L’adolescence et la société


L’adolescence et la société



Handicap et adolescence1


La scolarisation des handicapés est une idée qui s’est progressivement imposée à partir de la fin du XXe siècle. Les premiers textes datent de 1975, mais il faudra attendre trente ans et une deuxième loi (2005) pour qu’elle devienne un droit.


Les termes utilisés dans chacune de ces deux lois princeps témoignent de cette évolution. En 1975 on parle de la loi d’orientation en faveur des handicapés2, le ton est paternaliste, l’idéologie explicitement caritative et les solutions ne reposent que sur la bonne volonté des intervenants et leur désir d’intégrer les handicapés. On parle à l’époque d’intégration des handicapés, ce qui signifie très clairement qu’ils ne peuvent pas bénéficier de la même scolarisation que les autres enfants. En 2005, les termes utilisés par le texte manifestent la reconnaissance publique des droits des personnes handicapées3. Celles-ci sont d’abord considérées comme des personnes avant d’être désignées par leur handicap. On parle de scolarisation des handicapés. Un autre changement notable doit être souligné : désormais la collectivité ne doit plus décider pour les personnes handicapées, elles doivent participer activement à leur choix de vie. Cette position a une implication directe au niveau des enfants et adolescents handicapés. Les enfants ne sont plus « placés » par les spécialistes (médecins, éducateurs, pédagogues), il appartient aux parents de choisir le mode de scolarisation.



Les freins à la scolarisation des adolescents handicapés


La pratique de l’intégration depuis vingt-cinq ans4 a fait prendre conscience aux professionnels comme aux familles de l’intérêt de la scolarisation des enfants handicapés dès le plus jeune âge. En revanche, la scolarisation des adolescents a été nettement moins expérimentée pour plusieurs raisons :



• l’évolution du handicap psychique ne permet pas toujours de conserver intacts les outils nécessaires à la scolarisation à l’adolescence qu’il s’agisse des efficiences intellectuelles ou du développement de la vie affective. De ce fait, de nombreux enfants sont orientés vers des établissements spécialisés dès la fin de l’enfance. Il a fallu attendre que certains élèves bien pris en charge au sein de l’école développent de bonnes capacités leur permettant de suivre un enseignement secondaire pour qu’on crée l’équivalent des classes de primaire pour enfants handicapés (CLIS)5 au collège. Les classes spécialisées dans le secondaire (unités pédagogiques intégrées : UPI) ne se sont mises en place que tardivement6, ce qui explique leur nombre insuffisant actuellement ;


• concernant le handicap physique, la plupart des établissements scolaires ne sont pas adaptés en termes de mobilier ou d’architecture (absence d’ascenseur ou de plan incliné) ;


• enfin, s’il est relativement facile de faire un projet avec un maître dans le primaire, la multiplicité des enseignants au collège rend la tâche nettement plus complexe ;


• il faut également ajouter que l’adolescence est une période d’explosion du développement physique et psychique. Tout retard à cette période de la vie est particulièrement repérable, en particulier par les collégiens eux-mêmes. L’écart se creuse entre les handicapés et les autres, ce qui diminue notablement l’intérêt de la mise en milieu ordinaire.


La scolarité des adolescents handicapés en 2007. Depuis la loi de 2005 (n° 2005-102), tout enfant ou adolescent soumis à l’obligation scolaire (jusqu’à 16 ans) doit être inscrit dans son établissement de référence (collège de secteur7). Il appartient ensuite aux professionnels et aux familles de déterminer les conditions de la scolarisation.


Celles-ci ne se définissent plus désormais au sein de commissions d’orientation mais à la Maison des personnes handicapées (MDPH). Les parents peuvent décider ou non de faire un dossier pour modifier le lieu et les conditions de scolarisation. S’ils ne le décident pas, leur enfant restera scolarisé dans le collège de secteur. Un enseignant référent dépendant de l’Éducation nationale fait le lien entre l’école, la famille et la MDPH. Il joue un rôle à la fois de médiateur dans les éventuels désaccords d’orientation entre professionnels et familles mais aussi de personne-ressource pour recueillir les différents éléments du dossier et trouver des solutions adaptées aux besoins de l’enfant, aux souhaits des familles et aux ressources locales en termes de scolarisation adaptée ou d’adaptation à la scolarité (par exemple attribution d’un auxiliaire de vie scolaire).



La maison des personnes handicapées (MDPH)


La MDPH a remplacé les anciennes commissions d’orientation des enfants et des adultes instituées par la loi de 1975 : la commission départementale d’éducation spéciale (CDES) et la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP). Ces anciennes commissions étaient présidées conjointement par le ministère de la Santé et de l’Éducation nationale pour la CDES et par le ministère de la Santé et celui du Travail pour la COTOREP. La MDPH est, elle, sous la présidence du Conseil général, c’est-à-dire du département. Les MDPH sont installées dans tous les départements du territoire français depuis janvier 2006 (circulaire d’application du 19 décembre 2005). Leur statut juridique est celui d’un groupement d’intérêt public (GIP) associant l’État (représenté par la DDASS, la Direction du travail et l’Inspection d’académie), le Conseil général, la Caisse primaire d’assurance maladie et la Caisse d’allocations familiales. Elles sont dotées d’une commission exécutive dont le nombre de membres varie d’un département à l’autre et répond à une partition entre le Conseil général, les associations de parents et d’enfants handicapés désignées et les partenaires du GIP. La moitié des membres appartiennent au Conseil général dont le président8, un quart des membres appartient aux associations de familles et le quart restant est constitué par les partenaires du GIP (DDASS, IA, CPAM, CAF, Direction du travail).


Ses missions ont largement repris celles des précédentes commissions mais le traitement du handicap est très différent. Tout d’abord la MDPH constitue un guichet unique tant pour les enfants que les adolescents, les adultes et les personnes âgées. En ce sens, elle apporte une plus grande lisibilité et évite les pertes d’informations. Ensuite, la reconnaissance du handicap dépend désormais de la volonté parentale pour les enfants et adolescents ou de la volonté du handicapé adulte lui-même. Les médecins ne peuvent plus faire la démarche pour leur patient. La famille ou le patient lui-même doivent aller retirer un dossier à la MDPH et le faire remplir par les professionnels. Enfin, l’ouverture des droits et l’attribution des indemnités ne dépend plus seulement de la définition d’un taux de handicap, mais avant tout du projet de vie du handicapé. Ainsi on n’attribue plus une allocation éducation spéciale (AES) mais une allocation d’éducation pour enfant handicapé (AEEH) dont les barèmes sont fonction des choix de vie des parents. Il existe désormais six « compléments » susceptibles de répondre aux différentes situations. Le sixième « complément » correspond à un véritable salaire (environ le SMIG), lorsqu’un parent arrête son activité pour s’occuper à son domicile de son enfant handicapé qui nécessite une surveillance et des soins constants.



Les modalités de la scolarisation


On distingue deux types de scolarisation :



• une scolarisation collective au sein de classes spécialisées : les unités pédagogiques intégrées (UPI). Il s’agit de classes à petit effectif (environ douze enfants) intégrées à des établissements scolaires ordinaires. Cette formule permettant d’offrir aux adolescents des temps pédagogiques spécifiques tout en bénéficiant du contact avec les autres jeunes de leur âge durant les temps de récréation ou de cantine. Ces classes sont dirigées par un enseignant titulaire du 2 CA-SH (certificat complémentaire pour les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap)9. Celui-ci travaille en collaboration avec un service de soins dépendant d’un établissement médical (équipe de pédopsychiatrie de secteur) ou médico-social (IME) ;


• une scolarisation avec un projet personnalisé de scolarisation (PPS). « Ce projet définit les modalités de déroulement de la scolarité et les actions pédagogiques, psychologiques, éducatives et sociales, médicales et paramédicales répondant aux besoins particuliers des élèves présentant un handicap. » Il est mis en place par l’équipe pluridisciplinaire de la MDPH (voir ci-dessus) et constitue un élément du projet de vie souhaité par l’adolescent et ses parents. Ce PPS est suivi sur le terrain par l’équipe de suivi de la scolarisation. Cette équipe est constituée par les parents de l’adolescent, ce dernier et un référent qui est un enseignant spécialisé titulaire du 2 CA-SH pour le secondaire. L’attribution d’un auxiliaire de vie scolaire est fréquemment demandée pour accompagner la scolarisation personnalisée de l’adolescent handicapé.



Les auxiliaires de vie scolaires


Le terme d’auxiliaire de vie scolaire (AVS) apparu en 2002 s’est peu à peu imposé pour caractériser les fonctions de personnels recrutés sur des contrats divers (contrats d’aide éducateurs, contrats emploi-jeunes gérés par des associations ou des collectivités locales, contrat emploi-solidarité) pour aider à l’intégration des jeunes handicapés. En 2003, devant la très forte demande des parents d’enfants handicapés qui avaient pu apprécier les résultats de l’intervention de ce personnel, l’éducation nationale a créé le corps des assistants d’Éducation (loi n° 2003-400 du 30 avril 2003) totalement financé par elle. Les AVS ont alors été intégrés dans cette catégorie de personnel dans le but d’unifier les dispositifs départementaux car jusqu’alors le personnel intervenant auprès des enfants ou adolescents pouvait appartenir à des structures très diverses. Ces assistants d’éducation-AVS sont désormais recrutés par l’inspecteur d’Académie avec un niveau de diplôme au moins équivalent au baccalauréat. Ils reçoivent une formation de 60 heures avant de prendre leurs fonctions et sont recrutés sur des CDD (durée maximale trois ans, renouvelable une fois). Leur nombre (environ 6 000) n’est pas suffisant pour répondre à toutes les demandes10. En 2005, ils assuraient l’aide à la scolarisation de 13 500 élèves. Leur rôle consiste à aider et à accompagner les élèves handicapés pour les actions qu’ils ne peuvent effectuer seuls sur les lieux d’activités scolaires et pendant celles-ci. Ils contribuent à favoriser leur socialisation et leur autonomie et veillent à ce qu’ils bénéficient de conditions optimales de confort et de sécurité pour étudier. Leur intervention se prolonge au-delà du temps scolaire durant les interclasses, les repas, les déplacements et les activités éducatives organisées dans le cadre scolaire. La mise en place d’un auxiliaire de vie scolaire constitue un progrès indéniable. Cependant, il est important de ne pas entraver l’épanouissement des capacités du jeune. Il faut même les susciter et non y suppléer par facilité ou par pitié. Autrement dit, il faut veiller à ce que l’adolescent fasse tout ce qu’il peut faire même si cela lui demande un certain effort plutôt que de le faire à sa place. Ceci suppose un travail en partenariat, en particulier avec les parents, afin que tous les adultes adoptent la même attitude.



Quelques données épidémiologiques


À la rentrée 2005–2006, il y avait 37 442 élèves en secondaire (en établissements publics et privés) dont 31 454 bénéficiant de mesures d’intégration individuelle et 5 988 bénéficiant des structures collectives (UPI). On a observé une augmentation sur deux ans de plus de 70 % pour les adolescents. Il existe environ 480 UPI en France, soit huit fois moins que de CLIS (classe d’intégration scolaire en primaire)11.


La scolarisation collective est plus fréquente dans le premier degré ; en revanche, la scolarisation avec projet personnalisé de scolarisation est plus fréquente dans le second degré. Quatre-vingt treize pour cent des enfants accueillis en CLIS ou en UPI ont un handicap mental, seuls 7 % ont un handicap sensoriel ou moteur. Mais moins de 20 % des handicapés au collège sont des handicapés mentaux et ils ne sont plus que 8 % au lycée.


Dans l’enseignement supérieur, le nombre d’étudiants handicapés (ou malades) accueillis stagne depuis 2000 : 7 557 étudiants à la rentrée 2005. La majorité sont à l’université (6 281) et on note une forte déperdition entre le premier et le troisième cycle (60 % contre 9 %). Mille trois cents étudiants fréquentent les sections de techniciens supérieurs, les classes préparatoires aux grandes écoles, les écoles d’ingénieurs ou les IUFM. Les handicaps moteurs (20 %) et les handicaps sensoriels (16 %) sont les plus fréquents. Les troubles à dominante psychologique ne représentent que 15 %. En revanche, les troubles de la santé invalidants (c’est-à-dire occasionnant un arrêt des études de plus de six mois) représentent 20 %. La tendance montre un mouvement maintenant irréversible : les jeunes handicapés ou en situation de handicap poursuivent des études.


Quelles remarques appellent les changements introduits par la loi de 2005 ? L’obligation de scolarisation des enfants handicapés ne doit pas faire oublier tout ce qui a pu jusqu’alors être fait et dit sur l’intégration. Vingt années de pratique de l’intégration ont d’ores et déjà permis de réfléchir aux avantages et aux écueils de la scolarisation des handicapés. La pratique de l’intégration a permis en particulier de changer le regard des personnes valides sur le handicap, même s’il faut différencier la tolérance au handicap physique, moteur ou sensoriel de l’acceptation du handicap mental (autisme ou troubles envahissant du développement).


Alors quels changements introduit la loi de 2005 ? En donnant un nouveau cadre légal à la pratique de l’intégration, ce texte oblige tous les acteurs à se sentir concernés par la scolarisation des handicapés. L’école se voit contrainte d’accueillir les élèves là où par le passé, elle pouvait arguer du contexte et de la non-existence de certaines conditions indispensables pour refuser d’intégrer un enfant ou un adolescent handicapé.


Pour de nombreux enseignants, en particulier ceux qui ont déjà l’expérience de l’intégration d’enfants et d’adolescents handicapés, l’obligation d’un établissement scolaire de référence constitue une décision à portée symbolique forte mais pas d’une remise en cause de la palette de modalités diversifiées de scolarisation et de prise en charges, heureusement héritée de notre longue histoire en ce domaine (Calin, 2006). Pour ces professionnels, la nomination obligatoire d’un établissement de référence en permettant une institutionnalisation de ces pratiques devrait les faciliter, les apaiser et les répartir plus équitablement. Cela devrait également permettre une circulation souple des enfants et adolescents handicapés entre ces différentes modalités de prise en charge. A contrario, ce point de vue généreux n’est pas partagé par les enseignants peu habitués à l’intégration des enfants et adolescents handicapés. Ceux-ci vont se trouver directement interpellés là où auparavant l’intégration se faisait de gré à gré, uniquement lorsque les équipes étaient désireuses de s’engager dans le projet d’intégration. Pour les associations de parents d’élèves et plus simplement pour les professionnels de l’enfance, ce texte devrait faciliter la scolarisation et l’intégration. Quoi qu’il en soit, sur le terrain, l’inscription de tout enfant handicapé dans une école de référence n’exclut pas la réflexion sur les moyens à mettre en œuvre et la finalité de cette scolarisation. Intégrer n’est pas normaliser et le projet personnalisé de scolarité (PPS) est bien nommé. Il s’agit en effet d’adapter les conditions de la scolarité dans un milieu ordinaire mais sans prétendre à ce que l’enfant soit soumis au régime commun.


Il faut cependant espérer que la pratique de la scolarisation des adolescents handicapés au collège apportera dans les années à venir la même richesse de réflexion qu’en son temps l’intégration des enfants handicapés.



Handicap et/ou maladie : une nécessaire réflexion sur le concept de handicap


En instituant les MDPH en remplacement des anciennes CDES et COTOREP, la loi de 2005 a introduit deux changements majeurs :



L’utilisation du terme « handicap » dans le texte de 2005 renvoie plus à la notion anglo-saxone du handicap qu’à la définition latine. En effet, l’acception de ce terme en France recouvre une séquelle déficitaire fixée, tandis que la conception anglo-saxonne renvoie à une incapacité temporaire d’adaptation résultant de la maladie. Ainsi pour les anglo-saxons une personne peut être handicapée quelques mois et recouvrer son intégrité ensuite, tandis qu’en France le statut d’handicapé signifie l’incapacité définitive, ce qui génère le plus souvent une exclusion de la société. C’est contre cette discrimination que veut lutter cette loi. On pourrait dire que dans les pays anglo-saxons le handicap n’est pas séparé de la maladie, il peut être un « effet secondaire » de la maladie. En même temps la perte même transitoire que constitue ce handicap doit être reconnue et prise en compte. La culture latine, et française en particulier, différencie la maladie du handicap. Dans l’acception française parler de maladie permet d’envisager grâce aux soins la guérison ou à défaut une amélioration substantielle, tandis que le handicapé ne peut espérer d’amélioration. C’est la raison pour laquelle les professionnels de l’enfance et de l’adolescence sont réticents à parler de handicap dès le plus jeune âge. Une telle acception méconnait la dimension développementale de l’enfant et de l’adolescent ainsi que la dimension évolutive de certaines pathologies. À cet égard, et sans trop entrer dans la polémique, la position des associations de parents autistes est paradigmatique. Un enfant est-il autiste ou atteint d’autisme ? Dans la première acception, on peut légitimement penser qu’il sera autiste toute sa vie, dans la deuxième formulation on peut imaginer que la pathologie autistique se modifie sous les effets non seulement des soins mais aussi du développement de l’enfant puis de l’adolescent, autorisant la constitution de la personnalité. Si l’on considère en effet que l’enfant restera handicapé, il appartient à la collectivité, donc aux Conseils généraux du département, de gérer les contraintes imposées par le handicap. Si en revanche on envisage la difficulté sous l’angle de la maladie, alors le personnel de santé et au premier chef les médecins doivent être représentés dans l’équipe pluridisciplinaire en charge de l’étude du dossier. On constate dans le fonctionnement actuel de la MDPH que siège de droit dans cette équipe un seul médecin sans compétence particulière dans le domaine de la santé mentale ni d’un autre handicap moteur ou sensoriel. Dans les précédentes commissions de CDES et COTOREP, les pédopsychiatres et psychiatres de secteur étaient membres de droit et siégeaient régulièrement. La loi de 2005 marque un tournant important. La bascule du côté du handicap est donc clairement établie dès lors que la MDPH dépend des Conseils généraux. Dans ce nouveau texte, la meilleure prise en compte apparente des besoins des personnes handicapées passe inéluctablement par une considération quasi inexistante des effets du développement. Comment dès lors espérer travailler avec les parents sur l’espoir donné par la croissance si tout est joué dès l’annonce du diagnostic ?


Sous des apparences de simplification (guichet unique de l’enfance au grand âge) se dessine des contradictions (handicap versus maladie), le tout sur fond de confusion quant à ce que recouvre la notion de handicap (anglo-saxone ou latine).


Ce texte marque pour l’heure une authentique avancée pour les adultes handicapés tout à fait nécessaire dans la reconnaissance de leurs droits à l’autonomie, comme en témoigne l’attribution de la prestation de compensation du handicap. L’idée d’un guichet unique avec une équipe pluridisciplinaire qui aide la personne handicapée à établir son projet de vie, y compris en se déplaçant à son domicile pour étudier ses besoins et réfléchir aux aménagements nécessaires, ne peut raisonnablement pas être remise en cause tant ces dispositions relèvent du bon sens et de la nécessité. Mais concernant les enfants et les adolescents, les mentalités sont encore insuffisamment préparées à cette conception anglo-saxones du handicap et il est encore très douloureux pour certains parents de devoir aller retirer un dossier pour leur enfant ou adolescent à la maison des personnes handicapées.


Le « handicap mental » : les enjeux de l’intégration. Les données épidémiologiques sont sans appel, le nombre d’adolescents puis de jeunes adultes porteur de maladie mentale ou de handicap psychique décroit inexorablement de l’école maternelle à l’université. Les raisons sont aisément compréhensibles. Les premières tiennent au génie évolutif des atteintes psychiques. Le retard pris dans le développement des capacités cognitives creuse un fossé de plus en plus difficile à combler au fil des ans. L’organisation scolaire actuelle laisse peu de place à cette hétérogénéité de croissance. De plus, certaines affections se soldent par l’installation d’un réel déficit empêchant la poursuite d’un cursus ordinaire. La deuxième moins avouable concerne la peur de la maladie mentale en particulier à l’adolescence. Les caractéristiques habituelles de l’adolescence prennent chez ces adolescents handicapés mentaux une ampleur particulière. La relative incapacité de décodage des attitudes ou émotions de l’autre jointe à la pulsionnalité adolescente provoquent des passages à l’acte, en particulier dans le domaine corporel et surtout sexuel, qui inquiètent les adultes et la majorité des pairs. L’adolescence et le début de l’âge adulte sont des périodes de la vie qui voient éclore un certain nombre de pathologies mentales (schizophrénie, troubles bipolaires) incompatibles, au moins dans la phase aiguë, avec une scolarisation ordinaire, ce qui compromet à long terme la poursuite d’études supérieures du fait du décrochage scolaire. Il n’existe que peu d’institutions susceptibles d’accueillir ces jeunes afin de les soigner et de les scolariser. La fondation Santé des étudiants de France ne dispose que de cinq lieux de ce type pour l’ensemble de la France. La situation du jeune développant une pathologie mentale en cours d’adolescence (schizophrénie, troubles bipolaires) illustre parfaitement les écueils soulignés précédemment dans l’application de la loi de 2005. Comment un adolescent présentant une maladie psychiatrique peut-il accepter de se définir comme handicapé, même si incontestablement ces diverses maladies occasionnent un « handicap » pour l’insertion scolaire et sociale ? Au moment où il cherche à s’autonomiser, à développer une pensée propre, la maladie l’oblige à marquer le pas dans ses projets. Pour autant est-il réaliste d’obérer son avenir en le désignant comme handicapé ? Si tout aménagement de la scolarité passe par la constitution d’un dossier à la MDPH, il y a fort à parier que nombre de familles ou plus simplement d’adolescents et de jeunes adultes refuseront de faire ces démarches. Ils risquent de se trouver de ce fait marginalisés alors que la loi visait précisément à reconnaître les droits des personnes avant même la considération de leur handicap.



L’adolescent migrant


Parler de l’adolescent de familles migrantes impliquerait comme préalable d’aborder les divers points de vue permettant de comprendre la situation de migrant dans son ensemble : point de vue culturel, social, économique… Il n’est pas dans notre intention de reprendre ces diverses données à travers ce bref paragraphe. Il est évident aussi que l’adolescence de l’individu migrant vient après une longue expérience pendant l’enfance au cours de laquelle la condition de migrant aura déjà déterminé des engagements particuliers : ainsi l’échec scolaire de l’adolescent migrant succède le plus souvent à celui de l’enfant, ne faisant que renforcer la spirale de l’échec (voir chap. 17). Aussi à la période de l’adolescence les situations sont-elles multiples, complexes et variables. Les différences sont grandes entre l’adolescent ayant quitté son pays d’origine vers 11 ou 12 ans, voire plus, pour s’installer en France avec sa famille, et l’adolescent issu d’une famille migrante, mais qui vit dans le pays d’immigration depuis son plus jeune âge, voire même qui y est né. Dans le premier cas, l’adolescent sera confronté comme ses parents aux difficultés linguistiques et à la perte externe des repères socioculturels de son enfance, mais en conservant l’identité culturelle interne de sa petite enfance ; tandis que dans le second cas, si l’apprentissage de la langue ne pose généralement pas de problème majeur, l’adolescent est en revanche confronté à l’absence interne d’une identité culturelle stable et à tous les conflits issus du biculturalisme.


Plus généralement l’adolescence, période vulnérable, représente un moment particulièrement difficile pour l’individu migrant car les facteurs de risque inhérents à la situation de migrant, à un statut socio-économique souvent médiocre et à l’adolescence en tant que telle, ont des effets cumulatifs.


Nous ne reviendrons pas sur les conditions conduisant à la migration, ni sur le vécu particulier des adultes (sentiments de dévalorisation, vécu paranoïde, vécu dépressif), ni sur les difficultés propres à l’enfant de migrant (voir chapitre L’enfant migrant, dans l’ouvrage Enfance et psychopathologie). Le lecteur trouvera également dans ce chapitre les généralités statistiques). Simplement nous soulignerons à la suite de nombreux auteurs, l’importance sur le plan phénoménologique des problèmes d’espace, de temps, et d’identité (J.A. Serrano, 1980) :



• l’espace vécu du migrant est un espace amputé, marqué par une expérience de perte, de rétrécissement du champ potentiel avec un double mécanisme d’idéalisation de l’espace perdu (le village natal, la maison que l’on va y construire) et de projection persécutive sur l’espace présent (vécu d’hostilité voire de racisme, projection des difficultés sur les conditions socioculturelles nouvelles) ;


• le temps vécu est dominé par l’état de suspension du temps présent, temps hors du temps, entre parenthèses, placé entre le temps du passé marqué par la nostalgie, les regrets, parfois même la culpabilité (pour avoir délaissé une partie de la famille par exemple) et d’un autre côté le temps du futur marqué par l’idéalisation du retour. Ce temps suspendu provoque pour J.A. Serrano « une certaine paralysie de la construction individuelle et sociale du sujet » ;


• l’identité enfin où se trouvent impliquées les racines familiales et culturelles, mais aussi la reconnaissance de soi à travers sa propre image sociale et celle que nous renvoient les autres. Cette dialectique risque de s’organiser autour du manque, vécu aussi bien par l’individu migrant lui-même, qu’à travers le manque supposé que de nombreux autochtones lui renvoient.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on L’adolescence et la société

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access