Effets biologiques des rayonnements ionisants


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Effets biologiques des rayonnements ionisants



Les premiers effets cliniques attribuables aux rayonnements ionisants (RI) ont été rapportés très tôt après la découverte des rayonnements X et de la radioactivité à la fin du XIXe siècle. La première radiolésion a été décrite en 1896, les premiers effets tératogènes en 1901 et le premier cancer humain radio-induit en 1902. La cancérogenèse était démontrée expérimentalement en 1910. La multiplicité de ces conséquences cliniques a ouvert la voie à la radiobiologie, étude des mécanismes aboutissant à ces lésions, afin de les prévenir.

Lunité élémentaire dun tissu vivant est la cellule. Ce chapitre sera consacré à la description des effets des rayonnements à l échelle cellulaire dans un premier temps, à l échelle moléculaire dans un deuxième temps. Ce second niveau d étude permettra de comprendre les effets cellulaires.

Interaction des rayonnements avec la matière vivante


Les rayonnements ionisants interagissent avec les atomes constituant la matière vivante comme avec les atomes de la matière inorganique. Les mécanismes dinteraction ont été présentés en détail au chapitre 2. Une notion fondamentale à rappeler pour bien percevoir leffet des rayonnements dans les milieux biologiques est le faible transfert énergétique concerné. Ainsi, une dose de 1 gray absorbée dans un tissu correspond par définition à une énergie de 1 Joule transférée à un kilogramme de matière. En termes d énergie dissipée sous forme thermique dans un milieu aqueux, cela équivaut à une élévation de température dun quart de millième de degré Celsius. Ceci signifie que leffet thermique, très faible, ne contribue en rien aux conséquences dune telle dose, pourtant responsable deffets biologiques significatifs. Les effets biologiques sont donc dorigine biochimique, conséquence des ionisations produites au sein du milieu irradié, sans participation dune composante physique.

De même, cette dose de 1 gray produit une ionisation pour 100 millions de molécules deau. Ceci correspond à une augmentation du nombre dions apparaissant spontanément dans une cellule dun ion supplémentaire pour 100 000 ions « naturels ». Leffet des rayonnements est donc, là encore, quantitativement minime. Cependant, les ions produits conduisent à la formation despèces chimiques très réactives. Il sagit de radicaux libres, structures chimiques comportant un électron périphérique non apparié à lorigine de ces propriétés. Ainsi, le radical hydrogène, noté H, est-il puissamment réducteur et le radical hydroxyle, HO, très fortement oxydant. La formation de ces espèces sera précisée plus loin dans la description du processus de radiolyse de leau.

Les ionisations engendrées par un rayonnement sont primaires, produites par le rayonnement lui-même, ou secondaires, induites par les électrons mis en mouvement. Elles sont distribuées le long de la trajectoire du rayonnement. Le paramètre majeur est, nous lavons vu, la densité des interactions le long de la trajectoire du rayonnement dans le milieu. Elle permet de définir le transfert linéique d énergie (TLE), caractéristique dun rayonnement donné pour une énergie donnée. Ainsi, les interactions dun rayonnement présentant un TLE élevé avec une structure moléculaire ont un risque élevé de lésions de celle-ci. À dose absorbée égale, les effets biologiques dun rayonnement à TLE élevé seront donc potentiellement beaucoup plus importants que ceux dun rayonnement à faible TLE.

Cette propriété est à lorigine de la notion de facteur de qualité des rayonnements qui tient compte de la différence de TLE existant entre les rayonnements électromagnétiques et les différentes particules (cf. chapitre 3). Pour un effet donné, on peut aussi faire le rapport entre l énergie nécessaire dun rayonnement donné pour obtenir cet effet et l énergie nécessaire avec un autre rayonnement pour obtenir le même effet. Ce rapport est connu sous le nom deffet biologique relatif des rayonnements (EBR). Il est défini spécifiquement pour chaque effet.

Effets cellulaires


Les effets élémentaires sur la cellule ont été pressentis dès lidentification des effets biologiques macroscopiques des rayonnements ionisants. En 1906, Bergonié et Tribondeau ont établi une relation entre la radiosensibilité des cellules et leur activité mitotique, leur devenir caryocinétique (nombre de mitoses programmées dans la vie du sujet) et leur différenciation. Plus une cellule se divise souvent, plus le nombre de divisions quelle doit accomplir est grand, moins elle est différenciée et plus elle est radiosensible. En corollaire, plus une cellule est différenciée, moins souvent et moins longtemps elle se multiplie et plus elle est radiorésistante. Cest cette loi qui explique quau sein dun tissu irradié, ce sont les cellules souches non différenciées, dont la tâche est de fournir par multiplication les cellules qui vont secondairement se différencier pour construire le tissu, qui sont les premières éliminées. Cette loi est également à la base de toutes les applications des RI dans le traitement des affections néoplasiques puisque la capacité de prolifération des cellules malignes est supérieure à celle des cellules normales et les affecte donc dune radiosensibilité plus élevée.

Courbes de survie et leur signification


Les expériences dirradiation de cultures cellulaires ont permis de construire les premières théories relatives aux mécanismes daction des RI sur les cellules et de fournir des évaluations quantitatives des effets observés. En fonction de la forme des courbes de survie, il est possible de déduire plusieurs types de comportement cellulaire.

Courbe exponentielle (fig. 5-1)

Le modèle exponentiel (ou linéaire en représentation semi-logarithmique), chez les bactéries, répond à une équation simple :

S = e D/ D 0


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où S est la survie cest-à-dire le rapport du nombre de cellules survivantes sur le nombre initial de cellules, N/N0 et D0 la dose pour laquelle, il reste 37 % de cellules survivantes, il sagit alors de modèles à une cible létale et un impact est suffisant pour détruire une cellule, selon un modèle aléatoire.

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Figure 5-1 Courbe de survie cellulaire exponentielle.
On constate que le nombre de cellules survivantes diminue de façon exponentielle avec la dose. En coordonnées semi-logarithmiques, cette courbe est représentée par une droite de pente α , qui exprime la radiosensibilité de la population cellulaire. On utilise pour exprimer cette sensibilité la dose D0, égale à linverse de la pente, 1/ α , qui est donc la dose qui laisse survivre 37 % des cellules. La dose qui tue la moitié des cellules est appelée « dose létale 50 » (DL50). Elle est égale à D0 × Log2 (soit 0,693D0).

Courbe sigmoïde (fig. 5-2)

Ce modèle avec épaulement, en représentation semi-logarithmique, correspond à un cas de figure plus complexe, rencontré pour les cellules de mammifères. Il sexplique non plus par le modèle à plusieurs cibles sublétales, non étayé par les données radiobiologiques modernes mais par la mise en évidence des systèmes de réparation cellulaire à faible dose.

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Figure 5-2 Courbe de survie avec épaulement.
Elle sobserve avec la plupart des cellules de mammifères. La partie initiale de la courbe nest plus rectiligne en coordonnées semi-logarithmiques. D0 nest calculable qu à partir de cette partie rectiligne, elle augmente donc par rapport à la courbe exponentielle. Cette courbe traduit la capacité de réparation des cellules aux faibles doses.

Effets déterministes


Ces courbes modélisent la mort cellulaire induite par les RI, qui est à lorigine des effets déterministes des rayonnements. Ces effets apparaissent au-dessus dun seuil, dépendant de leffet et du tissu considéré, et leur gravité augmente ensuite avec la dose. Le seuil dapparition des symptômes cliniques est relié au pourcentage de cellules dun tissu dont la mort est nécessaire pour désorganiser suffisamment sa fonction. La gravité clinique augmente avec la dose délivrée au tissu puisque le pourcentage de cellules tuées augmente lui aussi avec cette dose. Enfin, pour un tissu donné, il existe toujours un intervalle libre entre lirradiation et lapparition des symptômes ; ce délai est lié dune part à la durée de vie des cellules différenciées, moins radiosensibles que les cellules souches et dautre part à la mort cellulaire différée avant laquelle se produisent quelques divisions des cellules souches ; lorsque la dose augmente, la fraction de mort immédiate augmente et laccélération de l élimination des cellules souches est corrélée à la gravité de l état clinique observé à la phase d état.

Effets aléatoires ou stochastiques


Les RI peuvent aussi léser la cellule sans la tuer, en créant des altérations cellulaires compatibles avec la survie cellulaire mais potentiellement néfastes à plus ou moins long terme. Les effets de ce type les plus importants sont les modifications chromosomiques. Ces effets relèvent dun phénomène statistique au sein de la population cellulaire car ils surviennent au hasard dans les cellules. Ce sont des effets non déterministes, ou stochastiques des RI. Ils sont de deux types en fonction de la nature de la cellule concernée : effet cancérogène lorsque la cellule concernée est une cellule somatique et effet héréditaire transmissible lorsque la cellule est de nature germinale. Les effets stochastiques sopposent en tous points dans leurs caractéristiques aux effets déterministes.

 Ils ne sont pas spécifiques : un cancer ou une mutation transmissible induit par les RI est indiscernable dune affection spontanée naturelle.

 Leur gravité est sans lien avec la dose car une fois déclenchées, ces affections évoluent pour leur propre compte avec le même génie évolutif que les affections naturelles.

 Leur probabilité de survenue croît avec la dose jusqu à un maximum où le nombre de cellules tuées devient trop important pour laisser suffisamment de cellules susceptibles d être à lorigine dune affection cancéreuse.

 Ils nont, en théorie, pas de seuil de survenue car un seul impact dans une cellule pourrait être à lorigine dun cancer ; en réalité la situation est beaucoup plus complexe et il nexiste pas à ce jour de démonstration, épidémiologique ou biologique, de ce postulat qui est à la base de lutilisation de la relation linéaire sans seuil pour calculer les effets des faibles doses de RI.

On voit donc que les effets des RI à l échelle cellulaire ne sont pas univoques. Il est nécessaire denvisager l échelle moléculaire pour trouver des éléments de réponse à la diversité des effets observés.

Effets moléculaires


Au sein dune cellule peuvent être identifiées plusieurs cibles potentielles : la membrane cellulaire, les organites cytoplasmiques et le noyau. Les deux premières de ces structures ne sont concernées que par les doses les plus fortes qui conduisent dans tous les cas à la mort cellulaire. Cest latteinte du noyau, plus particulièrement de son élément le plus noble, la molécule dADN porteuse du code génétique de la cellule, qui rend compte des effets stochastiques.

La molécule dADN présente de multiples particularités et lune des plus intéressantes est lexistence dune machinerie enzymatique très complexe dédiée au maintien de son intégrité et à la réparation la plus fidèle possible d éventuelles lésions. Cet équipement enzymatique est fondamental pour la survie cellulaire, ce qui explique quil soit très constant pour lensemble des cellules et organismes vivants depuis les bactéries jusquaux mammifères. Ceci a permis dextrapoler de nombreuses observations effectuées sur des organismes simples aux cellules de mammifères. Les lésions de lADN peuvent procéder de nombreuses causes, intrinsèques à la cellule ou extrinsèques. La plus importante est certainement liée à la production de radicaux libres au cours du métabolisme cellulaire de loxygène. Ce dernier peut donc être considéré comme indispensable à la vie cellulaire mais également comme la source des espèces chimiques les plus toxiques pour lADN. Les RI font partie des agresseurs extrinsèques potentiels, au même titre que de multiples toxiques chimiques, souvent plus efficaces pour induire des anomalies de lADN.

Lésions de lADN


Les RI les provoquent par lintermédiaire des ionisations moléculaires. Il est important de préciser demblée que les lésions provoquées par les rayonnements ne sont pas spécifiques. Ainsi, les lésions qui vont être décrites peuvent survenir spontanément dans une cellule ou être induites par dautres toxiques. Il nest donc pas possible daffirmer la responsabilité de RI dans la genèse de lésions présentes dans une cellule. Il nexiste quun élément dorientation lié au mode daction des rayonnements, à savoir le caractère localement concentré de lésions sur un segment de lADN. Cette densité de lésions peut être expliquée par la localisation des interactions causales sur la trajectoire du rayonnement surtout en cas de TLE élevé.

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Apr 26, 2017 | Posted by in RADIOLOGIE | Comments Off on Effets biologiques des rayonnements ionisants

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