Effets pathologiques des rayonnements ionisants : effets stochastiques


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Effets pathologiques des rayonnements ionisants : effets stochastiques



Les effets stochastiques, ou aléatoires, sont ainsi nommés parce que leur survenue sanalyse en termes de probabilité. Ils sont la conséquence de modifications du matériel génétique cellulaire qui induiront des cancers si elles portent sur des cellules somatiques, des modifications du phénotype de la descendance de lindividu exposé si elles portent sur des cellules germinales. Si ces effets nont, en théorie, pas de seuil, ils ne sont en réalité observables qu à partir de doses moyennes et fortes au moyen d études épidémiologiques. Pour ne pas sous-estimer le risque, on considère que laugmentation de la probabilité dapparition de cancer est proportionnelle à la dose reçue. Si leffet apparaît, il évolue ensuite indépendamment de la dose, cest-à-dire que sa gravité ne dépend pas de la dose initiale.

Cancérogenèse


La survenue de cancer après exposition aux rayonnements ionisants (RI) à forte dose est un effet bien établi, reconnu peu après la découverte des rayons X en 1895. Quel que soit le facteur déclenchant, le processus de cancérogenèse passe par trois étapes : linitiation, la promotion et la progression.

Initiation


Elle résulte de lactivation dun oncogène ou de linactivation dun anti-oncogène.

Activation dun oncogène


Au départ dune lignée cancéreuse peut se trouver un transmetteur erroné de multiplication cellulaire, dont la synthèse est gouvernée par un gène appelé oncogène. Les oncogènes dérivent de proto-oncogènes qui ne sont fonctionnels quau cours de lembryogenèse, durant laquelle ils permettent la multiplication de lignées cellulaires. Ils sont ensuite inactifs mais peuvent être réactivés par mutation, translocation ou amplification, portant toujours sur un point précis. Ainsi, par exemple, dans la thyroïde, une translocation induite par les rayonnements ionisants amène le locus « PTC » au contact du locus « RET » sur le chromosome 10 et cette conjonction peut induire un cancer papillaire. Ce mécanisme est en fait très rare car lactivation dun oncogène nécessite un impact très précis sur le locus du proto-oncogène, et sa probabilité est très faible. Toute lésion destructrice (délétion) survenant à proximité du locus supprime la fonction du gène ; il ne peut donc y avoir dinitiation de lignée cancéreuse. En outre, le proto-oncogène nest parfois accessible quau cours de la croissance de lorgane. Lorsque celui-ci est arrivé à maturité, le proto-oncogène nest plus activable. Ce nest donc quen cas de très nombreux impacts, chez des sujets non adultes, comme dans le cas de la contamination par liode radioactif à forte dose survenue chez des enfants après Tchernobyl, que cette conjonction nécessaire à la carcinogenèse est possible. Un autre exemple dinduction de cancer par activation dun oncogène est le lymphome de Burkitt de lenfant africain, ou loncogène C-myc est activé à loccasion dune co-infection par le virus Epstein-Barr et le paludisme. Les cancers par activation dun oncogène peuvent survenir à tout âge, et notamment dans lenfance.

Désactivation dun anti-oncogène


Dautres gènes, les anti-oncogènes, règlent les capacités de prolifération cellulaire dun tissu et les relations de chaque cellule avec les autres cellules du tissu. On en connaît plus dune centaine, la plupart en lignées somatiques mais une vingtaine en lignées germinales et susceptibles de transmission à la descendance. Le mécanisme dinactivation dun anti-oncogène est beaucoup plus souvent en cause dans la genèse dun cancer. Les deux allèles dun gène ayant une fonction de contrôle de la multiplication cellulaire ont une fonction équivalente. Si une mutation, ou une lésion destructrice (délétion) affecte lun des allèles, lautre assure seul le contrôle de la prolifération cellulaire. Une inactivation de cet allèle restant, dans la même cellule, sera nécessaire pour donner naissance à une lignée cellulaire incontrôlée, cest-à-dire un cancer. Si la probabilité du premier événement (inactivation du premier allèle) est de 1/N, la probabilité de linactivation des deux allèles sera donc de 1/N2.

Cest pourquoi les cancers répondant à cette obligation de double inactivation surviennent souvent tard au cours de lexistence des sujets. La probabilité étant faible, il faut laisser le temps aux mutations, induites par toutes sortes d événements, (en premier lieu les dégâts liés au métabolisme oxydatif, puis ceux de divers agents mutagènes, parmi lesquels les radiations ionisantes), de se produire. En revanche, lorsquil existe un défaut ou une absence dun gène anti-oncogène, le cancer peut survenir tôt dans lexistence. Un des mieux connus de ces gènes, le gène ATM, déficient dans lataxie-télangiectasie, gouverne la mise en œuvre de la protéine P53, véritable contremaître de la chaîne de multiplication cellulaire : en cas de défaut sur lADN de la cellule en cours de division, cette protéine bloque la chaîne afin de laisser le temps aux mécanismes de réparation dintervenir. Si ce gène est déficient, la multiplication se poursuit sans correction, aboutissant à des lignées cellulaires anormales.

Ces patients sont donc enclins à développer de multiples cancers et particulièrement sensibles aux carcinogènes, parmi lesquels les rayonnements ionisants. Si de multiples lésions sont survenues sur lADN, la protéine P53 suspend le mécanisme de réplication, en attendant que les mécanismes de réparation aient pu restaurer lintégrité du chromosome altéré. Si la réparation est insuffisante, le mécanisme de division cellulaire reste bloqué et la lignée fautive s éteindra naturellement. Un certain nombre de maladies héréditaires sont dues à la mutation transmissible dun allèle réprimant la multiplication cellulaire. Ce sont par exemple lataxie-télangiectasie, lanémie de Fanconi, le xeroderma pigmentosum ou le syndrome de Li-Fraumeni. Le sujet homozygote exprime le phénotype de la maladie et développe inéluctablement au cours du temps une affection cancéreuse spécifique. Le sujet hétérozygote est prédisposé au cancer, puisquune seule mutation suffit pour enclencher le mécanisme qui aboutit à la lignée cellulaire cancéreuse.

Action des agents cancérogènes


Laction des agents cancérogènes en général et celle des RI en particulier peuvent donc être la réactivation dun oncogène ou linactivation successive de deux allèles dun anti-oncogène, ou dun seul allèle en cas dinactivation préexistante héritée ou produite par un autre agent cancérogène. Dans le premier cas, leffet direct ou indirect dun rayonnement est de produire une cassure avec une réparation incorrecte aboutissant, par translocation, à mettre en contact deux gènes normalement distants. Dans le second cas, toute perte dun fragment de chromosome, intéressant ou emportant le locus dun anti-oncogène suffit à supprimer la fonction dun des deux allèles. Dans tous les cas, les rayonnements à TLE élevé, produisant plus de lésions par unité de volume élémentaire, auront une probabilité supérieure dengendrer une configuration cancérogène. Par ailleurs, après toute lésion de lADN, entrent en jeu, pratiquement immédiatement, les mécanismes de réparation. Ces mécanismes sont très efficaces et assurent la restitution intégrale de la structure génétique tant que le nombre des lésions nest pas trop élevé. Lorsque le nombre de lésions induites devient trop important, ces mécanismes peuvent être dépassés et réparer incomplètement ou de façon incorrecte les lésions de lADN. Ceci explique le rôle fondamental du débit de dose dans la genèse des lésions du matériel génétique.

Promotion


Le développement dun cancer invasif nest pas inéluctable après l étape dinitiation. Beaucoup dorganes sont, avec le vieillissement, siège de cancers quiescents ou occultes (prostate, sein, thyroïde, notamment). Cest seulement sous laction de facteurs extrinsèques quils vont proliférer localement. Les facteurs qui stimulent la prolifération (promoteurs) sont nombreux. Ce sont des facteurs intrinsèques (inflammation chronique, hormones) ou extrinsèques (produits chimiques). On sait par exemple que le cancer du foie lié à lhépatite B dans sa forme chronique nest pas dû au virus lui-même (qui nest pas oncogène), mais que le portage prolongé du virus induit, au sein du parenchyme hépatique, des réactions de défense inflammatoire qui vont promouvoir des lignées cancéreuses à partir de cellules mutées à l état quiescent. Il en va de même pour les cancers de vessie liés à la bilharziose.

Progression


Cest l étape ultime du développement du cancer qui acquiert la faculté de dépasser les limites de lorgane dorigine et de se développer à distance (métastases), voire d être transmis par injection à un autre sujet. Cette capacité nest acquise que par une fraction de la population de cellules cancéreuses, qui vont être sélectionnées aux dépens des cellules de moindre aptitude à la prolifération. Cette étape est soumise aux capacités de défense de lhôte qui, normalement, détecte comme intruses ces cellules anormales et les détruit. Une baisse des capacités immunitaires de lhôte permet lexpansion cancéreuse sans que lon sache sil sagit dun mécanisme préexistant ou si cette déficience est induite par le cancer lui-même.

Quantification


Probabilité de développement


Toutes les étapes entre l événement initial et le cancer symptomatique dépendent de nombreux facteurs qui peuvent enrayer le mécanisme. Le premier facteur de contrôle est actif, cest le système enzymatique de réparation des lésions chromosomiques (cf. chapitre 5), très efficace quand le nombre de lésions reste limité. Par ailleurs, il existe des facteurs de sécurité « passifs » qui sont la faible probabilité de développement de cellules dont le matériel génétique est endommagé ; certaines de ces cellules vont mourir immédiatement, dautres vont disparaître après quelques divisions (apoptose). Le système de réparation lui-même est sous le contrôle de gènes qui expriment des protéines régulatrices du cycle cellulaire telles que la protéine P53. Les étapes de promotion et de progression sont elles aussi dépendantes de facteurs extrinsèques ou intrinsèques, dont labsence peut empêcher lexpression de la lignée cancéreuse. La filiation entre un événement (lésion de lADN produite par une ionisation) et un cancer nécessite donc un jeu complexe de probabilités conditionnelles et la probabilité résultante est donc beaucoup plus faible que chacune des probabilités d événements nécessaires au développement dun cancer invasif. La théorie simpliste de la linéarité sans seuil (« toute dose, si faible soit-elle, est susceptible daboutir à un cancer ») fait bon marché de la complexité de ces phénomènes biologiques que nous navons fait quaborder.

Incidence spontanée


On estime la probabilité de décès par cancer de chaque individu à 25 % environ et la probabilité naturelle de survenue de cancer dans la vie dun individu à 30 % environ. En fait, les données des examens autopsiques systématiques montrent la présence de cancers occultes chez une majorité dindividus morts dune autre cause. Ainsi, après 60 ans, des îlots de cellules cancéreuses sont découverts dans la prostate de plus de 50 % des hommes et dans le tissu mammaire de plus de 50 % des femmes. Il en va de même pour la thyroïde, un cancer occulte de la thyroïde pouvant être mis en évidence par examen anatomopathologique systématique chez 15 à 20 % des sujets de plus de 50 ans, en sachant que la prévalence de nodules thyroïdiens est de 50 % après cet âge. On conçoit que lamélioration du dépistage et lallongement de la durée de vie fassent découvrir davantage de cancers parmi les populations occidentales. Cest ce que confirment les plus récentes enquêtes épidémiologiques qui mettent en évidence, pour les vingt dernières années en France, une augmentation de lincidence du cancer mais une diminution de la mortalité due à ces cancers (lincidence des cancers a augmenté de plus de 60 %, de 170 000 à 278 000 mais la mortalité par cancer na augmenté que de 20 %).

Chez lenfant, on estime que le risque de cancer spontané entre 0 et 15 ans est de 0,2 à 0,3 %. Lexposition in utero à une dose de 10 mSv augmenterait ce risque spontané denviron 0,05 % (cf. chapitre 7).

Cancérogenèse induite


Parmi lensemble des cancers déclarés, on estime schématiquement que 1/5 sont dus à lintoxication tabagique, 1/10 à lintoxication alcoolique, 1/3 à des facteurs alimentaires, 1/20 à des carcinogènes environnementaux, parmi lesquels les radiations ionisantes qui arrivent loin derrière les ultra-violets (cancers cutanés). Les principales causes de décès par cancers sont donc avant tout comportementales, notamment alimentaires, puisque le surpoids à lui seul est associé à une augmentation des morts par cancers denviron 50 % chez lhomme et 60 % chez la femme.

Données épidémiologiques


Life span study (LSS)


On désigne sous ce nom l étude des survivants dHiroshima et de Nagasaki. Elle a porté sur environ 95 000 personnes, suivies depuis 1950. Cette étude a recensé, depuis 1950, environ 850 cas de décès par cancers en excès par rapport au nombre attendu dans cet effectif (environ 20 000), en se référant à une population japonaise contemporaine non irradiée, à conditions de vie égales. Un facteur important à noter est que la dose reçue par ces sujets a été délivrée dans un temps très bref (fort débit de dose). À partir de ces données épidémiologiques solides (grands effectifs, surveillance rigoureuse), a été mise en évidence une relation indiscutable entre lexposition et la survenue de cancers avec une relation sensiblement linéaire entre la dose reçue et la probabilité dapparition de ceux-ci, mais uniquement pour des doses élevées : il ny a pas eu daugmentation du taux de cancers chez les personnes ayant reçu des doses inférieures à 0,1 Sv. Cest pourquoi la courbe de relation dose-effet na pas de partie initiale (cf. fig. 1-2).

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Apr 26, 2017 | Posted by in RADIOLOGIE | Comments Off on Effets pathologiques des rayonnements ionisants : effets stochastiques

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