endothélium des valves cardiaques, entraînant la formation d’un dépôt de plaquettes et de fibrine, favorisant ainsi l’adhérence bactérienne et le développement ultérieur de l’endocardite. La source du dommage peut être immunologique (anticorps circulants) ou purement mécanique (particules en suspension dans les drogues injectées). Bien que la valve tricuspide soit plus souvent impliquée, des particules de 10 μm ou moins peuvent franchir les capillaires pulmonaires et atteindre les valves aortique et mitrale, situées dans le cœur gauche (Mathew, 1995). Toutefois, comme ces patients sont généralement jeunes et en relativement bonne santé, et que l’atteinte des valves du cœur droit provoque des anomalies hémodynamiques moins graves que lorsqu’il s’agit du cœur gauche, le taux de mortalité reste faible. Le pronostic s’assombrit lors d’infection concomitante avec le VIH (Ribera, 1998).


CRITÈRES DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE


Le choix du régime antibiotique approprié se fera selon trois critères importants:




– le micro-organisme en cause et son profil de sensibilité aux antibiotiques;


– l’activité et les caractéristiques pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de l’antibiotique;


– la présence ou non d’une prothèse valvulaire.

Le schéma général comporte un antibiotique bactéricide par voie parentérale, à dose élevée, seul ou en association, pendant une période de 4 à 6 semaines. L’association de deux antibiotiques à mécanismes d’action différents aide à prévenir l’émergence de résistance et, dans certains cas, procure une activité bactéricide améliorée et, de ce fait, une stérilisation plus rapide des végétations. Le traitement oral est généralement déconseillé car, pour plusieurs antibiotiques, les concentrations sanguines obtenues sont moindres et moins prévisibles qu’avec la voie parentérale. De plus, le manque d’adhésion au traitement peut nuire au succès de la thérapeutique.

La durée de traitement est prolongée car les bactéries présentes dans la végétation se développent lentement, à l’abri des antibiotiques et du système immunitaire, et du fait de l’effet inoculum important (109 -1010 micro-organismes/g) qui prévaut en général dans la végétation. Le débit sanguin très élevé a l’avantage d’assurer une exposition constante aux antibiotiques mais peut limiter la pénétration dans la végétation elle-même. De plus, certaines bactéries sécrètent des enzymes qui peuvent augmenter leur virulence (ex.: exotoxines et coagulase du Staphylococcus aureus ) ou diminuer leur sensibilité envers certains antibiotiques (pénicillinases du Staphylococcus aureus ). Des doses élevées de β-lactamines ou de vancomycine permettent de maintenir des concentrations plasmatiques soutenues audessus de la concentration minimale inhibitrice (CMI) dans le sérum et dans les végétations. Pour les agents dont l’activité bactéricide est dite «dépendante de la concentration» (aminosides), un pic plasmatique élevé doit être favorisé. Toutefois, si l’aminoside n’est utilisé qu’à des fins de synergisme avec d’autres agents envers le S. aureus (telles la cloxacilline ou la vancomycine), des concentrations faibles peuvent suffire (pic plasmatique entre 3 et 4 mg/L). Un sujet controversé est celui des concentrations optimales de gentamicine entraînant une synergie d’activité avec l’ampicilline lors du traitement d’infections à entérocoques. Il est recommandé par plusieurs auteurs, dont l’ American Heart Association, d’administrer la gentamicine à des concentrations faibles, soit un pic plasmatique de 3 mg/L. Toutefois, comme on l’a vu dans le chapitre 45, «Principes d’utilisation des antibiotiques», l’activité bactéricide de cette combinaison augmentera avec les concentrations de gentamicine. De ce fait, si le patient ne répond pas au traitement, il faudra alors augmenter les concentrations de gentamicine.


TRAITEMENT DE L’ADULTE



Traitement empirique


Le traitement empirique est adapté aux germes classiquement rencontrés et aux facteurs de risque identifiés. Avant d’amorcer le traitement empirique, on doit s’assurer qu’au moins trois hémocultures ont été exécutées afin d’identifier l’agent pathogène. Chez les patients porteurs de valves cardiaques qui sont stables au niveau hémodynamique, le traitement devrait être retardé jusqu’à l’identification des pathogènes en cause.

Le traitement empirique de choix est l’association: pénicilline ou ampicilline ou amoxicilline + gentamicine. Une pénicilline résistante aux pénicillinases (ex.: cloxacilline ou oxacilline) est ajoutée dans les cas où des lésions cutanées sont identifiées, car celles-ci représentent une voie d’entrée potentielle du staphylocoque. Dans le cas d’une endocardite à staphylocoque coagulase négatif du fait de l’incidence élevée de résistance à la méthicilline, on doit considérer le micro-organisme comme résistant jusqu’à preuve du contraire et ajuster le traitement en conséquence. Chez les toxicomanes IV et les patients porteurs de valves cardiaques prosthétiques, on doit toujours suspecter une infection à staphylocoque résistant à la méthicilline (SRM). On emploie le même traitement en remplaçant la pénicilline antistaphylocoque par la vancomycine. Il faut aussi ajouter la rifampicine chez ces derniers (Baddour, 2005). Certaines régions particulières peuvent aussi présenter un taux élevé de SRM pour lesquelles la vancomycine devient l’agent empirique à préconiser (Lepelletier, 2006).


Traitement spécifique


Une fois le micro-organisme identifié, l’antibiothérapie est adaptée selon l’antibiogramme, afin de mieux cibler la bactérie en cause. Des lignes directrices de traitement sont publiées et mises à jour régulièrement par l’American Heart Association et l‘European Society of Cardiology (Baddour, 2005; Horstkotte, 2004); elles sont discutées dans les pages qui suivent.


► Endocardites à streptocoques viridans et Streptococcus bovis


Le traitement va dépendre de la sensibilité du streptocoque à la pénicilline (sensible si CMI ≤ 0,12 mg/L, de sensibilité réduite si CMI > 0,12 à ≤ 0,5 mg/L, et résistantes si CMI > 0,5 mg/L) (Baddour, 2005).


• Streptocoques viridans et Streptococcus bovis sensibles à la pénicilline

La pénicilline G ou la ceftriaxone seules sont préférées chez la plupart des patients, particulièrement chez les patients âgés ou à risque de dysfonction rénale (tableau 53.2). La ceftriaxone offre plusieurs avantages. Sa longue demi-vie et son administration IV ou IM permettent l’emploi d’une dose uniquotidienne et le traitement ambulatoire des patients hémodynamiquement stables. Elle permet aussi de diminuer les coûts d’hospitalisation, de temps en personnel professionnel et de matériels nécessaires à l’administration parentérale (Francioli, 1992; Francioli, 1995). La durée de traitement recommandée avec la ceftriaxone est de 4 semaines (Baddour, 2005).



























Tableau 53.2 Traitement de l’endocardite sur valve naturelle causée par streptocoques viridans et Streptococcus bovis sensibles à la pénicilline.
(d’après
Baddour, 2005)
*Attention aux allergies croisées, à employer seulement si l’hypersensibilité à la pénicilline n’est pas de type anaphylactique.
**La vancomycine est réservée pour les patients allergiques ou intolérants aux β-lactamines. Le pic plasmatique de la vancomycine 1 heure après la fin de l’infusion doit être entre 30-45 mg/L et le creux plasmatique doit être de 10-15 mg/L.
(d’après Baddour, 2005)
Antibiotiques Doses et voies d’administration Durée de traitement (semaines)



pénicilline G


ou


ceftriaxone*



200-300 000 U/kg/jour IV en perfusion continue ou toutes les 4-6 heures


2 g IV ou IM une fois par jour



4


4



pénicilline G


ou


ceftriaxone*


et


gentamicine



200-300 000 U/kg/jour IV en perfusion continue ou toutes les 4 heures


2 g IV ou IM une fois par jour


3 mg/kg IV ou IM 1 fois par jour



2


2
Si allergie aux β-lactamines: vancomycine** 30 mg/kg/jour IV, toutes les 12 heures (maximum de 2 g/jour si les concentrations plasmatiques ne sont pas mesurées) 4

La synergie entre la pénicilline ou la ceftriaxone administrée avec la gentamicine permet de stériliser plus rapidement les végétations cardiaques (Fantin, 1992) et de raccourcir de moitié la durée de traitement. Un traitement de deux semaines peut être suffisant avec l’association pénicilline G ou ceftriaxone et gentamicine. Un taux de guérison acceptable peut être atteint avec un traitement uniquotidien de 14 jours incluant la ceftriaxone IV 2 g/jour associée à la nétilmicine 4 mg/kg/jour IV (Francioli, 1995) ou à la gentamicine 3 mg/kg/jour IV (Sexton, 1998). Ce régime est réservé aux endocardites non compliquées chez les patients à faible risque d’effets secondaires aux aminosides. Il ne devrait pas être utilisé chez les patients ayant une infection à l’extérieur du site cardiaque ni chez ceux ayant une clairance à la créatinine < 20 mL/min.


Streptocoques viridans et Streptococcus bovis de sensibilité intermédiaire à la pénicilline

Dans le cas d’une souche de sensibilité intermédiaire (CMI de 0,12 à 0,5 mg/L), une durée de traitement de quatre semaines est préférée avec des doses plus élevées de pénicilline associée à la gentamicine. La gentamicine est administrée pendant les deux premières semaines seulement (tableau 53.3), Lorsque la CMI de pénicilline dépasse 0,5 mg/L, la bactérie est considérée comme résistante et le traitement mis en place est celui d’une endocardite à entérocoque (Baddour, 2005).



















Tableau 53.3 Traitement de l’endocardite sur valve naturelle causée par streptocoques viridans et Streptococcus bovis de sensibilité intermédiaire à la pénicilline
(d’après Baddour, 2005)
* La vancomycine est réservée pour les patients allergiques ou intolérants aux β-lactamines
Antibiotiques Doses et voies d’administration Durée de traitement (semaines)



pénicilline G


ou


ceftriaxone


et


gentamicine



300-400 000 U/kg/j en perfusion continue ou toutes les 4-6 heures


2 g IV ou IM une fois par jour


3 mg/kg IV ou IM 1 fois par jour



4


4


2
vancomycine 30 mg/kg/jour IV, toutes les 12 heures (maximum de 2 g/jour si les concentrations plasmatiques ne sont pas mesurées) 4


► Endocardites à Staphylococcus aureus, Staphylococcus epidermidis et autres


Le tableau 53.4 résume le traitement spécifique de l’endocardite à staphylocoque sur valve naturelle. L’addition de gentamicine pour une courte période est optionnelle, car les avantages cliniques (in vivo) de cet ajout ne surpassent pas les inconvénients de néphrotoxicité (Korzeniowski, 1982). Toutefois, in vitro, l’ajout de gentamicine accélère l’éradication des staphylocoques. La combinaison pour les 3 à 5 premiers jours est donc recommandée (Le, 2003). La céfazoline est une alternative pour les patients intolérants aux pénicillines. Les patients ayant une histoire douteuse d’allergie à la pénicilline devraient être dépistés pour une hypersensibilité par test cutané (Dodek, 1999). La vancomycine est l’alternative pour les patients intolérants aux β-lactamines quoique les résultats thérapeutiques soient sous-optimaux (Levine, 1991). L’incidence croissante d’infections à SRM est un problème très sérieux, considérant l’existence de peu d’alternatives autres que la vancomycine et la daptomycine (Fowler, 2006). En dernier recours, l’utilisation de quinupristinedalfopristine ou linézolide dans l’endocardite à SAMR peut être une option thérapeutique intéressante, mais dont les expériences sont limitées (Richard, 2000; Falagas, 2006). La résistance à la méthicilline implique généralement une résistance à toutes les pénicillines, céphalosporines et carbapénèmes. Lors d’infections nosocomiales, environ 10 à 60% des staphylocoques sont résistants à la méthicilline (Bertrand, 2005; Lepelletier, 2006). Ces taux varient beaucoup d’un pays à l’autre et même d’une institution à un autre. Lorsque le patient ne répond pas rapidement au traitement, certains cliniciens ajoutent la rifampicine à la vancomycine; toutefois, les bénéfices de cet ajout restent à éclaircir puisqu’une étude prospective n’a pu démontrer d’avantage de cette association (Levine, 1991). Ainsi, l’utilisation routinière de la rifampicine dans l’endocardite à staphylocoques sur valve naturelle n’est pas recommandée (Baddour, 2005).























Tableau 53.4 Traitement de l’endocardite sur valve naturelle causée par des staphylocoques
(d’après
Baddour, 2005).
*La nafcilline n’est pas disponible en France. La pénicilline G à 24 MU/jour peut être utilisée dans les rares cas de souches sensibles à la pénicilline (CMI < 0,1 mg/L) ne produisant pas de β-lactamases.
**Ou autre céphalosporine de première génération à dose équivalente.
***Attention aux allergies croisées. Employer seulement si l’hypersensibilité à la pénicilline n’est pas de type anaphylactique.
****Si la souche est résistante à la méthicilline, mais sensible aux aminosides, l’ajout de 3-5 jours de gentamicine peut être envisagé. Le pic plasmatique de la vancomycine 1 heure après la fin de l’infusion doit être entre 30-45 mg/L et le creux plasmatique doit être de 10-15 mg/L.
(d’après Baddour, 2005).
Antibiotiques Doses et voies d’administration Durée de traitement
Staphylocoques sensibles à la méthicilline

Get Clinical Tree app for offline access