L’iatrogénie médicamenteuse

2. L’iatrogénie médicamenteuse

quels enjeux pour la pharmacie clinique ?

Chapitre révisé pour cette édition par


Pierrick Bedouch


Chargé d’enseignement en pharmacie clinique, pharmacien praticien hospitalier CHU de Grenoble, France

Benoît Allenet


Maître de conférences en pharmacie clinique, pharmacien praticien hospitalier CHU de Grenoble, France

Jean Calop


Professeur de pharmacie clinique, UFR de pharmacie de Grenoble, praticien hospitalier-chef du département pharmacie, CHU de Grenoble, France

Remerciements: Nous remercions Etienne Schmitt, praticien hospitalier du service de pharmacie de l’EPSM Montperrin d’Aix en Provence, pour sa relecture en sa qualité de coordonnateur de la rédaction du Dictionnaire de l’erreur médicamenteuse de la SFPC ainsi que les auteurs de cet ouvrage: D. Antier (Tours), C. Bernheim (Paris), E. Dufay (Lunéville), M.-C. Husson (Le Kremlin-Bicêtre), E. Tissot (Besançon-Novillars).


Chapitre initialement rédigé par


Frédéric Grain


Pharmacien assistant spécialiste, hôpital René Muret-Bigottini, Sevran, France

Delphine Schmitt


Assistante spécialiste, CHU de Grenoble, France

Saleh Amro


Pharmacien doctorant, service de pharmacie clinique, CHU de Grenoble, France


PLAN DU CHAPITRE







Iatrogénie médicamenteuse10


Effet indésirable d’un médicament (EFI)10




Effet indésirable grave10


Effet indésirable inattendu11


Erreur médicamenteuse (EM)11


Événement indésirable médicamenteux (ou événement iatrogène médicamenteux) (EIM)11


Épidémiologie de l’iatrogénie médicamenteuse12


Quel impact du service rendu par le pharmacien clinicien ?13




Réduction de la morbimortalité liée à l’iatrogénie médicamenteuse13




Analyse pharmaceutique des prescriptions et interventions pharmaceutiques14


Participation du pharmacien clinicien à la visite de service des médecins14


Établissement de l’historique médicamenteux15


Conseil au patient et éducation thérapeutique15


Réduction des coûts15


Acceptabilité des propositions faites par les pharmaciens cliniciens16


Conclusion17


Références bibliographiques17


L’évolution de la médecine moderne est étroitement liée aux progrès des thérapeutiques médicamenteuses. Néanmoins, l’usage des médicaments n’est pas sans risque et l’on parle d’iatrogénie médicamenteuse lorsque la thérapeutique médicamenteuse induit des effets, réactions, événements ou accidents indésirables, tant en raison des effets propres des médicaments concernés qu’à cause du contexte et des modalités de leur utilisation. L’iatrogénie médicamenteuse représente un problème majeur de santé publique bien connu des pharmaciens depuis de nombreuses années, mais longtemps ignoré, en France notamment. Toutefois, cette situation change. Les pouvoirs publics ont fait de la lutte contre l’iatrogénie médicamenteuse un des objectifs de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. L’assurance-maladie, après avoir mené avec un relatif succès la campagne pour un meilleur usage des antibiotiques, s’engage dans la prévention du risque médicamenteux évitable, en sensibilisant les assurés et en accompagnant les médecins (Assurance-maladie, 2006a). Cette action répond aussi à une demande croissante d’information des Français, comme le montre une enquête réalisée par téléphone auprès d’un échantillon de 1 000 personnes en mai 2006 (Assurance-maladie, 2006b). Cette enquête révèle que près d’un Français sur deux (47%) considère «plus qu’auparavant» les médicaments comme des produits «qui exigent certaines précautions» et qui «présentent certains risques». Cette prudence s’enracine dans le vécu des Français, puisque 42% déclarent avoir connu des effets indésirables liés à des médicaments, soit personnellement (18%), soit dans leur entourage (24%). L’enquête met également en évidence que les Français sont prêts à changer de comportement vis-à-vis du médicament, mais sont en attente d’informations et de conseils sur les médicaments. Ils citent le médecin et le pharmacien comme les plus à même de fournir des informations sur la bonne utilisation des médicaments (respectivement 87 et 62%).

Le rôle du pharmacien clinicien est de mettre en sécurité le patient puis d’optimiser sa thérapeutique. Afin de pouvoir assurer efficacement sa première mission, le pharmacien clinicien doit dans un premier temps comprendre et faire sienne cette problématique.

Ainsi, nous présenterons les définitions indispensables à la compréhension de l’iatrogénie médicamenteuse avant de faire la synthèse des différentes données épidémiologiques disponibles dans ce domaine. Enfin, nous abordons l’impact de la pratique de pharmacie clinique sur la sécurité des traitements médicamenteux.


DÉFINITIONS


Les définitions proposées ci-dessous sont issues du Dictionnaire français de l’erreur médicamenteuse élaboré sous l’égide de la Société française de pharmacie clinique (SFPC) et initié par l’Association pour l’assurance qualité en thérapeutique et l’évaluation (AAQTE) (Schmitt, 2006). Cet ouvrage diffusé librement par la SFPC a été développé selon une méthode rigoureuse, ce qui lui permet de faire autorité dans ce domaine.


IATROGÉNIE MÉDICAMENTEUSE


Le terme «iatrogénie» provient du grec iatros = médecin et génos = origine, causes. Il signifie donc «qui est provoqué par le médecin» (Calop, 1999).

Par extension, l’iatrogénie médicamenteuse correspond à la pathologie ou toute manifestation clinique indésirable pour le patient induite par l’administration d’un ou plusieurs médicaments.


EFFET INDÉSIRABLE D’UN MÉDICAMENT (EFI) (figure 2.1)


L’effet indésirable est, selon la définition commune à l’Organisation mondiale de la santé et à la Communauté Européenne, une réaction nocive et non voulue à un médicament, se produisant aux posologies normalement utilisées chez l’homme pour la prophylaxie, le diagnostic ou le traitement d’une maladie ou pour la restauration, la correction ou la modification d’une fonction physiologique. La définition française (décret n° 99-278 du 13 mars 1995 puis décret n° 2004-99 du 29 janvier 2004) rajoute l’expression: «ou résultant d’un mésusage du médicament ou produit».








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Figure 2.1
Les effets indésirables des médicaments.

(d’après Dictionnaire français de l’erreur médicamenteuse – SFPC, 2006)

Le terme anglo-saxon correspondant est Adverse Drug Reaction (ADR).

Exemple: hypotension orthostatique chez un malade traité par antidépresseur imipraminique.


Effet indésirable grave


Un effet indésirable grave est un effet indésirable létal, ou susceptible de mettre la vie en danger, ou entraînant une invalidité ou une incapacité importantes ou durables, ou provoquant ou prolongeant une hospitalisation, ou se manifestant par une anomalie ou une malformation congénitale (article R. 5121-153 du code de la santé publique, mis en conformité à la directive 2000/38/CE du 5 juin 2000 par le décret n° 2004-99 du 29 janvier 2004 relatif à la pharmacovigilance).



Effet indésirable inattendu


Un effet indésirable inattendu est un effet indésirable dont la nature, la sévérité ou l’évolution ne correspondent pas aux informations contenues dans le résumé des caractéristiques du produit mentionné à l’article R. 5128 (article R. 5121-153 du code de la santé publique).

Exemple: hémorragie intracrânienne chez un malade VIH positif traité par Tipranavir, un inhibiteur non peptidique de la protéase, quelque mois après la commercialisation de ce nouveau traitement.


ERREUR MÉDICAMENTEUSE (EM) (Figure 2.2)


L’erreur médicamenteuse est définie comme un écart par rapport à ce qui aurait dû être fait au cours de la prise en charge thérapeutique médicamenteuse du patient. L’erreur médicamenteuse représente l’omission ou la réalisation non intentionnelle d’un acte relatif à un médicament, qui peut être à l’origine d’un risque ou d’un événement indésirable pour le patient.








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Figure 2.2
Les erreurs médicamenteuses.

(d’après Dictionnaire français de l’erreur médicamenteuse – SFPC, 2006)

Par définition, l’erreur médicamenteuse est évitable car elle manifeste ce qui aurait dû être fait et qui ne l’a pas été, au cours de la prise en charge thérapeutique médicamenteuse d’un patient. L’erreur médicamenteuse peut concerner une ou plusieurs étapes du circuit du médicament, telles que: sélection au livret du médicament, prescription, dispensation, analyse des ordonnances, préparation galénique, stockage, délivrance, administration, information, suivi thérapeutique, défaut de prise du médicament par le patient; mais aussi ses interfaces, telles que les transmissions ou les transcriptions.

Le terme anglo-saxon correspondant est Medication Error (ME).

Exemple: patient traité au long cours par coumadine (antivitamine K) en situation de sous-dosage non détecté par absence de surveillance de l’INR (International Normalized Ratio) d’où un risque thromboembolique majeur.

L’erreur médicamenteuse peut être avérée ou potentielle:




– une erreur médicamenteuse avérée s’est effectivement produite et est parvenue jusqu’au patient sans avoir été interceptée;


– une erreur médicamenteuse potentielle a été détectée et interceptée par un professionnel de santé, un patient ou son entourage avant l’administration du médicament au patient.


ÉVÉNEMENT INDÉSIRABLE MÉDICAMENTEUX (OU ÉVÉNEMENT IATROGÈNE MÉDICAMENTEUX) (EIM) (Figure 2.3)


L’événement indésirable médicamenteux est un dommage survenant chez le patient, lié à sa prise en charge médicamenteuse et résultant de soins appropriés, de soins inadaptés ou d’un déficit de soins.








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Figure 2.3
Les événements indésirables médicamenteux.

(d’après Dictionnaire français de l’erreur médicamenteuse – SFPC, 2006)

L’événement indésirable médicamenteux peut se traduire, notamment: par l’aggravation de la pathologie existante, l’absence d’amélioration attendue de l’état de santé, la survenue d’une pathologie nouvelle ou prévenue, l’altération d’une fonction de l’organisme, une réaction nocive due à la prise d’un médicament.

Cet événement indésirable médicamenteux peut provenir d’une erreur médicamenteuse ou d’un effet indésirable. Lorsqu’un événement indésirable médicamenteux s’avère secondaire à une erreur médicamenteuse, il est considéré comme évitable.

Le terme anglo-saxon correspondant est Adverse Drug Event (ADE).

L’ensemble de ces définitions est important à maîtriser afin de faire la part des choses entre ce qui est évitable de ce qui ne l’est pas, ce que l’on peut prévenir et ce que l’on peut atténuer, récupérer ou rattraper (figure 2.4). En effet, les différents acteurs du circuit du médicament, dont le pharmacien clinicien, doivent s’attacher à réduire les EIM évitables. Les EIM inévitables, correspondant aux effets indésirables non dissociables de l’activité thérapeutique, doivent pour leur part faire l’objet d’une collaboration étroite entre ces différents acteurs dans le but de gérer l’évolution clinique et d’assurer la notification auprès des centres de pharmacovigilance.








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Figure 2.4
Relation entre effets iatrogènes médicamenteux, erreurs médicamenteuses et effets indésirables.



ÉPIDÉMIOLOGIE DE L’IATROGÉNIE MÉDICAMENTEUSE


Dans la littérature, effet indésirable et événement indésirable médicamenteux sont souvent confondus. La connaissance de la survenue d’une erreur médicamenteuse sous-jacente permet de différencier les deux. Toutefois, l’analyse de la littérature internationale permet de prendre toute la mesure de l’ampleur de l’iatrogénie médicamenteuse dans les pays développés. Les États-Unis se sont les premiers intéressés à cette problématique; de nombreuses données nord-américaines sont ainsi disponibles. Le taux d’hospitalisation aux États-Unis lié à un EIM a été estimé entre 1,8 et 7% dont 53 à 58% sont imputables à des EM (Leape, 1995; Institute of Medicine, 1999). Une méta-analyse (Lazarou, 1998) a estimé qu’aux États-Unis en 1994, 2 216 000 patients hospitalisés auraient présenté un EIM grave et 106 000 patients hospitalisés seraient décédés suite à un EIM, ce qui représenterait la quatrième cause de décès après les maladies cardiovasculaires, les cancers et les accidents vasculaires cérébraux. Plusieurs études menées aux États-Unis ont évalué les conséquences économiques des EIM subis par les patients hospitalisés et leur impact sur les coûts hospitaliers. L’estimation du surcoût moyen des coûts hospitaliers aux États-Unis résultant des EIM rapportés varie de 1 939 à 2 595 $ par cas (Classen et al., 1997, Evans et al., 1994, Bates et al., 1997 and Senst et al., 2001). L’étude réalisée par Bates et al. (1997) sur plus de 4 000 hospitalisations aiguës, montre que 6% ont présenté un EIM, parmi lesquelles 1,5% correspondait à un EIM évitable (soit une EM), induisant respectivement une augmentation de 2,2 et 4,6 jours d’hospitalisation en moyenne pour ces patients, soit un surcoût de 2 595 $ pour un EIM et 4 685 $ pour une EIM évitable. L’extrapolation à un hôpital universitaire de 700 lits montrait un coût annuel de 5,6 millions de $ pour les EIM et 2,8 millions de $ pour les EIM évitables. Pour l’ensemble des patients hospitalisés aux États-Unis, les surcoûts hospitaliers liés aux EIM ont été estimés à 1,56-4 milliards de $ par an (Classen, 1997; Evans, 1994).

Qu’en est-il en France? Peu de données étaient disponibles avant la publication des résultats de l’Enquête nationale sur les événements indésirables graves (EIG) liés aux soins (ENEIS) menée entre avril et juin 2004 (Michel, 2005). Cette enquête, portant sur 292 unités de 71 établissements de santé, était constituée d’un échantillon de 8 754 patients, suivis pendant une période maximale de 7 jours, soit au total 35 234 journées d’hospitalisation observées. Ce travail met en évidence l’importance de l’iatrogénie en France et plus particulièrement de l’iatrogénie médicamenteuse. Cette étude distingue les EIG responsables d’hospitalisation des EIG survenus en cours d’hospitalisation. Dans un premier temps, l’analyse montrait que les EIG ayant motivé l’hospitalisation étaient responsables de 3 à 5% de l’ensemble des séjours hospitaliers. Près de la moitié des EIG ayant motivé une hospitalisation (48% dont 37% liés au médicament) étaient associés à des produits de santé (médicament, sang, dispositifs médicaux), soit environ 1,9% des séjours hospitaliers (1,5% pour le médicament). L’extrapolation des données de cette enquête au nombre d’admissions permet d’estimer le nombre d’hospitalisations liées à un EIM grave entre 60 000 à 100 000 par an en France. Dans un deuxième temps, l’analyse portait sur les EIG identifiés au cours de l’hospitalisation, dont la densité d’incidence était évaluée à 6,6 pour 1 000 journées d’hospitalisation. Parmi ces EIG survenus en cours d’hospitalisation, plus du quart étaient associés à des produits de santé (28%) et majoritairement aux médicaments (20%). L’extrapolation de ces données au nombre de journées d’hospitalisation montre que 50 000 à 100 000 séjours hospitaliers sont concernés par un EIM grave par an en France. Néanmoins, cette étude présente uniquement l’incidence des EIM graves. L’analyse d’autres études antérieures réalisées en France et à l’étranger laisse supposer que 1 séjour hospitalier sur 10 est marqué par un EIM dont le tiers est qualifié de grave.

Chaque EIG a été analysé en détail afin d’en évaluer le caractère évitable. L’analyse globale montrait ainsi que la moitié des EIG liés aux médicaments (47%) étaient évitables.

Au-delà des conséquences cliniques et sociales, il faut également prendre en compte le coût de l’iatrogénie médicamenteuse. Bien qu’elle n’ait pas encore été formellement étudiée en France, il apparaît clairement que le coût pour le système de santé français est colossal. Ainsi, le coût moyen de chaque EFI survenu en France a été estimé à 4 120 € par Bordet et al. (2001) et 5 305 ¤ par Apretna et al. (2005), ce qui est proche des données nord-américaines sur les EIM. Le coût hospitalier direct des seuls EIM admis dans les services d’accueil et d’urgences pour l’ensemble des établissements publics français a été estimé à 636 millions d’euros, soit environ 1,8% du budget de l’hospitalisation publique en France en 2002 (2006).

L’origine des EM est le plus souvent multifactorielle et concerne différents intervenants. Il est donc important de comprendre ces causes afin de permettre la mise en place de mesures correctives au niveau de chaque étape du circuit du médicament. L’erreur médicamenteuse se produit généralement à l’un des quatre niveaux suivants: prescription, transcription, délivrance ou administration.

La répartition des EM selon l’étape du circuit du médicament est la suivante:




– prescription (37% [Bernheim, 2005]; 56% [Bates, 1995]);


– transcription de l’ordonnance (18% [Bernheim, 2005]; 6% [Bates, 1995]);


– délivrance (22% [Bernheim, 2005]; 4% [Bates, 1995]);


– administration (23% [Bernheim, 2005]; 34% [Bates, 1995]).

Ces chiffres montrent que tous les acteurs du circuit du médicament sont concernés par l’EM et mettent en évidence l’importance pour ces acteurs (médecin, pharmacien, infirmière et patient) d’agir en étroite collaboration afin de détecter et corriger les EM aux différentes étapes de ce circuit.

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May 13, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on L’iatrogénie médicamenteuse

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