adulte

Les luxations invétérées de l’épaule


Locked shoulder dislocation



imageE. Vandenbussche1, 1 Service de chirurgie orthopédique et traumatologique, hôpital européen Georges-Pompidou, université René-Descartes, 20, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15.




Summary


Chronic dislocation of the shoulder, either anterior or posterior, is a rare entity which always poses diagnostic and therapeutic problems. Various denominations are used in literature. Chronic dislocation is typically characterized as a dislocation that has not been reduced within three weeks.


Although anterior dislocation presents with typical clinical and radiological features, it may still be overlooked, especially in psychiatric or geriatric patients. Early diagnosis of chronic posterior dislocation is much more difficult. Despite ongoing pedagogic efforts, posterior dislocation is still not recognized in up to two thirds of the cases despite a suggestive history, owing to the lack of an appropriate clinical assessment and/or because of inappropriate radiological investigations. The probability to achieve success with conservative management rapidly drops after the first three weeks and most inveterate dislocation have to be managed differently.


There are different treatment options, from “careful neglect” which may be the reasonable option in certain cases, to anatomic total shoulder arthroplasty, reverse prosthesis or various surgical procedures aiming to stabilise the shoulder after its relocation. The best treatment is based on prevention : all shoulder dislocations should be recognised early.



Introduction


Les luxations glénohumérales découvertes tardivement, qu’elles soient antérieures ou postérieures, sont extrêmement rares en pratique quotidienne. Un chirurgien orthopédiste n’y est confronté que dans un très petit nombre de cas durant sa carrière. De plus, ces luxations invétérées soulèvent toujours en 2010 des problèmes nosologiques, diagnostiques et thérapeutiques.


Leur dénomination n’a jamais été précise et définitive. La terminologie rencontrée dans la littérature est assez polymorphe, incluant pour les francophones les termes de luxations « anciennes », « vieilles », « méconnues », « chroniques », « fixées », « négligées », « irréductibles » ou « invétérées ». Ce dernier terme est celui que nous avons retenu, car il est le plus couramment consacré, issu étymologiquement du verbe latin veterare qui signifie « enraciner avec le temps » ou « conserver longtemps ». Pour les Anglo-Saxons, les synonymes rencontrés sont « chronic unreduced dislocation », « old dislocation », « locked dislocation », « fixed dislocation », « unrecognized dislocation », « ancient dislocation » ou encore « missed dislocation ».


De même la définition, c’est-à-dire le délai d’ancienneté faisant basculer la luxation aiguë au stade de luxation invétérée, n’est pas strictement définie dans la littérature et reste assez arbitraire. Selon les auteurs, ce délai peut aller de 1 j à plusieurs semaines. Un certain consensus semble toutefois être établi pour retenir le terme de luxation « invétérée » en cas de luxation non réduite après la 3e semaine, qu’elle soit antérieure ou postérieure [19,50,81]. Ce délai correspond schématiquement au moment où les chances de réduction orthopédique s’amenuisent très fortement [84]. Il a même été proposé de subdiviser les luxations chroniques en précoces (de 1 à 3 semaines), tardives (de 3 à 12 semaines) et anciennes (au-delà de 12 semaines) [46], selon le moment du diagnostic par rapport à la luxation, ce qui rajoute involontairement un nouveau degré de confusion terminologique.


Le diagnostic peut passer inaperçu même pour les luxations invétérées antérieures (LIA), malgré des aspects cliniques et radiographiques caractéristiques connus de tous. Il est beaucoup plus difficile pour les luxations invétérées postérieures (LIP). Malgré les efforts pédagogiques, la luxation initiale reste méconnue jusque dans les deux tiers des cas, malgré des circonstances souvent évocatrices, en raison d’un examen clinique mal conduit et d’une imagerie mal orientée.


Les propositions thérapeutiques ont été très nombreuses, allant de l’abstention simple à l’arthroplastie totale de l’épaule anatomique, voire inversée. Les publications sur les luxations invétérées de l’épaule sont rares avec souvent des séries très courtes en nombre et en recul, n’utilisant pas les mêmes critères de révision, d’analyse peu aisée, et mélangeant parfois luxations et fractures-luxations.


La luxation invétérée, qu’elle soit antérieure ou postérieure, peut en effet être associée ou non à une fracture de l’extrémité proximale de l’humérus. Pour des raisons didactiques, ces fracture-luxations anciennes ne seront pas étudiées dans cet exposé. Ces fractures séparant la tête de la diaphyse, le plus souvent céphalotubérositaires, requièrent une approche diagnostique et un traitement chirurgical différent, discutant l’ostéosynthèse ou l’arthroplastie selon l’âge du patient et la vascularisation résiduelle supposée de la tête humérale. En revanche, les fractures communes lors des luxations antérieures anciennes, comme celle du trochiter ou de la glène, seront discutées.



Luxations invétérées antérieures


Les LIA sont un peu moins fréquentes que les LIP, de l’ordre de un tiers pour deux tiers respectivement, même si dans certaines séries de la littérature [46,81,84] leur nombre est parfois plus élevé que celui des LIP. La prédominance masculine [46,63] est moindre que dans les LIP.


Elles touchent volontiers des patients plus âgés, aux exigences fonctionnelles moindres, que les LIP. L’âge moyen est en fait variable selon les séries : 66 ans pour Matsoukis [66], 64 ans pour Katz [56] mais 45 ans pour Goga [46] et 39 ans pour Mansat [63]. Bien que la plainte principale soit un déficit fonctionnel, la luxation est parfois assez bien tolérée, ce qui explique d’ailleurs la méconnaissance fréquente de la lésion.




Anatomopathologie



Lésions osseuses








Lésions des parties molles







Traitement






Réduction sanglante avec butée osseuse


Il peut s’agir d’un greffon costal armé par une broche selon Gosset [76] ou, plus classiquement, d’une butée préglénoïdienne vissée selon Latarjet [17]. Goga protège la butée de Latarjet par un brochage acromiohuméral pendant 4 semaines [46]. Gerber a proposé d’y associer un comblement de la perte de substance osseuse humérale par une allogreffe [45].





Arthrodèse


L’arthrodèse [46] était une solution qui ne souffre plus la comparaison avec les arthroplasties.




Prothèse totale d’épaule anatomique


Son problème essentiel est une instabilité antérieure résiduelle potentielle. Pritchett a rapporté 4 cas de prothèse pour luxation chronique, dont 2 totales [78] avec des résultats bons et moyens. Flatow en a rapporté 8 cas (avec 1 cas d’hémiarthroplastie), avec des résultats excellents ou bons [38]. Matsoukis en a rapporté 4 cas (avec 7 hémiarthroplasties), avec un score de Constant qui est passé de 21 à 46, et 4 instabilités antérieures postopératoires nécessitant deux reprises [65].




Indications


Les critères de décision principaux sont en premier lieu l’ancienneté de la luxation, l’âge, mais aussi l’état de la glène qui peut être fracturée, une éventuelle atteinte du nerf axillaire et surtout l’état de la coiffe des rotateurs. Ils permettent de choisir selon les cas l’abstention, la réduction orthopédique, la réduction sanglante avec stabilisation ou l’arthroplastie.


La réduction orthopédique d’une LIA n’est possible que jusqu’à la 6e semaine après le traumatisme initial. Elle doit être très prudente en raison du risque fracturaire majeur. Elle n’a été possible que dans 1 cas (au 15e jour) sur 31 cas pour Goga [46]. Pour Schultz [84], elle l’a été au contraire dans deux tiers des cas avant 4 semaines et seulement 1 fois sur 10 après la 4e semaine. Au-delà, et aussi en cas de lésion associée du nerf axillaire, se discute avant tout l’abstention thérapeutique, ce que prônaient déjà les séries les plus anciennes. L’abandon de l’épaule en position de luxation représentait encore un tiers des indications pour Goga [46].


Communément acceptable chez un sujet âgé ayant une faible demande fonctionnelle, elle est en revanche mal tolérée chez le sujet jeune et actif, où la réduction sanglante par voie deltopectorale suivie de stabilisation est la règle dans les séries les plus récentes. Les techniques proposées sont variées et leur analyse est difficile car les séries sont extrêmement courtes. Perniceni a rapporté 3 cas de réduction sanglante suivie de butée par greffe costale [76] avec de bons résultats. Bassey a rapporté 4 cas de réduction sanglante suivie d’intervention de Bankart, avec 50 % seulement de bons résultats [5]. Mansat a rapporté 5 cas de réduction sanglante suivie de Bankart [63] avec 1 résultat excellent, 3 bons et 1 mauvais. Chen a rapporté 3 cas de réduction sanglante suivie de butée selon Latarjet [17] avec un résultat excellent, un bon et un moyen. Goga a rapporté 10 cas de butée selon Latarjet protégée par brochage acromiohuméral [46], avec 8 résultats excellents ou bons sur 10 cas. Il a insisté sur la relative urgence à opérer ces lésions qui vieillissent très vite. Gerber a rapporté 4 résultats satisfaisants de butée selon Latarjet, avec comblement de la perte de substance osseuse humérale par allogreffe [45].


L’alternative, surtout chez le sujet âgé, est le remplacement prothétique, par prothèse humérale simple ou totale anatomique, voire inversée. La voie d’abord est supérolatérale pour certains, ce qui faciliterait l’exposition de la glène, mais plus communément deltopectorale. Sur un patient installé idéalement en « beach chair position », la section du tendon subscapularis à 1 cm de son insertion, ou une ostéotomie de son insertion sur le trochin, permet une arthrolyse extensive antérieure, inférieure puis postérieure qui est la clé de la libération articulaire, avec ouverture de l’intervalle des rotateurs, section du ligament coracohuméral, puis excision des tissus mous interposés dans l’articulation. L’arthroplastie est systématiquement indiquée pour Flatow après le 6e mois [38], ce que conteste Mansat qui a rapporté 2 résultats conservateurs satisfaisants à 24 et 36 mois de la luxation [63].


Pritchett a rapporté 4 cas d’arthroplastie dont 2 totales [78], Flatow a rapporté 9 cas d’arthroplastie [38], Matsoukis a rapporté 11 cas d’arthroplastie [66] avec des résultats moyens ou mauvais, en raison de luxations antérieures ou descellements de glène en cas de totalisation. À la SOO (Société d’orthopédie de l’Ouest) en 2005, Katz a rapporté 3 luxations antérieures sur 7 prothèses [56]. Les meilleurs résultats de sa série de 7 prothèses pour LIA étaient ceux des 3 prothèses totales inversées pratiquées chez des sujets de plus de 70 ans [56], qui avaient, avec une flexion à 123°, un score de Constant à 56 et un score pondéré à 84. En pratique, chez le sujet âgé, il faut rechercher systématiquement une rupture de coiffe par IRM ou arthroscanner, qui renseigne mieux sur le capital osseux. Sur ce terrain, la tendance actuelle est de proposer une arthroplastie totale inversée qui semble la plus fiable car elle minimise le risque de récidive de la luxation antérieure. Ainsi, au vu des résultats des séries de 6 cas de Cortes et de ses 5 cas, Neyton [71] a proposé au-delà de 65 ans la prothèse inversée plutôt que la prothèse anatomique ou l’hémiarthroplastie, en raison de meilleurs résultats fonctionnels et d’une stabilité prothétique supérieure.



Complications






Luxations invétérées postérieures


Ce sont les plus fréquentes des luxations anciennes (deux tiers de LIP pour un tiers de LIA). Les LIP intéressent une population plus masculine, avec un ratio homme/femme de 2,13 : 1 [16], et souvent plus jeune, en majorité de 35 à 55 ans [80], que les LIA.


La forme invétérée constitue la plus fréquente des formes cliniques de luxations postérieures de l’épaule. En effet, si moins de 3 % des luxations sont postérieures [80], beaucoup sont négligées lors de l’examen initial. Malgré un enseignement médical orienté depuis près de 60 ans [14], la luxation postérieure est méconnue dans 50 % à près de deux tiers des cas [33,42,43,50]. Cette méconnaissance a été relevée dans 61 % des 36 cas de Checchia [16], dans 79 % des 22 cas de Rowe [81] et même dans 87 % des 24 cas d’une thèse croate [32].


Des luxations postérieures peuvent même, de façon surprenante, être méconnues chez des patients opérés d’une fracture diaphysaire humérale associée par enclouage antérograde : Singh en a rapporté 3 cas en 2009 [87].



Étiologies


Les étiologies sont comparables à celles des luxations récentes, avec une plus forte proportion de crises convulsives.


Elles surviennent en effet :


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Jul 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on adulte

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