39. Traitement de la maladie d’Alzheimer
Christine Fernandez
Praticien hospitalier, pharmacien, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris, France
Christian Derouesné
Professeur, service de neurologie, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris, France
PLAN DU CHAPITRE
Généralités816
CE QU’IL FAUT RETENIR822
ÉTUDE D’UN CAS CLINIQUE823
Références bibliographiques824
INTRODUCTION
Les critères diagnostiques les plus utilisés sont ceux de la NINCDS-ADRDA (National Institute of Neurological and Communication Disorders and Stroke-Alzheimers Disease and Related Disorders Association) (Mac Khann, 1984) mais également ceux du DSM-IV et de l’ICD-10.
La MA représente environ 75% des démences et touche actuellement plus de 350 000 personnes en France. Sa prévalence augmentant avec l’âge, la MA devient un problème de santé publique du fait du vieillissement de la population. L’épidémiologie permet de distinguer deux formes: une forme familiale, transmise sur le mode autosomique dominant pour laquelle le début de la maladie se situe précocement (avant 65 ans) et une forme sporadique, observée surtout après 65 ans.
Le diagnostic souvent tardif, l’approche médicale et sociale insuffisante ainsi que l’absence de traitement curatif sont les principaux écueils à la prise en charge de cette maladie.
GÉNÉRALITÉS
PHYSIOPATHOLOGIE
Deux types d’anomalies histologiques caractérisent la MA:
– les plaques séniles, constituées de dépôts extracellulaires de substance amyloïde (peptide β-A4 ou Aβ) entourées de débris neuronaux. Le peptide β-A4 provient du clivage, en proportions anormales, d’une glycoprotéine transmembranaire, l’APP (Amyloid Precursor Protein);
– les dégénérescences neurofibrillaires, intraneuronales, constituées d’agrégats de protéines tau hyperphosphorylées.
FACTEURS DE RISQUE
La cause de la MA sporadique demeure inconnue.
L’âge et l’existence d’antécédents familiaux de démence sont les deux facteurs de risque les plus couramment rapportés dans les études épidémiologiques (Amouyel, 1998).
Âge
La prévalence de la maladie double tous les 5 ans à partir de 65 ans pour atteindre près de 30% chez les sujets de plus de 85 ans (Richards, 1999).
Antécédents familiaux de démence
En dehors des formes génétiques familiales liées à des mutations des chromosomes 1, 21 et 14, les études génétiques ont montré, dans les formes sporadiques, la présence d’un facteur de risque génétique, la présence d’un ou deux allèles ε4 du gène codant pour l’apolipoprotéine E (Lambert, 1998).
Niveau d’éducation
Plusieurs études ont montré une plus grande fréquence de la maladie chez les sujets de bas niveau d’éducation.
Traumatismes crâniens, maladie de Parkinson
D’une manière générale, tout événement conduisant à une perte neuronale et à une réduction des ressources cérébrales, comme les lésions vasculaires cérébrales associées, constitue un facteur de risque d’apparition de la démence. À l’inverse, la prise d’œstrogènes à visée substitutive chez la femme ou les antécédents de traitements prolongés par anti-inflammatoires non stéroïdiens sembleraient réduire le risque de développement de MA (Stewart, 1997).
D’autres éléments protecteurs ont été suggérés, sans que leur rôle n’ait été clairement défini. Il s’agirait par exemple de la consommation modérée de vin ou de flavonoïdes.
MANIFESTATIONS CLINIQUES ET SIGNES D’APPEL DE LA MALADIE
L’installation de la maladie est lente, débutant entre 50 et 85 ans. Son évolution est progressive. Le début est marqué par:
– des troubles de mémoire qui portent uniquement sur le passé récent et s’accompagnent rapidement d’une désorientation temporelle, puis spatiale. Les troubles retentissent sur l’activité quotidienne et inquiètent la famille qui est, le plus souvent, à l’origine de la consultation car le patient minimise volontiers ses difficultés;
– des modifications du comportement à type de perte de motivation, de repli sur soi, de diminution des réactions affectives (apathie) qui font souvent considérer le patient comme déprimé. Le diagnostic différentiel, au début, peut être difficile avec le déclin cognitif associé au vieillissement physiologique, une dépression et le début d’une autre affection cérébrale dégénérative (Ousset, 1998; Touchon, 1998).
L’évolution se fait vers une dégradation progressive des facultés mentales, une restriction de l’autonomie et des troubles du comportement (anxiété, dépression, agressivité, agitation, manifestations psychotiques, idées délirantes, hallucinations, émoussement affectif).
DIAGNOSTIC
En l’absence de marqueur biologique, le diagnostic de la MA repose essentiellement sur des critères cliniques et reste difficile au début. Les examens paracliniques utiles sont le scanner et l’IRM qui permettent d’éliminer une autre affection cérébrale mais qui fournissent également des éléments en faveur du diagnostic en montrant l’existence d’une atrophie des régions hippocampiques, très évocatrice de la MA.
Le diagnostic différentiel devra s’établir par rapport aux autres types de démence: vasculaires, à corps de Lewy, fronto-temporales, notamment (Richards, 1999).
Les critères cliniques de diagnostic et de suivi de l’évolution sont établis à l’aide d’échelles d’évaluation. De nombreuses échelles ont été mises au point et publiées. Synthétiquement, elles peuvent être divisées en trois catégories: les échelles utilisées pour poser le diagnostic et suivre l’évolution de la maladie, les échelles permettant d’estimer la sévérité de la maladie et les échelles mesurant l’activité des médicaments.
Échelles utilisées pour poser le diagnostic et suivre l’évolution de la maladie
Voir tableau 39.1.
Échelle MMSE | Test de Grober et Buschke |
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Caractéristiques: c’est un test d’efficience intellectuelle globale Utilisation/interprétation: parmi les plus utilisées, cette échelle permet d’évaluer la sévérité du trouble cognitif et de suivre son évolution dans le temps. Le MMSE explore l’orientation temporo-spatiale (date du jour, lieu de la consultation), la mémoire de travail (calcul mental), l’apprentissage (mémorisation de mots), le langage, la praxie constructive (Richards, 1999). | Caractéristiques: ce test consiste en une exploration de la mémoire. Utilisation/interprétation: ce test neuropsychologique permet d’explorer la mémoire en mettant en œuvre le rappel libre, indicé, immédiat et différé. En cas de MA, le rappel libre et le rappel différé sont effondrés et non améliorés par le rappel indicé. |
Échelles permettant d’estimer la sévérité de la maladie (tableau 39.2)
La sévérité de la maladie peut être évaluée:
Échelle CDR | Échelle GDS |
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Caractéristiques: elle mesure l’intensité de la démence et le suivi de son évolution. Utilisation/interprétation: Elle intègre des critères d’évaluation des facultés cognitives (mémoire, orientation, jugement et résolution de problèmes) et une évaluation des capacités nécessaires aux actes de la vie quotidienne (participation à la vie collective, occupations au foyer, soins personnels). Sa cotation varie de 0 pour un sujet normal, 0,5 pour une démence douteuse et 1 à 3 pour les démences légères à sévères. | Caractéristiques: elle recherche des troubles cognitifs et comportementaux. Utilisation/interprétation: elle comporte 7 stades allant du sujet normal (stades 1 et 2) au déficit cognitif léger (stades 3 et 4) jusqu’aux démences légères à sévères (stades 5 à 7). |
– sur des critères cognitifs, comme le score au MMSE: le score varie de 0 à 30, il est d’autant plus bas que l’atteinte est sévère;
– sur la perte d’autonomie évaluée cliniquement par le degré d’aide nécessaire ou par des échelles d’autonomie comme les échelles d’activité de la vie quotidienne (IADL: Instrumental Activities of Daily Living);
– sur des critères mixtes, cognitifs et comportementaux comme dans des échelles telles que la CDR ou la GDS.
Échelles mesurant l’activité des médicaments
Les échelles pour mesurer l’activité des médicaments sont imposées par les autorités d’enregistrement (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, Food and Drug Administration) (tableau 39.3). L’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments spécifie que les études d’efficacité des nouveaux médicaments de la MA doivent comprendre trois évaluations portant sur les aspects cognitifs, fonctionnels globaux et d’activité quotidienne.
Échelle ADAS | Échelles CIBIC et CGIC | Échelle de Lawton et Rody, GERI |
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Elle comprend l’ADAS-cog (ADAS cognitive) et l’ADAS-non cog (ADAS non cognitive) (Rosen, 1984). Caractéristiques: L’ADAS-cog explore la mémoire (reconnaissance d’une liste de mots), le langage (intelligibilité, compréhension, manque du mot et dénomination orale), l’orientation (spatiale et temporelle) et la praxie. L’ADAS-non cog explore les troubles de l’humeur et du comportement. Utilisation/interprétation: le score de l’ADAS-cog varie de 0 à 70 et augmente avec la sévérité de la MA. Une diminution du score témoigne d’une amélioration des fonctions cognitives. Le score de l’ADAS-non cog varie de 0 à 45 points. Un score élevé signe une atteinte grave. | Caractéristiques: intégration de l’impression du clinicien. L’entretien avec un membre de la famille peut être associé. Ils permettent d’évaluer la condition du patient et son évolution sous traitement en explorant l’état cognitif (éveil-alerte-attention-concentration, mémoire, orientation, langage, praxies, jugement), le comportement (humeur, contenu de pensée, activité psychomotrice), les activités quotidiennes. Utilisation/Interprétation: le score est compris entre 1 et 7, correspondant à des résultats positifs, un bénéfice clinique ou une aggravation. | Caractéristiques: échelles d’évaluation des activités quotidiennes. |
MÉDICAMENTS UTILISÉS
Dans la MA, deux types d’altérations donnent lieu à l’instauration d’un traitement médicamenteux: les troubles cognitifs et les troubles non cognitifs associés, qu’ils en soient la conséquence directe ou non. Il s’agit notamment des manifestations dépressives, de l’anxiété, des troubles du sommeil et du comportement (agressivité, psychoses).
Les médicaments actuellement utilisés dans la MA se divisent donc en deux catégories:
– les traitements des troubles cognitifs, comprenant les médicaments spécifiques de la MA et les médicaments non spécifiques (nootropes et médicaments neuroprotecteurs);
– les traitements des troubles non cognitifs, regroupant neuroleptiques, anxiolytiques, sédatifs, etc.
– apport de précurseurs de l’acétylcholine (lécithine, choline);
– stimulation des récepteurs cholinergiques postsynaptiques;
– stimulation des récepteurs cholinergiques après stimulation des récepteurs muscariniques;
– augmentation des taux intrasynaptiques d’acétylcholine par blocage des récepteurs cholinergiques présynaptiques;
– réduction du catabolisme de l’acétylcholine par administration d’inhibiteurs des acétylcholinestérases (Simonson, 1998);
– antagonisme des récepteurs N-méthyl-D-aspartate.
Traitements symptomatiques des troubles cognitifs
► Traitements symptomatiques spécifiques
Les médicaments ayant obtenu une AMM dans cette indication n’ont qu’une action symptomatique: ils retardent la progression et améliorent la sémiologie, mais n’arrêtent pas le processus de dégénérescence.
Ces médicaments appartiennent à deux classes:
– inhibiteurs de la cholinestérase;
– antagonistes des récepteurs du N-méthyl-D-aspartate.
► Inhibiteurs de la cholinestérase
Trois médicaments sont actuellement commercialisés et prescrits en France (Richards, 1999; Knapp, 1999; Jann, 1988, Rogers et al., 1998, Scott and Goa, 2000 and Anonyme, 2005) (tableau 39.4).
DCI | Spécialités | Présentations |
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chlorhydrate de donépézil | Aricept | Comprimés à 5, 10mg |
rivastigmine | Exélon | Gélules à 1,5, 3, 4,5, 6mg |
galantamine | Réminyl | Comprimés à 4, 8, 12mg |
mémantine | Ebixa | Comprimés à 10mg Solution à 10mg/g |
Ces principes actifs augmentent les concentrations intrasynaptiques d’acétylcholine, ce qui sous-entend la présence résiduelle de neurones cholinergiques fonctionnels. Ces médicaments ne seront donc utilisés que dans les formes «légères à modérées» (score MMSE 10 à 26).
La galantamine potentialise également l’action de l’acétylcholine par interaction allostérique sur les récepteurs nicotiniques.
L’effet observé s’estompe progressivement. À l’arrêt du médicament, le niveau des fonctions cognitives redevient identique à celui des patients non traités (Rogers, 1998; Knapp, 1994).
L’incidence des effets indésirables, la maniabilité (nombre de prises quotidiennes, rapidité d’atteinte de la posologie optimale) permettent de réaliser un choix parmi ces quatre médicaments dont l’efficacité est identique.
La différence d’incidence des effets indésirables est liée à leur plus ou moins grande spécificité vis-à-vis de l’acétylcholinestérase, par rapport à la butylcholinestérase ainsi qu’à leur action centrale préférentielle. La toxicité hépatique est le fait de la seule tacrine, ce qui en a pratiquement fait abandonner l’utilisation.