Aux frontières de la nosographie
Trouble déficitaire de l’attention-hyperactivité (TDAH)
Succédant à la notion d’instabilité psychomotrice, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité repose sur une description symptomatique et comportementale, tout en interrogeant sa signification psycho-dynamique et sa compréhension psychopathologique. Si les premiers travaux publiés dans les années 80-90 portant sur le suivi des enfants hyperactifs suggéraient que le trouble s’atténuait avec l’adolescence pour disparaître à l’âge adulte, les suivis de cohortes qui sont actuellement publiés démentent largement ce point de vue. Les manifestations symptomatiques du TDAH persistent très souvent à l’adolescence et au-delà. Mais l’adolescence vient apporter au tableau clinique typique quelques particularités. On ne reprendra pas ici la description du TDAH de l’enfant et de ses diverses formes (type inattentif, type hyperactif/impulsif, type mixte) qu’on trouvera dans l’ouvrage Enfance et psychopathologie, chap. 18, Aux frontières de la nosographie. Le sous-type du TDAH et l’existence ou non dès l’enfance de trouble(s) comorbide(s) (en particulier trouble oppositionnel avec provocation, TOP et Troubles des Conduites, TC) semble conditionner de façon majeure l’évolution à l’adolescence. Reste la question d’un début de TDAH à l’adolescence chez un enfant qui auparavant n’en aurait présenté aucun signe. À notre connaissance, il n’y a pas de travaux sur ce point précis laissant penser que l’apparition d’un tableau typique de TDAH chez un sujet pubère sans antécédents de TDAH dans l’enfance est sinon impossible du moins très rare.
Épidémiologie
Une récente méta-analyse portant sur plusieurs centaines d’articles publiés entre janvier 1978 et décembre 2005 représentant 171 576 patients de 18 ans et moins donne une prévalence moyenne du TDAH (DSM) ou trouble hyperactif (CIM) de 5,29 % mais avec de grandes variations géographiques entre l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient (Polanczyk et coll., 2007). Cette prévalence reste cependant une des plus élevées en psychopathologie de l’enfant comme de l’adolescent, plus élevée chez les garçons que chez les filles (sexe-ratio 3/1) surtout pour les sous-types hyperactif et mixte (Bauermeister et coll., 2007).
Comorbidités : chez l’enfant, la littérature identifie trois types de comorbidités au TDAH : les troubles externalisés (TOP et TC) chez 40 à 90 % des sujets présentant un TDA/H, les troubles internalisés (anxiété et dépression) chez 25 à 40 % des sujets et des troubles des apprentissages dans 10 à 92 %. Le sous-type clinique de TDAH surdéterminerait le type de trouble comorbide. En effet, les troubles internalisés seraient plus fréquents chez les sujets présentant un TDAH à prédominance inattentive, les troubles externalisés, en particulier le TC, seraient corrélés au TDAH à prédominance hyperactive-impulsive. D’autre part, dans les formes mixtes de TDAH, la comorbidité avec les troubles externalisés serait plus fréquente. Cette comorbidité est importante à prendre en compte dès l’enfance car elle conditionne l’évolution du TDAH à l’adolescence.
Évolution de l’enfance à l’adolescence
Certains estiment que la persistance de ce trouble à l’adolescence est de l’ordre de 70 %. Pour juger de l’évolution il faut cependant prendre en compte la source d’information, ce qui est susceptible de modifier de façon considérable les chiffres. Ainsi quand on interroge les parents de jeunes adultes (19-25 ans), 46 % considèrent que les manifestations du TDAH persistent à cet âge chez leur enfant, chiffres qui tombent aux environs de 3 à 8 % quand les sujets se décrivent eux-mêmes (R. Barkley et coll., 2002) !
En fait, trois grands types d’évolution du TDAH ont été décrits dès les premiers travaux :
Les travaux les plus récents mettent au premier plan l’importance de la comorbidité. La présence dès l’enfance d’un TOP (indépendamment de la présence ou non d’un TDAH ou d’un TC) est un facteur de prédiction d’un TC à l’adolescence, mais la présence comorbide d’un TDAH et/ou d’un TC dès l’enfance est un facteur de sévérité du TC à l’adolescence (N. Whittinger et coll., 2007 ; P. Van Lier et coll., 2007) (voir aussi chap. 12).
Clinique à l’adolescence
Le diagnostic du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité est probablement plus difficile à l’adolescence qu’au cours de l’enfance. Au moins trois raisons à cela :
• approximativement 77 % des patients adultes présentent des critères de comorbidité qui contribuent aux difficultés de diagnostic.
Certains se sont néanmoins essayé à décrire un tableau plus caractéristique de ce trouble au moment de l’adolescence (L.L. Greenhill, 1998) :
• fort sentiment d’agitation interne plutôt que des comportements d’hyperactivités ;
• remise à plus tard, présentation d’un travail scolaire mal organisé et sans suite ;
• grande difficulté à travailler de façon autonome ;
• difficultés dans les relations aux pairs ;
• intolérance à la frustration ;
• troubles spécifiques d’apprentissage ;
• comportement peu modifié par les récompenses ou les punitions ;
• apparente indifférence à prendre soin de soi (blessures, accidents à répétition) ;
Il faudrait ajouter à ce tableau un « piège diagnostique » : l’utilisation abusive de cannabis. Aujourd’hui, face à l’adolescent ayant ce comportement, il faut savoir interroger l’adolescent et ses parents sur ce qui s’est passé au cours de l’enfance et repérer si besoin les manifestations antérieures évoquant ce trouble qui aura été ou non diagnostiqué. Dans ce cas, grâce à son comportement addictif, l’adolescent aura trouvé une « auto-thérapie » à son agitation. Le paradoxe évidemment est qu’un des effets du cannabis est la baisse de la concentration. Un cercle vicieux ainsi s’installe chez ce type d’adolescents.
Évolution de l’adolescence à l’âge adulte
Sur un suivi de treize ans, R. Barkley et coll. (2004) montrent que le TDAH chez l’enfant puis l’adolescent est un facteur de risque pour des conduites antisociales et que la comorbidité avec le TC est un facteur de risque supplémentaire pour les consommations et le trafic de produits illégaux chez le jeune adulte (source d’information : les parents). Les adolescents garçons avec un TDAH et un TC ont un risque d’évolution vers la criminalité (arrestation, incarcération) à l’âge adulte beaucoup plus élevé que les sujets témoins, risque encore majoré en cas de faible QI et de statut socio-économique familial défavorable (Satterfield et coll. 2007). Les études rétrospectives à partir d’adultes présentant des conduites psychopathiques et antisociales graves vont dans le même sens : on retrouve de façon significative des antécédents de TDAH et de TC dans l’enfance et l’adolescence de ces sujets qui présentent des conduites délinquantes répétées (H. Soderstrom et coll., 2004).
Point de vue psychopathologique et psychodynamique
Quel que soit le facteur causal essentiel, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité touche l’adolescent dans la représentation qu’il a de son corps, de sa capacité à penser et même plus largement de l’image qu’il a de lui-même, qu’il donne aux autres et que les autres ont de lui. Il n’est pas étonnant de voir que les conséquences de ce trouble survenant dans l’enfance, lorsque le sujet devient adolescent, portent en particulier sur une atteinte manifeste de l’estime de soi et donc du narcissisme et sur une difficulté de liens intrapsychiques, comme le manifestent en particulier certains adolescents, anciens enfants hyperactifs, chez lesquels on rencontre une prédominance de mécanismes de clivage pouvant déboucher sur une véritable organisation borderline de la personnalité. Inversement à l’adolescence, mais sans doute également dans l’enfance, on peut comprendre les deux principaux symptômes de ce trouble comme pouvant servir de mécanismes défensifs : l’hyperactivité comme défense comportementale contre les affects négatifs (angoisse, dépressivité) et l’inattention comme défense cognitive contre les représentations psychiques de mal-être.
Traitement
Nous pouvons déduire de ce qui a été dit précédemment, que les soins apportés à ces adolescents hyperactifs doivent s’inscrire dans une démarche globale ne se limitant pas à la seule prescription d’un médicament. Ce dernier peut être néanmoins tout à fait utile à condition, encore plus qu’au cours de l’enfance, qu’il s’inscrive dans une alliance thérapeutique bien évidemment avec l’adolescent mais aussi incluant les parents. À la prescription de ce médicament doivent s’associer une approche éducative, éventuellement psychomotrice, mais aussi psychothérapeutique en raison des effets que ce « trou » dans la construction de la personnalité et l’élaboration de la subjectivité peut occasionner.
Notion d’états limites
Parler des États Limites chez l’adolescent nécessite une connaissance préalable des États Limites de l’adulte, aussi bien dans leurs aspects historiques que cliniques, psychodynamiques, étiopathogéniques. Sans s’étendre ici à l’excès sur les caractéristiques des États Limites chez l’adulte qu’on trouvera décrites dans d’autres ouvrages (D. Marcelli, 1981 ; J.F. Allilaire, 1985), nous rappellerons toutefois l’essentiel, pour la compréhension de ce cadre nouveau appliqué à l’adolescent.
Les États Limites se sont progressivement dégagés des psychoses et des névroses par deux voies différentes, mais qui se sont trouvées convergentes. La plus ancienne est d’inspiration psychiatrique : très tôt en effet les psychiatres confrontés à l’éclosion schizophrénique au début de l’âge adulte, se sont préoccupés d’un dépistage le plus précoce possible de cette maladie. Ils ont été ainsi conduits d’une part à analyser le passé des malades avérés pour dépister dans leur personnalité antérieure le filigrane de l’organisation pathologique actuelle, et d’autre part à rechercher au sein d’une population normale des signes mineurs pouvant faire craindre l’éclosion morbide ultérieure. C’est à partir de cette préoccupation à la fois anamnestique et catamnestique que sont apparues les notions de schizoïdie et de schizothymie. Les travaux de Kretschmer en Allemagne, ceux de Minkowski ou de Claude en France répondent à ce souci. De glissement en glissement on est ainsi arrivé à décrire des personnalités appartenant encore au registre du normal mais porteuses de traits psychologiques les rapprochant de malades avérés, puis des personnalités légèrement pathologiques sans toutefois présenter le tableau complet (état préschizophrénique, schizophrénie incipiens).
L’autre voie de dégagement de ce concept est représentée par le courant psychanalytique, en particulier américain dès 1940–1945. La démarche fut ici totalement différente, la réflexion venant des déboires suscités par la cure analytique chez des patients apparemment névrotiques. En effet, les analystes se trouvèrent confrontés à une série de patients dont l’indication d’analyse était portée devant un ensemble de symptômes et de souffrances plutôt évocateur d’une névrose, mais qui se comportaient pendant la cure plutôt comme des patients psychotiques développant une psychose de transfert, caractérisée par les profondes altérations de la relation patient-thérapeute. Afin de prévenir, ou du moins de prévoir, de telles évolutions, divers analystes cherchèrent à isoler au sein des conduites initiales, ce qui pouvait en constituer les prémices. Il importe de bien saisir ici la différence fondamentale par rapport à la position précédente : la préoccupation n’est plus celle d’un repérage sémiologique essentiellement centré sur l’existence latente ou patente d’un état schizophrénique, mais de repérer, aussitôt que possible, des distorsions dans la dynamique d’une relation devant faire craindre l’établissement d’un lien particulier entre patient et thérapeute. Ces deux courants d’essence fondamentalement différente se sont toutefois accordés sur l’appellation prévalente de « Borderline » dans les pays anglo-saxons, d’« États Limites » en France.
En ce qui concerne la clinique des États Limites nous ne ferons que citer : 1) l’importance de l’angoisse ; 2) l’existence de multiples symptômes névrotiques protéiformes au sein d’une sexualité en général peu satisfaisante pour le sujet ; 3) l’importance de la symptomatologie dépressive ; 4) la facilité au passage à l’acte d’où la fréquence des tentatives de suicide et des actes délictueux ; 5) l’établissement facile d’une relation de dépendance aux drogues diverses, à l’alcool ; 6) la possibilité d’épisode de décompensation transitoire mais rapidement régressif (épisode confusionnel transitoire, trouble du comportement impulsif).
Cet ensemble symptomatique plutôt vague et extensible il faut bien le reconnaître, trouve son unicité dans le fonctionnement mental des sujets. Tous les auteurs s’accordent à reconnaître la prévalence des mécanismes mentaux dits archaïques où domine le clivage. Les autres mécanismes cités sont principalement l’identification projective, l’idéalisation, le déni. Ces mécanismes ont comme résultat d’affaiblir le moi lui retirant une partie de son potentiel d’adaptation (O. Kernberg, 1979). Les relations d’objets du patient « limite » sont dominées par l’anaclitisme de cette relation (J. Bergeret, 1985) ; elles se font avec les objets partiels, tantôt idéalisés, tantôt au contraire dévalorisés, avec de brusques changements de l’un à l’autre.
Les hypothèses étiologiques centrent en général leur attention sur l’impossibilité d’accéder à l’ambivalence névrotique avec l’inquiétude et la culpabilité envers l’objet que sous-tend cette accession.
Le clivage est compris comme un mécanisme actif pour lutter contre cette souffrance dépressive, pour éviter l’inquiétude et pour ne pas avoir à faire face aux nécessités de la réparation. Il maintient activement séparés bons et mauvais objets. Mais la persistance de ce clivage provoque les déviances déjà citées dans l’organisation psychodynamique du sujet (affaiblissement du moi, archaïsme du surmoi, conflits prégénitaux, etc.).
Soulignons donc que, concernant les États Limites de l’adulte : 1) le modèle de compréhension est avant tout psychanalytique ; 2) l’étiopathogénie trouve son explication dans une hypothèse ontogénétique liée au mouvement de la psychanalyse génétique. En effet, la majorité des auteurs travaillant sur ce sujet partagent un intérêt et des recherches sur le développement de l’enfant, compris le plus souvent à la lumière des travaux de M. Malher ; 3) la spécificité ne réside pas dans le tableau clinique, mais dans l’organisation conflictuelle, économique et dynamique sous-jacente : seul un abord psychanalytique peut donner la clé d’une telle compréhension.
Points communs entre le processus de l’adolescence et les états limites
L’extension de ce nouveau cadre ainsi défini à la pathologie de l’adolescent repose sur une série de motifs spécifiques à cet âge.
Aspects cliniques
Cliniquement, les adultes « limites » sont parfois décrits comme des « adolescents attardés » ; en outre certaines conduites symptomatiques ne sont pas sans présenter d’étroites similitudes avec les principaux axes symptomatiques propres à l’adolescence. Citons à titre d’exemple la fréquence de l’angoisse, l’importance de la dépression, la prévalence du passage à l’acte, la fréquence des tentatives de suicide et des conduites toxicomaniaques… À l’extrême, la clinique des États Limites de l’adulte en vient à être décrite à partir des signes cliniques observés chez les adolescents ; ainsi P. Kernberg (1979) déclare « l’adulte “limite” ne diffère pas fondamentalement de l’adolescent, sauf dans l’accumulation de complications secondaires dues au cours de la vie (mariage, enfant, vicissitudes professionnelles) ».