Activités physiques et sportives après prothèse de hanche et de genou
Physical and sporting activities following hip and knee arthroplasty
Introduction
Le remplacement articulaire de la hanche et du genou peut à l’heure actuelle être considéré comme une intervention assurant de manière fiable un soulagement des douleurs et une amélioration de la fonction, avec des résultats en termes de survie des implants régulièrement supérieurs à 95 % à 10 ans. Ce « miracle articulaire », justifiant l’appellation d’« intervention du siècle » pour la prothèse de hanche [28], est allé progressivement de pair avec une demande sans cesse croissante des patients de pratiquer des activités physiques et sportives après la mise en place de la prothèse. Cette demande correspond à une augmentation de l’espérance de vie de la population, à une volonté d’avoir un style de vie actif quel que soit l’âge et l’état articulaire, ainsi qu’à une diminution progressive de l’âge des patients au moment de l’intervention [3,18,48].
En termes de résultat d’une intervention articulaire, la notion de qualité de vie après la prothèse complète, voire remplace progressivement l’analyse objective du résultat telle que couramment réalisée par les scores cliniques [10,21]. Les maladies ostéoarticulaires font partie de celles qui ont l’impact le plus élevé sur la qualité de vie, et le retour à des activités quotidiennes, y compris physiques et sportives, normales permet de renseigner le médecin sur les attentes des patients et le succès de leur traitement [16]. Il a été démontré que l’arthroplastie de hanche ou de genou permettait d’augmenter la mobilité sociale de l’individu, et de garder un style de vie indépendant, tout en contribuant au sentiment psychologique de bien-être [26]. Mainard a ainsi montré qu’il existait une amélioration de la qualité de vie au fur et à mesure du temps, un peu plus rapide d’ailleurs après prothèse de hanche qu’après prothèse de genou, lors de la 1re année postopératoire [30]. Ces nouveaux indicateurs, qualifiés depatient-reported outcomes (PRO), utilisent comme critères de jugement des mesures que rapportent les patients, et ils occupent une place de plus en plus importante pour juger du résultat fonctionnel d’une arthroplastie de hanche ou de genou [16,51].
Une autre approche de l’évaluation des activités physiques et sportives du patient après le remplacement articulaire consiste à demander aux chirurgiens orthopédistes quels sont les conseils qu’ils donnent à leurs patients après la mise en place d’une prothèse de hanche ou de genou [24,25,32,48]. En effet, les chirurgiens orthopédistes sont confrontés à une demande de qualité de résultat fonctionnel après l’arthroplastie qui n’existait pas dans le passé, la demande d’alors étant plus limitée en termes d’activités sportives, ce qui pousse les sociétés savantes à établir de nouvelles recommandations, pas forcément suivies par les patients. Il est par ailleurs connu qu’un exercice régulier améliore les performances cardiovasculaires tout en réduisant la prise de poids et les phénomènes d’anxiété [29], et que la mise en place d’une prothèse de hanche ou de genou peut avoir un impact direct sur ces performances cardiovasculaires [42,43]. Par ailleurs, les activités physiques et sportives des patients peuvent avoir des conséquences directes au niveau de la survie de l’arthroplastie compte tenu des forces accrues s’exerçant au niveau de l’interface os-prothèse, des contraintes majorées au niveau du couple de frottement et du risque majoré de traumatisme.
Cette évaluation des activités physiques et sportives après arthroplastie de hanche et de genou représente donc une vision nouvelle du remplacement articulaire et nécessite une approche multifactorielle. Il s’agit d’un phénomène de société qui sera de plus en présent dans la vie des chirurgiens orthopédistes chargés du remplacement articulaire compte tenu de l’arrivée desbaby boomers à l’heure de la prothèse, avec, pour la période 2010–2030, une prédiction d’augmentation du nombre d’arthroplasties approchant les 170 % pour la hanche et 600 % pour le genou [18].
Impact des activités physiques et sportives sur une prothèse
La prothèse articulaire va permettre aux patients souffrant d’arthrose de hanche et de genou d’améliorer leur activité physique, ce qui va contribuer à améliorer leur qualité de vie ainsi que leur espérance de vie [42,43]. Mais toute augmentation de la cadence de marche, comme celle observée après la mise en place d’une prothèse de hanche [29], va avoir des conséquences au niveau des forces qui vont s’appliquer sur l’articulation remplacée ; ces forces seront encore majorées lorsque le sujet passera de l’activité de marche à celle de course à pied ou de sport avec impact [44,49]. Cet accroissement des forces au niveau de l’interface os-prothèse ainsi qu’au niveau du polyéthylène ou de tout autre couple de frottement peut à moyen ou long terme retentir sur la survie de l’arthroplastie. Kilgus a ainsi montré que le risque de reprise de prothèse de hanche cimentée était multiplié par deux chez les sujets effectuant une activité physique soutenue par rapport aux sujets moins actifs [23]. A contrario, Dubs a retrouvé un taux de révision supérieur (14,3 %) chez les sujets peu actifs par rapport aux sujets participant régulièrement à des activités sportives (1,6 %) après la mise en place d’une prothèse de hanche [12]. Lors d’une étude comparative rigoureuse, Gschwend a comparé deux groupes comprenant chacun 50 patients porteurs de prothèse de hanche avec pour les uns une pratique régulière du ski et pour les autres aucune pratique du ski [15]. Après 10 ans, les taux de révision étaient comparables dans les deux groupes (6 % et 8 % respectivement) ; en revanche, le taux moyen d’usure du polyéthylène était supérieur dans le groupe de patients pratiquant le ski (2,1 mm) par rapport au groupe contrôle (1,5 mm).
Il est en effet important de considérer l’effet des activités sportives sur l’usure des surfaces portantes lors d’activités en charge. Schmalzried a montré que l’activité physique pouvait augmenter l’usure du polyéthylène et conduire à l’échec de l’arthroplastie, avec, pour un sujet de 75 kg, 1 million de cycles d’utilisation de la prothèse pouvant générer une usure volumétrique de 30 mm3 [45]. L’analyse biomécanique in vitro de différentes activités sportives telles que le vélo, la marche, l’escalade ou la course à pied et leur impact sur le polyéthylène de différents plateaux de prothèses de genou a mis en évidence un effet globalement négatif avec des niveaux de contraintes néanmoins légèrement inférieurs pour la marche rapide et le vélo [25]. C’est lors d’activités telles que l’escalade et le jogging, où peuvent se produire des contraintes en charge entre 40° et 60° de flexion, que la pression sur le polyéthylène d’une prothèse de genou est souvent la plus importante compte tenu de la diminution de la congruence pour de nombreux dessins prothétiques [25].
L’équipe de Colwell a pu mesurer les contraintes depuis « l’intérieur » d’une prothèse de genou chez un patient pratiquant différentes activités physiques et sportives, retrouvant respectivement des contraintes égales à : 1,3 fois le poids du corps pour le vélo, 2,6 pour la marche, 3,3 en moyenne pour le tennis, 4,3 pour le jogging et enfin, de manière surprenante, de 3,2 à 4,5 pour le golf selon s’il s’agit du membre opposé ou du membre dominant [8]. Il faut néanmoins considérer ces résultats à la fois en termes de pics de contraintes mais aussi en termes de fréquence de survenue de ces contraintes avant de porter un jugement négatif sur telle ou telle activité sportive chez un patient porteur de prothèse. Compte tenu du nombre important de golfeurs capables de retourner sur les greens et fairways et du fait que ce sport n’ait jamais été considéré comme à risque pour les implants, il faut probablement considérer que le nombre de swings source de pics de contraintes importants est très limité par rapport aux nombres d’impacts survenant lors de la course à pied [22,48]. C’est la raison pour laquelle il est souvent difficile d’évaluer correctement la pertinence d’études rapportant les sports pratiqués par des patients porteurs de prothèse sans connaître avec quelle fréquence ils pratiquent ces sports et quelle est la durée de chaque activité sportive considérée. Le type d’activité physique et son intensité, plus que l’effet du temps, vont contribuer à générer des débris d’usure, eux-mêmes sources d’ostéolyse secondaire [46].
À côté des facteurs liés au patient ou à son activité, et des facteurs liés aux implants eux-mêmes existent des facteurs liés à l’acte chirurgical et à la position des pièces prothétiques. Nous avons étudié en laboratoire un modèle mathématique permettant de calculer la distribution des contraintes au niveau des surfaces articulaires d’une arthroplastie de hanche lors d’activités physiques telles que la marche ou la course à pied [44]. Dans ce modèle, la prothèse de hanche a été modélisée avec une tête prothétique rigide et une cupule en polyéthylène. Les contraintes maximales étaient globalement constantes pour des inclinaisons de cupule comprises entre 0° et 35° mais, lors de la marche, elles étaient significativement augmentées pour des inclinaisons comprises entre 35° et 65° [44]. Lors de la course à pied, à la fois l’orientation et l’importance de la force résultante étaient modifiées et les contraintes étaient multipliées par deux par rapport à la marche. Il faut noter que lors de la construction du modèle, plusieurs simplifications ont été nécessaires, telles que l’absence de friction entre la tête et la cupule, et aussi l’absence de prise en compte du film de fluide intermédiaire présent in vivo entre tête et cupule. Néanmoins ce modèle, malgré les limites énoncées précédemment, permettra d’analyser les facteurs liés aux implants (clairance, épaisseur de l’insert, couple de frottement), à l’acte chirurgical (orientation des pièces) et au patient (activités physiques).
Outils d’évaluation des activités physiques et sportives après prothèse
Une évaluation de la fonction est intégrée dans les scores classiques tels que les scores PMA (Postel Merle d’Aubigné) et de Harris pour la hanche et le score de la Knee Society pour le genou [21]. Cependant, pour répondre à cette évolution des attentes des patients et selon un principe ancien déjà énoncé par Socrate : « J’attache plus de prix à la qualité de ma vie qu’au nombre de jours qu’elle a pu compter », des outils de qualité de vie liée à la santé (QVLS) ont été développés. L’idée princeps de ce type d’analyse est la suivante : « Au lieu de décider ce qui est bon pour les patients, demandons-le-leur. » C’est le principe de base des outils d’évaluation appelés« patient-reported outcomes » (PRO). Ces PRO sont les outils les plus utilisés dans l’évaluation de la pratique sportive après prothèse [16]. L’étape préalable à l’acceptation de ces concepts est la validation d’outils de mesure adaptés et dotés de propriétés métrologiques, acceptés et reconnus, assurant une solution technologique alternative au jugement subjectif du patient ou du chirurgien. Les mesures sont obtenues à partir de l’analyse des réponses des sujets à un questionnaire standardisé. Les indicateurs ou mesures de QVLS permettent, grâce à l’élaboration et à la validation d’un questionnaire, une mesure standardisée de l’état de santé perçue. Grâce à un algorithme des scores, des valeurs sont attribuées à chacun des états de vie décrits par le questionnaire. On oppose classiquement les instruments génériques aux instruments spécifiques.
Pour être encore plus précis dans l’analyse, notamment et initialement pour les sujets jeunes, sportifs, opérés du ligament croisé antérieur (LCA) ou du ménisque, le KOOS et le HOOS pour Knee ou Hip Osteoarthritis Outcome Score ont été développés par Eva Roos en Suède. Ces scores, qui sont des extensions du score de WOMAC, ont ensuite été validés pour les patients porteurs de prothèse. Ils comprennent cinq sous-catégories : douleur, raideur, fonction pendant les activités de la vie quotidienne, sport et qualité de vie relative. La méthode est la suivante : pour chaque question, une valeur de 0 à 4 est assignée à la réponse (aucune = 0, légère = 1 ; modérée = 2 ; sévère = 3 et extrême = 4), toujours dans cet ordre (figure 1). Ensuite, pour chaque sous-catégorie, la somme des points est calculée puis divisée par le maximum de points qu’il est possible d’obtenir dans chacune des catégories. Le score est ensuite normalisé pour qu’un score de 100 corresponde à un genou normal et un score de 0 à un mauvais résultat. Ce score permet d’obtenir une vision précise du type de gêne fonctionnelle ressentie par le patient et de son impact sur sa qualité de vie. Il est très adapté aux sujets actifs. Nous avons réalisé les validations transculturelles des versions françaises du KOOS et du HOOS [39,40]. Il existe également une version réduite de ces scores, le KOOS-PS et le HOOS-PS, comprenant sept items, validée en français, qui est encore plus simple et plus rapide d’utilisation. Tous ces scores sont gratuits et disponibles en ligne avec la grille de calcul de score sur le sitewww.koos.nu.