13. Traitement de la recto-colite ulcéro-hémorragique et de la maladie de Crohn
Chapitre révisé pour cette édition par:
Bruno Bonaz
Professeur des universités, faculté de médecine de Grenoble, praticien hospitalier gastro-entérologue, CHU de Grenoble, France
Magalie Baudrant
Pharmacien assistante spécialiste, pôle pharmacie CHU de Grenoble, France
Chapitre initialement rédigé par:
Alain Astier
Praticien hospitalier, pharmacien, hôpital Henri-Mondor, Créteil; professeur, pharmacie clinique, Nancy, France
Nos remerciements à
Mehdi Medjoub
pharmacien assistant spécialisé
Cécile Fournel
interne en pharmacie au département de pharmacie du CHU de Besançon, pour la relecture et la révision définitive de ce chapitre.
PLAN DU CHAPITRE
CE QU’IL FAUT RETENIR264
ÉTUDE D’UN CAS CLINIQUE265
Références bibliographiques268
GÉNÉRALITÉS
Ces pathologies sont caractérisées cliniquement par des ulcérations chroniques récurrentes de différents segments du tube digestif. Elles évoluent en général par poussées (crises) survenant après des périodes de rémissions plus ou moins longues. Leur diagnostic est d’exclusion, avec des localisations anatomiques des lésions variées, rendant difficile une classification détaillée. On peut cependant les classer en deux groupes principaux: recto-colite ulcéro-hémorragique (RCUH; également appelée recto-colite chronique hémorragique, Ulcerative Colitis) et maladie de Crohn (MC, Crohn’s Disease). Si la RCUH affecte essentiellement les étages inférieurs du tube digestif (rectum et côlon), la MC peut affecter, de façon discontinue, l’ensemble du tractus digestif: muqueuse buccale, œsophage, estomac, duodénum, iléon et jéjunum. Cependant, la MC peut également affecter le côlon sous la forme de la maladie de Crohn colique. Ces pathologies peuvent être distinguées cliniquement et pathologiquement, ce qui permettra une prise en charge différentielle tant chirurgicalement que médicalement.
La caractéristique inflammatoire des muqueuses induit un tableau clinique impliquant une diarrhée, de la fièvre et des douleurs abdominales. Du fait de l’irritation persistante du tube digestif, les problèmes nutritionnels, de type malabsorption, sont nombreux et feront souvent l’objet d’une prise en charge diététique.
ÉPIDÉMIOLOGIE
L’incidence et la prévalence de ces pathologies varient légèrement d’une étude à l’autre. Ce sont des pathologies assez communes dans les pays développés (Europe, Canada, États-Unis). Les colites hémorragiques, toutes localisations confondues, représentent une incidence de 6 à 8 cas pour 100 000 habitants avec une prévalence de l’ordre de 70 à 150 cas pour 100 000 habitants. La MC semble moins fréquente (incidence: 2/100 000; prévalence: 20 à 40/100 000). Ces pathologies semblent affecter préférentiellement des patients de type caucasien avec une incidence 3 à 6 fois supérieure chez ceux d’origine juive, avec un sex-ratio équilibré. Le pic d’occurrence de ces pathologies est situé entre 15 et 35 ans mais elles peuvent être observées à tous les âges. Une incidence familiale a été démontrée, conduisant à penser à une prédisposition génétique associée à des facteurs d’environnement dans la pathogénie de ces maladies.
ÉTIOLOGIE ET PATHOGÉNIE
Bien que les causes de ces pathologies demeurent largement controversées, plusieurs facteurs communs suggèrent des facteurs étiologiques prédominants: génétiques, infectieux, immunologiques et psychologiques.
La répartition ethnique de ces maladies est en faveur d’une prédisposition génétique. En 2001, des mutations d’un premier gène de susceptibilité CARD15-NOD2, situé sur le chromosome 16, ont été identifiées chez des patients caucasiens atteints de maladie de Crohn. Leur présence semble associée à une atteinte iléale, fibro-sténosante, mais les relations avec le profil évolutif de la maladie et la réponse thérapeutique restent mal connues. D’autres chromosomes sont probablement impliqués dans la maladie de Crohn, notamment les chromosomes 3, 7 et 12. Aucun gène ni marqueur prédictif n’ont été mis en évidence à ce jour dans la RCUH.
Du fait du caractère inflammatoire chronique de ces maladies, des origines infectieuses ont été évoquées. Cependant, bien que certains agents pathogènes soient susceptibles d’entraîner des iléites aiguës, la causalité infectieuse de la RCUH et de la MC n’est pas clairement démontrée. L’importance des manifestations extra-intestinales observées dans ces pathologies digestives (arthrite, péricholangioses), qui peuvent manifester des pathologies autoimmunes, ainsi que l’efficacité thérapeutique certaine d’agents immunosuppresseurs comme l’azathioprine ou la ciclosporine, sont en faveur d’une composante immunologique forte. Certains patients présentent des anticorps circulants aux entérocytes, aux lipopolysaccharides d’Escherichia coli, ainsi qu’à des xénoprotéines, notamment d’origine lactée. Des déficiences en IgA et la présence de complexes immuns locaux ont été évoquées.
Des perturbations de la réponse cellulaire immunitaire sont fréquemment observées (anergie, baisse des lymphocytes T circulants). Il est probable cependant que celles-ci soient plus une conséquence de l’inflammation digestive chronique qu’une composante causale, du fait de leur non-spécificité. Schématiquement on peut donc affirmer que, si des composantes immunologiques sont probablement impliquées dans certaines formes de ces pathologies, une démonstration définitive de leurs rôles reste à faire.
Le rôle du comportement alimentaire et du tabac dans l’apparition de la MC a été discuté. Il a cependant été établi que les patients souffrant de MC avaient une diète plus riche en sucres raffinés que les patients du groupe contrôle. De même, le tabagisme était plus important chez ce type de patients que dans la population générale. Le rôle des radicaux libres d’origine alimentaire semble important, puisque plusieurs médicaments actifs dans ces pathologies possèdent une action antiradicalaire certaine. L’implication de facteurs psychologiques déclenchants et/ou favorisants semble assez bien démontrée. Un stress important, une angoisse ou une dépression favorise l’exacerbation des symptômes et les épisodes de poussées, caractéristiques de ces pathologies. En conséquence, si des facteurs psychologiques ne peuvent être considérés comme responsables de l’origine de ces maladies, ils en modifient certainement l’évolution donc les symptômes et les traitements afférents.
En résumé, on peut affirmer que l’origine de ces pathologies reste obscure. Celle-ci est certainement plurifactorielle. Cependant, suite à une prédisposition génétique, il semble que de nombreux facteurs endogènes ou exogènes, notamment environnementaux, puissent induire l’apparition des symptômes et surtout influer sur leur importance relative, de même que sur l’évolution naturelle de la maladie.
ÉTIOPATHOLOGIE
Recto-colite hémorragique
Dans la RCUH, une inflammation régulière de la muqueuse colique est classiquement observée. Celle-ci est régulière et continue, sans zones saines. L’inflammation est rétrograde, à point de départ rectal (95% des cas) avec une extension régulière mais variable vers le côlon. Ce caractère très distinctif de la MC implique, de façon variable, l’ensemble du tube digestif. La surface de la muqueuse est profondément altérée et ulcérée. La sous-muqueuse est infiltrée de façon diffuse par de nombreux neutrophiles. Des abcès cryptiques sont souvent observés, avec infiltration de ces cryptes par les neutrophiles. Ces abcès sont caractéristiques mais non spécifiques de la RCUH. On note fréquemment des pertes épithéliales avec diminution des cellules productrices du mucus (goblet cells) et un œdème submucosal. Au décours de plusieurs poussées, on note une fibrose submucosale modérée avec des régénérations induisant des plages d’épithélium cryptique irrégulier (figure 13.1; tableau 13.1). Contrairement à la MC, les plans profonds ne sont pas impliqués. Cependant, dans les RCUH sévères, la paroi intestinale peut devenir très fine, avec une muqueuse dénudée dont l’aspect inflammatoire s’étend à la séreuse, pouvant conduire à des perforations.
Figure 13.1 (d’après Misiewicz, 1987). |
Caractéristiques | RCHU | MC |
---|---|---|
Cellules mucoproductrices | Déplétées | Normales |
Abcès cryptiques | Fréquents | Rares |
Architecture glandulaire | Dystrophique | Normale |
Infiltrats lymphocytaires | Uniformes | Par Zones |
Granulomes | Absents | Présents |
Sous-muqueuse | ± Normale | Inflammées |
Musculeuse | Épaissie | Normale |
Le caractère récurrent de l’inflammation conduit à un aspect de chronicité. La fibrose induit une rétraction longitudinale (strictures) avec raccourcissement et perte de l’apparence haustrale, montrant des images radiologiques en «tuyau de pipe». Des pseudo-polypes, liés aux zones régénératrices, forment des protubérances à l’intérieur du lumen. Au long terme, la surface épithéliale montre des caractéristiques de dysplasies avec altérations cellulaires et nucléaires, d’aspect précancéreux, associées à un risque élevé de carcinome, qui peuvent faire discuter une colectomie préventive.
Maladie de Crohn
Dans la MC, et contrairement à la RCUH, une inflammation s’étend à l’ensemble du tube digestif avec des zones de discontinuité. Environ 30% des MC impliquent l’iléon terminal, 30% le côlon seul et 40% une localisation iléocolique (côlon droit). Dans 50% des cas de MC colique, et contrairement à la RCUH, le rectum est sain. Au niveau tissulaire, l’inflammation affecte l’ensemble des plans anatomiques de la paroi intestinale, impliquant le mésentère et les ganglions lymphatiques locaux. Des strictures coliques sont également observées. Cependant, les caractéristiques de l’inflammation sont identiques quelle que soit la localisation.
Microscopiquement, une caractéristique de la MC est la présence d’un granulome inflammatoire, non observé dans la RCUH, ce qui permet un diagnostic différentiel par biopsie coloscopique (figure 13.1; tableau 13.1).
À un stade initial de la maladie, l’iléon terminal apparaît hyperémique avec une paroi œdémateuse et des ganglions mésentériques amollis et rubéfiés. On note souvent une iléite conduisant à une entérite localisée qui évolue souvent favorablement. Bien que les causes de celle-ci puissent être variées, on note la présence de Yersinia enterolitica dans près de 80% des cas.
Dans un stade évolutif, l’aspect macroscopique du tube digestif s’altère de façon caractéristique. La paroi s’épaissit avec une diminution du diamètre du lumen, conduisant à des sténoses caractéristiques affectant tous les étages intestinaux et pouvant aller jusqu’à l’occlusion. Le mésentère est épaissi avec des infiltrations s’étendant sur la surface séreuse «en doigts de gant». Contrairement à la RCUH, la muqueuse reste longtemps peu altérée. À un stade avancé, celle-ci peut cependant présenter un aspect nodulaire traduisant une ulcération initialement de la muqueuse qui s’étend ultérieurement à la sous-muqueuse et à la musculeuse, formant ainsi des canaux intrapariétaux et conduisant à des fissures pariétales et à des fistules. Ces fistules, caractère différentiel avec la RCUH, peuvent impliquer les anses intestinales adjacentes, le côlon, le péritoine ou d’autres organes comme la vessie ou le vagin et même aboucher à la paroi abdominale. On peut observer une inflammation du péritoine péricolique (péricolite). Les altérations transpariétales, séreuses et mésentériques peuvent également conduire à des adhérences des anses intestinales (périduodénite) qui, associées à une réaction fibreuse péritonéale, se traduisent par une masse abdominale palpable.
CLINIQUE
Recto-colite hémorragique
La RCUH se traduit essentiellement par des douleurs abdominales associées à des épisodes de diarrhées sanglantes. Initialement, les selles sont en alternance semi-solides et liquides, faiblement sanglantes et sans signes systémiques. Une fièvre et une perte de poids sont également observées dans les stades plus sévères. À ces stades, les selles sont liquides, contenant du sang non digéré et du pus. On note alors les signes cliniques et biologiques de déshydratation et d’anémie normocytique. L’examen clinique, au stade modéré, est souvent aspécifique avec abdomen distendu. Dans des stades plus avancés, la perte de poids, la déshydratation et les douleurs sont plus évocatrices. Les signes extradigestifs impliquent une arthrose, des signes cutanés et des altérations hépatiques (tableau 13.2).
RCUH | MC | |
---|---|---|
Clinique | ||
Diarrhées | ++ | ++ |
Rectorragies | ++ | + |
Douleurs abdominales | + | ++ |
Fistules | ± | ++ |
Strictures | + | ++ |
Atteintes du grêle | ± | ++ |
Atteintes rectales | +++ | ++ |
Signes extradigestifs | + | + |
Risques de carcinomes | + | ± |
Masse palpable | 0 | ++ |
Pathologie | ||
Atteintes transpariétales | ± | ++ |
Atteintes continues | ++ | 0 |
Atteintes discontinues | 0 | ++ |
Granulomes | 0 | ++ |
Fibroses | ± | ++ |
Fistules | ± | ++ |
Atteintes mésentériques | 0 | ++ |
Atteintes ganglionnaires | 0 | ++ |
Mégacôlon toxique | + | ± |
Les signes biologiques sont ceux associés à la déshydratation et aux pertes électrolytiques par diarrhées profuses et sanglantes et à l’inflammation chronique: hypoalbuminémie, hématocrite abaissé, hypokaliémie, hypocalcémie et hypomagnésémie, augmentation de la VS et de la CRP. Ces paramètres sont d’autant plus altérés que le stade de la maladie est avancé.
L’histoire naturelle est dominée par le caractère poussées/ rémissions et les facteurs externes (prises alimentaires, stress). Il est courant de constater des rémissions d’une année après le syndrome inaugural. La sévérité des symptômes est directement liée au degré d’envahissement rétrograde du rectum, puis du côlon. Un stade mineur, peu symptomatique (rectorragies, ténesme) et sans implications extradigestives, est caractérisé par une atteinte limitée au rectum (recto-proctite ulcérante) ou au rectum et au sigmoïde (recto-sigmoïdite ulcérante). Les stades plus sévères sont caractérisés par un envahissement colique total avec signes extradigestifs. Dans près de 85% des cas, la RCUH reste limitée à un stade mineur ou modéré, ne nécessitant pas de prise en charge lourde (hospitalisation). Dans 15% des cas, l’évolution peut être plus sévère, induisant des douleurs intenses et des diarrhées profuses, véritable urgence médicale, notamment du fait du risque de déshydratation aiguë et de perforation. La dilatation toxique du côlon (mégacôlon toxique) est observée dans un certain nombre de cas.
Une fréquence accrue des carcinomes coliques a été clairement démontrée dans les RCUH sévères.
Maladie de Crohn
Dans la MC la présentation clinique dépend largement du site anatomique impliqué. Dans la MC colique les symptômes impliquent des diarrhées profuses, mais rarement sanglantes et des douleurs abdominales souvent plus intenses que dans la RCUH. Les saignements traduisent en général une extension rectale et une atteinte transpariétale, signes de gravité. Les manifestations systémiques sont plus fréquemment observées dans les localisations coliques que dans les localisations extracoliques (tableau 13.2).
La MC intestinale est plus classiquement observée chez l’adulte jeune qui se présente avec une histoire de fatigue, de perte pondérale, de diarrhées chroniques et de douleurs abdominales. Ces symptômes sont souvent accompagnés de fièvre modérée, perte d’appétit, nausées et vomissements. La localisation des douleurs, limitées ou de type colique, reflète le degré d’envahissement. Les diarrhées sont modérées et peu sanglantes. Le diagnostic différentiel avec une appendicite aiguë est souvent délicat à ce stade.
Le degré d’envahissement peut se traduire par des signes initiaux de fistules, notamment entéro-vésicales. Les signes de dénutrition sont communs à un stade avancé.
Les complications de la MC sont souvent majeures avec:
– obstruction intestinale et occlusion;
– formation de fissures et de fistules;
– fréquence accrue de carcinomes.
Manifestations extra-intestinales de la recto-colite ulcéro-hémorragique et de la maladie de Crohn
De nombreuses manifestations extra-intestinales sont observées lors de ces pathologies. Leur cause est souvent inconnue. On peut ainsi distinguer: les manifestations articulaires, cutanées, hépatiques et de dénutrition.
Manifestations articulaires
Elles sont fréquentes (25% des patients). Elles vont d’une arthralgie banale à des arthrites aiguës, douloureuses. Ces arthrites sont non déformantes, mono- ou polyarticulaires et affectent généralement les coudes, les poignets et les chevilles. Elles sont plus fréquentes dans les localisations coliques que dans celles du grêle. Elles sont non infectieuses, avec liquide de ponction stérile, et les tests d’arthrites spécifiques (anticorps antinucléaires, facteur rhumatoïde, latex-LE) sont négatifs. On observe également des arthrites centrales (spondylarthrite rhumatoïde ankylosante) qui ne sont pas corrélées à l’état inflammatoire du tube digestif. Cette pathologie peut précéder les signes digestifs et est fréquemment associée à la présence d’un antigène HLA-B27. Elle persiste souvent même après un traitement chirurgical et/ou médical induisant une rémission des symptômes digestifs.
Troubles cutanés
Ils sont présents chez 15% des patients et sont plus fréquents en cas d’inflammation colique. Ils corrèlent avec le degré d’inflammation digestif. L’érythème noueux (Erythema nodosum) est en général bénin et guérit sans cicatrices. Une lésion ulcérante, le Pyoderma gangrenosum, affecte le tronc et guérit avec des cicatrices. Les ulcères aphteux de la bouche sont communs chez 10% des patients durant les poussées, puis régressent. Les lésions oculaires sont présentes dans 5% des cas (épisclérite, uvéite). Elles sont souvent sévères et corrèlent avec le degré d’inflammation. Elles régressent après colectomie.
Troubles hépatiques
Ils sont communs. Ces troubles sont, en général, la conséquence d’une pathologie sévère induisant une malnutrition chronique. La néoglucogenèse par la fonte de la masse grasse induit une infiltration graisseuse du foie et une hépatite focale aspécifique avec élévation modérée des transaminases. La carence protéique conduit à des altérations de la synthèse protéique. Les troubles hépatiques peuvent être également le reflet de la corticothérapie, systématiquement employée dans le traitement médical de la RCUH et de la MC. On observe également une péricholangiose non progressive, sans composante clinique avec une faible augmentation des phosphatases alcalines. La cholangiose sclérosante est une complication rare qui résiste aux traitements. Une incidence plus élevée d’une hépatite chronique active, évoluant vers la cirrhose et le carcinome hépatique a été notée.
Manifestations de dénutrition par malabsorption et pertes digestives
Elles sont augmentées et directement corrélées au degré d’atteinte, ainsi qu’à la localisation. Elles sont plus fréquentes en cas d’implication du grêle, lieu d’absorption des nutriments et oligo-éléments. Elles sont surtout de type carence protéique du fait des pertes digestives et de la malabsorption. Les carences vitaminiques s’adressent à la vitamine B12 et aux folates. Associées à une carence martiale par défaut d’absorption, ces carences compliquent l’anémie liée aux pertes digestives. Les pertes électrolytiques chroniques induisent des pathologies de carence (tableau 13.3). La fréquence de l’ostéopénie et de l’ostéoporose potentiellement accentuée par la corticothérapie justifie un dépistage précoce et une prise en charge adaptée. Ces malnutritions sont également compliquées après intervention chirurgicale radicale, type résection étendue du grêle. Elles justifient des mesures de nutrition entérale au long courset/ou parentérale pour mise au repos du tube digestif (préparation à une chirurgie).
Déficits | Pathologies induites |
---|---|
Hypoproteinémie | Œdèmes, retard de croissance |
Zn | Agueusie, dermatoses |
Ca | Ostéoporose, tétanies |
Mg | Tétanies |
Vit K | Troubles de l’hémostase |
Vit C | Scorbut |
Vit B12, Folates, Fe | Anémie |
Cancers et pathologies inflammatoires du tube digestif
Le risque néoplasique concerne essentiellement les cancers colorectaux, de l’intestin grêle et les lymphomes. Les études montrent que le risque de cancer colorectal observé dans la MC de localisation colique et la RCUH sont voisins. Il est estimé à 3% après 10 ans d’évolution de la maladie, 6% à 20 ans et 8% à 30 ans pour la MC. Ce risque justifie la réalisation de coloscopies de dépistage en cas de localisation colique étendue après 8 années d’évolution depuis le diagnostic.
DIAGNOSTIC
Comme dans toute pathologie, un diagnostic précis et une description fine du stade de la maladie permettront de poser les indications adéquates en termes de traitement médical et chirurgical.
Un diagnostic de RCUH ou de MC doit être évoqué devant toute présentation clinique impliquant des diarrhées chroniques, sanglantes ou non, des infections périanales et des douleurs abdominales persistantes. Devant la non-spécificité de symptômes, le diagnostic différentiel doit exclure:
– les hémorroïdes;
– les carcinomes coliques;
– les colites aiguës infectieuses notamment colite pseudo-membraneuse à Clostridium difficile;
– l’amibiase;
– les syndromes de malabsorption;
– les fistules intestinales d’origine non RCUH ou MC;
– les obstructions intestinales non RCUH ou MC.
Les signes biologiques sont peu spécifiques et reflètent ceux liés:
– à l’inflammation chronique;
– aux diarrhées chroniques, sanglantes ou non;
– aux atteintes hépatiques;
– aux dénutritions.
Cependant, après le diagnostic initial, ces signes permettent d’apporter les mesures correctives adéquates, notamment en terme d’équilibre hydroélectrolytique, d’anémie et de déficits par malabsorption.
C’est la radiologie et les explorations endoscopiques qui sont les éléments cardinaux de diagnostic. Schématiquement, un transit baryté permet de visualiser les zones inflammatoires et, par conséquent, de faire un premier diagnostic du fait du caractère loco-régional de la RCUH et plus extensif de certaines localisations de la MC, ainsi que du caractère de continuité (RCUH) ou non (MC) des lésions. Il permettra également d’exclure un carcinome, des polypes, mais aussi de mettre en évidence les différents stades de l’atteinte muqueuse, notamment la stricture intestinale, la présence de pseudo-polypes et d’éventuelles fistules. La sigmoïdoscopie avec biopsie permet d’examiner l’état de la muqueuse et d’en prélever un échantillon qui permettra de prouver et d’expliciter la cause de l’inflammation.
L’uniformité de l’inflammation sera en faveur d’une RCUH. L’examen anatomo-pathologique permettra de différencier RCUH et MC.
Les explorations endoscopiques par voie haute permettront d’explorer des localisations de MC au niveau œsophagien, gastrique et iléo-duodénal.
CRITÈRES DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE
Comme les causes de ces pathologies sont inconnues, le but des traitements sera d’en diminuer les symptômes et les conséquences, notamment en termes de nutrition et de manifestations extra-intestinales, ainsi que de prévenir les poussées et donc d’induire des périodes de rémission les plus longues possibles.
Deux stratégies thérapeutiques sont employées: le traitement médical et le traitement chirurgical.
Globalement, les stratégies sont similaires dans la RCUH et dans la MC et font appel aux mêmes médicaments. La chirurgie sera réservée soit à des complications spécifiques, soit à une réponse insuffisante à un traitement médical agressif. Cependant, la différence essentielle réside dans la plus faible réponse de la MC au traitement médical comparativement à la RCUH, induisant un recours plus fréquent à la chirurgie.
Le traitement médical est toujours proposé d’emblée et variera en fonction de la nécessité de traiter: soit un épisode aigu et d’induire une rémission (traitement d’attaque), soit de maintenir une rémission la plus complète possible (traitement d’entretien). Du fait de la chronicité des pathologies avec poussées, le traitement médical sera instauré en milieu hospitalier et poursuivi en ambulatoire après obtention de la rémission. Ce caractère ambulatoire impliquera donc de façon importante le pharmacien officinal. De plus, les conséquences ambulatoires postcolectomie devront également être prises en charge, notamment en termes d’entretien des stomies, de diététique, voire de support nutritionnel entéral ou parentéral.
Dans les poussées aiguës de RCUH, les traitements médicaux permettent ainsi d’obtenir jusqu’à 90% de rémission. Une mortalité de l’ordre de 5% est observée lors de ces poussées, un stade d’inflammation colique totale, un âge avancé ou la présence d’un mégacôlon toxique étant plus péjoratifs.
Dans la RCUH chronique, une récurrence est observée dans 75% des cas, malgré le traitement médical, et 20 à 25% des patients devront subir un traitement chirurgical (colectomie). Très généralement, la chirurgie entraînera une rémission quasi complète des symptômes.
Dans la MC, la réponse au traitement médical est moins favorable que dans la RCUH. L’efficacité du traitement médical est indépendante de la localisation de l’inflammation. Près de 66% des patients devront subir une intervention chirurgicale au cours de l’évolution de leur maladie. Contrairement à la RCUH, dans laquelle la mortalité est plus observée lors du premier épisode aigu, son risque relatif augmente avec la durée d’évolution de la MC atteignant ainsi près de 10%, malgré une prise en charge chirurgicale. Un indice composite: IAMC (Indice d’activité de la maladie de Crohn) permet de classer la sévérité des formes de MC: forme légère IAMC compris entre 150 et 220, forme modérée IAMC compris entre 220 et 450, forme sévère IAMC supérieur à 450.
TRAITEMENT MÉDICAL
– de réduire l’inflammation locale;
– de traiter les manifestations directement liées (déshydratation, douleurs);
– de traiter les conséquences de la chronicité (carences nutritionnelles, manifestations extradigestives).
Les médicaments employés sont essentiellement antiinflammatoires et immunosuppresseurs (tableau 13.4): corticoïdes, acide 5-aminosalicylique (5-ASA) et dérivés, azathioprine et 6-mercaptopurine, méthotrexate, ciclosporine, anticorps anti-TNF alpha et métronidazole. Les corticoïdes, l’acide 5-aminosalicylique et dérivés ainsi que le métronidazole sont utilisés: soit par voie rectale, soit per os en fonction du stade évolutif et de la localisation des atteintes.
*Pas dans les indications d’AMM à l’exception de l’azathioprine. | |||
DCI | Noms de spécialité | Formes galéniques | Présentation et posologie quotidienne |
---|---|---|---|
Corticoïdes | |||
bétaméthasone phosphate | Betnesol | solution rectale | poche pour lavement 5mg/100mL |
méthylprednisolone acétate | Dépo-Médrol | suspension injectable | 1–2mL (40–80mg), lavement à préparer dans 100–250mL d’eau |
prednisolone acétate | Hydrocortancyl | suspension injectable | 125mg/5mL – 3mL (75mg), lavement à préparer dans 20–120mL de NaCl iso |
comprimés | 5mg; 10–30mg/j per os en deux prises; posologies faibles une seule prise le matin | ||
prednisolone méthanesulfonate | Solupred | comprimés effervescents comprimés orodispersibles | 5,20mg: 10–30mg/j per os en deux prises; posologies faibles une seule prise le matin |
hydrocortisone acétate | Colofoam | mousse rectale 10% | flacon pressurisé de 20g (minimum 14 doses) et un applicateur doseur. 1 application par jour |
budésonide | Entocort, Rafton | comprimés | 3mg- 9mg/j en dose unique pendant 8 semaines le matin |
Anti-inflammatoires locaux | |||
acide 5-aminosalicylique (5-ASA) ou mesalazine | Pentasa | comprimés gastrorésistants | 250, 500mg attaque: 2–4g/j; entretien; 0,75–1g/j |
sachets granulés | 1, 2g attaque: 2–4g/j; entretien; 0,75–1g/j | ||
suppositoires | suppo 1g – RCUH: 1g/j, 2 semaines | ||
suspension rectale | poche 1g/100mL; idem | ||
Rowasa | comprimés gastrorésistants | 250, 500mg, idem Pentasa prévention poussées MC: 1,5–2g/j | |
suppositoires | 500mg – RCUH: 1–1,5g/j, 4 semaines | ||
Fivasa | comprimés gastrorésistants | 400, 800mg, idem Pentasa attaque: 1,6–3,2g/j; entretien; 0,8–1,6g/j prévention poussées MC: 2,4g/j | |
suppositoire | suppo 500mg – RCUH: 1–1,5g/j, 4 semaines | ||
para-aminosalicylate de sodium (4-ASA) | Quadrasa | poudre pour solution rectale | flacon 2g – lavement à préparer dans 20–120mL deNaCl iso |
sulfasalazine | Salazopyrine | comprimés gastrorésistants | 500mg attaque: 4–6g/j; entretien: 2g/j enfant 100–150mg/kg/j (attaque), 50–75mg/kg/j (entretien) |
olsalazine | Dipentum | gélules | 250mg attaque: 1,5–2,0g/j; entretien: 0,75–1,0g/j |
comprimés | 500mg attaque: 1,5–2,0g/j; entretien: 0,75–1,0g/j | ||
Immunosuppresseurs* | |||
azathioprine (AZA) | Imurel, Azathioprine | comprimés | 25mg, 50mg – 1 à 3mg/kg/j |
Injectable | 50mg, 1 à 3mg/kg/j | ||
6-mercatopurine (6-MP) | Purinéthol | comprimés | 50mg, 2,5mg/kg/j |
méthotrexate | Novatrex, Methotrexate | comprimés | 2,5mg – 15 à 30mg par semaine |
Methotrexate Bellon Ledertrexate Metoject | flacon injectable flacon injectable seringue préremplie | 25mg/1mL – 15 à 25mg par semaine 25mg/1mL – 15 à 25mg par semaine 10mg/mL (7,5, 10, 15, 20, 25mg), 15 à 25mg par semaine | |
ciclosporine | Sandimmun, Néoral | capsules molles | 10, 25, 50, 100mg – 10–15mg/kg/j, adapter suivant la ciclosporinémie (100–300ng/mL) |
Anticorps anti-TNF | |||
anticorps anti-TNF | Remicade | flacon injectable | 100mg – 5mg/kg perf IV 2h, renouvelée à semaine 2 et 6 (MC réfractaire fistulisée) |
Humira | seringue préremplie flacon injectable | 40–160mg SC (répartir sites d’injection) suivi de 80mg semaine 2, puis 40mg toutes les 2 semaines | |
Cimzia | flacon injectable | 200mg – 400mg SC S0, S2, S4 puis toutes les 4 semaines | |
Antibiotiques* | |||
métronidazole | Flagyl, Métronidazole | comprimés | 250, 500mg – 0,75–1,5g/j |
solution injectable | poche IV 500mg/100mL, 2,0g/j | ||
ciprofloxacine | Ciflox, Ciprofloxacine | comprimés | 250, 500, 750mg- 1g/j en 2 prises |